(1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Section II. Des Ouvrages en Vers. — Chapitre I. Des Poésies fugitives. »
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(1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Section II. Des Ouvrages en Vers. — Chapitre I. Des Poésies fugitives. »

Chapitre I.

Des Poésies fugitives.

Il n’est pas aussi aisé qu’on pourrait se l’imaginer de réussir dans les poésies fugitives. Outre qu’elles exigent, chacune dans son espèce, un talent particulier, on n’y souffre pas les moindres inégalités, les plus légers défauts. Il faut qu’une petite pièce de vers soit aussi parfaite qu’elle puisse l’être. Si elle ne l’est point, on la regarde, avec raison, presque comme mauvaise. Ces petits ouvrages poétiques sont : 1º. L’énigme, le logogriphe, et la charade. 2º. L’épigramme, le madrigal et le sonnet. 3º. Le rondeau et le triolet. 4º. L’épitaphe et l’inscription. 5º. L’épithalame et la chanson. Je ne parle point de la balade, du chant royal, du lai, du virelai, et autres petites pièces de vers, qui ne sont plus guère d’usage.

Article I.

De l’Énigme, du Logogriphe et de la Charade.

De l’Énigme.

L’Énigme et le logogriphe se nomment en latin gryphus et logogryphus ; mots qui viennent du grec. Le premier signifie, énigme sur une chose, et le second, énigme sur un mot, et même sur les parties de ce mot. L’énigme peut être en prose : mais elle est presque toujours en vers. Le poète y donne à deviner une chose, en la décrivant par ses causes, ses effets, ses propriétés, mais sous des idées et des termes équivoques. Ainsi l’auteur qui a dit : Maison à louer, laquelle a deux portes, trois fenêtres, du logement pour quatre maîtres, même pour cinq en un besoin, deux caves, un grenier à foin ; maison que le propriétaire avec sa baguette d’enchanteur, peut transporter, au gré du locataire, dans quelque quartier qu’il lui plaira ; maison qui porte un écriteau tiré de Barème et de l’algèbre, et dont le nom, aussi bien que celui de l’enchanteur, se lit dans le calendrier  : cet auteur, dis-je, a proposé une énigme, dont le mot est une voiture, nommée fiacre. On y voit la description d’une chose par ses propriétés ; description où ne sont employées que des idées et des expressions équivoques, puisqu’elles présentent plusieurs rapports et plusieurs sens.

L’équivoque caractérise donc l’énigme : elle y donne le change au lecteur, qui d’ailleurs, doit s’y attendre. La métaphore et l’antithèse sont les principales figures propres à ce genre de poésie, qui doit être court, précis, et piquer surtout la curiosité du lecteur par quelque trait qui semble désigner le mot, ou par les contrastes singuliers que présente l’énigme. Quoique chacun de ces traits puisse s’appliquer à différents objets, il faut néanmoins que tous ces traits réunis conviennent uniquement à la chose, dont le nom est le mot cherché : c’est la première et la plus essentielle règle de l’énigme. On y personnifie souvent le sujet, en le faisant parler au lecteur, comme on le voit dans celle-ci.

                Je suis difficile à trouver,
                Et plus encore à conserver.
                Les curieux, pour me connaître,
                Avec grand soin me font leur cour,
Mais mon destin me défendre paraître ;
                Car l’instant où je vois le jour,
                Est l’instant où je cesse d’être.

Le mot de cette énigme est le secret.

Ce petit genre de poésie était fort en usage chez les anciens. Œdipe ne monta sur le trône de Thèbes ; qu’après avoir deviné l’énigme que proposait le sphinx155, et qui présentait les trois âges de l’homme, l’enfance, la virilité et la vieillesse, sous la figure d’un animal, qui, le matin, marche à quatre pieds ; vers le milieu du jour, à deux, et le soir, à trois. Si ce fait est fabuleux, l’invention n’en est pas moins une preuve, que les anciens avaient une haute idée de l’énigme. Mais nous savons par l’histoire que dans ces temps reculés, les rois s’envoyaient par défi ces sortes de problèmes à résoudre, et qu’ils donnaient de grandes récompenses à ceux qui avaient le talent de le faire. Crœsus, roi de Lydie, envoya pour cet objet, Ésope à Amasis, roi d’Égypte. Entre autres énigmes qu’on proposa dans cette cour au fabuliste phrygien, celle-ci est une des plus remarquables. Il y a un grand temple, qui est appuyé sur une colonne, entourée de douze villes, chacune desquelles a trente arcs-boutants et autour de ces arcs-boutants se promènent, l’une après l’autre, deux femmes, l’une blanche, l’autre noire. Ésope expliqua cette énigme, en disant que le temple est le monde ; la colonne, l’année ; que les villes sont les mois, et les arcs-boutants, les jours, autour desquels se promènent alternativement le jour et la nuit.

Du Logogriphe.

