(1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Préface. »
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(1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Préface. »

Préface.

Je commence par déclarer que le but de cet ouvrage est de rendre la composition facile aux élèves ; mais que je n’ai point l’intention de m’astreindre au mécanisme auquel on soumet ordinairement les traités de Rhétorique. La méthode a été poussée si loin, on a tellement divisé et subdivisé les préceptes de l’art oratoire, qu’il en résulte une confusion réelle, et l’élève a fort à faire pour se sortir avec honneur du dédale de chapitres et de paragraphes qu’on lui fait parcourir. Ces efforts des rhéteurs, louables en eux-mêmes, n’ont pourtant rien produit de nouveau ni d’utile : car, depuis Aristote et Quintilien, qui les premiers ont traité de la Rhétorique, les préceptes n’ont varié que dans la forme, le fond est resté le même. Les modèles, il est vrai, se sont multipliés, et nous sommes assez riches aujourd’hui pour nous dispenser de recourir aux anciens. Sous ce rapport encore, il me semble qu’on a trop multiplié les exemples, et abusé de la permission de citer. Avec des préceptes délayés, et de nombreux extraits de bons auteurs, il est facile de faire un cours de Rhétorique c’est-à-dire un volume de 3 à 400 pages ; mais quand on aura composé un nouvel ouvrage, aura-t-on fait quelque chose de plus utile que ce qui existait longtemps avant nous ? Pour décider cette question, il suffit de comparer nos traités de Rhétorique aux institutions oratoires de Quintilien.

Que l'on n’exige pas de moi, dit ce célèbre rhéteur, ce que beaucoup ont voulu faire, de renfermer et de circonscrire l’art dans des bornes nécessaires et immuables. Je n’en connais point de cette espèce. La Rhétorique serait une chose bien aisée, si on pouvait ainsi la réduire en système. La nature des causes et des circonstances, le sujet, l’occasion, la nécessité, changent et modifient tout.

Cette déclaration de principes justifiera la mienne. Je ne méprise point les règles, il s’en faut ; jamais je n’accorderai tout au naturel, quelque bon qu’il soit ; mais tout en donnant beaucoup à l’art je donne plus encore au talent : car, on ne peut le nier, le talent a existé avant l’art, les modèles existèrent avant les préceptes. C’est en observant les hommes de génie, qui les premiers produisirent des chefs-d’œuvre, que les hommes de sens devinèrent l’art, et c’est en analysant les écrits des premiers que les seconds formèrent un recueil de préceptes. C’est ce qui fait que nous rencontrons souvent dans la décomposition des choses fort belles auxquelles les auteurs ne pensaient peut-être guères, et que leur talent a produites, pour ainsi dire, d’instinct. Le talent est donc créateur, et l’art n’est qu’imitateur : sans le talent, l’art n’aurait pu exister.

Mais l’art peut manquer au talent, et voici où commence la nécessité d’étudier la Rhétorique, même pour les personnes qui ont les plus grandes dispositions naturelles à bien écrire. Sans art, leurs compositions ressembleraient à des ébauches informes ; leur talent est comme un fer contourné et battu par le premier travail du forgeron, mais qu’il faut limer pour le rendre luisant et poli, ou comme un diamant brut qu’il faut tailler à cent facettes, pour le rendre éclatant de mille feux.

Un homme disposé à soutenir les opinions extrêmes pourra dire : Puisque j’ai du talent, je n’ai que faire de l’art ; je réponds : vous avez raison, si vous êtes un Homère. Mais, prenez garde, l’antiquité n’en a qu’un, et tous les siècles passés depuis, n’en ont point. Seriez-vous ce mortel favorisé, désigné pour être le second ?

Cela est possible ; mais de deux choses l’une : ou vous imiterez Homère, ou vous ne l’imiterez pas. Si vous l’imitez, vous suivrez un maître, vous apprendrez l’art, et vous ne vous fierez plus à votre talent. Si vous ne l’imitez pas, vous ferez des choses tellement opposées aux idées reçues, à toutes les notions du beau, du naturel, du sublime, que chacun vous blâmera, et dira, tout en reconnaissant que vous avez du talent, qu’il faudrait qu’il fût perfectionné par l’art. Vous serez bien obligé d’en croire tout le monde ; car probablement vous ne ferez pas vos ouvrages pour les lire tout seul1.

Il n’est permis qu’au génie d’inventer, de créer dans une langue un nouveau genre de composition. Personne n’avait appris à Lafontaine l’art de produire des chefs-d’œuvre en faisant parler des bêtes. Racine a trouvé seul le moyen de faire des vers. Mais les grands hommes se comptent facilement. Ne nous croyons pas meilleurs que nous ne sommes, et en attendant que notre talent mûrisse, étudions l’art, qui, en tout état de choses, ne nous sera jamais inutile.

On comprend que par le mot art j’entends la réunion des préceptes qui forment le code du rhéteur. Cette expression n’ayant point encore un sens bien déterminé, j’aurais dû dire science ; car ce mot s’applique mieux et plus souvent aux idées théoriques, aux ouvrages didactiques.

Ces distinctions subtiles entre le talent et l’art n’existeraient point, si la Rhétorique n’avait point été réduite de nos jours en système rigoureux, suivant l’expression de Quintilien. Mais si le système est dans la théorie, dans nos traités, il n’est point suivi dans la pratique, dans nos ouvrages ; le talent sait quelquefois heureusement s’affranchir des règles étroites que l’on oppose à son développement, et nous n’admirons pas moins ses succès. En effet, si vous nous donnez un bel ouvrage, où dans un style tour à tour simple, sublime et tempéré, vous nous ayez réellement attachés, et montré toutes les ressources d’un talent qui sait imiter la belle nature, ce qui est le don le plus heureux des grands peintres, que nous importe que nous ne puissions classer votre style dans un des trois genres créés par les rhéteurs ? Nous ne vous admirerons pas moins que si vous aviez observé toutes les règles, en nous parlant dans un style constamment de même genre. Si, dans un plaidoyer, outre la discussion du fait et du droit, vous avez loué ou blâmé, conseillé ou dissuadé, mais d’une manière telle que vous ayez captivé notre attention et commandé nos éloges, nous vous rendrons grâces. Nous ne pourrons appliquer les règles, parce que vous aurez mêlé les genres démonstratif, délibératif et judiciaire ; mais vous nous avez instruits, vous nous avez plu, vous nous avez touchés, vous êtes absous : car vous avez rempli votre triple devoir d’orateur.

Je pourrais prolonger cette dissertation ; mais je me hâte de finir, et je préviens le lecteur que j’ai tâché de faire pour le mieux, en adoptant un ordre différent de l’ordre qu’on suit ordinairement. Prévenir l’ennui, en évitant l’uniformité, plaire aux jeunes gens en leur rendant le travail agréable, tel a été mon but ; je désire sincèrement l’avoir atteint.