(1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Section I. Des Ouvrages en Prose. — Chapitre III. Du Genre historique. »
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(1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Section I. Des Ouvrages en Prose. — Chapitre III. Du Genre historique. »

Chapitre III.

Du Genre historique.

Les bornes resserrées de cet ouvrage ne me permettent point de traiter le genre historique, dans toute l’étendue et avec tous les développements dont il serait susceptible. Je ne peux que tracer succinctement les préceptes généraux sur la manière d’écrire l’histoire, et en ajouter ensuite quelques-uns de particulier dans l’énumération de ses différentes espèces. Mais ces courtes réflexions suffiront pour nous faire juger qu’un esprit vaste, ferme et pénétrant ; une raison saine et lumineuse ; un jugement droit, solide et profond ; en un mot, un génie heureux, soutenu d’un goût exquis, enrichi d’une infinité de connaissances, et joint à toutes les qualités du cœur, qui distinguent le parfait honnête homme, sont absolument nécessaires à l’écrivain qui veut obtenir dans ce genre des succès non moins durables que brillants.

Article I.

De la manière d’écrire l’Histoire.

Celui qui veut écrire l’histoire a des devoirs bien importants à remplir. Je vais donner une idée des plus essentiels, en parcourant les objets suivants.

I. Du Choix et de l’Arrangement des Faits.

Le champ qui s’ouvre aux yeux de l’historien, est d’une étendue immense, puisque l’histoire embrasse toutes les actions des hommes célèbres, tous les événements dont l’univers a été le théâtre. Mais serait-il vrai que toutes les actions, tous les événements dussent indistinctement passer sous la plume de l’historien ? Non, sans doute : il y a un choix à faire ; et ce choix dépend d’un esprit sage et judicieux, d’un discernement aussi fin que juste.

Les choses grandes et dignes d’être racontées, c’est-à-dire, les choses intéressantes par l’agrément, ou par le fond d’instruction qu’elles présentent, sont les seules qui peuvent faire la matière d’une histoire. Il faut surtout que la vérité en soit bien constatée. Le premier devoir de l’historien est de distinguer avec la plus exacte précision le faux du vrai, de rejeter tout ce qui est incertain, ou d’une autorité suspecte, et de n’admettre que ce qui ne peut pas être révoqué en doute. L’histoire n’est le récit que des choses vraies : l’historien s’annonce pour être l’organe de la vérité. S’il rapporte des choses fausses, ou qu’il donne pour des vérités de simples conjectures, il trompe le public, il en impose à l’univers pour lequel il écrit.

Ô vous donc, qui voulez présenter aux siècles futurs le tableau des siècles passés, cherchez la vérité dans sa première source, dans des mémoires bien sûrs et bien fidèles ; et quand vous l’aurez trouvée, armez-vous d’un courage inébranlable, pour la dire sans détour, sans équivoque, sans le moindre déguisement. Loin de vous le préjugé, la passion, l’esprit de parti, l’esprit national même. Au moment où vous maniez les pinceaux de l’histoire, vous ne devez être d’aucune secte, d’aucun pays. Votre qualité d’historien vous donne le titre de juge : mais souvenez-vous sans cesse que vous ne pouvez vous dispenser d’être un juge également intègre, à l’égard des étrangers et de vos concitoyens, à l’égard des alliés de votre patrie et de ses plus implacables ennemis.

Après avoir recueilli les faits intéressants et vrais, dont l’historien doit composer son ouvrage, il les mettra dans l’ordre et l’arrangement les plus convenables : c’est en quoi consiste la forme de l’histoire. Un esprit susceptible de grandes idées, et capable d’élévation, lui est nécessaire, pour qu’il fasse un plan vaste, exact, bien lié dans toutes ses parties, et dont la seule exposition annonce clairement tout son dessein. Il faut qu’il se rende maître de son sujet, qu’il l’embrasse, qu’il le possède tout entier, qu’il en montre l’unité, en le présentant sous son véritable point de vue, et qu’il tire d’une seule source les principaux événements qu’il doit raconter.

II. Du récit des Faits et de leurs circonstances.

L’historien doit avoir soin de ne rien dire de superflu dans le récit des faits : c’est le moyen de rendre la narration vive, rapide, pleine de force et de dignité ; c’est le moyen d’attacher constamment le lecteur distrait ou volage. S’il s’abandonne à la fougue de son imagination, il deviendra diffus, et par là même, froid et languissant. Cependant il ne doit pas se dispenser, en suivant la chaîne des événements, d’en observer la cause et les effets ; de saisir surtout et de faire voir le rapport qu’ils ont eu ou qu’ils ont aujourd’hui avec le bonheur ou le malheur des peuples.

Quoiqu’on doive s’assujettir à la chronologie, on peut néanmoins, on doit même, en bien des circonstances, s’en écarter, pour suivre un ordre que proscrit la raison. Souvent un fait essentiel qui n’est pas le plus reculé, doit être raconté d’avance, parce qu’il répand la lumière sur d’autres faits, qui lui sont antérieurs. Souvent un autre fait ne peut être exposé dans tout son jour, qu’après un grand nombre d’autres, qu’il précède dans l’ordre des temps. C’est au discernement, à la justesse d’esprit de l’historien, de choisir l’endroit, où ces grands événements seront les mieux placés, pour la perfection de son histoire.

Que le fil de la narration ne soit jamais rompu : que tous les faits y soient enchaînés sans la moindre contrainte. Le grand art de l’historien consiste à passer d’un sujet à un autre, non seulement sans distraire le lecteur ; mais encore en l’attachant davantage, et en augmentant son plaisir. La liaison des faits dans l’histoire doit être, pour ainsi dire, aussi naturelle que la liaison des divers membres du corps humain.

Les principaux événements rapportés avec toutes leurs circonstances, rendent une histoire bien agréable et bien instructive, quand ces circonstances sont essentielles, intéressantes et vraiment utiles. On a dit que c’était pour avoir lu les détails des batailles de Créci, de Poitiers, d’Azincourt, de Gravelines, etc., que le célèbre maréchal de Saxe se déterminait à chercher, autant qu’il pouvait, ce qu’il appelait des affaires de poste. Il en est de même de tous les faits, dont les détails peuvent être utiles aux lecteurs de toutes les classes, au simple citoyen, au militaire, à l’homme d’état, aux souverains mêmes.

Aucun des détails propres à éclaircir un événement, ou à relever une action mémorable, ne doit être passé sous silence. C’est ainsi que Tite-Live décrivant la marche d’Annibal en Italie, en rapporte toutes les circonstances capables de donner la plus haute idée de cette entreprise si hasardeuse. Ce morceau est, au jugement du P. Rapin 112, le plus achevé de son histoire, il se trouve, dit-il, peu de choses de cette force dans l’antiquité. Jamais un plus grand dessein n’est tombé dans une âme plus extraordinaire, et jamais rien ne s’est exécuté avec plus de hardiesse ni de fermeté. Il s’agissait de sortir de l’Afrique ; de passer toute l’Espagne ; de surmonter les Pyrénées ; de traverser le Rhône si vaste et si rapide vers son embouchure, dont les rivages étaient bordés de tant d’ennemis ; de s’ouvrir un chemin à travers les Alpes, où l’on n’avait jamais passé ; de ne marcher que sur des précipices, de disputer chaque pas qu’il fallait faire à des peuples postés partout en embuscade, dans des défilés continuels, parmi les neiges, les glaces, les pluies, les torrents ; de défier ces orages et ces tonnerres si fréquents et si furieux alors dans les montagnes ; de faire la guerre au ciel, à la terre, à tous les éléments ; de traîner après soi une armée de cent mille hommes, de nations différentes, mais tous gens mal satisfaits d’un capitaine, dont ils ne pouvaient imiter le courage. L’effroi est dans le cœur des soldats : le seul Annibal est tranquille. Le péril qui l’environne de toutes parts, jette le trouble dans toute l’armée sans qu’il en soit ému. Tout est peint dans un détail de circonstances affreuses : l’image du danger est exprimée dans chaque parole de l’historien ; et jamais tableau n’a paru plus fini dans l’histoire, ni touché de plus fortes couleurs et avec de plus grands traits.