Le Logogriphe, qui, comme je l’ai déjà dit, signifie énigme sur un mot, et même sur les parties de ce mot, est en effet l’assemblage de plusieurs énigmes, dont une porte sur le mot total, et les autres sur les parties de ce mot, c’est-à-dire, sur les syllabes ou les lettres indifféremment arrangées. Le mot total du logogriphe est appelé le corps ; et les parties que l’on sépare pour former d’autres mots, sont appelées les membres. Je prends pour exemple un ancien logogriphe latin, qui est peut-être le meilleur qu’on puisse citer. Le mot en est muscatum, que l’auteur personnifie, en le faisant parler. En voici la traduction littérale avec l’explication.

Prenez ma tête (ou la première syllabe mus) ; je courrai. Cela est vrai, puisque le mot mus signifie souris. Joignez-y le ventre (ou la seconde syllabe ca), je volerai. Cela est vrai, puisque vous avez le mot musca qui signifie mouche. Ajoutez les pieds (ou la dernière syllabe tum) ; vous mangerez. Cela est vrai, puisque vous avez le mot entier muscatum, qui signifie raisin muscat. Ôtez le ventre (ou la seconde syllabe ca), vous boirez. Cela est vrai, puisque vous avez le mot mustum qui signifie moût, ou vin doux et nouvellement fait.

Voici un logogriphe français qui passe pour être le plus ancien en notre langue. Il est de Dufresny, poète comique estimé.

                    Sans user de pouvoir magique,
Mon corps entier en France a deux tiers en Afrique,
Ma tête n’a jamais rien entrepris en vain.
                    Sans elle en moi tout est divin,
                    Je suis assez-propre au rustique,
                    Quand on me veut ôter le cœur,
Qu’a vu plus d’une fois renaître le lecteur.
Mon nom bouleversé, dangereux voisinage,
Au Gascon imprudent peut causer le naufrage,

Le mot de ce logogriphe est Orange, ville de France. Les deux tiers sont Oran, ville d’Afrique. La tête est or, métal, et dont la suppression donne le mot ange. Le cœur est an, par la suppression duquel on a le mot orge. Le changement des lettres de ce mot Orange, fait trouver celui de Garone, fleuve qui coule dans la Gascogne.

Les mots les plus favorables au logogriphe, sont ceux qui fournissent un plus grand nombre de mots, par la dissection du mot principal. Mais avertir le lecteur de rassembler, par exemple, la 2e, la 3e, la 5e, la 7e lettre qu’on désigne par des chiffres, c’est avilir la poésie, et justifier en quelque sorte ce que l’on dit de ces petites pièces de vers ; que ce ne sont que des puérilités que l’homme de goût dédaigne et réprouve.

De la Charade.

La Charade vient, dit-on, de l’idiome languedocien, et signifie dans son origine, discours propre à tuer le temps. On y donne à deviner un mot, dont on divise les syllabes, lorsque chacune de ces syllabes forme un autre mot : on dit ce que chaque syllabe signifie, et l’on indique ensuite à peu près ce qu’est le mot dans son entier. On pourrait, par exemple, faire une charade du mot polissoir, dont la première syllabe est , nom d’un fleuve ; la seconde ; lis, nom d’une fleur ; la troisième, soir, nom d’une partie du jour, et le tout, un instrument.

Dans les mots terminés par un e muet, les deux dernières syllabes sont censées n’en faire qu’une. Ainsi dans courage et verdure, se trouvent les mots cou et rage, ver et dure Mais on ne pourrait pas faire du premier, les mots cour et âge, parce que la première syllabe est cou et non pas cour. Il en est de même, par exemple, du mot butor, qui ne pourrait pas donner les mots but et or.

Au reste, ces trois genres de poésie ne sont que des jeux littéraires, qui exercent l’esprit ; et l’on doit convenir que tout ce qui exerce l’esprit, ne peut pas lui être inutile. Mais l’homme de lettres un peu célèbre, et celui qui est né avec quelque talent poétique, les regardent comme des bagatelles, dont ils ne doivent que très rarement, et peut-être jamais s’occuper.

Article II.

De l’Épigramme, du Madrigal, et du Sonnet.

De l’Épigramme.

L’Épigramme n’est autre chose qu’une pensée fine et saillante, présentée heureusement et en peu de mots. La brièveté et le sel sont les deux principaux caractères de ce genre de poésie, qui ne doit jamais avoir plus de douze ou de quinze vers, qu’on peut faire de tout pied. L’exposition du sujet, c’est-à-dire, de la chose qui a produit ou occasionné la pensée, doit se faire remarquer par cette précision de style, qui rejette tout ce qui est languissant et superflu. Le sel de l’épigramme consiste dans un trait plaisant, ingénieux et inattendu ; dans une pensée qui pique, qui intéresse, qui est rendue d’une manière vive et agréable, et qu’on appelle la pointe ou le bon mot. L’épigramme suivante peut être mise au nombre des meilleures.

Un certain sot de qualité,
Lisait à Saumaise 156 un ouvrage,
Et répétait à chaque page,
Ami, dis-moi la vérité.
Ennuyé de cette fadaise,
Ah ! monsieur, répondit Saumaise,
J’ai de bons auteurs pour garants,
Qu’il ne faut jamais dire aux grands
De vérité qui leur déplaise.

