(1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome I (3e éd.) « Première partie. De l’Art de bien écrire. — Section II. De l’Art d’écrire agréablement. — Chapitre I. Du style. » pp. 181-236
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(1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome I (3e éd.) « Première partie. De l’Art de bien écrire. — Section II. De l’Art d’écrire agréablement. — Chapitre I. Du style. » pp. 181-236

Chapitre I.

Du style.

L e mot style, qui vient du latin stylus, désignait autrefois l’aiguille, dont on se servait, pour graver les lettres sur des écorces d’arbre, ou sur des tablettes enduites de cire. Elle était pointue par un bout, et aplatie par l’autre, pour qu’on pût effacer, quand on le voulait. Ce mot signifie aujourd’hui la manière dont nous rendons nos pensées. Voyons d’abord en quoi elles consistent, et quelles en sont les qualités.

Définition et qualités dispensées.

Penser, c’est former dans son esprit la peinture d’un objet spirituel ou sensible. Ainsi les pensées sont les images des choses. La vérité est une qualité qui leur est essentielle, et qui en fait le fondement et la solidité. Une peinture n’est véritable, qu’autant qu’elle est ressemblante. Il en est de même d’une pensée : elle n’est vraie dans l’esprit de celui qui écrit, et conséquemment ne se montre telle aux yeux du lecteur, que quand l’image que l’écrivain se forme d’un objet, représente fidèlement cet objet avec ses propriétés. Si cette image le représente tout entier, dans toute son étendue, alors la pensée est vraie, de quelque côté qu’on la considère ; et c’est ce qui en fait la justesse.

Pour donner à une pensée cette vérité, cette justesse que la raison exige, il faut que l’écrivain saisisse et marque le rapport, ou la disconvenance des idées dont elle est composée ; c’est-à-dire, la convenance ou l’opposition qu’a l’objet dont il se forme une image, avec d’autres objets, soit sensibles, soit intellectuels. La terre est ronde. Voilà une pensée vraie : elle marque le rapport et la convenance qu’il y a entre l’idée de terre et l’idée de rondeur. Le menteur n’est pas estimable. Voilà encore une pensée vraie : elle marque la disconvenance et l’opposition qu’il y a entre l’idée de menteur et l’idée d’estime.

Pensées qui ont des agréments particuliers.

Il y a des pensées qui ont un caractère propre, on des agréments particuliers qui les distinguent. Les unes doivent ce caractère à la nature même de l’objet. Quand il est noble, grand, sublime, triste, gracieux, etc., la pensée l’est aussi. Les autres ont par elles-même des agréments, tels que la force, la hardiesse, la vivacité, la finesse, la naïveté, etc.

La pensée est forte, lorsque l’objet qu’elle représente, fait une profonde impression dans l’esprit. Telle est celle-ci de Salluste sur Catilina, tué dans une bataille que ce fier conspirateur contre Rome sa patrie, livra à l’armée de la république : son corps fut trouvé parmi ceux de ses ennemis ; et la fierté qui paraissait sur son visage pendant sa vie, y était encore empreinte . L’objet de cette pensée est la fierté, l’audace, l’air menaçant que nous voyons sur le visage de Catilina, tout mort qu’il est ; et assurément cet objet ne peut que nous frapper, nous étonner, et remuer fortement notre âme.

Boileau dit dans son épître sur le passage du Rhin :

De tant de coups affreux la tempête orageuse,
Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse.
Mais Louis d’un regard, sait bientôt la fixer.
Le destin à ses yeux n’oserait balancer.

Ces deux derniers vers renferment une pensée très forte, parce que l’objet qu’elle représente, fait une impression des plus vives et des plus profondes. C’est Louis XIV qui commande à la fortune : le destin de la guerre dépend de lui : sa présence rend ses soldats invincibles : dès qu’il paraît, on est assuré de la victoire.

La pensée est hardie, lorsque l’objet, dont elle est l’image, se peint dans l’esprit avec des couleurs extraordinaires. Horace dit que les soucis volent autour des lambris dorés… que le chagrin plus léger que les cerfs, plus rapide que le vent qui chasse au loin les nuages, montent avec nous dans le même vaisseau, court avec nous à travers les escadrons . Quoi de plus hardi, de plus extraordinaire que de personnifier ces soucis et ce chagrin, de les faire embarquer avec nous, de les faire combattre à nos côtés !

La pensée est vive, lorsque l’objet qu’elle représente, se peint d’un seul trait dans l’esprit. Les villes d’Albea et de Romeb étaient en guerre ; et les armées, rangées en bataille, n’attendaient que le signal, pour en venir aux mains, lorsque les généraux voulant épargner le sang des deux peuples, voisins, de même origine, et unis par les liens de la parenté, convinrent de nommer de part et d’autre trois combattants seulement pour la cause commune. Ce furent de l’un et de l’autre côté trois frères, les Horaces, romains, et les Curiaces, albains. Tite-Live décrivant ce combat, dit des trois jeunes guerriers : ils s’avancent, portant en eux le courage de trois grandes armées . Voilà une pensée très vive.

Galgacus, roi de Calédonie (aujourd’hui Écosse), prêt à livrer bataille aux Romains, qui voulaient conquérir ce pays, harangue ses troupes, et finit, suivant Tacite, par ces paroles : en allant au combat, songez à vos ancêtres et à vos descendants . Que de choses renfermées dans ces deux mots !

La pensée est délicate, lorsque l’objet qu’elle représente, ne se peint qu’en partie, de manière pourtant que le reste puisse être aisément deviné. Le sens de cette espèce de pensées n’est ni bien visible, ni bien marqué. Il semble que l’écrivain l’a caché à demi, afin que le lecteur le cherche et le devine : ou du moins, il le laisse seulement entrevoir, pour lui donner le plaisir de le découvrir tout à fait.

Les empereurs romains prenaient le nom de père de la patrie, dès qu’ils montaient sur le trône. Trajan, parvenu à l’empire, refusa pendant longtemps ce titre, et ne le prit, que quand il crut l’avoir mérité. Pline, son panégyriste, lui dit à ce sujet : vous êtes le seul à qui il soit permis d’être le père de la patrie, avant de le devenir . Cette pensée est très délicate : elle laisse plus de choses à entendre, qu’elle n’en dit ; savoir, que Trajan était en effet, et dans le cœur de ses sujets, le père de la patrie, avant qu’il en portât le nom.

Boileau ne loue pas moins finement Louis XIV. On en jugera par ces vers d’une épître à ce monarque :

Je n’ose de mes vers vanter ici le prix.
Toutefois si quelqu’un de mes faibles écrits
Des ans injurieux peut éviter l’outrage,
Peut-être pour ta gloire aura-t-il son usage.
Et comme tes exploits étonnant les lecteurs,
Seront à peine crus sur la foi des auteurs ;
Si quelque esprit malin les veut traiter de fables,
On dira quelque jour pour les rendre croyables :
Boileau, qui dans ses vers pleins de sincérité,
Jadis à tout son siècle a dit la vérité,
Qui mit à tout blâmer son étude et sa gloire,
A pourtant de ce roi parlé comme l’histoire.

Tout ce morceau est pensé et rendu avec la plus grande délicatesse. En voici un autre qui ne lui est certainement point inférieur. Le poète, dans une épître sur la vie champêtre, feint qu’à son retour de la campagne, un de ses amis lui parle des victoires du roi.

Dieu sait comme les vers chez vous s’en vont couler,
Dit d’abord un ami qui veut me cajoler.
Et dans ce temps guerrier et fécond en Achilles,
Croit que l’on fait les vers comme l’on prend les villes.
Mais moi, dont le génie est mort en ce moment ;
Je ne sai que répondre à ce vain compliment ;
Et justement confus de mon peu d’abondance,
Je me fais un chagrin du bonheur de la France.

Cette louange est si bien assaisonnée, qu’il semble que ce n’en est pas une. Quelle finesse, quelle délicatesse dans cet air d’humeur qu’affecte le poète ; dans ce refus simulé de faire l’éloge du roi, lors même qu’il le loue si bien ! C’est le comble de l’art.

Ne craignons point ici de multiplier les exemples. Voyez ces beaux vers de Racine, dans son Idylle sur la paix. La dernière pensée est pleine de délicatesse.

Qu’il règne ce héros, qu’il triomphe toujours ;
Qu’avec lui soit toujours la paix ou la victoire ;
Que le cours de ses ans dure autant que le cours
De la Seinea et de la Loireb
Qu’il règne ce héros, qu’il triomphe toujours ;
Qu’il vive autant que sa gloire.

Ce quatrain de mademoiselle Scuderi sur le goût du grand Condé pour la culture des fleurs, est aussi très délicat.

En voyant ces œillets qu’un illustre guerrier
Arrose de la main qui gagna des batailles,
Souviens-toi qu’Apollonc bâtissait des murailles,
Et ne t’étonne point que Marsd soit jardinier.

Outre la délicatesse qui se trouve dans les pensées, il y en a une autre qui est dans les sentiments, et à laquelle le cœur a plus de part que l’esprit. Voici un sentiment très délicat, que Racine, dans sa tragédie de Bérénice, donne à Titus, empereur de Rome, parlant de cette reine de Palestine, qu’il devait épouser.

Depuis cinq ans entiers, chaque jour je la vois ;
Et crois toujours la voir pour la première fois.

Dans la tragédie d’Horace, par Corneille, Sabine, native d’Albe, et femme d’un citoyen de Rome, voit la guerre allumée entre ces deux villes. Ces sentiments que lui prête le poète, n’ont pas moins de délicatesse que de vérité.