III. Des Caractères des Personnages.

Non content de décrire les événements et les circonstances qui les accompagnent, l’historien doit encore remontera leur source pour en découvrir le fond, les causes et les principes. Ce n’est pas tant par le récit des actions des hommes, que par le détail des motifs qui les font agir, qu’il peut piquer la curiosité du lecteur, l’intéresser et l’instruire. Il faut qu’il lui montre le cœur humain à découvert, et qu’il démêle à ses yeux les secrets ressorts qui le font mouvoir dans les différentes circonstances de la vie. C’est en cela que l’histoire nous est vraiment utile. L’historien s’attachera donc à dévoiler les desseins, les pensées de ses personnages, à nous en faire connaître les mœurs et le caractère, sans cependant s’amuser à peindre leur extérieur. Ces sortes de portraits peuvent faire briller le talent de l’écrivain : mais ils sont toujours vides d’instruction, et ne plaisent jamais au lecteur sensé.

Que m’importe, dit l’auteur113 que j’ai déjà cité, de savoir si Annibal avait les dents bêtes. pourvu que son historien me fasse connaître la grandeur de son génie ; qu’il me montre un esprit hardi, inquiet, des pensées vastes, un cœur intrépide, et tout cela animé d’une ambition désordonnée, mais soutenue d’une constitution robuste, comme l’a dépeint Tite-Live. C’est ainsi que Salluste, continue-t-il, me donne une grande opinion de Catilina, par le portrait qu’il en fait à l’entrée de son histoire. Et quand je vois ce soldat déterminé mettre des armées sur pied de son cabinet ; aller au sénat dans un silence qui marque de la résolution pour affronter le consul ; essuyer tête levée ses invectives ; jeter l’alarme dans Rome ; faire trembler l’Italie ; oser enfin ce qu’un particulier n’avait jamais osé, je ne suis pas surpris après la description que l’historien m’en a faite. Je vois un homme de tête, qui remue tout sans se montrer, parce qu’il a bien pris son parti. Pompée est éloigné avec les meilleures troupes de la république, attaché à une guerre importante mais opiniâtre : Rome est remplie de gens malintentionnés : les provinces voisines sont pleines de mécontents : le désordre est universel dans la république, par le débordement de tous les vices qui y règnent ; et tout est favorable au dessein de Catilina, dans la conjoncture qu’il prend pour l’exécuter.

IV. Des Digressions et des Réflexions.

Les digressions sont des ornements dans l’histoire : elles y répandent une agréable variété, qui charme l’esprit du lecteur, sans cesser de l’occuper utilement. Mais il faut qu’elles ne nuisent point a la régularité de l’ouvrage ; qu’elles tiennent surtout au fond du sujet par quelque chose d’intéressant, et qu’elles soient plus ou moins étendues, selon leur plus ou moins de liaison avec le corps de l’histoire. C’est ainsi que Garnier, dans son Histoire de France, désapprouvant un traité que signa Louis XII avec César Borgia, au nom du pape, fait une digression aussi curieuse qu’instructive sur l’origine et les progrès de la puissance des souverains pontifes et des empereurs. Lorsqu’on s’engage dans une digression, on doit se mettre en garde contre la vivacité de son imagination, et ne consulter que son jugement : c’est le moyen de ne pas s’éloigner de son but.

L’historien a encore un devoir bien important à remplir : c’est de ne rien dire dans son ouvrage qui ne porte un caractère de raison et d’équité ; qui ne montre la droiture de son cœur et l’honnêteté de ses sentiments. C’est à lui qu’il appartient de distinguer le vrai et le faux mérite, la véritable et la fausse gloire, les actions réellement vertueuses et celles qui ne le sont qu’en apparence ; de démasquer hardiment le vice, d’exposer la vertu dans tout son jour, et de les peindre l’un et l’autre avec les seules couleurs qui leur sont propres ; en un mot de ne louer que ce qui mérite les éloges de l’homme honnête et éclairé. Mais tout cela doit se faire dans le corps du récit. Les réflexions particulières, les sentences figurent mal dans l’histoire, à moins qu’elles ne naissent naturellement du sujet, à moins qu’elles ne soient courtes et pleines de sens. Encore même l’historien devrait-il les laisser faire au lecteur, en se bornant à lui en présenter le germe.

V. Du Style de l’Histoire.

On vient de voir que la perfection d’une histoire consiste en grande partie, dans l’exposition et la liaison des faits, dont la vérité est bien constatée ; dans le détail des grands événements et de leurs circonstances essentielles ; dans le développement des négociations importantes, et dans l’expression fidèle des caractères des personnages. Tous ces différents objets bien présentés donnent au lecteur une idée aussi étendue et aussi juste qu’elle puisse l’être, du gouvernement et des mœurs d’une nation. Il ne me reste plus qu’à dire un mot du style.

Le genre historique n’admet ni les grandes passions, ni les figures hardies et trop magnifiques. L’objet de l’historien n’est point de se rendre maître des cœurs, ou de flatter seulement l’imagination. Il ne prend la plume que pour instruire et éclairer l’esprit par le récit des faits. Il doit donc se borner à raconter avec simplicité, à mettre dans son style de la clarté sans diffusion, de la précision sans obscurité, de l’élévation sans enflure, du nombre, de l’harmonie, et de l’agrément sans art. Le style ne doit presque pas se faire remarquer dans l’histoire.

Cela n’empêche pas qu’il ne doive être proportionné aux sujets, se plier, pour ainsi dire, aux circonstances, se conformer aux caractères, se diversifier selon les événements. Il sera tantôt sérieux, et tantôt enjoué ; tantôt noble, et tantôt naïf ; tantôt touchant, et tantôt léger ; tantôt simple, et tantôt même sublime. S’agit-il de crayonner les ravages de la guerre, et les suites déplorables des discordes civiles ? Le style doit être rapide, énergique et véhément. S’agit-il de décrire les fruits heureux de la paix, et le contentement des peuples ? Le style doit être riche, gracieux, brillant et fleuri. Voulez-vous démêler les secrets ressorts de la politique et des négociations ? Que votre style soit uni, grave, méthodique et nerveux. Voulez-vous dévoiler les intrigues des cours et le manège des courtisans ? Que votre style soit fin, saillant, précis et varié. Si vous avez à célébrer les vertus et la gloire d’un souverain, qui remplit tous ses devoirs, et dont la présence porte la joie dans tous les cœurs ; votre style doit être facile, harmonieux et plein de douceur. Si vous avez à peindre un prince odieux et méprisable, qui a été la honte du trône et le fléau de son peuple ; votre style sera vif, et animé du coloris le plus mâle et le plus vigoureux.

Article II.

Des différentes Espèces d’Histoire.

On peut considérer les hommes dans leurs rapports avec la divinité, et dans leurs rapports entre eux. De là deux espèces générales d’histoire ; l’histoire sacrée et l’histoire profane.

I. De l’Histoire sacrée.

L’histoire sacrée est en général l’histoire de la religion depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours. Nous y voyons dans une suite d’événements miraculeux, le chef-d’œuvre de la divinité ; Dieu lui-même prononcer ses oracles, et dicter ses lois à son peuple ; établir, dans les temps marqués par sa sagesse, son église, inébranlable sur ses fondements au milieu des erreurs, des crimes et des persécutions des hommes, au milieu des révolutions des âges, et du bouleversement des empires.

La religion se présente à nous, relativement à son existence, sous un double point de vue ; dans les siècles où elle a été connue d’un seul peuple, et dans ceux où elle a été répandue par toute la terre. C’est ce qui a fait diviser l’histoire sacrée en histoire sainte et en histoire ecclésiastique.

Histoire sainte.

L’histoire sainte a été écrite par des hommes inspirés de Dieu. Elle comprend tous les siècles qui se sont écoulés depuis la création du monde, jusqu’à la publication de l’Évangile, Les livres saints où sont consignés les événements antérieurs à la naissance de Jésus-Christ, sont appelés l’ancien testament. La narration des quatre évangélistes et les actes des apôtres qui contiennent l’histoire de la vie de Jésus-Christ et les faits immédiatement postérieurs à sa mort, sont appelés le nouveau testament.