On voit que cette épigramme tire toute sa beauté de la finesse de la pensée, qui laisse quelque chose à deviner. Dans celle-ci, c’est un retour inattendu qui frappe et qui en fait tout le sel ; elle est de La Martinière.

Un gros serpent mordit Aurèle.
Que croyez-vous qu’il arriva ?
Qu’Aurèle en mourut. Bagatelle !
Ce fut le serpent qui creva.

Le genre de l’épigramme, dans l’acception qu’on donne communément à ce mot, est trop dangereux et apporte d’ailleurs trop peu de gloire, pour qu’on ne doive pas se l’interdire sévèrement. Il n’appartient qu’à un esprit méchant et à un cœur corrompu d’attaquer les personnes et de rimer des obscénités. Les honnêtes gens ne peuvent pas même soutenir la lecture de pareils ouvrages. Si l’on se sent un talent décidé pour ce genre de poésie, on doit s’armer contre les ridicules, les vices généraux de la société, et faire des épigrammes morales, telles que celle-ci de Pellisson 157.

Grandeur, savoir, renommée,
Amitié, plaisir et bien,
Tout n’est que vent, que fumée ;
Pour mieux dire, tout n’est rien.

On trouve encore dans cette épigramme de J.-B. Rousseau le modèle du genre qui doit plaire à tous les bons esprits, même aux plus rigides.

Ce monde-ci n’est qu’une œuvre comique,
Où chacun fait des rôles différents.
Là sur la scène, un habit dramatique,
Brillent prélats, ministres, conquérants.
Pour nous, vil peuple, assis aux derniers rangs,
Troupe futile et des grands rebutée,
Par nous d’en-bas la pièce est écoutée.
Mais nous payons, utiles spectateurs ;
Et si la pièce est mal représentée,
Pour notre argent nous sifflons les acteurs.

En voici une autre dans le genre familier, et dont le sujet est tiré de la mythologie : elle est pleine d’esprit et de sel.

J’ai désarmé l’amour ; et de tout son bagage
J’ai pris ce qui pouvait servir à mon ménage.
Je me sers de ses traits pour percer mon tonneau.
                           De son bandeau
                       J’ai fait une serviette.
J’ai fondu son carquois pour m’en faire une assiette ;
Et lorsque pour goûter du vin vieux ou nouveau,
                       Je descends à la cave,
Ce superbe vainqueur, à présent mon esclave,
                 Porte devant moi son flambeau.

Les meilleurs épigrammatistes latins sont Catulle, né à Vérone, l’an 86 avant J.-C., et Martial, qui, né en Espagne, vers le milieu du premier siècle de l’ère chrétienne, passa la plus grande partie de sa vie à Rome. Le premier a plus de sentiment, plus de délicatesse ; le second plus de feu, plus de saillie. Mais l’un et l’autre ne doivent être lus qu’avec la plus grande précaution. Catulle n’a pas été bien traduit par Pezay ; et Martial l’a été encore moins bien par l’abbé de Marolles.

Parmi nous, ce sont Marot et J.-B. Rousseau. Après eux viennent Racine, qui nous a laissé quelques bonnes épigrammes, Mainard, Boileau et Piron. Mais encore une fois, si l’on veut s’adonner à ce genre de poésie, on doit se faire une loi inviolable de ne point franchir les bornes de la pudeur, et de n’offenser, non seulement aucune personne en particulier, mais même aucun corps en général. Piron n’est pas excusable d’avoir dit :

Ci-gît Piron, qui ne fut rien,
Pas même académicien :

quoique ce trait ne tombât individuellement sur aucun membre de cette illustre compagnie.

Du Madrigal.

Le Madrigal peut avoir le même nombre de vers que l’épigramme : il consiste également dans une seule pensée ; et ces deux petits poèmes ne diffèrent que par le caractère même de cette pensée. Elle est saillante dans l’épigramme, plus particulièrement réservée pour des sujets plaisants ou satiriques. Elle est délicate dans le madrigal, spécialement consacré à des sujets tendres ou galants. L’épigramme a dans sa chute quelque chose de plus vif, de plus piquant, de plus étudié. Le madrigal au contraire à quelque chose de plus doux, de plus simple, de plus gracieux. En voici un qui peut servir de modèle : c’est une réponse de Pradon à quelqu’un qui lui avait écrit, et qui avait mis dans sa lettre beaucoup d’esprit.

Vous n’écrivez que pour écrire :
C’est pour vous un amusement.
Moi, qui vous aime tendrement,
Je n’écris que pour vous le dire.

On peut citer encore pour modèle de madrigal ces jolis vers que fit Desmarets sur la violette, pour la guirlande de Julie de Rambouillet 158.

Modeste en ma couleur, modeste en mon séjour,
Franche d’ambition, je me cache sous l’herbe.
Mais si sur votre front je puis me voir un jour,
La plus humble des fleurs sera la plus superbe.