Albea, où j’ai commencé de respirer le jour,
Albe, mon cher pays et mon premier amour,
Lorsqu’entre nous et toi je vois la guerre ouverte,
Je crains notre victoire autant que notre perte.
Romeb, si tu te plains que c’est là te trahir,
Fais-toi des ennemis que je puisse haïr.

La pensée est naïve, quand l’objet qu’elle représente, s’offre à l’esprit, sans que celui-ci paraisse l’avoir cherché. Elle consiste, dit le P. Bouhours 1, dans je ne sais quel air simple et ingénu, mais spirituel et raisonnable, tel qu’est celui d’un villageois de bon sens, ou d’un enfant qui a de l’esprit. En voici un exemple dans ce quatrain de Gombaud :

Colas est mort de maladie :
Tu veux que j’en pleure le sort.
Hélas ! que veux-tu que j’en die ?
Colas vivait, Colas est mort.

Telle est encore la pensée de cette épitaphe, faite par Scarron.

Ci gît qui fut de belle taille,
Qui savait danser et chanter,
Faisait des vers vaille que vaille
Et les savait bien réciter.
Sa race avait quelque antiquaille,
Et pouvait des héros compter.
Même il aurait donné bataille,
Sil en avait voulu tâter.
Il parlait fort bien de la guerre,
Des cieux, du globe de la terre,
Du droit civil, du droit canon,
Et connaissait assez les choses
Par leurs effets et par leurs causes.
Était-il honnête homme ? Oh, non.

Il y a cependant une certaine finesse dans la pensée de cette épitaphe, et surtout dans celle du quatrain : mais c’est une finesse qui n’exclut point la naïveté.

Voici une petite pièce de vers, qui finit par un trait vraiment naïf.

Un vieil ivrogne ayant trop bu d’un coup,
Même de deux, tomba contre une borne.
Le choc fut rude : il resta sur le coup,
Presqu’assommé, l’œil hagard et l’air morne.
Un savetier, de près le regardant,
Tâtait son pouls, et lui tirant la manche ;
Las ! ce que c’est que de nous cependant :
Voilà l’état où je serai dimanche.

Il ne faut pas confondre la pensée naïve avec la pensée naturelle. Celle-ci représente toujours un objet qui s’est trouvé dans le fond du sujet qu’on traite. Elle est née, pour ainsi dire du sujet même, parce qu’elle s’y rapporte entièrement et directement. Il semble au lecteur qu’il l’avait dans la tête, avant de la lire, et que par conséquent elle n’a exigé aucun effort de la part de l’écrivain. Mais quoiqu’elle fût dans le sujet, il n’a pas été bien facile à celui-ci de l’y voir et de l’en tirer. Toute pensée naïve est naturelle : mais toute pensée naturelle n’est pas naïve, parce que le naturel peut avoir quelque chose de grand, de sublime ; au lieu que le naïf a toujours quelque chose de petit ou de moins élevé.

Verrès, citoyen romain, exerçant en Sicile la préture, charge qui consistait à rendre la justice, voulait s’approprier les colosses de Cérèsa et de Triptolèmeb. Mais il ne put les faire emporter à cause de leur énorme pesanteur. Cicéron, dans une de ses oraisons contre ce concussionnaire, dit de ces statues : leur beauté les mit en danger d’être prises ; leur grandeur les sauva . Voilà une pensée naturelle, tirée du fond de la chose, qui n’a absolument rien d’étranger au sujet, et qui paraît n’avoir rien coûté à l’orateur. Celle-ci de Mainard, sur la mort d’un enfant, ne l’est pas moins.

On doit regretter sa mort,
Mais sans accuser le sort
De cruauté ni d’envie.
Le siècle est si vicieux,
Passant, qu’une courte vie
Est une faveur des cieux.

Voyez encore celle-ci du même auteur sur un père, affligé de la mort de sa fille. Le père s’adresse au ciel.

Hâte ma fin que ta rigueur diffère ;
Je hais le monde et n’y prétends plus rien.
Sur mon tombeau ma fille devrait faire
Ce que je fais maintenant sur le sien.

Les pensées qui portent en elles-mêmes de l’agrément, n’ont pas besoin d’être ornées par l’expression. Elles doivent être rendues telles qu’elles se présentent à l’esprit de l’écrivain. Les mots sonores et brillants affaibliraient souvent une pensée forte. Si vous ajoutez à une pensée hardie des expressions magnifiques et pompeuses ; vous la rendrez outrée. Si vous embellissez une pensée naïve, une pensée vive, l’une et l’autre cesseront de l’être. Mon ami n’est plus ; et je vis encore ! voilà une pensée vive. Si vous dites : mon ami est descendu dans le sombre empire des morts ; et je jouis encore de la lumière ! elle sera traînante ; elle aura perdu toute sa vivacité.

Pensées relevées par l’expression.

Il y a des pensées qui n’ont par elles-mêmes d’autre mérite que celui de la vérité. Ces sortes de pensées se présentent en foule à tout homme d’un sens droit, et naissent sans effort du sujet que traite l’écrivain. Elles sont simples, communes et souvent triviales. Il faut nécessairement les revêtir des ornements de l’expression, pour leur donner un certain air de nouveauté, de grandeur, de noblesse, ou un autre agrément quelconque. Si l’écrivain sacré avait dit simplement du conquérant le plus renommé qui ait jamais existé, du grand Alexandre : il fut le maître de la terre ; cette pensée n’aurait par elle-même rien de fort ni d’éclatant. Mais il dit, la terre se tut en sa présence ; et cette expression donne à la pensée de la vivacité, de l’énergie et de la grandeur. Si Salluste avait dit simplement de ce Mithridate, qui disputa pendant trente ans l’empire de l’Asie aux Romains : il avait une grande taille ; sa pensée aurait été commune. Mais en disant que ce capitaine était armé d’une grande taille , il la rend noble et hardie.

Rien de plus vrai, de plus juste, mais en même temps de plus simple et de plus commun que cette pensée, la mort n’épargne personne. Voyez comme Horace la relève, et la rend, en quelque façon, neuve. La mort , dit-il, renverse également les palais des rois, et les cabanes des pauvres  ? Une autre pensée vraie, mais commune, et tout à fait dénuée d’agréments, est celle-ci : le chagrin ne dure pas toujours. Notre La Fontaine lui donne de l’élévation et de l’éclat, en la présentant sous cette image charmante :

Sur les ailes du tempsa la tristesse s’envole.

Il ne me reste à faire qu’une courte, mais assez importante observation concernant les pensées ; c’est que le fond en est presque toujours le même dans tous les écrivains qui traitent le même sujet. La seule manière de les rendre, met une distance infinie entre les bons et les mauvais. Hippolyte, dans la Phèdre de Pradon, dit à Aricie :

Depuis que je vous vois, j’abandonne la chasse ;
Elle fit autrefois mes plaisirs les plus doux ;
Et quand j’y vais, ce n’est que pour penser à vous.

Voici comme Racine exprime ces mêmes pensées et ces mêmes sentiments.

Mon arc, mes javelots, mon char, tout m’importune,
Je ne me souviens plus des leçons de Neptunea.
Mes seuls gémissements font retentir les bois,
Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix.

À la seule lecture de ces vers, on jugera sans peine que Racine avait bien raison de dire : je ne pense pas mieux que Pradon et Coras ; mais j’écris mieux qu’eux .

Style coupé ; style périodique.

Le style en général, ou, si l’on veut, considéré, dans sa forme, peut être coupé ou périodique. Il est coupé, lorsque les phrases ne peuvent point se diviser en plusieurs parties. Telles sont celles-ci de Bossuet dans son Discours de l’histoire universelle.

« L’orgueil de Démétriusb souleva le peuple. Toute la Syriec était en feu. Jonathasd sut profiter de la conjoncture. Il renouvela l’alliance avec les Romains ». Le style cesserait ici d’être coupé si de ces quatre phrases on en faisait une seule, par exemple celle-ci : L’orgueil de Démétrius souleva le peuple ; et tandis que toute la Syrie était en feu, Jonathas, qui sut profiter de la conjoncture, renouvela l’alliance avec les Romains.

Le style périodique est composé d’un enchaînement de périodes travaillées avec art. La période est une phrase qui a plusieurs parties distinguées, mais dépendantes les unes des autres, et tellement liées entre elles, que le sens demeure toujours suspendu jusqu’à la fin. Chacune de ces parties, prise séparément, se nomme membre. Quelquefois les membres d’une période sont composés d’autres parties qu’on appelle incises. Il y a des périodes de deux, de trois et de quatre membres. En voici des exemples.

Si la loi du Seigneur vous touche ;
Si le mensonge vous fait peur ;
Si la pitié dans votre cœur
Règne aussi bien qu’en votre bouche ;

(Premier membre, qui renferme trois incises, et dont le sens, quoique marqué, n’est pas complet, laissant quelque chose à désirer) :

Parlez, fils des hommes : pourquoi
Faut-il qu’une haine farouche
Préside aux jugements que vous lancez sur moi ?

(Second membre, qui présente le sens complet). Faites la même application aux exemples suivants.

« S’il y a une occasion au monde, où l’âme pleine d’elle-même, soit en danger d’oublier son Dieu (premier membre), c’est dans ces postes éclatants, où un homme, par la sagesse de sa conduite, par la grandeur de son courage, par le nombre de ses soldats, devient comme le Dieu des autres hommes (second membre) et rempli de gloire, en lui-même, remplit tout le reste du monde d’admiration, d’amour ou de frayeur » (troisième membre). Mascaron, orais. fun. de Turenne.