Il n’y a point d’histoire qu’on puisse comparer à celle-ci pour la certitude, la grandeur, l’importance et la variété des événements. C’est l’histoire de l’homme, l’histoire du ciel et de la terre, l’histoire de Dieu même. Cet être souverain, dont elle nous donne une idée nette et précise, y est peint avec tous ses attributs. Il y déploie l’éclat de sa toute-puissance dans la formation de l’univers, la justice de ses décrets dans la punition de l’homme coupable, la sublimité de ses desseins dans la conduite de son peuple chéri, les trésors de sa sagesse dans le grand ouvrage de la rédemption qu’il prépare et qu’il consomme. Un enchaînement de prodiges sans nombre, opérés à la vue des nations ; une suite de prophéties qui se sont vérifiées à la face du monde entier ; tout annonce dans les saintes Écritures que Dieu lui-même a, pour ainsi dire, emprunté la plume des hommes, pour apprendre à l’univers l’histoire de notre religion.

Dans l’ancien testament, le plus ancien, et le plus authentique de tous les livres, sont marquées la propagation du genre humain, la distribution des terres, l’origine des sociétés, des empires et des arts. Il renferme la base de toutes nos connaissances historiques, et répand la plus vive clarté sur les ténèbres des temps fabuleux. Les causes des faiblesses et des misères humaines, que le philosophe ne peut découvrir par les seules lumières de sa raison, y sont exposées dans le plus grand jour. On y voit, ainsi que dans le nouveau testament, tracées par le doigt de Dieu même, les maximes fondamentales de la vraie morale. Les hommes de tous les âges, de toutes les conditions trouvent dans ce livre des livres la route qui doit les mener au vrai bonheur.

À ne considérer l’ancien et le nouveau testament que comme des ouvrages purement historiques, on peut assurer qu’il n’en est point en ce genre d’aussi beaux, d’aussi parfaits. Les écrivains sacrés réunissent au plus haut degré toutes les qualités qu’on peut admirer dans les meilleurs historiens. Nul sentiment étranger à. leur objet ne les anime : ils ne sont occupés qu’à peindre la vérité telle qu’elle est. Les événements sont tous présents à leurs yeux, et se placent d’eux-mêmes dans l’arrangement le plus naturel. L’éloquence continue qui règne dans les livres saints, n’y doit rien aux ressources de l’art : elle est toute dans les choses, et n’en est que plus belle, plus touchante, plus persuasive. La simplicité du style fait le caractère propre des historiens sacrés : mais c’est une simplicité, tantôt majestueuse, tantôt énergique, tantôt naïve, tantôt pleine de douceur, et toujours une simplicité sublime, qui transporte et maîtrise l’âme ; simplicité admirable, qui seule serait pour l’homme qui réfléchit, une bien forte preuve de la vérité des écritures.

Histoire ecclésiastique.

L’histoire ecclésiastique a été écrite par des hommes aidés de leur seul génie. Elle comprend l’espace de temps, qui s’est écoulé depuis la publication de l’Évangile jusqu’à nos jours. De tous les événements dont l’univers a été le théâtre, il n’en est aucun qui soit aussi frappant, aussi digne de notre attention, aussi grand, aussi utile aux hommes, que l’établissement et la perpétuité du christianisme.

La religion païenne, si favorable aux passions humaines, consacrée, pour ainsi dire, par une longue suite de siècles, était la religion de tous les peuples. Douze misérables pécheurs sans crédit, sans puissance, sans appui, sans aucune ressource de la part des hommes, soutenus seulement par leur confiance en la parole de celui qui les a envoyés, et qui a subi le supplice ignominieux de la croix, entreprennent de détruire et d’anéantir cette religion. Ils ont à combattre l’ignorance et la prévention des peuples, les sophismes et l’orgueil des savants, l’amour-propre et la fierté des empereurs, tous adonnés au culte des idoles, et intéressés à le maintenir. Ces hommes de la lie du peuple se partagent néanmoins le monde entier, et vont prêcher une religion, à laquelle il faut sacrifier tous ses préjugés, tous ses penchants, tous ses intérêts personnels. L’église s’établit : mais elle voit aussitôt l’idolâtrie réunir ses plus formidables efforts pour en abattre les premiers fondements. Elle est inondée du sang de ses martyrs : mais ce sang même devient la semence la plus féconde des chrétiens. L’église s’étend, s’agrandit, et attire dans son sein toutes les nations de la terre. C’est alors qu’elles voient la vérité dans tout son jour, la vertu dans toute sa pureté, le bonheur suprême qui doit en être la récompense ; et c’est presque en même temps que cette lumière si éclatante, ces connaissances si sublimes opèrent la plus heureuse révolution dans les mœurs, l’esprit, le caractère, la législation et le gouvernement de tous les peuples. Cependant aucun siècle ne s’écoule, sans que l’église soit attaquée et déchirée par les nombreux ennemis qui ont conjuré sa ruine. Mais elle sort glorieuse et triomphante de tous ses combats ; et nous la voyons, au milieu des fréquents assauts que lui livrent le libertinage, l’erreur et l’incrédulité, nous la voyons constamment inébranlable, telle qu’un rocher au pied duquel vont se briser, en mugissant, les flots soulevés par les plus violents orages.

Cette histoire renferme tous les faits relatifs, non seulement à la publication et à la propagation de l’Évangile, mais encore à l’établissement des lois et de la discipline ecclésiastique ; à la manière dont l’Église a été gouvernée par ses pontifes, et aux troubles excités par les hérétiques, hommes téméraires et audacieux, qui inventaient ou adoptaient des erreurs contraires aux vérités qu’elle enseigne. Les histoires des papes, des conciles, des hérésies et des schismes font partie de l’histoire ecclésiastique.

Pour la bien traiter, il faut être profondément instruit des augustes mystères, de la morale sublime de la religion, et du droit canonique ; faire connaître le véritable esprit des lois, des règles, des décisions, des usages, des privilèges de l’Église, ses oracles, ses dogmes, sa foi, l’étendue et les bornes de sa juridiction, son autorité à laquelle tous les fidèles du monde doivent être soumis en ce qui concerne purement le spirituel. Le devoir de l’historien est aussi de consacrer la mémoire des souverains qui ont protégé la religion, des savants qui l’ont défendue, des héros chrétiens qui l’ont cimentée de leur sang.

Un des meilleurs modèles que puissent se proposer ceux qui veulent s’adonner à ce genre d’histoire, est l’abbé Fleuri, auteur de l’Histoire ecclésiastique, écrivain aussi sage et circonspect que savant et judicieux. Nous lui devons aussi les Mœurs des chrétiens ; excellent ouvrage où il nous fait parfaitement connaître ces hommes si admirables par leurs vertus ; supérieurs à tous les héros par leur courage, et dont le grand Corneille a dit avec autant d’énergie que de vérité, dans sa tragédie de Polyeucte 114 :

Nos princes ont-ils eu des soldats plus fidèles ?
Furieux dans la guerre, ils souffrent nos bourreaux,
Et lions au combat, ils meurent en agneaux.

II. De l’Histoire profane.

L’histoire profane est ou civile, ou littéraire, ou naturelle.

Histoire civile

Tous les événements qui se sont passés dans les empires et les divers états de la terre, sont la matière de l’histoire civile. Si elle embrasse le monde entier et tous les siècles qui se sont écoulés jusqu’à nous, elle est universelle. Si elle n’embrasse qu’une des quatre parties du monde, un royaume, une province, une ville, un événement, la vie d’un seul homme, elle est particulière.

On divise encore l’histoire civile, en histoire ancienne, et en histoire moderne. L’histoire ancienne commence à la création du monde, et finit, suivant quelques-uns, à la naissance de Jésus Christ ; suivant d’autres, à l’établissement des monarchies modernes, c’est-à-dire, à la fin du quatrième siècle, époque de la division de l’empire romain, en empire d’orient et en empire d’occident. Il y en a même qui terminent l’histoire ancienne à la fondation d’un nouvel empire d’occident par Charlemagne, couronné empereur en 800. L’histoire moderne s’étend depuis l’une de ces trois époques, jusqu’à nos jours.