Quelquefois le madrigal est une allusion à la fable. Tel est celui-ci, dont la pensée a quelque chose de brillant.

Vous êtes belle, et votre sœur est belle ;
Entre vous deux tout choix serait bien doux :
L’Amour159 était blond comme vous ;
Mais il aimait une brune comme elle.

Ceux de nos auteurs qui ont laissé le plus de beaux modèles en ce genre, sont madame Deshoulières et M. de La Sablière. Ce dernier surtout, qui n’a composé que des madrigaux, excelle dans ce genre de poésie, autant par la finesse des pensées, que par la délicatesse du style. Cette dame de La Sablière, que La Fontaine a immortalisée dans ses vers, était son épouse.

Du Sonnet.

Le Sonnet qu’on rapporte, aussi bien que le madrigal, à l’épigramme, consiste dans quelques pensées, dont la dernière doit avoir quelque chose de frappant et d’extraordinaire. Sa forme artificielle ou mécanique est absolument invariable. Il est composé de quatorze vers. Les huit premiers sont partagés en quatrains de même mesure, et qui roulent sur deux rimes, qu’il faut y placer dans le même ordre. Les six derniers vers riment différemment des premiers, et sont partagés en deux tercets. Les deux premiers vers du premier tercet riment ensemble, et le troisième rime avec le second du second tercet. Le sens doit être complet après chaque quatrain et chaque tercet. Quand le sujet du sonnet est grave et sérieux, on doit y employer des vers alexandrins : quand il ne l’est pas, on peut employer des vers de dix ou même de huit syllabes.

Tout doit être exact, poli, châtié dans ce petit ouvrage. On n’y souffre ni le moindre écart du sujet, ni un vers faible ou négligé, ni une expression impropre ou superflue, ni la répétition du même mot. La précision et la justesse des pensées, l’élégance des expressions, l’harmonie des vers, la richesse des rimes n’y doivent rien laisser à désirer : en un mot, tout doit y être d’une beauté achevée. Aussi n’y a-t-il aucun poète qui ait atteint à ce degré de perfection qu’on exige dans ce petit poème ; et ce qu’a dit Boileau, il y a un siècle, nous pouvons le répéter aujourd’hui, qu’un sonnet sans défauts est un heureux phénix qui est encore à trouver. Le meilleur de tous, est celui de Desbarreaux 160. C’est par cette raison, qu’en le proposant pour modèle, je ne ferai point difficulté de le citer, quoiqu’il soit connu de tout le monde.

Grand Dieu, tes jugements sont remplis d’équité ;
Toujours tu prends plaisir à nous être propice :
Mais j’ai tant fait de mal, que jamais ta bonté
Ne me pardonnera sans blesser ta justice.

Qui, mon Dieu, la grandeur de mon impiété
Ne laisse à ton pouvoir que le choix du supplice ;
Ton intérêt s’oppose à ma félicité,
Et ta clémence même attend que je périsse.

Contente ton désir, puisqu’il t’est glorieux ;
Offense-toi des pleurs qui coulent de mes yeux ;
Tonne, frappe, il est temps, rends-moi guerre pour guerre.

J’adore en périssant la raison qui t’aigrit.
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ ?

Article III.

Du Rondeau et du Triolet.

Du Rondeau.

La naïveté fait le principal caractère du Rondeau. Mais cette naïveté n’exclut pas la délicatesse, la finesse ; même, pourvu qu’elles ne s’y trouvent pas aux dépens de l’aimable simplicité. Ce petit poème, particulièrement propre à des sujets badins, est composé de treize vers de dix ou de huit syllabes, qui roulent sur deux rimes, dont huit sont féminines, et cinq masculines, ou huit masculines, et cinq féminines. De quelque manière qu’on dispose ces rimes, il s’en rencontre en quelque endroit trois féminines ou masculines de suite. Il doit y avoir, après le cinquième vers, un repos ou un sens complet. Le premier hémistiche, ou les premiers mots du rondeau, doivent se retrouver à la suite du huitième et du treizième vers, pour servir de refrain. Il est essentiel que ce refrain, qui, dans les vers de dix syllabes, est de quatre, et qui, dans ceux de huit, est de trois, soit lié avec la pensée qui précède, et qu’il termine le sens naturellement.

Voici un très beau rondeau d’Adam Billaut, menuisier de Nevers, qui sans aucune littérature, devint poète dans sa boutique, et dont les poésies, qui roulent toutes sur le vin, sont pleines de verve et de feu :

Pour te guérir de cette sciatique,
Qui te retient comme un paralytique
Entre deux draps sans aucun mouvement.
Prends-moi deux brocs d’un fin jus de sarment,
Puis lis comment on les met en pratique.

Prends-en deux doigts, et bien chauds les applique
Sur l’épiderme où la douleur te pique,
Et tu boiras le reste promptement
         Pour te guérir.

Sur cet avis ne sois point hérétique ;
Car je te fais un serment authentique ;
Que si tu crains ce doux médicament,
Ton médecin, pour-ton soulagement,
Fera l’essai de ce qu’il communique
         Pour te guérir.