« Soit qu’il fallût préparer les affaires ou les décider, chercher la victoire avec ardeur, ou l’attendre avec patience (premier membre) ; soit qu’il fallût prévenir les desseins des ennemis par la hardiesse, ou dissiper les craintes et les jalousies des alliés par la prudence (second membre) ; soit qu’il fallût se modérer dans la prospérité, ou se soutenir dans les malheurs de la guerre (troisième membre) : son âme fut toujours égale » (quatrième membre) Fléchier, Orais. fun. de Turenne.

Ces périodes à quatre membres se nomment aussi quarrées.

Il y a encore des périodes à cinq membres, dont l’usage cependant ne doit pas être bien fréquent, à cause de l’impatience qu’a le Lecteur ou l’Auditeur de voir le sens terminé. Voici une période de cette espèce, tirée de la réponse de Buffon, au discours de La Condamine, le jour de sa réception à l’Académie française.

« Avoir parcouru l’un et l’autre hémisphère, traversé les continents et les mers, surmonté les sommets sourcilleux de ces montagnes embrasées, où des glaces éternelles bravent également et les feux souterrains, et les feux du midi (premier membre) ; s’être livré à la pente précipitée de ces cataractes écumantes, dont les eaux suspendues semblent moins rouler sur la terre, que descendre des nues (second membre) ; avoir pénétré dans ces vastes déserts, dans ces solitudes immenses, où l’on trouve à peine quelques vestiges de l’homme, où la nature, accoutumée au plus profond silence, dut être étonnée de s’entendre interroger pour la première fois (troisième membre) ; avoir plus fait, en un mot, par le seul motif de la gloire des Lettres, que l’on ne fit jamais par la soif de l’or (quatrième membre) ; voilà ce que connaît de vous l’Europe, et ce que dira la postérité » (cinquième membre).

Le nombre, c’est-à-dire, cette harmonie qui résulte de l’heureux choix et de l’arrangement des expressions, fait toute la beauté de la période. Cette cadence nombreuse doit accompagner les chutes de chaque incise et de chaque membre, et se faire sentir surtout à celle du dernier. La période doit aussi présenter à l’esprit une suite d’idées enchaînées sans la moindre contrainte, qui enchérissent les unes sur les autres, et qui, dans leur marche soutenue, dans leurs gradations, tendent toutes à la chute commune et finale. Il faut en bannir avec soin les mots qui riment ensemble, éviter de même la rencontre des voyelles qui, en se heurtant, peuvent former un son désagréable : car, comme le dit Boileau,

La plus noble pensée
Ne plaît point à l’esprit, si l’oreille est blessée1.

La période ne sera ni trop courte, ni trop longue. Si elle était trop courte, elle n’aurait point assez de consistance, pour être embellie des grâces de l’harmonie. Si elle était trop longue, elle manquerait de mouvement, et fatiguerait l’attention du lecteur. Un des plus beaux modèles à suivre pour la coupe des périodes, est Fléchier. Voyez comme celle-ci est harmonieuse.

« Mais rien n’était si formidable que de voir toute l’Allemagne, ce grand et vaste corps, composé de tant de peuples et de nations différentes, déployer tous ses étendards, et marcher vers nos frontières, pour nous accabler par la force, après nous avoir effrayés par la multitude. »

On voit que les chutes ou cadences de chaque incise et de chaque membre, sont bien marquées par les mots formidable, Allemagne, vaste corps, différentes, étendards, frontières, multitude. Ici les idées paraissent s’étendre pour avoir plus de grâce. Vous allez les voir dans la phrase qui suit, se serrer et se presser pour avoir plus de force.

« Il fallait opposer à tant d’ennemis un homme d’un courage ferme et assuré, d’une capacité étendue, d’une expérience consommée ; qui soutînt la réputation, et qui ménageât les forces du royaume ; qui ne fît rien de superflu ; qui sût, selon les occasions, profiter de ses avantages ou se relever de ses pertes ; qui fût tantôt le bouclier, tantôt l’épée de son pays ; capable d’exécuter les ordres qu’il aurait reçus, et de prendre conseil de lui-même dans les rencontres. »

On sent la différence de l’harmonie dans ces deux périodes. Dans celle-ci, elle est forte, vive, rapide : dans l’autre, elle est douce, mais en même temps majestueuse. C’est à cette variété que l’écrivain doit s’attacher, pour se faire lire avec un plaisir et un intérêt qui se soutiennent jusqu’à la fin.

Le style périodique a plus de noblesse, d’harmonie et de dignité que le style coupé. Celui-ci est plus léger, plus vif, plus brillant. Ni l’un ni l’autre ne doivent être exclus d’aucun sujet. Il faut même les employer tour-à-tour, pour répandre de la variété dans un ouvrage. Cependant, on peut dire en général que le style périodique convient mieux aux sujets nobles et sérieux, et le style coupé aux sujets agréables et badins.

On peut conclure de ce que je viens de dire des pensées et du style en général, qu’il faut bien prendre garde, quand les pensées ont en elles-mêmes des agréments, à ne pas les en dépouiller par le mauvais emploi des expressions ; et que, quand elles n’en ont pas, il faut s’appliquer à leur en donner par l’expression même. Il est essentiel, pour cela, de savoir d’abord quelles doivent être les qualités du style ; de connaître ensuite le style figuré, c’est-à-dire, les tours, les ornements, les différentes richesses que nous fournit notre langue, et d’apprendre en même temps l’art de les employer, en fixant notre attention sur l’usage qu’en ont fait les bons écrivains.

Article I.

Des Qualités du Style.

Quelque sujet que l’on traite, et quelle que soit la forme de style que l’on emploie, on ne doit jamais oublier que le principe et le fondement de l’art d’écrire est, suivant Horace, le bon sens, c’est-à-dire, ce jugement droit, cette raison sage qui retient toujours dans de justes bornes l’esprit le plus vif et le plus brillant, l’imagination la plus féconde et la plus impétueuse. Boileau, qui a senti toute la vérité de ce précepte, a dit après le poète latin :

Aimez donc la raison. Que toujours vos écrits,
Empruntent d’elle seule, et leur lustre et leur prix1.

Les qualités, ou agréments du style, auxquelles il faut principalement s’attacher, sont la clarté et la convenance : toutes les autres sont comprises dans ces deux là. Je vais les faire connaître, et je dirai ensuite un mot des défauts qui leur sont opposés.

I.

De la Clarté du Style.

Nécessité d’être clair dans son style.

La lumière du soleil frappe nos yeux, sans que nous y fassions attention : telle doit être, suivant la pensée de Quintilien 2, la lumière qui brille dans un ouvrage d’esprit. Un écrivain ne pense, ne parle que pour les autres. Son premier devoir est donc de parler d’une manière à se faire entendre, d’une manière même à ne pouvoir n’être pas entendu. Une pensée a besoin d’être présentée dans tout son jour, pour être bien saisie du lecteur. Pourquoi affecteriez-vous de l’envelopper et de ne la présenter qu’à demi ? Croiriez-vous par là montrer de la finesse, de la profondeur, de l’esprit ? Quelle erreur ! L’esprit n’a consisté ni ne consistera jamais dans une manière de s’exprimer entortillée, mystérieuse et presque énigmatique :

Ce que j’appelle esprit, c’est la vive peinture
Des naïves beautés qu’étale la nature,
Qui fait que d’un coup d’œil le lecteur aperçoit
Un objet tout entier et tel qu’il le conçoit1.

Voilà le bon esprit, l’esprit vrai, l’esprit seul agréable, qui fait le mérite d’un ouvrage, la gloire d’un écrivain, et le charme du lecteur. Oui, il faut qu’à la première lecture, avec une médiocre attention, sans gêne et sans étude, on trouve un sens net et développé. Si l’on est obligé de le chercher, le style manque de la clarté, et par-là même est vicieux.

Il est donc du devoir de l’écrivain, de donner à ses pensées toute l’explication et toute la clarté qu’il faut, pour que ses lecteurs les comprennent parfaitement. S’il doit, suivant le précepte d’Horace, tâcher d’être court, c’est sans rien omettre de ce qui est essentiel et nécessaire. Mais en fuyant toute brièveté obscure, il prendra bien garde, en même temps, de ne pas tomber dans l’excès contraire, la prolixité. On évite ce défaut, en passant sous silence tout ce qui est superflu, c’est-à-dire, tout ce qui peut être aisément entendu sans être exprimé.

Moyens d’être clair dans son style.

Pour être clair dans votre style, ne dites ni plus ni moins qu’il ne faut ; et pour parvenir à ce point, plus difficile et plus délicat qu’on ne pense, concevez bien votre idée, saisissez-la tout entière, embrassez-la dans toute son étendue : il est impossible que vous ne la rendiez de même, sans rester au-dessous, sans aller au-delà. Quand l’image que nous nous formons d’un objet est claire et lumineuse dans notre esprit, elle doit nécessairement se montrer telle aux yeux du lecteur Réfléchir longtemps sur son sujet, le posséder pleinement ; arranger toutes ses pensées avec ordre, et les enchaîner si bien, qu’elles paraissent naître sans effort les unes des autres ; voilà le vrai moyen de mettre tout à la fois de l’ensemble et de la clarté dans son style.

Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit ou moins nette ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien, s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément1.