C’est une entreprise bien difficile que celle d’une histoire universelle, qu’on veut écrire dans tous les détails nécessaires : elle est au-dessus des forces d’un seul homme. Cette histoire, en effet, doit présenter le fond de toutes les histoires des peuples, dans une étendue proportionnée au corps entier de l’ouvrage. Il faudrait, avant de prendre le pinceau, dit l’abbé Batteux 115, rassembler les fastes de tous les empires, les monuments de tous les faits, être sûr de les avoir authentiques, de les entendre dans leur véritable sens. Alors il ne s’agirait plus que de former une société nombreuse de savants, de leur communiquer la même âme, et de la faire passer, par une sorte de métempsycose, dans les continuateurs, jusqu’à la perfection entière de l’entreprise.

Pour bien faire l’histoire complète d’une nation, il faut remonter jusqu’à son origine, marquer ses progrès et son accroissement ; démêler tous les ressorts de sa politique ; donner une notion juste de son caractère, de son génie, de sa religion, de ses lois, de ses richesses, de son gouvernement ; exposer tous les grands changements qu’elle a éprouvés et les divers états par lesquels elle a passé ; développer les véritables causes de sa décadence ou de son élévation, et la suivre pas à pas jusqu’à sa ruine totale, ou jusqu’au dernier période de sa grandeur. Si l’on ne veut écrire que l’histoire de ses révolutions, on passera sous silence tous les faits qui ne sont pas bien intéressants : mais on enchaînera avec goût tous ceux qu’on racontera, en exposant succinctement ce qui est arrivé dans les intervalles. Les histoires de révolutions exigent un style plus élégant, plus vif, plus rapide, et plus orné que celui des autres histoires.

Quand l’historien se borne au récit d’un seul événement important, il doit faire un préambule, pour mettre le lecteur au fait des temps, des lieux, des mœurs, des intérêts, des caractères. Il faut ensuite qu’il présente le germe de l’événement qu’il se propose de raconter ; qu’il le suive dans ses circonstances et dans ses progrès, et le conduise jusqu’à sa fin.

Dans la vie d’un homme illustre, l’historien ne rapportera que les événements publics où son personnage aura joué un rôle considérable. Il doit principalement s’arrêter sur les détails de sa conduite particulière ; développer d’une manière nette et précise les motifs de ses actions, et former, sous des traits bien marqués, un tableau de ses faiblesses et de ses vertus. Les réflexions de l’historien seront en très petit nombre, et placées à propos. Mais il ne se permettra jamais le blâme ni la louange. Le seul récit des faits doit tenir lieu de censure ou d’éloge.

Remarquons ici qu’il y a une différence assez essentielle entre l’histoire et la vie d’un homme illustre. Dans la première, on considère l’homme public, plus que l’homme privé. Dans la seconde, on considère autant l’homme privé que l’homme public. Si, par exemple, on écrit l’histoire d’un général, on doit rapporter en détail toutes ses actions guerrières, ainsi que les événements qui s’y trouvent liés, et passer assez légèrement sur sa conduite privée. Si l’on écrit la vie de ce général, on doit y joindre, au récit circonstancié de tous ses faits d’armes, celui de ses actions particulières.

Au reste, les vies des hommes illustres ont ce grand avantage, de nous faire commencer l’étude du cœur humain, en nous montrant les hommes de près, et tels qu’ils sont. Quel fruit ne pouvons-nous pas retirer de cette lecture ! C’est là, plus que partout ailleurs, que l’histoire instruit les hommes par les hommes mêmes. « Ceux, dit Montaigne 116, qui écrivent les vies, d’autant qu’ils s’amusent plus aux conseils qu’aux événements ; plus à ce qui se passe au-dedans, qu’à ce qui arrive au-dehors, ceux-là me sont plus propres : voilà pourquoi c’est mon homme que Plutarque ». Les grands événements, en effet, nous frappent, nous étonnent, nous jettent dans l’admiration. Mais ils nous font sentir en même temps notre impuissance de nous élever jusqu’à l’imitation de ces actions d’éclat, qui ont fixé la destinée des empires et le sort des peuples : au lieu que nous ne jugeons pas au-dessus de nos forces morales, les actions particulières d’un homme, quelque illustres qu’aient été son rang et sa naissance.

Quant aux abrégés d’histoire, il faut convenir qu’ils ont leur utilité, lorsqu’ils sont bien faits. Les ignorants y puisent des connaissances générales, et les savants y retrouvent certains faits dont ils avaient perdu le souvenir. On sent que ces sortes d’ouvrages ne sont susceptibles ni de grands détails, ni de bien riches ornements. Il faut cependant n’y rien omettre d’essentiel, y rapporter tous les faits vraiment importants avec leurs principales circonstances, et dire assez de choses pour instruire et intéresser le lecteur. C’est ce que n’a point fait un abréviateur de l’Histoire sainte, dans cet endroit, où il se borne à dire que Joseph fut vendu par ses frères, calomnié par la femme de Putiphar, et qu’il devint le surintendant d’Égypte. Qu’y a-t-il dans ces lignes qui puisse instruire un homme ignorant ? L’écrivain aurait dû faire connaître les personnages dont il parle, et raconter brièvement l’histoire de Joseph. Un discernement juste pour le choix des événements, est nécessaire à celui qui veut faire un bon abrégé d’histoire. Il lui faut de plus le talent rare de dire beaucoup en peu de mots, c’est-à-dire, la plus grande précision dans le style ; qualité qui n’est pas la plus brillante, mais qui peut-être est la plus difficile de toutes.

Les Mémoires sont des histoires écrites par des personnes qui ont eu part aux affaires, ou qui en ont été les témoins oculaires. Elles y joignent, au récit des événements publics et généraux, les particularités de leur vie, ou leurs principales actions. Ces auteurs étant obligés de parler souvent d’eux-mêmes, doivent, en prenant la plume, non seulement se dépouiller de toute passion, pour n’altérer en rien la vérité, mais encore respecter assez le public, pour ne l’entretenir que de choses qui peuvent intéresser un lecteur honnête et sensé.

Historiens en ce genre.

Les anciens sont nos maîtres dans l’art d’écrire l’histoire. Supérieurs en ce genre aux meilleurs historiens modernes, ils ont en général la marche plus libre, plus noble, plus naturelle, des transitions plus heureuses dans le récit et l’enchaînement des faits ; plus de sagesse, de gravité, de nerf et en même temps de simplicité dans la diction ; des traits plus frappants, des coups de pinceau plus vigoureux dans la peinture des mœurs et des caractères. Il serait trop long de faire connaître ici tous les bons historiens tant anciens que modernes. Je vais seulement indiquer les principaux, soit grecs, soit latins, soit français.

Historiens grecs.

Hérodote, né à Halicarnasse, capitale de la Carie dans l’Asie mineure, vers l’an 484 avant Jésus-Christ, a été appelé le Père de l’histoire, parce qu’il a été le premier qui l’ait écrite. Mais il l’a défigurée par une foule d’oracles menteurs et de contes puérils : c’est ce qui lui a fait donner aussi le nom de Père du mensonge. Son ouvrage contient, outre l’histoire des guerres des Perses contre les Grecs depuis le règne de Cyrus jusqu’à celui de Xercès, celle de la plupart des autres nations. Il passa dans la Grèce, se rendit à Pise, pendant qu’on y célébrait les jeux olympiques, et y lut son histoire. Elle fut si applaudie, qu’on donna le nom des neuf muses aux neuf livres qui la composent ; La narration d’Hérodote est en effet coulante, le style plein de grâces, de douceur et de noblesse. Le savant Larcher a donné une fort bonne traduction de cette histoire, qu’il a enrichie d’excellentes notes.