On a dit que ce poète eut des pensions du cardinal de Richelieu, et de Gaston frère de Louis XIII, et qu’il ne voulut point quitter le séjour de Nevers, pour celui de Versailles. Les poètes de son temps l’appelaient le Virgile au rabot ; et Mainard assurait que les Muses ne doivent être assises que sur des tabourets, faits de la main de ce poète-menuisier .

Du Triolet.

Le Triolet est une espèce de rondeau, et n’a sur deux rimes que cinq vers, dont les deux premiers présentent un sens achevé. Le premier doit être répété après le troisième, en formant un sens naturel avec ce qui le précède. Il en est de même des deux premiers, qu’on répète après le cinquième. Ces règles sont exprimées dans ce triolet même, qu’on attribue à Scarron :

Pour faire un bon triolet,
Il faut observer ces trois choses
Savoir, que l’air en soit follet,
Pour faire un bon triolet ;
Qu’il entre bien dans le rôlet,
Et qu’il tombe au milieu des pauses ;
Pour faire un bon triolet,
Il faut observer ces trois choses.

Mais la beauté de ce petit genre de poésie consiste dans l’application heureuse qu’on fait des deux premiers vers, et dans leur liaison avec celui qui les précède. On ne peut pas en citer de meilleur exemple, que cet ancien et joli triolet de Rauchin :

Le premier jour du mois de mai
Fut le plus heureux de ma vie.
Le beau dessein que je formai
Le premier jour du mois de mai !

Je vous vis, et je vous aimai.
Si ce dessein vous plut, Sylvie,
Le premier jour du mois de mai.
Fut le plus heureux de ma vie.

Article IV.

De l’Épitaphe, et de l’Inscription.

De l’Épitaphe.

L’Épitaphe consiste dans quelques vers gravés ou supposés devoir l’être sur un tombeau. Le poète y fait le plus souvent l’éloge du mort ; et il doit alors y mettre les grâces et la délicatesse du madrigal, en prenant néanmoins un ton plus noble et plus élevé, et en caractérisant la personne qui en est l’objet. Il faut surtout qu’il évite avec le plus grand soin d’être long et mystérieux. L’épitaphe n’étant faite que pour être lue en passant, doit présenter un sens clair et précis, qu’on découvre d’abord et sans la moindre peine. Une des plus belles que je connaisse, est celle du grand Turenne par Chevreau. La voici :

Turenne161 a son tombeau parmi ceux de nos rois :
Il obtint cet honneur par ses fameux exploits.
Louis voulut ainsi couronner sa vaillance,
      Afin d’apprendre aux siècles à venir
            Qu’il ne met point de différence
Entre porter le sceptre et le bien soutenir.

Lorsque l’épitaphe est une satire du mort, elle doit avoir toute la finesse et tout le piquant de l’épigramme. Mais ce genre est odieux et infâme. Il n’y a que les méchants et les scélérats connus dans l’histoire, dont l’honnête homme puisse se permettre de faire la satire sur leur propre tombeau. Ainsi, je ne craindrai point de citer ici l’épitaphe du fameux l’Arétin par Mainard.

Le temps, par qui tout se consume,
Sous cette pierre a mis le corps.
De l’Arétin, de qui la plume
Blessa les vivants et les morts.
Son encre noircit la mémoire
Des monarques, de qui la gloire
Est vivante après le trépas ;
Et s’il n’a pas contre Dieu même
Vomi quelque horrible blasphème.
C’est qu’il ne le connaissait pas.

Ces vers sont une traduction libre de l’épitaphe latine qu’un poète italien fit à l’Arétin, et qu’on dit avoir été placée sur son tombeau, dans l’église de Saint-Marc, à Venise.

De l’Inscription.

On appelle Inscription, des caractères gravés sur un édifice, un monument, au bas d’une statue, d’un portrait, etc. ; soit pour transmettre à la postérité la mémoire de quelque événement, soit pour faire connaître aux passants un fait, une chose, une personne. La précision et la clarté font le principal mérite de ce petit ouvrage. Je n’en connais pas de plus belle pour un monument public, que celle qu’on lit au-dessus de la porte de l’Arsenal de Paris. Ce sont deux vers latins, dont l’auteur, nommé Bourbon, était professeur d’éloquence grecque au Collège Royal et fut ensuite de l’Académie française. En voici la traduction littérale, mais qui n’en rendra ni toute l’énergie ni toute la précision. Ce mont Etna 162 fournit à Henri 163 des traits forgés par Vulcain 164 , traits qui doivent dompter les fureurs des géants. Que d’images dans ce peu de mots ; et que de beautés dans ces images ! On y voit l’Arsenal comparé aux antres du mont Etna, où Vulcain forgeait avec les Cyclopes la foudre pour Jupiter ; les armes qui y sont déposées, comparées aux traits fabriqués par Vulcain ; Henri IV, à Jupiter même, et ses ennemis, aux géants réduits en poudre dans la guerre qu’ils osèrent déclarer au maître des Dieux.