Observez aussi à la lettre ce précepte si sage, que donne La Bruyère. Tout écrivain, dit-il, pour écrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs, examiner son propre ouvrage comme quelque chose qui lui est nouveau, qu’il lit pour la première fois, où il n’a nulle part, et que l’auteur aurait soumis à sa critique ; et se persuader ensuite qu’on n’est pas entendu, seulement à cause que l’on s’entend soi-même, mais parce qu’on est en effet intelligible.

Un moyen encore infaillible d’écrire avec clarté, c’est de placer les mots dans le discours, suivant les règles de la syntaxe. Rien de plus juste que de s’assujettir aux lois de la langue qu’on parle ; lois fondées sur une dialectique très fine et très solide, sur cette logique naturelle, avec laquelle naissent tous les hommes bien organisés ; lois qui accoutument l’esprit à une marche toujours droite et toujours ferme, dans les diverses routes qu’il peut se frayer. Un écrivain correct dans son style, est ordinairement exact dans les choses, et s’exprime toujours d’une manière si claire et si intelligible, que rien de ce qu’il veut dire, n’échappe à la vue des esprits les moins pénétrants. La plupart des fautes de langage, dit Voltaire, sont au fond, des défauts de justesse.

Qu’on ne dise point que la grammaire nuit aux élans du génie, aux grâces de l’imagination, à la chaleur du sentiment. Il est constant qu’un habile écrivain peut, sans cesser d’être correct, embellir le discours de tous les ornements dont il est susceptible. Les idées les plus profondes, les plus brillantes, les plus sublimes se montrent sous sa plume, avec toute leur force, tout leur éclat, toute leur grandeur, sans que les règles de la langue soient violées. Si cette vérité pouvait être contestée, il serait, assurément, bien facile de citer en preuves une infinité d’exemples tirés de nos meilleurs écrivains. Tout homme qui les a lus avec quelque attention, a dû voir, non seulement que leurs plus beaux morceaux sont précisément ceux, où les lois grammaticales sont observées avec la plus grande exactitude ; mais encore qu’il y en a bien d’autres, auxquels il ne manque, pour être vraiment beaux, que l’arrangement des mots et des phrases selon ces mêmes lois. Ne reprochons donc point trop de sévérité à Boileau, lorsqu’il dit :

Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin,
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain1.

Convenons cependant avec les grammairiens, même les plus rigides, qu’il est des circonstances, où le génie, l’imagination, et le sentiment ne doivent point s’attacher en esclaves serviles, à certaines lois de la grammaire. Bien plus, elle autorise elle-même la violation de ces règles, comme on a pu le voir dans l’article du gallicisme et des figures de construction ; et dès-lors, ces fautes cessent d’être des fautes. S’il est quelquefois permis d’en faire de réelles, elles ne doivent nuire, en aucune manière, à la clarté du discours ; elles doivent être légères, et de plus, rachetées par des beautés saillantes. En voici un exemple qui s’offre à ma mémoire : ce sont ces quatre vers où Brébeuf embellit l’idée de Lucain sur l’écriture.

C’est de lui que nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux,
Et par des traits divers de figures tracées,
Donner de la couleur et du corps aux pensées.

On a remarqué que les règles exactes de la langue ne sont point observées dans le dernier vers. Il aurait fallu dire, de donner. Voilà une faute légère, qui doit disparaître à la faveur de la beauté de la pensée.

II.

De la Convenance du Style.

Assortiment du style aux idées, par la propriété des termes.

L’assortiment du style aux idées qu’on exprime, et au sujet qu’on traite, est ce qui en fait la convenance. Pour que le style soit assorti aux idées, il faut qu’elles soient rendues par les seules expressions qui leur sont propres. Les paroles sont les images des pensées, comme celles-ci sont les images des objets. Elles doivent représenter les pensées aussi fidèlement, que celles-ci représentent les choses. La même conformité qui doit se trouver entre la pensée et l’objet, doit se trouver aussi entre la parole et la pensée.

Attachons-nous donc à la propriété des termes, c’est-à-dire, aux mots qui sont les vrais signes représentatifs de nos idées. Il y en a qui ont un caractère, soit de richesse, soit de vivacité, soit d’énergie, etc. Ceux-là sont faits pour une pensée qui est dans le même genre. C’est à la faveur de l’expression, qu’une pensée noble se montre dans toute sa noblesse, une pensée vive dans toute sa vivacité, une pensée énergique dans toute son énergie.

Un terme propre rend l’idée tout entière : un terme peu propre ne la rend qu’à demi : un terme impropre la défigure. Il est, par conséquent, essentiel de n’employer que des termes qui ne disent ni trop ni trop peu, et pour cela, d’en connaître la véritable signification. Tous les mots en ont une qui leur est particulière. Les synonymes, qui se ressemblent par une idée commune, sont néanmoins distingués l’un de l’autre par quelque idée accessoire et particulière à chacun. En voici un exemple pris au hasard dans l’excellent Ouvrage de l’abbé Girard sur cette matière.

Les mots déclarer, découvrir, manifester, révéler, déceler, ont une signification commune, qui est de faire connaître ce qui était ignoré. Mais chacun d’eux en a aussi une qui lui est particulière. Déclarer, c’est dire les choses exprès et de dessein, pour en instruire ceux à qui l’on ne veut pas qu’elles demeurent cachées. Découvrir, c’est montrer, soit de dessein, soit par inadvertance, ce qui avait été caché jusqu’alors. Manifester, c’est produire au dehors les sentiments intérieurs. Révéler, c’est rendre public ce qui a été confié sous le secret. Déceler, c’est nommer celui qui a fait la chose, mais qui ne veut pas en être cru l’auteur. Ces mots ne peuvent donc pas, en bien des occasions, être employés indifféremment l’un pour l’autre. Celui qui rend précisément notre idée, est le seul dont nous devons nous servir.

Observons ici que notre langue, quoiqu’assez riche pour qui la sait bien manier, peut cependant s’enrichir encore davantage sous la plume d’un bon écrivain. Ainsi les mots nouveaux ne doivent pas être proscrits. Mais on exige que pour être employés à propos, ils soient nécessaires, sonores et intelligibles. Sans ces trois conditions, toute expression nouvelle sera déplacée et vicieuse. Loin d’enrichir la langue, elle ne servira qu’à la gâter.

Assortiment du style au sujet, par la propriété des agréments.

Le style sera assorti au sujet, si l’on joint à la propriété des termes, la propriété des agréments, c’est-à-dire, si l’on donne au style les seuls agréments qui lui conviennent relativement au sujet. Il y a des phrases, des mots, des tours qui ont de l’éclat et de la grandeur : ceux-là sont destinés à paraître dans les genres élevés. Il y en a d’autres qui n’ont aucune illustration : ceux-là sont faits pour les genres médiocres.

Tous les sujets qu’on traite, appartiennent ou à la mémoire, ou à la raison, ou au sentiment, ou à l’imagination. Dans ceux qui appartiennent à la mémoire, l’écrivain expose, raconte : il faut que son style soit uni, facile, naturel et rapide. Dans les sujets qui appartiennent à la raison, l’écrivain se propose d’instruire : il faut que son style soit grave, méthodique, précis, ferme, énergique. Dans les sujets qui appartiennent au sentiment, l’écrivain veut toucher : il faut que son style soit doux, insinuant, vif, animé, pathétique. Dans les sujets qui appartiennent à l’imagination, l’écrivain cherche à plaire : il faut que son style soit fin, gracieux, élégant, varié. Il cherche à plaire par l’imitation : il faut que son style soit riche, brillant, fleuri, nombreux et pittoresque.

Voilà à peu près tous les agréments, toutes les qualités que peut et que doit avoir le style, selon la diversité des sujets ; agréments qui ont tous un même principe et une source commune, la propriété des termes. Il suffira de dire simplement en quoi ils consistent, pour en donner une idée claire et distincte.

Le style est uni, quand on n’y voit ni expressions, ni pensées bien remarquables ; facile, lorsqu’il ne sent point le travail ; naturel, quand il n’est ni recherché, ni forcé ; rapide, quand il attache et entraîne.

Le style est grave, quand il évite les saillies et les plaisanteries ; méthodique, lorsqu’il marche avec ordre, ne se permettant aucun écart ; précis, quand il rend les idées avec le moins de mots qu’il est possible ; ferme et énergique, quand la justesse des expressions répond à la solidité des pensées.

Le style est doux et insinuant, quand il fait concevoir et sentir les choses sans effort ; vif et animé, quand les idées sont pressées et se succèdent avec rapidité ; pathétique, lorsqu’il remue, agite, transporte, subjugue.

Le style est fin, quand il montre, sous des expressions simples, des idées choisies ; gracieux, quand il est plein de pensées délicates et de descriptions riantes ; élégant, lorsque les expressions sont bien choisies et bien arrangées ; varié, lorsqu’il se fait remarquer par la multiplicité des tours et des ornements. Il est riche, lorsqu’il abonde en idées et en expressions ; brillant et fleuri, lorsqu’il éclate en images ; nombreux, quand il a un mouvement agréable qui flatte l’oreille ; pittoresque, lorsqu’il représente vivement les objets.

III.

Des Défauts du Style.

Tous les défauts opposés aux qualités ou agréments du style, peuvent être rapportés à deux principaux qui comprennent tous les autres : ce sont l’obscurité et l’affectation.

Obscurité du style dans l’expression.

