Règles pour les ouvrages de littérature
Ce que je viens de dire, doit faire juger qu’il y a des règles pour la composition des ouvrages de littérature ; règles qui, émanées de la saine raison, fondées sur la nature du cœur humain, sont invariables, et indépendantes du caprice des hommes, et qui, par conséquent, ont été et seront les mêmes dans tous les temps et chez toutes les nations. Ces règles sont au nombre de six, dont les trois premières servent à faire un bon ouvrage, et les trois autres, à le rendre aussi parfait qu’il puisse l’être.
Ce sont, 1º. La vérité : elle consiste dans l’exacte représentation des seuls objets, ou réels, ou vraisemblables, on possibles. 2º. L’ordre : il consiste dans la disposition et l’arrangement des parties qui doivent former l’ensemble d’un ouvrage. 3º. La proportion : elle consiste dans l’assortiment convenable et l’accord mutuel de ces parties. 4º. L’agrément : il consiste dans le judicieux emploi des richesses du style, et des divers autres ornements. 5º. L’utilité : elle consiste dans des instructions salutaires, relatives à nos besoins et à notre bonheur. 6º. L’honnêteté : elle consiste dans le respect pour la vertu, que l’auteur de la nature a gravée dans notre âme en caractères ineffaçables.
Ainsi un ouvrage est bon, lorsque les choses, dont il est composé, sont vraies ou vraisemblables ; lorsqu’elles sont bien disposées et bien arrangées ; lorsqu’elles sont bien assorties, et qu’elles se conviennent réciproquement. Ce même ouvrage est parfait, lorsqu’il est bien écrit, lorsqu’il est instructif, lorsqu’il respire la vertu. Mais il est bien essentiel d’observer qu’un ouvrage, où cette vertu ne serait pas respectée, réunît-il d’ailleurs toutes les autres qualités requises, serait, à juste titre, regardé comme mauvais parce que, si l’on a eu raison de dire :
rien n’est beau que le vrai
; on doit dire avec plus de raison encore : rien n’est beau que l’honnête.
Telles sont les règles fondamentales de toutes les productions littéraires en général. Mais chaque espèce d’ouvrages en a de particulières, qui se rapportent toutes à celles-là ; et ce sera dans l’exposition de celles-ci, que les premières se trouveront suffisamment développées.
En fait d’ouvrages de littérature, l’esprit est dans l’homme la faculté de penser et de raisonner ; le génie, la faculté d’imaginer et d’inventer ; le goût, la faculté de discerner et de sentir. Quoique ces trois facultés de l’âme concourent toutes ensemble et en même temps à la composition d’un bon ouvrage, il est cependant vrai de dire que la principale fonction de l’esprit est de choisir▶ le sujet ; celle du génie, de créer le plan ; celle du goût, de fournir les embellissements. Or les règles aident l’esprit dans le choix du sujet, soutiennent le génie dans la création du plan, dirigent le goût dans la distribution des ornements. Les règles servent de guide et de flambeau, pour qu’on puisse voir si le sujet est bien ◀choisi, si le plan est bien construit, si les ornements sont bien assortis. Elles sont donc d’une nécessité indispensable, et à l’auteur qui compose, et à l’amateur qui juge. S’ils les ignorent, l’un se flatterait en vain de produire de bons ouvrages ; l’autre de les bien apprécier. L’homme même, qui ne lit que pour distraire son ennui, retire de la connaissance de ces règles, les plus grands avantages. Elles lui font découvrir, non seulement mille beautés qui lui seraient échappées, mais encore la source et le principe de celles qui le frappent ; et l’on conçoit aisément que cette découverte doit ajouter beaucoup au sentiment agréable, que lui cause la lecture d’un bel ouvrage.
Je vais diviser cette Partie en deux Sections. Dans la première, seront exposées les règles des ouvrages en prose, et dans la seconde, celles des ouvrages en vers.