Quant aux inscriptions qui ont été faites en notre langue, une des plus belles que je puisse citer pour un monument, est celle que fit Piron, lorsque le village d’Arcy ayant été réduit en cendres, M. Grassin, seigneur du lieu, le fit rebâtir. Elle fut gravée sur une pyramide dans ce village. La voici :

              La flamme avait détruit ces lieux :
Grassin les rétablit par sa munificence.
Que ce marbre à jamais serve à tracer aux yeux
Le malheur, le bienfait et la reconnaissance.

L’inscription qu’on lit au bas du portrait de la comtesse de la Suze, est la meilleure en ce genre qui s’offre à ma mémoire. Elle consiste en quatre vers latins que les uns attribuent au président de Fieubet, et les autres au P. Bouhours. Le fameux Largillière avait peint cette dame célèbre, assise dans un char roulant sur des nuages. Voici le sens littéral de ces vers, dignes du siècle d’Auguste. Quelle déesse est portée sur un char élevé au milieu des airs ? est-ce Junon 165 ? est-ce Pallas 166 ? est-ce Vénus 167 qui vient elle-même ? Si vous considérez sa naissance, c’est Junon ; ses écrits, c’est Minerve ; sa beauté, c’est la mère de l’Amour. On a essayé de les rendre par ces vers français :

Quelle Divinité vers nous descend des cieux ?
Est-ce Vénus, Pallas, ou la reine des Dieux
              Dont nous ressentons la présence ?
              Toutes trois en vérité :
              C’est Junon par sa naissance,
              Minerve par sa science,
              Et Vénus par sa beauté.

Je pourrai citer aussi ces quatre vers du chevalier de Cailly, sur le portrait de Louis XIV qu’on avait peint sans couronne :

Que cette majesté me plaît !
Avec l’éclat qui l’environne,
Il ne lui faut point de couronne ;
Pour nous apprendre ce qu’il est.

Article V.

De l’Épithalame, et de la Chanson.

De l’Épithalame.

L’Épithalame, mot qui vient du grec, et qui signifie chant nuptial, est un petit poème fait à l’occasion d’un mariage. Il a deux parties essentielles : l’une comprend les louanges qu’on donne aux nouveaux époux, et l’autre, les vœux qu’on fait pour leur bonheur. Ces louanges doivent être ingénieuses, mais naturelles, exprimées avec beaucoup de délicatesse, et accommodées au sexe, à la naissance, au rang et au mérite des personnes. Ces vœux doivent se rapporter principalement à la douceur de l’union que forment les nouveaux époux, et aux fruits heureux qu’ils peuvent en attendre. Mais il faut qu’ils ne soient jamais hors de la vraisemblance.

La meilleure façon de traiter le sujet d’un épithalame, est de le renfermer dans une fiction ou dans une allégorie. Les idées n’en sont alors que plus saillantes et plus poétiques. La mythologie sert à répandre une infinité d’agréments dans ces sortes de petits ouvrages. Le style en doit être riche brillant, gracieux, et surtout varié. On peut prendre un ton noble et élevé, ou badin et enjoué. Cela dépend de la manière dont on envisage son sujet, ainsi que du rang et de la naissance des personnes dont on chante l’union.

Ce petit poème n’a point de règles particulières pour le nombre, la mesure, et la disposition des vers. Tout ce que l’on peut dire relativement à la forme de l’épithalame, c’est qu’il doit y avoir un ou deux vers intercalaires, répétés, par intervalles, et qui font une espèce de refrain. C’est ce qu’on va voir dans celui-ci, que fit, en 1745 le C. de B*** sur le mariage de Louis, Dauphin de France, fils de Louis XV, avec Marie-Thérèse, Infante d’Espagne. Il ne serait guère possible d’en citer un plus agréable et plus beau dans le genre noble et sérieux :

Descends, Hymen168, descends des cieux,
Viens remplir les vœux des deux mondes.
Les Bourbons, ces enfants des Dieux,
Unissent leurs tiges fécondes :
Descends, Hymen, descends des cieux,
Viens remplir les vœux des deux mondes.

Tandis qu’au sein de ses roseaux,
La Nymphe du Tage169 éplorée,
Répand sur son urne azurée
Des pleurs qui grossissent ses eaux,
Les Dieux enfants de Cythérée170,
À la lueur de leurs flambeaux,
Conduisent l’Infante adorée.

Descends, Hymen, descends des cieux,
Viens remplir les vœux des deux mondes.
Les Bourbons, ces enfants des Dieux,
Unissent leurs tiges fécondes :
Descends, Hymen, descends des cieux,
Viens remplir les vœux des deux mondes.