L’Obscurité, le plus grand vice du discours, vient de l’expression ou de la pensée même. Elle vient de l’expression, quand on arrange mal les mots ; quand on emploie des termes équivoques, c’est-à-dire, susceptibles de divers rapports, de diverses interprétations. Dans cette phrase : l’orateur arrive à sa fin, qui est de persuader, d’une façon toute particulière ; ces derniers mots sont mal placés, et par-là deviennent susceptibles de divers rapports, puisqu’on pourrait les faire rapporter au verbe persuader, quoiqu’en effet ils se rapportent aux mots, arrive à sa fin. La phrase serait nette et sans la moindre obscurité, si elle était construite ainsi : l’orateur arrive, d’une façon toute particulière, à sa fin, qui est de persuader.

Remarquez la même faute dans la phrase suivante : s’il est vrai que ce prince ait traité les Catalans attachés à son ennemi, avec tant de hauteur, c’est peut-être qu’il s’imaginait trouver, à leur défaut, une ressource puissante dans un autre capitaine non moins habite. Il fallait dire ; s’il est vrai que ce prince ait traité avec tant de hauteur, les Catalans attachés à son ennemi, etc.

L’abbé d’Olivet, dans ses remarques sur Racine, fait une observation bien juste et bien solide sur ce vers de la tragédie d’Andromaque :

Sans espoir de pardon, m’avez-vous condamnée ?

Voilà, dit-il, ce qui s’appelle une phrase louche. Sans espoir de pardon, regarde Andromaque ; et m’avez-vous condamnée, regarde Pyrrhus. Il fallait, sans espoir de pardon me vois-je condamnée, afin que la phrase entière tombât sur Andromaque, ou l’équivalent de ceci, m’avez-vous condamnée sans me laisser aucun espoir de pardon, afin qu’elle ne tombât que sur Pyrrhus. On me dira qu’il y a ici une ellipse. Mais qu’il y ait telle figure qu’on voudra, il me suffit que la phrase soit louche, pour être bien convaincu qu’elle mérite d’être blâmée.

Il n’est personne qui n’approuve bien volontiers cette remarque de l’abbé d’Olivet, dont le style est si pur et si agréable. Osons dire en effet que ces mots, me vois-je condamnée, au lieu de m’avez-vous condamnée, n’auraient pas rendu le vers de Racine moins poétique. Ainsi, d’un côté, l’imagination du lecteur n’aurait pas été moins flattée par l’harmonie du vers ; et de l’autre, sa raison aurait été pleinement satisfaite par l’entier développement du sens de l’auteur.

Ce qui rend le plus souvent le style obscur dans l’expression, c’est le mauvais emploi, ou l’équivoque des pronoms. Si l’on disait, par exemple : nous ne trouvons point la critique qu’a faite Eugène d’un ouvrage d’Ariste, dans le recueil de ses œuvres ; ce pronom, ses, formerait une équivoque, qui mettrait le lecteur dans l’impossibilité de juger si c’est dans le recueil des œuvres d’Eugène, ou dans celui des œuvres d’Ariste. Il faudrait, suivant le sens qu’on voudrait marquer, dire à peu près : nous ne trouvons point dans le recueil des œuvres d’Eugène, la critique qu’il a faite d’un ouvrage d’Ariste ; ou ; nous ne trouvons point dans le recueil des œuvres d’Ariste, la critique d’un de ses ouvrages, qui a été faite par Eugène.

Un auteur a dit : Hypéride a imité Démosthène, en ce qu’il a de beau . On ne voit certainement pas ici auquel de ces deux substantifs se rapporte ce pronom il. Si c’est à Démosthène, l’auteur aurait dû dire : Hypéride a imitée Démosthène en ce que celui-ci a de beau. Si c’est à Hypéride, il aurait pu dire, en ajoutant une épithète, pour arrondir sa phrase : Hypéride a imité, en ce qu’il a de beau, l’éloquent Démosthène.

Voici encore une suite de phrases, dont le sens est louche. « François Ia érigea Vendômeb en duché-pairie, en faveur de Charles de Bourbonc et il le mena à la conquête de Milandil se comporta vaillamment. Quand ce prince eut été pris à Paviee, il ne voulut point accepter la régence qu’on lui proposait : il fut déclaré chef du conseil. Il continua de travailler pour la liberté du roi ; et quand il fut délivré, il continua à le bien servir. »

Le lecteur qui ne serait pas au fait de l’histoire, n’aurait-il pas bien de la peine à démêler les divers rapports du mot prince et du pronom il, employé tant de fois ? L’historien, loin de faire un si fréquent usage de ce pronom, aurait dû répéter plusieurs fois le nom, dont il tient la place. C’est ce que font les meilleurs écrivains, plutôt que de rien laisser dans le discours, qui présente un sens entortillé.

La phrase suivante, sans être précisément louche, n’est pas à l’abri d’une juste critique : cet illustre infortunéf fut conduit à Pignerol a, où M. de Saint-Mars était commandant. Lorsqu’il fut nommé à la lieutenance de roi de Sainte-Margueriteb, il emmena avec lui son captif . Le rapport de ce pronom il, placé avant le verbe nommer, est-il bien sensible au premier coup-d’œil ; et ne faut-il pas que le lecteur réfléchisse un peu pour le voir ? C’est un soin que l’auteur aurait pu aisément lui épargner, en disant : cet illustre infortuné fut conduit à Pignerol, où M. de Saint-Mars était commandant. Lorsque celui-ci fut nommé à la lieutenance de roi de Sainte-Marguerite, il emmena avec lui son captif.

Si je pouvais soupçonner que ces remarques parussent minutieuses ou trop sévères, je répéterais ici que l’écrivain, ne prenant la plume que pour instruire, ou pour amuser ses lecteurs, doit, par l’arrangement des mots et des phrases, leur faciliter tous les moyens possibles de pénétrer promptement et sûrement le vrai sens de ce qu’il veut dire. Quintilien ne veut pas qu’on donne au lecteur ou à l’auditeur la peine de rien éclaircir.

Obscurité du style dans la pensée, ou galimatias et phébus.

L’obscurité qui vient de la pensée, est ce qu’on appelle du galimatias, ou du phébus. Le galimatias, est une suite de phrases qui n’ont aucun sens raisonnable, et auxquelles on ne comprend rien. Il a été comparé à un épais brouillard, qui nous empêche tout à fait de voir. Le phébus n’est pas si obscur : il signifie, ou paraît signifier quelque chose. C’est un brouillard, dans lequel il entre quelque rayon de lumière. Mais cette lumière est trop faible, pour que nous puissions distinguer les objets. Maynard disait à un écrivain de son temps, qui tombait dans le phébus et le galimatias :

Mon ami, chasse bien loin
Cette noire rhétorique.
Tes écris auraient besoin
D’un devin qui les explique.
Si ton esprit veut cacher
Les belles choses qu’il pense,
Dis-moi qui peut t’empêcher
De te servir du silence ?

Le conseil était très raisonnable. Il vaut mieux se taire, que de parler pour n’être pas entendu.

J’écris principalement pour les jeunes gens ; et c’est en dire assez, pour qu’on sente la nécessité où je suis de leur faire connaître les fautes de style échappées à nos meilleurs écrivains. Mais comme je suis bien loin de croire que mes observations puissent être une règle pour eux, je me suis imposé la loi de m’appuyer toujours de l’autorité des critiques sages et éclairés, dont le goût sûr et les connaissances profondes sont généralement reconnus. Je vais donc citer encore Racine, toujours admiré, mais toujours bien apprécié, quand au style, par l’abbé d’Olivet. Voici la remarque de cet habile grammairien sur ces vers que le poète met dans la bouche de Mithridate : apprenez…… qu’il n’est point de Rois,

Qui sur le trône assis, n’enviassent peut-être,
Au-dessus de leur gloire un naufrage élevé,
Que Rome et quarante ans ont à peine achevé.

Je suis arrêté, dit-il, par le grand nom de Racine, qui ne me permet point d’appeler ceci du galimatias. On aura beau me dire avec Racine le fils, que hasarder ces alliances de mots, n’appartient qu’à celui qui a le crédit de les faire approuver . Je conviendrai qu’en effet, lorsqu’un vers ronfle bien dans la bouche d’un auteur, quelquefois le parterre ne demande rien de plus. Mais il n’est pas moins vrai qu’un auteur ne doit jamais courir après un bel arrangement de mots, sans avoir égard à la clarté des idées, et à la justesse des métaphores.

L’abbé d’Olivet termine cette remarque en citant le P. du Cerceau, qui dans ses réflexions sur la poésie française, s’exprime ainsi : J’avoue que je n’entends pas trop bien ce que signifie un naufrage élevé au-dessus de la gloire des autres Rois, et encore moins ce que veut dire, achever un naufrage. Ces expressions figurées ont d’abord quelque chose qui éblouit, et l’on ne se donne pas la peine de les examiner, parce qu’on les devine plutôt qu’on ne les entend. Mais quand on y regarde de près, on est tout surpris de ne trouver qu’un barbarisme brillant dans ce qu’on avait admiré.

Il arrive très souvent que l’obscurité du style vient, non pas précisément du fond des pensées, mais du tour qu’on emploie pour les rendre. Ne nous lassons pas, lorsqu’il s’agit d’instruire, de citer les observations de nos plus grands génies et de nos meilleurs écrivains. Un tour heureux, dit Montesquieu en parlant de quelques auteurs modernes, leur paraît plat, parce qu’il n’a pas l’air d’avoir coûté : une idée mise galamment, mais en habit simple, ne paraît pas piquante à ces messieurs. Ils veulent lui donner des grâces de leur façon ; ils la tournent, ils la serrent ; et après bien des soins, ils arrivent à être entortillés, pour avoir voulu être délicats, et à être obscurs, pour avoir eu envie d’être vifs.