Diodore de Sicile, ainsi appelé, parce qu’il était né (environ soixante ans avant Jésus-Christ) à Agyre, ville de Sicile, avait fait une Bibliothèque historique, divisée en quarante livres, dont quinze seulement nous sont parvenus avec quelques fragments. Cet ouvrage comprenait l’histoire des Égyptiens, des Syriens, des Mèdes, des Perses, des Grecs, des Romains et des Carthaginois. Le style en est simple et grave. Mais on accuse cet auteur de n’être pas toujours exact et impartial. L’abbé Terrasson l’a fidèlement traduit.

Thucydide, né à Athènes l’an 475 avant Jésus-Christ, entendant lire l’histoire d’Hérodote aux jeux olympiques, sentit naître, dit-on, son talent pour ce genre d’ouvrages. Il écrivit en effet l’Histoire de la guerre du Péloponèse, qu’il ne conduisit que jusqu’à la vingt unième année. C’est le plus parfait de tous les historiens grecs, soit pour la manière de raconter, soit pour l’exactitude des faits, soit pour la noblesse, la chaleur et la précision du style : presque tous ses mots, suivant Cicéron, sont des sentences. Il a été traduit par d’Ablancourt, mais beaucoup mieux, depuis quelques années, par Lévesque.

Xénophon, né à Athènes, vers l’an 450 avant Jésus-Christ, publia l’histoire de Thucydide, et la continua, sous le titre d’Histoire grecque, jusqu’à la bataille de Mantinée. Nous avons aussi de lui la Cyropédie, ou Histoire de Cyrus, ainsi que l’Histoire de l’expédition de Cyrus le jeune, et de la mémorable Retraite des dix mille. Il charme par la pureté, la douceur, et tous les agréments de la diction. Les Grecs lui donnèrent les surnoms d’Abeille grecque et de Muse athénienne. D’Ablancourt a traduit son Histoire grecque, à la suite de celle de Thucydide, et Dacier sa Cyropédie. Le premier a donné aussi une traduction de la Retraite des dix mille. Mais elle est oubliée, depuis que Larcher a publié la sienne.

Polybe, né à Mégalopolis, ville du Péloponèse, dans l’Arcadie, vers l’an 203 avant Jésus-Christ, fut du nombre de ces mille Achéens, qui, durant la guerre des Romains contre Persée, roi de Macédoine, furent emmenés à Rome. Il y avait composé, mais en grec, une Histoire universelle, qui commençait aux guerres puniques, et finissait à celle de Macédoine. Elle était divisée en quarante livres, dont il ne nous reste que les cinq premiers, avec des extraits de quelques endroits des autres. On en trouve le style un peu négligé. Mais cet écrivain est généralement regardé comme un des plus judicieux de l’antiquité. Il paraît s’être principalement proposé, dans son histoire, de former des politiques et des militaires. Dom Thuillier en a donné une traduction, qui était presque ignorée, lorsque le chevalier Folard la tira de l’oubli, en y ajoutant un excellent commentaire. C’est un corps de science militaire, enrichi de notes historiques et critiques, où toutes les grandes parties de la guerre sont expliquées et démontrées.

Je dois remarquer ici que les militaires ne sauraient lire avec trop de réflexion Thucydide, Xénophon et Polybe. Ces écrivains étaient eux-mêmes de très bons généraux ; et la description qu’ils font des batailles, en hommes du métier, ne peut que donner les plus grandes connaissances de l’art de la guerre. Le lecteur est conduit, comme par la main, dans les sièges et les combats qu’ils décrivent. Les ruses, les stratagèmes, les fausses marches, les attaques vraies ou simulées, les campements, les décampements, rien n’échappe à ces capitaines historiens. Tout est présenté sous le point de vue le plus favorable, pour faire naître ou perfectionner les idées.

Plutarque, né à Chéronée dans la Béotie, vers l’an 50 de l’ère chrétienne, écrit avec force et avec clarté dans ses Vies des hommes illustres. Cet ouvrage est un chef-d’œuvre, et le plus propre, en ce genre, à former les hommes, soit pour la vie publique, soit pour la vie privée. Nous y voyons d’ailleurs les plus grands héros que Rome et la Grèce aient produits. Les comparaisons que fait l’auteur de ces Grecs et de ces Romains, sont d’une justesse et d’une sagacité d’esprit admirables. Nous avons trois traductions de cet ouvrage ; l’une d’Amyot, en vieux gaulois, qui offre encore un air de fraîcheur ; l’autre de Tallemant, et la troisième de Dacier.

Pausanias, né à Césarée en Cappadoce dans le deuxième siècle de l’ère chrétienne, a laissé un Voyage historique de la Grèce, où il avait fait un long séjour ouvrage aussi instructif par la vaste érudition dont il est rempli, qu’agréable par la description des objets, et par la richesse du style. En faisant connaître la situation des lieux, les beautés de la nature, et les monuments des arts, l’auteur nous trace l’origine des divers habitants de cette charmante contrée, et nous apprend quelle était leur religion, quelles étaient leurs lois, leurs coutumes, leurs mœurs. On peut puiser dans cette relation si bien circonstanciée, une infinité de connaissances en matière de goût, de chronologie, de géographie, d’histoire et de critique. L’abbé Gédoin en a donné une traduction.

Denys d’Halicarnasse, ainsi appelé du nom de cette ville de la Carie, où il était né vers l’an 60 avant Jésus-Christ, ayant été à Rome, qu’il habita pendant 25 ans, y composa en langue grecque l’Histoire des antiquités romaines, divisée en vingt livres. Il ne nous en reste que les onze premiers, qui vont jusqu’à l’an 312 de la fondation de Rome, c’est-à-dire, à l’an 442 avant Jésus-Christ L’auteur y montre une grande exactitude, un génie facile, et un bon jugement. Mais il est quelquefois traînant dans sa narration. Le P. Le Jay, jésuite, l’a traduit.

Historiens latins.

Trogue-Pompée, natif du pays des Voconces, dont la capitale était Vaison, dans le comtat de Venaissin, avait fait, vers le commencement de l’ère chrétienne, une histoire, où il retraçait tout ce qui s’était passé de plus important dans l’univers jusqu’au règne d’Auguste. Environ 150 ans après, Justin en donna un Abrégé, qui fit perdre l’histoire même. Il y a de très beaux morceaux, et des peintures très vives. La narration de cet historien est nette, la morale sage, et le style pur, à quelques mots près, qui se ressentent de la décadence de la langue latine. Favier en avait donné une traduction, qui a été éclipsée par celle de l’abbé Paul.

Tite-Live, né à Padoue, l’an 59 avant Jésus-Christ, passa une grande partie de sa vie à Rome où il s’acquit l’estime d’Auguste, dont il reçut des mémoires pour composer son Histoire romaine. Elle commence à la fondation de Rome, et finissait à la mort de Drusus sous Auguste. De cent quarante livres qu’elle renfermait, on n’a pu en sauver que trente-cinq ; encore ne sont-ils pas d’une même suite : nous devons les suppléments à Freinshemius. On admire dans Tite-Live la plus belle imagination, la noblesse des pensées et des sentiments, la variété du style qui se soutient toujours également, et surtout le grand art d’attacher et d’intéresser le lecteur : c’est le prince des historiens latins. Il a été traduit par Guérin.

Salluste, né l’an 85 avant Jésus-Christ, à Amiterne, ville d’Italie, aujourd’hui ruinée, montre dans son Histoire de la conjuration de Catilina, et dans celle-des Guerres de Jugurtha, une justesse d’idées, et une profondeur de génie qui étonnent. Il pense fortement, et s’exprime toujours de même. Son style est énergique, serré, nerveux. Mais sa précision dégénère quelquefois en une brièveté obscure. Il a eu deux traducteurs ; le P. Dotteville de l’Oratoire, et Beauzée de l’Académie française.

César, né à Rome, l’an 98 avant Jésus-Christ, nous a laissé le détail de toutes ses guerres dans ses Commentaires. Le style de ce capitaine historien est pur, simple, précis, et peut-être trop dénué d’ornements. Sa narration unie et rapide enchaîne le lecteur. D’Ablancourt les a traduits. Mais la traduction nouvelle, anonyme, est meilleure que la sienne ; Henri, duc de Rohan, a donné l’Abrégé de cet ouvrage, sous le titre de Parfait capitaine. Les militaires instruits le regardent comme un chef d’œuvre.