Pour célébrer un si beau jour,
Dioné171 dans les airs portée,
Répand, par les mains de l’Amour,
Les riches trésors d’Amalthée172.
Ses cygnes volent à l’entour,
Et couvrent d’une aile argentée
Les plaisirs qui forment sa cour.
Cyprie173 du ciel est descendue :
La terre est son heureux séjour ;
Les oiseaux chantent son retour ;
Toute la nature est émue.
Il semble qu’au gré de nos vœux
Le feu des plaisirs se rallume :
À l’ombre d’un myrte amoureux
Hébé174 couronne ses cheveux,
La jeune Flore175 les parfume.
Il semble enfin que l’Univers
Sorte du chaos et renaisse :
Vertumne176 étend ses tapis verts,
Et les couleurs de la jeunesse
Brillent sur le front des hivers.
Ô toi qui choisis la décence,
Pour servir de guide aux plaisirs,
Toi qui couronnes les désirs,
Sans faire rougir l’innocence,
Descends, Hymen, descends des cieux
Viens remplir les vœux des deux mondes.
Les Bourbons, ces enfants des Dieux,
Unissent leurs tiges fécondes :
Descends, Hymen, descends des cieux,
Viens remplir les vœux des deux mondes.

Junon177 dans les airs embellis,
De Borée178 enchaîne la rage :
L’Hymen porté sur un nuage,
Descend dans l’empire des Lys.
Bientôt nos vœux seront remplis :
L’Hymen approche de son temple ;
L’Hymen au bruit de mille voix,
Perce la foule qui contemple
Le fils du meilleur de nos rois.
Conduite par la main des Grâces179,
L’Infante est au pied des autels :
L’époux, semblable aux immortels,
S’empresse et vole sur ses traces.
Des Dieux par l’Hymen avertis
La troupe auguste est assemblée :
Ce sont les noces de Thétis180 ;
Tous les yeux y cherchent Pelée ;
Tous les yeux y trouvent son fils.
Les plaisirs en foule descendent…
Que tous les Français vous entendent
Jeunes époux, tendres amants !
Prononcez vos derniers serments ;
L’Hymen et l’Amour les attendent.
Le nœud que vous allez former,
Ne saurait être trop durable :
L’Hymen fait un devoir d’aimer ;
L’Amour rend ce devoir aimable.
Tous deux épuisent leurs bienfaits
Tendres amants, ils vous unissent ;
Ils vous enivrent à longs traits
Du plaisir pur dont ils jouissent.
Que tous les peuples applaudissent
Au présage heureux de la paix !
Que la Discorde181 désarmée,
Se taise au bruit de nos concerts !
Que l’Europe moins alarmée
Répète nos chants et nos vers !
Les cents voix de la Renommée182
Les apprendront à l’Univers.
Bénissons le siècle où nous sommes :
L’Hymen, en comblant tous nos vœux,
Promet au monde de grands hommes,
Et de grands rois à nos neveux.
C’en est fait, l’Amour et la Gloire183
Couronnent nos tendres amants :
Les Dieux ont gravé leurs serments
Au Temple immortel de Mémoire184.

Remonte, Hymen, remonte aux cieux ;
Tu remplis les vœux des deux mondes.
Les Bourbons, ces enfants des Dieux,
Ont uni leurs tiges fécondes :
Remonte, Hymen, remonte aux cieux ;
Tu remplis les vœux des deux mondes.

Stésichore, né à Himères, ville de Sicile, vers l’an 612 avant J.-C., et des ouvrages duquel il ne nous est parvenu que quelques petits fragments, passe pour avoir été chez, les Grecs l’inventeur de l’épithalame. On trouve dans les Idylles de Théocrite, l’épithalame d’Hélène, qui est un chef-d’œuvre.

Catulle est le premier poète latin, qui ait exercé son talent en ce genre, Son épithalame de Manlius et de Junie est charmant. Je n’en connais point, dont le coloris soit plus frais et plus agréable. C’est dommage qu’en quelques endroits il n’ait pas assez respecté la décence. Moutonnet de Clairfons l’a traduit en laissant tout ce qui aurait pu alarmer la pudeur.

Nos bons poètes offrent aussi dans leurs recueils de jolis épithalames ou des pièces, de vers, qui en portent le nom, sans en avoir précisément la forme. Ce sont des épîtres sur un mariage, sans vers intercalaires.

De la Chanson.

La Chanson est un poème fort court, auquel on joint un air pour être chanté. Elle traite des sujets familiers, amusants, tendres ou badins ; et c’est en quoi elle diffère de l’ode qui s’élève jusqu’au sublime.

Ce genre de poésie doit présenter une suite d’idées naturelles et piquantes, d’images douces et gracieuses, qui tendent toutes au même sujet. On veut que le style de la chanson soit léger, les expressions choisies et toujours exactes, la marche libre, les vers faciles et coulants ; que les tours n’aient rien de forcé ; que tout y soit fini, sans que le travail s’y fasse sentir.

Chaque couplet d’une chanson doit être terminé par une pensée fine, ou un sentiment délicat. Il y en a qui ont un refrain, c’est-à-dire, que chaque couplet y finit par les mêmes vers. Ce refrain doit contenir l’idée principale de la chanson ; et cette idée doit être saillante, toujours liée avec celles qui la précèdent, et toujours amenée avec art.