Affectation du style.

L’Affectation du style est un éloignement du naturel. Dire en termes trop recherchés des choses simples et communes, pour les faire paraître plus grandes et plus ingénieuses qu’elles ne le sont en effet, c’est être affecté dans son style. Cette affectation comprend le néologisme et l’enflure.

Néologisme.

Le Néologisme ne consiste pas seulement à introduire des mots nouveaux qui sont inutiles. Ce qui le caractérise encore, c’est le tour recherché des phrases, et surtout, l’union bizarre de plusieurs mots qui ne peuvent point aller ensemble. La Motte a dit que les grandes réputations sont presque toujours posthumes ; et Fontenelle, dans l’éloge de Bernouilli, mathématicien célèbre, que son goût avait été son précepteur. Voilà deux exemples de néologisme. On dit bien qu’un ouvrage est posthume, lorsqu’il a été publié après la mort de son auteur. Mais c’est contre la raison même de dire qu’une réputation est posthume, parce qu’un auteur ne peut point acquérir une réputation après sa mort. Il est encore plus ridicule de dire qu’un savant a eu son goût pour précepteur. Un précepteur est un homme qui instruit des enfants ; et assurément on ne peut pas donner au goût d’un individu la figure d’une personne, quoiqu’en poésie on personnifie le goût en général, et qu’on le représente sous la forme d’un Dieu.

Ce sont donc là des façons de parler toutes nouvelles, que les hommes de goût réprouvent, et que les bons écrivains ont le plus grand soin d’éviter. Il faut à leur exemple, n’employer que celles qui sont autorisées par l’usage. Ce n’est pas qu’on ne puisse quelquefois unir deux mots connus, qui n’ont jamais été liés ensemble. Mais il faut que cette liaison soit juste, fondée sur la véritable signification de ces mots, et, ce qui est bien à remarquer, nécessitée par le besoin réel d’exprimer une belle pensée, qui, sans cela, ne serait pas bien entendue.

Enflure.

L’Enflure du style consiste, ou à présenter des pensées simples et communes sous des expressions sonores et pompeuses, ou à dire des choses exagérées et qui n’ont qu’une vaine apparence de grandeur. Elle naît ordinairement du trop grand désir de briller, ou de l’excès d’une imagination déréglée. Nous ne saurions être trop en garde contre ce défaut du style, puisque nos meilleurs poètes mêmes, ceux dont l’esprit était frappé sur le grand, y sont quelquefois tombés. Voyez cette strophe de l’ode de J.-B. Rousseau, sur la naissance du duc de Bretagne (frère aîné de Louis XV).

Où suis-je ? Quel nouveau miracle
Tient encor mes sens enchantés !
Quel vaste, quel pompeux spectacle
Frappe mes yeux épouvantés
Un nouveau monde vient d’éclore :
L’univers se reforme encore
Dans les abîmes du chaos ;
Et pour réparer ses ruines,
Je vois des demeures divines
Descendre un peuple de héros.

On a trouvé que des yeux épouvantés par un pompeux spectacle, tandis que tous les autres sens sont enchantés, l’univers qui se reforme après qu’un nouveau monde vient d’éclore, et un peuple de héros, qui descend des demeures divines, pour réparer les ruines de ce nouvel univers, étaient une véritable enflure dans la pensée et dans l’élocution.

Le même défaut a été remarqué dans ces vers de la tragédie de Phèdre, où Racine fait dire à Théramène qui raconte la mort d’Hippolyte, qu’ une montagne humide s’élève à gros bouillons sur le dos de la plaine liquide .

Le début de la tragédie de Pompée du grand Corneille, offre de très beaux vers. Mais ces débordements de parricides ; ces champs empestés ; ces montagnes de morts privés d’honneurs suprêmes, et que la nature force à se venger ; ces troncs pourris, qui font la guerre au reste des vivants, ont été regardés comme une véritable enflure.

Il est aisé de juger que ce défaut du style est bien voisin du Phébus. Il rend de plus un ouvrage froid, parce que les termes ampoulés, emphatiques et sonores, mais vides de sens, ne disent rien ni au cœur ni à l’esprit. Pour éviter l’enflure et l’excès qui lui est opposé, il faut faire un juste emploi des images et des ornements. Si nous les répandons avec profusion et sans choix, notre style sera boursouflé. Si nous les négligeons trop, notre style sera faible et sec. On va voir quels sont ces ornements, et l’usage qu’on doit en faire.

Article II.

Du Style figuré.

Les mots ont dans le discours un sens propre, ou un sens figuré. Ils sont dans le sens propre, lorsque ne perdant point leur signification primitive, ils signifient la chose, pour laquelle ils ont été établis. Ils sont employés dans le sens figuré, quand on les fait passer de leur signification propre ou naturelle, à une signification étrangère. Le mot chaleur a été institué pour signifier une propriété du fou ; le mot rayon, pour signifier un trait de lumière. Ainsi quand on dit, la chaleur du feu, les rayons du soleil, ces mots sont pris dans le sens propre. Mais quand on dit, la chaleur du combat, un rayon d’espérance, ils sont pris dans le sens figuré.

Il n’est aucune langue, qui ne doive presque toutes ses richesses à ces sortes d’expressions figurées. Elles prêtent à l’éloquence ses plus grands mouvements, à la poésie son plus beau coloris ; elles sont comme l’âme et la vie de l’une et de l’autre. Ainsi les figures sont de certains tours de pensées et de paroles, qui font une beauté, un ornement dans le discours. Cette définition convient aux figures de mots et aux figures de pensées. Les premières dépendent tellement des mots qui les expriment, que le moindre changement dans ces mots détruit la figure. Les figures de pensées, au contraire, dépendent uniquement de la manière particulière de penser et de sentir ; en sorte que la figure demeure toujours la même, quoiqu’on change les expressions.

Abner, le brave Abner viendra-t-il nous défendre ?

Voilà une figure de mots. Supprimez la répétition du mot Abner, la figure est anéantie.

Répondez, cieux et mers, et vous, terre, parlez.

Voilà une figure de pensées. Changez les expressions, retranchez, ajoutez, la figure ne subsistera pas moins.

I.

Des figures de mots, et de celles qui ne sont pas tropes.

Il y a deux sortes de figures de mots. Dans celles de la première espèce, les mots conservent leur signification propre : ces figures ne consistent donc que dans un certain emploi de ces mots. Les autres sont celles, par lesquelles on donne à un mot une signification, qui n’est point sa signification primitive et naturelle ; comme quand on dit, trente voiles, pour trente vaisseaux ; mille chevaux, pour mille cavaliers. On nomme celles-ci tropes, du mot grec, tropê, dont la racine est τρεπω, qui signifie, je tourne. Les premières ne le sont point.

Je conviens, dit du Marsais, dans son excellent traité des tropes, qu’on peut bien parler, sans jamais avoir appris les noms particuliers de ces figures. Combien de personnes se servent d’expressions métaphoriques, sans savoir précisément ce que c’est que métaphore !… Mais ces connaissances sont utiles et nécessaires à ceux qui ont besoin de l’art de parler et d’écrire. Elles mettent de l’ordre dans les idées qu’on se forme des mots ; elles servent à démêler le vrai sens des paroles, à rendre raison du discours, et donnent de la précision et de la justesse… On voit tous les jours des personnes qui chantent agréablement, sans connaître les notes, les clés, ni les règles de la musique ; elles ont chanté pendant bien des années des sol et des fa, sans le savoir : faut-il pour cela qu’elles rejettent les secours qu’elles peuvent tirer de la musique, pour perfectionner leur talent ?

Les figures de mots qui ne portent pas le nom de tropes, sont la répétition, la conversion, la complexion, la gradation, la reversion, l’adjonction, la disjonction, et la périphrase.

Répétition.

La Répétition, figure propre à exprimer le caractère d’une passion fougueuse, d’un sentiment vif et profond, consiste à répéter plusieurs fois avec grâce les mêmes expressions. Voyez le bel effet que produit cette figure dans cet endroit de la tragédie de Zaïre par Voltaire. C’est Lusignan qui parle à Zaïre.

Ma fille, tendre objet de mes dernières peines,
Songe au moins, songe au sang qui coule dans tes veines.
C’est le sang de vingt Rois tous chrétiens comme moi ;
C’est le sang des Héros défenseurs de ma loi ;
C’est le sang des martyrs…… ô fille encor trop chère,
Connais-tu ton destin ? Sais-tu quelle est ta mère ?
Sais-tu bien qu’à l’instant que son flanc mit au jour
Ce triste et dernier fruit d’un malheureux amour,
Je la vis massacrer par la main forcenée,
Par la main des brigands à qui tu t’es donnée ?
Tes frères, ces martyrs égorgés à mes yeux,
T’ouvrent leurs bras sanglants tendus du haut des cieux.
Ton Dieu que tu trahis, ton Dieu que tu blasphèmes,
Pour toi, pour l’Univers est mort en ces lieux mêmes,
En ces lieux, où mon bras le servit tant de fois,
En ces lieux, où son sang te parle par ma voix.
Vois ces murs, vois ce temple envahi par tes maîtres ;
Tout annonce le Dieu qu’ont vengé tes ancêtres.
Tourne les yeux ; sa tombe est près de ce palais :
C’est ici la montagne, où lavant nos forfaits,
Il voulut expirer sous les coups de l’impie :
C’est là que de sa tombe il rappela sa vie.
Tu ne saurais marcher dans cet auguste lieu,
Tu n’y peux faire un pas, sans y trouver ton Dieu ;
Et tu n’y peux rester, sans renier ton père,
Ton honneur qui te parle, et ton Dieu qui t’éclaire.