Velleius Paterculus, né à Naples, quelques années avant l’ère chrétienne, avait fait une Histoire abrégée de la Grèce, de l’Orient, de Rome et de l’Occident. Il ne nous en est parvenu qu’un fragment de l’ancienne Histoire grecque, avec l’Histoire romaine, depuis la défaite de Persée, dernier roi de Macédoine, jusqu’à la sixième année de l’empire de Tibère. Cet auteur est exact dans la chronologie, et admirable dans ses portraits : il peint d’un seul trait. Il est fâcheux qu’entraîné par la reconnaissance, qui portée au-delà de certaines bornes, cesse d’être une vertu, il ait flatté le monstrueux Tibère, et son digne favori Séjan qui avaient été ses bienfaiteurs. L’abbé Paul l’a traduit.

Tacite, né à Rome, environ l’an 53 de l’ère chrétienne, appelé avec saison le Bréviaire des politiques, a écrit des Annales, qui contenaient l’histoire des empereurs Tibère, Caligula, Claude et Néron. Il ne nous reste que les histoires du premier et du dernier, à peu près entières, et la fin de celle de Claude. Le savant et judicieux P. Brotier, jésuite, en a donné une édition revue, corrigée et enrichie de suppléments qui en remplissent les lacunes. Nous avons encore de Tacite, la Vie de Cn. Julius Agricola, son beau-père, et les Mœurs des Germains. Cet historien excelle dans l’art de saisir les moindres nuances des passions, et de faire connaître tout le manège des cours. Son coloris est mâle et vigoureux : tout ce qu’il peint, il le peint en grand maître. Le règne de Tibère passe pour un chef-d’œuvre de politique, et la Vie d’Agricola pour un des plus beaux et des plus précieux morceaux de l’antiquité. L’abbé de La Bletterie a traduit ce dernier ouvrage, les Mœurs des Germains, et les six premiers livres des Annales. Le P. Dotteville a traduit le reste.

Quinte-Curce, qui, suivant l’opinion la plus probable, vivait à la fin du premier siècle de l’ère chrétienne, avait composé l’Histoire d’Alexandre-le-Grand en dix livres. Les deux premiers ont été perdus, ainsi que la fin du cinquième et le commencement du sixième : Freinshemius y a fait des suppléments. Le style de cet ouvrage est pur, noble, élégant, fleuri et plein d’urbanité ; Mais on reproche à l’auteur quelques fautes de chronologie, de géographie et d’histoire. Vaugelas l’a traduit, et après lui, Beauzée.

Cornelius Nepos, né à Hostilie, près de Vérone, dans le dernier siècle avant l’ère chrétienne, a donné les Vies des plus illustres capitaines de la Grèce et de Rome. C’est un des meilleurs écrivains du siècle d’Auguste. L’élégance, la délicatesse, la clarté, la précision et le goût le caractérisent. Il peint d’ailleurs, sous des traits frappants et vrais, les grands hommes qu’il veut faire connaître. L’abbé Vallart l’a traduit.

Historiens français.

Nous en avons un très grand nombre. Mais les bornes de cet ouvrage ne me permettent que d’en nommer quelques-uns des plus estimés ; ce sont :

Bossuet, dans son Discours sublime sur l’Histoire universelle jusqu’au temps de Charlemagne : la continuation en a été faite par une autre main. Il semble que l’illustre évêque de Meaux ait pris son vol vers les cieux, pour considérer la terre et tous ses habitants, la naissance et le cours des siècles, la suite et l’enchaînement des affaires humaines. C’est de là que, suivant l’ordre des temps, il nous présente le tableau le mieux dessiné, le plus énergique, le plus vrai de tous les événements du monde, et du caractère des divers peuples. Il expose dans tout leur jour, les faits qui nous montrent la durée perpétuelle de la religion, et ceux qui nous découvrent les causes des changements arrivés dans les empires. L’objet de l’orateur historien est de faire voir le rapport des grandes révolutions avec l’établissement de la religion chrétienne ; idée la plus vaste et la plus sublime peut-être que le génie puisse enfanter. La grandeur de l’exécution répond parfaitement à la grandeur du dessein. Ce discours qui, selon Voltaire, n’a eu ni modèles, ni imitateurs, est un des plus beaux morceaux d’éloquence qui soient sortis de la main des hommes, et en même temps celui qui nous apprend le mieux l’usage que nous devons faire de l’histoire.

Rollin dans son Histoire ancienne des Égyptiens, des Carthaginois, des Assyriens, des Mèdes, des Perses, des Grecs et des Macédoniens. En prenant pour guides les auteurs grecs et les latins, il a recueilli tout ce qu’ils ont de plus intéressant et de plus beau, soit pour les faits, soit pour les réflexions. Cet écrivain est quelquefois un peu crédule, verbeux et lent dans sa narration, quoique libre et aisée. Mais en général, son style est pur, harmonieux, et souvent éloquent. Cet ouvrage d’ailleurs respire la vertu et la fait aimer. Son Histoire romaine depuis la fondation de Rome jusqu’à la bataille d’Actium, lui est inférieure. Mais elle est la plus estimée de toutes celles que nous avons en français.

Montesquieu, dans ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Le titre de cet ouvrage dit assez que ce n’est point une histoire complète et rigoureusement suivie, où tous les événements soient racontés en détail. C’est une histoire purement politique de la naissance et de la chute de la nation romaine, ou si l’on veut, le recueil des faits divers, dans lesquels l’auteur découvre, par son génie, les véritables causes de la grandeur de ce peuple, et celles de sa décadence : vrai chef-d’œuvre, qu’on ne peut lire avec fruit que quand on possédera bien l’histoire romaine, jusqu’à l’extinction de l’empire. C’est le moyen de saisir toute la justesse, toute la vérité des réflexions fines et profondes dont il est rempli.

Le Beau, dans son Histoire du Bas-Empire, qui commence à Constantin. Le style, la narration, les détails, les portraits, les réflexions, tout y offre le plus grand intérêt. Il serait bien difficile de lire quelque chose de mieux fait sur cette partie importante de l’histoire des Romains. Les tomes 21e et 22e n’ont paru qu’après la mort de l’auteur. La fin du dernier de ces deux volumes ainsi que le 23e et le 24e y sont d’Ameilhon, qui continue cette histoire.

Le P. Maimbourg, jésuite, malgré les critiques sévères, et bien souvent injustes qu’on en a faites. Il eut d’abord trop de vogue, dit Voltaire117 ; et on l’a trop négligé ensuite. Cela est vrai : mais il est vrai aussi (et personne ne le conteste) que le P. Maimbourg a du feu, de l’énergie et de la rapidité dans son style ; que toutes ses histoires offrent un grand nombre de morceaux pleins de chaleur et d’intérêt, et qu’il en est plusieurs que l’homme de lettres jugeant sans prévention, ne fera jamais difficulté de placer parmi les bons ouvrages en ce genre. Voici le jugement que porte sur le P. Maimbourg le fameux Bayle 118 qu’on ne soupçonnera certainement pas de partialité. « Je crois pouvoir dire que le P. Maimbourgavait un talent particulier pour cette sorte d’ouvrages. Il y répandait beaucoup d’agrément, plusieurs traits vifs, et quantité d’instructions incidentes. Il y a peu d’historiens, parmi même ceux qui écrivent le mieux, qui aient plus de savoir et plus d’exactitude que lui ; qui aient l’adresse d’attacher le lecteur autant qu’il fait ». J’ajouterai à ce témoignage celui de l’abbé Langlet Dufresnoy. « Veut-on repasser, dit-il119, tous ces temps ; de troubles, et connaître même les différends survenus dans l’empire d’Allemagne ? On peut lire l’excellent ouvrage que le P. Maimbourg, jésuite, a publié sur la Décadence de l’Empire ; livre estimé même par les plus savants d’entre les Allemands, qui sont extrêmement prévenus contre ce que les étrangers écrivent sur leur histoire ». On estime principalement son Histoire de la décadence de l’Empire après Charlemagne ; son Histoire des Croisades ; son Histoire de la Ligue ; son Histoire du Pontificat de saint Grégoire-le-Grand, et celle du Pontificat de saint Léon-le-Grand.