On réduit toutes les espèces de chansons à trois, qui sont les érotiques, les bachiques, et les satiriques ou vaudevilles.

Des Chansons érotiques

Les Chansons érotiques sont celles dont l’amour et la galanterie fournissent le sujet. Pour bien réussir en ce genre de poésie, il faut une grande finesse dans l’esprit, et beaucoup de délicatesse dans le sentiment. Les Français y ont excellé, et l’ont emporté sur les anciens et les modernes. Je suis toujours étonné, dit Voltaire, de cette variété prodigieuse avec laquelle les sujets galants ont été traités par notre nation. On dirait qu’ils sont épuisés ; et cependant on voit encore des tours nouveaux. Quelquefois même il y a de la nouveauté jusque dans le fond des choses, comme dans cette chanson peu connue :

Oiseaux, si tous les ans vous changez de climats,
Dès que le triste hiver dépouille nos bocages,
Ce n’est pas seulement pour changer de feuillages,
               Ni pour éviter nos frimas.
                   Mais votre destinée
Ne vous permet d’aimer qu’à la saison des fleurs ;
Et quand elle a passé, vous la cherchez ailleurs
               Afin d’aimer toute l’année.

Lorsqu’une chanson érotique contient une historiette d’amour, on l’appelle Romance. Elle doit principalement tirer son mérite de la naïveté et de la simplicité.

Des Chansons bachiques

Les Chansons bachiques sont consacrées à la louange du vin et des buveurs. L’enjouement et la liberté en font le principal caractère. On y souffre cependant les traits brillants d’une imagination hardie un style noble et animé, et un certain enthousiasme, cette élévation, ces transports, ce délire même, font le plaisant de ces sortes de chansons, parce qu’il semble que c’est la liqueur que le poète célèbre, qui les a fait naître, comme on peut le voir dans celle-ci :

Quel effroyable bruit ! quels feux étincelants !
Jupiter185 aux mortels déclare-t-il la guerre ?
             Veut-il encore par son tonnerre
             Foudroyer de nouveaux Titans186 ?
Gronde, tonnerre affreux, et ravage le monde
             Par tes redoutables fureurs ;
Fais tout trembler d’effroi sur la terre et sur l’onde.
Mais respecte du moins la vigne et les buveurs.

Adam Billaut, que j’ai déjà fait connaître, offre les plus beaux modèles de chansons bachiques dans le genre élevé. Voyez surtout cette chanson si connue :

Aussitôt que la lumière
A redoré nos coteaux :
Je commence ma carrière
Par visiter mes tonneaux, etc.

Il est bon de faire usage de la mythologie dans les chansons bachiques et dans les érotiques. Les images et les traits de la fable ; que le poète a soin d’y répandre avec goût et avec justesse, en font un des plus beaux agréments.

Il y a des chansons qui sont érotiques et bachiques en même temps. On peut rapporter à ce genre mixte ce couplet si ingénieux, qui fut fait et chanté par M. le C. de B** dans une fête que donnait une dame de la cour.

             La maîtresse du cabaret
             Se devine sans qu’on la peigne :
Le Dieu d’Amour187 est son portrait ;
La jeune Hébé188 lui sert d’enseigne.
Bacchus189 assis sur son tonneau,
La prend pour la fille de l’Onde190 :
Même en ne versant que de l’eau,
Elle a l’art d’enivrer son monde.
Des Chansons satiriques

Ce qui fournit ordinairement la matière des Chansons satiriques ou vaudevilles, ce sont les actions répréhensibles, les mœurs irrégulières, et les événements remarquables par leur singularité, ou par leur importance. La pensée qui termine chaque couplet, doit surtout être vive, piquante, avoir même quelque chose de caustique et de mordant. Mais qu’on ne passe point les bornes d’une critique fine, et d’une raillerie délicate. Il faut se contenter d’attaquer les vices et les ridicules généraux, sans jamais donner dans l’odieux des personnalités. C’est uniquement par là que ces sortes de chansons peuvent être de quelque avantage à la société. Voici deux couplets d’un vaudeville de Panard, qui peuvent servir de modèle.

    Qu’à s’ajuster du haut jusques en bas,
        Iris, pour paraître jolie,
        Passe les trois quarts de sa vie ;
            Cela ne me surprend pas.
Mais qu’un abbé tous les jours s’amidonne,
        Et qu’à pas comptés ce poupin,
        Sur la pointe de l’escarpin,
        Marche toujours-droit comme un pin ;
            C’est là ce qui m’étonne.

Que dans Alger191 on trouve des ingrats,
        Et que chez le peuple tartare192
        La reconnaissance soit rare ;
            Cela ne me surprend pas.
Mais qu’à Paris193 mainte et mainte personne
        Qui vient vous demander lundi
        Un plaisir qu’on lui fait mardi,
        N’y pense plus le mercredi ;
            C’est là ce qui m’étonne.

On donne encore le nom de vaudeville à un divertissement qui termine les petites pièces de théâtre. Il doit contenir le sens moral de la pièce.