La répétition des conjonctions sert souvent à peindre avec plus d’agrément et d’énergie ; comme on le voit dans ces vers du Lutrin :

Il terrasse lui seul et Guibert, et Grasset,
Et Gorillon la basse, et Grandin le fausset,
Et Gerbais l’agréable, et Guérin l’insipide.

Dans cette phrase de La Bruyère :

« Un sot ni n’entre, ni ne sort, ni ne s’assied, ni ne se lève, ni ne se tait, ni n’est sur ses jambes comme un homme d’esprit ».

Et dans cet endroit d’un sermon de Massillon. C’est d’un Prince ambitieux qu’il parle.

« Sa gloire sera toujours souillée de sang. Quelque insensé chantera peut-être ses victoires : mais les provinces, les villes, les campagnes en pleureront. On lui dressera des monuments superbes pour immortaliser ses conquêtes : mais les cendres encore fumantes de tant de villes autrefois florissantes ; mais la désolation de tant de campagnes dépouillées de leur ancienne beauté ; mais les ruines de tant de murs, sous lesquelles des citoyens paisibles ont été ensevelis ; mais tant de calamités qui subsisteront après lui, seront des monuments lugubres qui immortaliseront sa vanité et sa folie. »

Conversion.

La Conversion est une espèce de répétition, qui termine les divers membres d’une période par le même tour. C’est ainsi que Cicéron dit dans une de ses Oraisons contre Antoine :

« Vous avez perdu trois grandes armées ; c’est Antoinea qui les a fait périr : vous regrettez les plus grands hommes de la république ; c’est Antoine qui vous les a ravis : l’autorité du Sénat est anéantie ; c’est Antoine qui l’a détruite. »

Complexion.

La Complexion est une répétition, dans laquelle on finit par les mêmes paroles. Tel est cet endroit d’un Sermon du Père Bourdaloue :

« Tout l’Univers est rempli de l’esprit du monde : on juge selon l’esprit du monde : on agit et l’on se gouverne selon l’esprit du monde : le dirai-je ? On voudroit même servir Dieu selon l’esprit du monde. »

Gradation.

La Gradation consiste à présenter une suite d’idées, d’images ou de sentiments, qui enchérissent les uns sur les autres. Il y a une double gradation dans cet endroit d’une Oraison de Cicéron :

« C’est un crime de mettre aux fers un citoyen romain ; c’est une scélératesse de le faire battre de verges ; c’est presque un parricide de le mettre à mort. Que dirai-je donc, de l’avoir fait attacher à une croix ? »

Reversion.

La Reversion fait revenir les mots sur eux-mêmes avec un sens différent, comme dans cet exemple :

« Nous ne devons pas juger des règles et des devoirs, par les mœurs et par les usages : mais nous devons juger des usages et des mœurs, par les devoirs et par les règles. Donc c’est la loi de Dieu qui doit être la règle constante du temps, et non pas la variation des temps qui doit devenir la règle de la loi de Dieu. »

Et dans celui-ci : « Il ne faut pas vivre pour manger : mais il faut manger pour vivre. »

Adjonction.

L’Adjonction, différente de la répétition, consiste à n’exprimer qu’une fois ce à quoi plusieurs parties d’une phrase se rapportent. Tel est le mot cessent dans ces vers de La Fontaine :

Ainsi dit : ainsi fait. Les mains cessent de prendre,
Les bras d’agir, les jambes de marcher.

Tels sont les mots faut-il vous rappeler, dans ces beaux vers de la Tragédie d’Athalie, par Racine :

Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours
Des prodiges fameux accomplis en nos jours ;
Des tyrans d’Israëla les célèbres disgrâces,
Et Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces ;
L’impie Achabb détruit, et de son sang trempé
Le champ que par le meurtre il avait usurpé ;
Près de ce champ fatal, Jezabelc immolée,
Sous les pieds des chevaux cette Reine foulée ;
Dans son sang inhumain les chiens désaltérés,
Et de son corps hideux les membres déchirés ;
Des Prophètes menteurs la troupe confondue,
Et la flamme du ciel sur l’autel descendue ;
Elled aux éléments parlant en souverain ;
Les cieux par lui fermés et devenus d’airain ;
Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée ;
Les morts se ranimant à la voix d’Éliséee ?
Disjonction.

La Disjonction supprime les particules conjonctives, pour rendre le discours plus vif et plus animé. En voici un exemple tiré de l’Oraison funèbre de Turenne a, par Mascaron :

« Les dehors même de la guerre, le son des instruments, l’éclat des armes, l’ordre des troupes, le silence des soldats, l’ardeur de la mêlée, le commencement, les progrès et la consommation de la victoire, les cris différents des vaincus et des vainqueurs attaquent l’âme par tant d’endroits, qu’enlevée à tout ce qu’elle a de sagesse et de modération, elle ne connaît plus Dieu ni elle-même. »

Périphrase.

La Périphrase ou Circonlocution est d’un fréquent usage chez les Orateurs et les Poètes. Ils l’emploient pour étendre, orner, ennoblir une idée simple et souvent commune. C’est ainsi que Boileau s’est servi d’un tour très noble et très harmonieux, pour dire qu’il avait cinquante-huit ans accomplis.

Mais aujourd’hui qu’enfin la vieillesse venue,
Sous mes faux cheveux blonds déjà toute chenue,
A jeté sur ma tête avec ses doigts pesants,
Onze lustres complets surchargés de trois ans.

Mascaron, pour dire que Turenne avait été enseveli dans le tombeau de nos Rois, a employé cette belle périphrase :

« Le Roi, pour donner une marque immortelle de l’estime et de l’amitié dont il honorait ce grand Capitaine, donne une place illustre à ses glorieuses cendres, parmi ces Maîtres de la terre, qui conservent encore, dans la magnificence de leurs tombeaux, une image de celle de leurs trônes. »

II.

Des figures de mots qui sont Tropes.

Les principales figures de mots qu’on nomme tropes, sont la métaphore, l’allégorie, la métonymie, la synecdoque, l’ironie et l’hyperbole.

Métaphore.

Tous les tropes sont, à proprement parler, autant de métaphores, puisqu’ils sont des mots dont on a changé la signification propre, pour leur en donner une qui est empruntée. Cependant on appelle métaphore seulement, une espèce de trope, par lequel on transporte un mot de sa signification propre à une signification nouvelle, qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui est dans l’esprit. Par exemple, quand on dit : cette campagne est riante, le mot riante n’a plus sa signification propre et primitive, ne signifiant plus qui rit. Mais il signifie agréable à la vue ; et cela, par comparaison entre le sens propre du mot riante, qui ne peut s’appliquer qu’aux personnes, et entre le plaisir que cause la vue d’une belle campagne. Cette comparaison enveloppée que renferme la métaphore, donne une idée de plus, et fait par-là une beauté.

Mais quoiqu’il soit de l’essence de la métaphore de renfermer une comparaison, l’une et l’autre ne doivent pas être confondues. Qu’on dise d’un guerrier : il s’élançait comme un lion au milieu des ennemis ; c’est une comparaison : elle est exprimée par les termes mêmes. Qu’on dise de ce guerrier : ce lion s’élançait au milieu des ennemis ; c’est une métaphore. La comparaison n’est alors que dans l’esprit : aucun terme ne l’exprime.

La disette des mots propres a d’abord donné lieu aux métaphores : elles ont ensuite servi à grossir les trésors de l’éloquence et de la poésie. La métaphore en effet est une des figures qui donnent le plus de grâce, de force et de noblesse au discours, pourvu qu’elle soit employée à propos, avec goût et avec justesse. On dit fort bien, par exemple, que la géographie et la chronologie sont les deux yeux de l’histoire, parce qu’en la personnifiant, on doit nécessairement lui supposer des yeux, par l’un desquels elle voit les lieux, et par l’autre, les temps. Mais un écrivain qui a du goût et de la justesse dans l’esprit, ne dira point que les rayons du soleil sont les éclairs de l’œil ardent du jour. Bien moins encore appellera-t-il un cadran, le greffier solaire.

On ne doit jamais tirer la métaphore d’aucun objet bas et dégoûtant. Le P. de Colonia jésuite, dans sa rhétorique latine, reproche avec raison à Tertullien d’appeler le déluge universel, la lessive de la nature . Mais en évitant cet excès, il faut prendre garde de ne pas tomber dans l’excès contraire. Toute métaphore trop hardie est vicieuse. Telle est celle qu’emploie Corneille dans sa Tragédie d’Héraclius, lorsqu’il dit :

La vapeur de mon sang ira grossir la foudre.

Elle est trop forte : elle est gigantesque. Dites-en autant de celle-ci de J.-B. Rousseau :

Arbres dépouillés de verdure,
Malheureux cadavres des Bois

Si les idées qu’excitent les termes métaphoriques, ne peuvent pas être liées, la métaphore est défectueuse. On a reproché à Malherbe d’avoir dit dans son Ode à Louis XIII :

Prends ta foudre, Louis, et va comme un Lion.

Il falloit plutôt dire, comme Jupiter. Les idées de foudre et de lion ne peuvent point se concilier.