Le P. Daniel, jésuite, dans son Histoire de France depuis l’établissement de la monarchie dans les Gaules. Il a moins, fait à la vérité, l’histoire de la nation que celle de ses guerres. Mais il a exclusivement le mérite d’avoir débrouillé le chaos des deux premières races de nos rois : il est d’ailleurs exact, sage, vrai, et arrange bien les faits. Son style est pur et naturel, sans avoir pourtant toute la chaleur et tout le coloris qu’on pourrait désirer. Le président Hénault qui assurément connaissait notre histoire, et qui était bien en état d’apprécier les auteurs qui l’ont écrite, dit de celui-ci : Il est plus impartial et plus instruit que bien des gens ne l’ont cru. Le P. Griffet, jésuite, a donné une édition de cet ouvrage, qu’il a enrichi de grandes et belles dissertations, et augmenté d’une excellente Histoire de Louis XIII, ainsi que du Journal historique de Louis XIV. Au reste, l’histoire du P. Daniel n’est pas aussi recherché que l’abrégé qu’il en a fait lui-même. Cet auteur nous a donné aussi une Histoire de la milice française. Elle est fort bien faite, très intéressante, très utile pour les militaires, et curieuse pour tous les lecteurs.

L’abbé Velly dans son Histoire de France depuis l’établissement de la monarchie jusqu’au règne de Louis XIV ; ouvrage non moins estimable par la recherche, le détail et la liaison des faits, que par l’élégance et la pureté du style. Le caractère et les usages de la nation, les divers fondements de notre droit public, les progrès successifs des sciences et des arts y sont développés, sans qu’aucun des principaux événements y soit passé sous silence. L’abbé Velly n’a laissé que les huit premiers volumes de cette histoire. Villaret l’a continuée avec succès, quoiqu’il se soit quelquefois trop abandonné à sa verve. La mort l’a surpris lorsqu’il en était au règne de Louis XI ; l’abbé Garnier en a été le continuateur.

Le P. d’Avrigny, jésuite, dans ses Mémoires pour servir à l’histoire universelle de l’Europe depuis 1600 jusqu’en 1716. Cet excellent historien a eu le sage discernement de bien choisir ses matières, et l’art de les rendre dans un style non moins élégant que précis. On le voit toujours rejeter le faux, discuter le douteux et ne s’attacher qu’au vrai. Ces mémoires réunissent d’ailleurs tout ce qu’il y a dans cette époque de plus curieux, de plus instructif et de plus agréable. L’auteur ne pouvait pas y rassembler plus de faits intéressants, ni les accompagner de réflexions plus judicieuses.

L’abbé de Vertot dans son Histoire des révolutions de la république romaine, un de nos meilleurs ouvrages historiques. On y admire un style noble, élégant et orné avec goût, une narration nette, rapide et pleine de chaleur : c’est le tableau le plus brillant et le plus vrai de ces funestes divisions, qui pensèrent tant de fois entraîner l’anéantissement de la république. Les Révolutions de Portugal du même auteur n’offrent pas de bien profondes recherches. Mais elles sont un chef-d’œuvre pour le style et la marche de la narration. Ses Révolutions de Suède sont écrites d’un style pittoresque, et ne présentent que des objets très intéressants.

Le. P. d’Orléans, jésuite, dans son Histoire des révolutions d’Angleterre, où brille l’imagination la plus vive, la plus noble, la plus élevée, mais en même temps la plus sage et la mieux réglée. Le style en est toujours agréable, toujours riche, toujours animé. Cette histoire donne d’ailleurs une très juste idée de l’ancienne constitution du gouvernement anglais. On reconnaît sans peine le même écrivain dans ses Révolutions d’Espagne, depuis la destruction de l’empire des Goths, jusqu’à l’entière et parfaite réunion des royaumes de Castille et d’Aragon120 en une seule monarchie. Les faits choisis avec goût, y sont placés avec ordre, enchaînés avec clarté, racontés avec chaleur. Nous avons du même auteur une Histoire particulière, très curieuse, et qui se fait lire avec bien de l’intérêt : c’est celle des deux conquérants Tartares Chunchi et Camhi qui ont subjugué la Chine.

Le P. Bougeant, jésuite, dans sa belle Histoire du traité de Westphalie, à laquelle on a réuni celle des guerres et des négociations qui précédèrent ce traité. Ces deux ouvrages contiennent l’exposé de l’état politique de l’Europe, depuis le commencement du dix-septième siècle jusqu’en 1648, époque où ce mémorable traité fut signé. L’auteur y montre partout des talents supérieurs pour la politique, un discernement juste, un esprit pénétrant et un goût exquis. Il ne serait pas possible d’y désirer des réflexions plus sages, des recherches plus curieuses et plus intéressantes, un plus grand développement du caractère et des ruses des négociateurs, un style plus élégant, plus précis, plus pur, plus noble et plus agréable.

L’abbé du Bos, dans son Histoire de la ligue de Cambrai ; profonde, politique et bien écrite. Cette ligue fut formée en 1508 par le pape Jules II, l’empereur Maximilien I, Louis XII, roi de France, et Ferdinand V, roi d’Espagne, contre la république de Venise, dont la trop grande puissance donnait de l’ombrage à toute l’Europe.

L’abbé de Saint-Réal, dans son Histoire de la conjuration que des Espagnols formèrent en 1618 contre la république de Venise. Il y a, dit-on, quelques faits imaginés. À cela près, c’est un morceau très précieux. Les réflexions y sont sensées, les portraits d’un coloris vigoureux ; et peu s’en faut que le style n’ait l’énergie et la précision de celui de Salluste, que Saint-Réal paraît avoir pris pour modèle.

Sarasin, dans son Histoire du siège de Dunkerque, et dans celle de la conspiration de Walstein : deux vrais modèles ; la seconde surtout pour la noblesse, la simplicité et la rapidité du style.

D’Auvigny, dans les huit premiers volumes des Vies des hommes illustres de la France ; ouvrage écrit avec chaleur, et qui honore autant la littérature que la nation La Vie de l’amiral de Coligny surtout est très bien faite.

Fléchier, dans son Histoire de l’empereur Théodose, composée pour l’instruction du grand dauphin. C’est un chef-d’œuvre de style et de sagesse, où règne la vraie éloquence de l’histoire.

Voltaire, dans son Histoire de Charles XII, roi de Suède, regardée comme le meilleur de tous ses ouvrages historiques. Elle passe pour être exacte.

Le P. Bouhours, jésuite, dans son Histoire du grand-maître d’Aubusson ; infiniment propre à former le goût en ce genre.

Le président Hénault offre dans son Abrégé chronologique de l’histoire de France, le plus parfait modèle qu’on puisse choisir pour ces sortes d’ouvrages : c’est le chef-d’œuvre des abrégés. On est étonné d’y voir un si grand nombre de faits rassemblés avec autant d’ordre, de méthode et de clarté. Les portraits, les réflexions, les remarques donnent un nouveau prix à cet ouvrage si souvent réimprimé, et qu’on ne saurait trop relire.

Les Mémoires les plus estimés sont :

Ceux de La Curne de Sainte-Palaye 121 sur l’ancienne chevalerie. C’est un tableau détaillé, très instructif, et fort bien présenté des mœurs, de la bravoure, et de la noble simplicité de nos anciens chevaliers.

Ceux de Joinville, écrits du vivant même de Saint Louis. Ils sont un chef-d’œuvre de vérité et de naïveté.

Ceux de Commines, chambellan de Louis XI : un des meilleurs morceaux de notre histoire pour le règne de ce monarque et celui de Charles VIII. « Vous trouverez en mon Philippe de Commines, dit Montaigne, le langage doux et agréable d’une naïve simplicité, une narration pure, et en laquelle la bonne foi de l’auteur reluit évidemment ; exempte de vanité, parlant de soi, et d’affection et d’envie, parlant d’autrui ».