On a reproché aussi à J.-B. Rousseau d’avoir dit :

Et les jeunes zéphirs de leurs chaudes haleines
Ont fondu l’écorce des eaux.

Fondre l’écorce ne peut point se dire au propre. Fondre se dit de la glace ou des métaux. On ne doit donc pas dire au figuré, fondre l’écorce des eaux. Racine n’est pas moins répréhensible d’avoir dit : vous verrez

Et de sang et de morts vos campagnes jonchées.

On dit bien dans le sens métaphorique des campagnes jonchées de morts. Mais on ne peut pas dire des campagnes jonchées de sang : elles ne peuvent qu’en être arrosées.

Allégorie.

L’Allégorie n’est qu’une métaphore continuée : elle sert de comparaison, pour donner à entendre un sens qui n’est point exprimé, mais qui est celui que l’Auteur a dans l’esprit. Toutes les images y sont relatives au même sujet, et dépendantes de la même métaphore. L’Ode suivante d’Horace en est un bien bel exemple.

« L’infortuné vaisseau, tu vas donc t’exposer à de nouvelles tempêtes ! ah ! que fais-tu ? Demeure bien ancré dans le port. Ne vois-tu pas que tes bancs sont dégarnis de rames ; que ton mât et tes vergues. Fracassées plient encore sous l’effort des vents, et que tu manques de cordages, pour soutenir la violence et l’impétuosité des flots ? Il ne te reste pas seulement une voile qui soit entière. Tu n’as plus même des Dieux, que tu puisses invoquer dans le besoin. Construit du bois d’une des plus fameuses forêts de Ponta, en vain voudrais-tu te prévaloir de ton nom et de ton origine. Les peintures, dont ta poupe est embellie, ne rassurent point le Pilote encore effrayé des dangers qu’il a courus. Si tu n’y prends garde, tu vas devenir le jouet des vents. Ah ! cher vaisseau, autrefois la cause de mes ennuis, aujourd’hui l’objet de mes regrets, de mes inquiétudes, ne te laisse point attirer par l’éclat séduisant des Cycladesa, et garde-toi d’aller t’engager dans les mers entrecoupées de ces îles. »

Sous l’image de ce vaisseau, le Poète représente la république Romaine, et sous celle des flots et des vents déchaînés, les troubles qui l’agitaient, et les périls dont elle était menacée.

Métonymie.

La Métonymie consiste à se servir d’un nom pour un autre, lorsqu’il y a entre ces deux noms un rapport de relation. Cette manière de s’exprimer se fait en prenant ;

1°. La cause pour l’effet, l’auteur de la chose pour la chose même : = vivre de son travail, c’est-à-dire de ce qu’on gagne en travaillant : = lire Cicéron, c’est-à-dire les ouvrages de Cicéron. C’est en ce sens qu’en parlant des Dieux du paganisme, on prend Vulcain, pour le feu : Mars, pour la guerre ; Neptune, pour la mer ; Apollon, pour la poésie, etc.

2°. L’effet pour la cause ; comme lorsqu’Ovide dit que le Mont Pélionb n’a point d’ombres, c’est-à-dire, d’arbres.

3°. Le contenant pour le contenu ; par exemple, l’Europe, pour les peuples de l’Europe ; la bouteille, pour le vin.

4°. Le signe pour la chose signifiée ; comme le sceptre, pour la royauté ; l’épée, pour la profession militaire ; la robe, pour la magistrature ; comme aussi lorsqu’on désigne les Provinces unies des Pays-Bas, par le Lion belgique ; l’Allemagne, par l’Aigle germanique ; l’Angleterre, par les Léopards ; la France, par les Lys, etc.

On doit rapporter à cette figure ces expressions ; il a du cœur, pour dire il a du courage ; le portique, lieu où Zénon enseignait sa philosophie, pour sa philosophie même ; le lycée, lieu où Aristote donnait ses leçons, pour sa doctrine même.

Synecdoque.

La Synecdoque est une espèce de métonymie : elle fait concevoir à l’esprit plus ou moins que le mot dont on se sert, ne signifie dans le sens propre. On l’emploie, en prenant :

1°. La partie pour le tout, ou le tout pour la partie ; comme lorsqu’on dit les foyers rustiques, pour les maisons rustiques ; dix hivers, pour dix années ; une tête chère, pour une personne chérie et précieuse lorsque l’on emploie le nom d’un fleuve pour celui du peuple dont il arrose le pays ; comme le Tibre, pour les Romains ; la Seine, pour les Français ; le Tage, pour les Espagnols, etc. C’est ainsi que Boileau a dit :

Chaque climat produit des favoris de Marsa :
La Seine ab des Bourbons, le Tibre ac des Césars.

2°. Le genre pour l’espèce ; comme lorsque par le mot mortels, on entend seulement les hommes, quoique tous les êtres animés soient sujets à la mort : ou l’espèce pour le genre ; comme lorsque les poètes Grecs et les Latins se sont servis du mot Tempé, nom d’une plaine de la Thessalie, pour marquer toutes sortes de belles campagnes.

3°. La matière dont la chose est faite, pour la chose même ; comme fer, pour épée : airain, pour canons. C’est ainsi que Boileau dit :

L’airain sur ces monts terribles
Vomit le fer et la mort.

Il y a une autre espèce de Synecdoque, par laquelle on prend un nom propre pour un nom commun ou pour un adjectif ; comme lorsqu’on dit d’un homme voluptueux : c’est un sardanapale a ; d’un Prince cruel et sanguinaire : c’est un Néron b.

Ironie.

L’Ironie cache un sens opposé au sens propre et littéral qu’expriment les paroles. Par cette figure on dit tout le contraire de ce qu’on pense, et de ce qu’on veut faire penser aux autres. Juvénal en fournit un exemple dans cet endroit d’une de ses Satyres, en disant des Égyptiens :

« Des villes entières adorent des chiens ; et personne ne connaît Dianea. C’est un crime de manger des oignons et des porreaux : c’est un crime même d’y toucher. Ô les saintes gens ! il leur naît des divinités jusques dans leurs jardins. »

Boileau, en parlant de quelques Auteurs médiocres du siècle de Louis XIV, dit ironiquement :

Pradon, comme un soleil en nos ans a paru.
Pelletier écrit mieux qu’Ablancourt et Patru.
Cotin à ses sermons traînant toute la terre,
Fend les flots d’auditeurs pour aller à sa chaire.
Sofal est le phénix des esprits relevés.

Il faut être réservé sur l’emploi de cette figure. Elle ne plaît qu’autant qu’elle est enjouée, légère et badine. On peut l’employer dans toutes sortes de sujets. Homère et Virgile s’en sont servis dans la poésie épique. Nos Poëtes tragiques en ont fait aussi usage. C’est ironiquement que dans le Cid, le Comte dit à Dom Diègue :

À de plus hauts partis Rodrigue doit prétendre.

Dans l’Alexandre de Racine, Axiane dit sur le même ton à Taxile :

                        Approche, puissant Roi,
Grand Monarque de l’Inde ; on parle ici de toi.

Le discours qu’Hermione tient à Pyrrhus dans l’Andromaque du même Poète, act. 4, scen. 5, est aussi une ironie soutenue. Il faut cependant observer que cette figure doit être sobrement employée dans la Tragédie. L’éloquence la souffre davantage : Démosthène et Cicéron, nos Orateurs même sacrés s’en sont servis avec succès.

Hyperbole.

L’Hyperbole exagère les choses, soit en augmentant, soit en diminuant. Elle emploie des mots, qui pris à la lettre, vont beaucoup au-delà de la vérité, mais qui sont réduits à leur juste valeur par ceux qui nous entendent. On dit par hyperbole d’un cheval qui va extrêmement vite : il va plus vite que le vent ; et d’une personne qui marche avec une extrême lenteur : elle va comme une tortue. Virgile emploie cette figure, lorsqu’en parlant de l’Amazone Camille a, il dit pour exprimer sa légèreté à la course :

« Plus rapide que le vent, elle aurait pu voler sur un champ couvert d’herbes hautes ou d’épis, sans les faire plier sous ses pas, ou se frayer une route au milieu de la mer, et courir sur les flots, sans mouiller ses pieds légers. »

Malherbe, dans son Ode à Louis XIII, dit aussi par hyperbole, pour peindre les temps heureux qu’il lui promet :

La terre en tous endroits produira toutes choses ;
Tous métaux seront or, toutes fleurs seront roses ;
          Tous arbres oliviers.
L’an n’aura plus d’hiver, le jour n’aura plus d’ombre ;
          Et les perles sans nombre
Germeront dans la Seine au milieu des graviers.

On avait promis mille écus à celui qui ferait le meilleur quatrain sur les victoires du Grand Condé. Un Poète venu des rives de la Garonne, gagna le prix par les vers suivants, dont la pensée n’est pas moins ingénieuse qu’hyperbolique.

Pour célébrer tant de vertus,
Tant de hauts faits et tant de gloire,
Mille écus ! morbleu, mille écus !
Ce n’est pas un sou par victoire.

Il faut se servir avec ménagement de cette figure, qui ne doit jamais être trop hardie, et encore moins outrée. Quand vous la mettrez en usage, ne vous laissez jamais emporter hors des règles et de la justesse.

Voilà les principales figures de mots, qu’il est important de connaître d’une manière particulière. Quant aux figures de pensées, il y a un si grand rapport entre elles et les différentes espèces de style, que je crois devoir en parler conjointement. C’est ce que je vais faire dans le Chapitre qui suit.