Ceux de Henri, duc de Rohan, sur la guerre de la Valteline sous Louis XIII ; importants pour cette partie de notre histoire, et très propres à former de bons militaires.

Ceux de madame de Motteville, pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche, reine de France, épouse de Louis XIII ; intéressants et curieux par un grand nombre d’anecdotes.

Ceux de la minorité de Louis XIV, par le duc de La Rochefoucauld 122 ; écrits avec beaucoup d’énergie et de vérité.

Ceux du cardinal de Retz pour la guerre de la Fronde. Le style en est inégal ; mais il y a bien des endroits où l’auteur se montre, par la force des expressions et la profondeur du génie, le digne rival de Salluste.

Ceux du comte de Bussi, depuis 1634 jusqu’en 1666. C’était un bel-esprit de la cour de Louis XIV, un des écrivains les plus élégants et les plus polis de son siècle, mais dont le mérite se trouvait déprécié par un grand fonds d’amour-propre et de vanité. Aussi parle-t-il, peut-être trop souvent et trop avantageusement, de lui-même, dans ses Mémoires, qui d’ailleurs sont très bien écrits et ne contiennent que des faits intéressants et vrais.

Ceux de madame de La Fayette, pour les années 1688 et 1689 ; écrits d’un style animé, plein de grâces et de délicatesse ; semés de portraits finis et d’anecdotes vraiment curieuses.

Ceux du marquis de Torcy, pour servir à l’histoire des négociations, depuis le traité de Riswick en 1697, jusqu’à la paix d’Utrecht, en 1713. Ils font très bien connaître les affaires du temps. La pureté du style en égale la noblesse : la vérité seule est le guide de l’auteur, et la modération en fait le caractère.

Ceux de madame de Staal, remarquables par l’esprit, le goût, l’élégante simplicité, le ton piquant avec lequel les événements sont racontés. Ce sont proprement les Mémoires de sa vie, où elle peint au naturel le cœur humain. Mais ils renferment aussi bien des particularités concernant la régence du duc d’Orléans, et les portraits de plusieurs personnes des plus distinguées de la cour.

Enfin, les Mémoires pour servir à l’histoire de Louis, dauphin de France, père de Louis XVI ; bien faits pour plaire à l’homme de goût, et pour être lus avec délices par les âmes sensibles et vertueuses.

Histoire littéraire.

L’histoire littéraire comprend la naissance, les progrès, la perfection, la décadence et le renouvellement des sciences et des arts, et doit en même temps offrir un tableau de ce qu’ils ont produit dans les différents siècles de plus agréable, de plus grand et de plus utile. Le principal devoir de l’historien est de distinguer le ton, le talent, le génie particulier de chaque auteur, de les peindre tous et de les caractériser d’après leurs ouvrages, dont il doit donner une analyse exacte, avec une critique judicieuse et impartiale.

Pour remplir avec succès ce dernier objet qui est un des plus importants, il faut qu’il joigne à la finesse de l’esprit, à la justesse du discernement, et à la délicatesse du goût, une étude sérieuse des matières que ces auteurs ont traitées ; qu’il lise leurs écrits sans la moindre prévention ; qu’il remonte jusqu’aux temps où ils ont vécu, se transporte dans les pays qu’ils ont habités, et observe la religion, les mœurs, les usages, le goût dominant de leur siècle. Tel ouvrage justement applaudi dans les âges qui nous ont précédés, est aujourd’hui oublié, parce que les mœurs ne sont plus les mêmes.

Historiens en ce genre.

Juvenel de Carlencas a donné un Essai sur l’histoire des belles-lettres, des sciences et des arts, dans lequel il trace en abrégé l’origine et les progrès de chaque science et de chaque art en particulier, et caractérise presque toujours d’un seul trait les auteurs les plus célèbres. Il y a beaucoup d’érudition dans cet ouvrage écrit d’un style pur, rapide et précis. Tout ce qu’on pourrait y désirer, c’est qu’il y eût un peu plus d’ordre et de méthode. Les matières purement littéraires y sont trop confondues avec les matières scientifiques.

L’Histoire littéraire des Troubadours a été rédigée par l’abbé Millot, sur les immenses et profondes recherches de La Curne de Sainte-Palaye 123, qui a tiré de l’oubli ces pères de la littérature moderne. Elle contient leurs vies et des extraits de leurs ouvrages.

L’abbé Lambert a fait l’Histoire littéraire du règne de Louis XIV. Mais il n’a pas rempli le titre de son ouvrage : il s’y est borné à faire connaître les grands hommes du siècle dernier, en donnant un recueil d’éloges historiques des gens de lettres, des savants et des artistes, avec une notice de leurs ouvrages.

Dans l’Histoire de l’Académie française par Pellisson, et continuée par l’abbé d’Olivet, on voit comment ce corps littéraire s’est établi ; quels sont ses statuts, les lieux, les jours et la forme de ses assemblées ; ce qui s’y est passé de remarquable ; ce qu’il a fait depuis son institution, et quels sont ceux de ses membres qui se sont le plus distingués.

On trouve à la tête du recueil des Mémoires que l’Académie des belles-lettres a publiés, un Précis historique de son établissement, par Boze.

L’Histoire de l’Académie des sciences a été faite par Fontenelle. On y voit de quelle manière cette compagnie a été établie, et le but qu’elle se propose dans ses travaux.

Les Éloges des membres des diverses Académies font partie de l’histoire littéraire.

Histoire naturelle.

Tous les ouvrages dont le souverain créateur a embelli le globe que nous habitons, toutes les productions que la terre étale à nos yeux, ou qu’elle cache dans son sein, sont la matière de l’histoire naturelle. Elle comprend ce qu’on appelle le règne animal, c’est-à-dire, les mœurs et le caractère des différentes espèces d’animaux, leur formation, leur structure, leur manière de vivre, leur industrie ; le règne végétal, c’est-à-dire, le dénombrement des plantes qui croissent sur le sommet des montagnes, au milieu des plaines, dans le creux des vallées, à l’ombre des forêts ; le règne minéral, c’est-à-dire, la diversité des métaux, des minéraux et de toutes les substances qui se forment dans les entrailles de la terre. L’historien doit être ici un sage et laborieux observateur : il faut qu’il ait assez d’intelligence pour bien voir, assez de patience pour bien observer, assez de pénétration pour tout approfondir, assez de sagacité pour ne rien confondre.

Historiens en ce genre.

Aristote, né à Stagyre, ville de Macédoine, l’an 584 avant J.-C, avait fait l’Histoire des animaux. De quarante livres dont elle était composée, il ne nous en est parvenu que dix. Gara l’a mise en latin ; et Le Camus 124 en a donné une traduction française, qui a été bien accueillie.

Théophraste, natif d’Eresse, ville de Lesbos, et disciple d’Aristote, nous a laissé un Traité des plantes, très curieux, traduit aussi en latin par Gara, et une Histoire des pierres, dont Hill a donné une belle édition à Londres, en grec et en anglais.

Nous avons de Pline l’ancien, ainsi surnommé pour le distinguer de Pline le jeune, son neveu, le panégyriste de Trajan, une Histoire naturelle qui est très estimée. Elle renferme une érudition immense, et offre, suivant Buffon, autant de variété que la nature même. Ce grand homme s’étant approché trop près du mont Vésuve, pour en observer la terrible éruption qui se fit l’an 79 de J.-C., fut suffoqué par les malignes vapeurs à l’âge de 56 ans : ce qui l’a fait appeler le martyr de la nature. Le savant P. Brotier, jésuite, a donné une belle édition de son histoire, revue sur les manuscrits et enrichie de notes. Poinsinet de Sivry l’a traduite en français.

Parmi nous, Pluche a fait le Spectacle de la nature. Cet ouvrage est très instructif et agréable à lire, malgré les négligences du style.

Buffon, dans son Histoire naturelle, est un des plus grands peintres de la nature qui aient paru. D’Aubenton a fait la partie anatomique, avec un succès qui répond parfaitement à l’objet de son travail.