(1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome I (3e éd.) « Première partie. De l’Art de bien écrire. — Section I. De l’Art d’écrire correctement. — Chapitre II. De l’arrangement des Mots. » pp. 87-179
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(1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome I (3e éd.) « Première partie. De l’Art de bien écrire. — Section I. De l’Art d’écrire correctement. — Chapitre II. De l’arrangement des Mots. » pp. 87-179

Chapitre II.

De l’arrangement des Mots.

Plusieurs mots joints ensemble, et formant un sens, composent la phrase : = La modestie est au vrai mérite, ce que les ombres sont aux figures dans un tableau : = L’esprit de politesse est une certaine attention à faire que, par nos paroles et nos manières, les autres soient contents de nous et d’eux-mêmes.

L’arrangement des mots et la construction des phrases, suivant les règles de la grammaire, sont ce qu’on appelle syntaxe. Avant d’exposer ces règles relativement à chaque espèce de mots, il est essentiel d’observer que, dans le discours, un nom peut être employé de trois manières : 1°. au vocatif, mot qui vient du mot latin vocare, signifiant appeler : 2°. en sujet : 3°. en régime.

Un nom est au vocatif, quand, par ce nom, on adresse la parole à une personne ou à une chose : = Souviens-toi, ô homme, que tu es poussière : = Glaive du Seigneur, quel coup venez-vous de frapper ! Dans ces phrases, homme et glaive sont au vocatif.

Un nom est employé en sujet, quand, par ce nom, on désigne la personne ou la chose, qui, comme je l’ai dit ailleurs, est le principe de l’action exprimée par le verbe. Il est employé en régime, lorsqu’il désigne l’objet ou le terme de cette action. Mais ce n’est point encore là une définition entière et complète de ce qu’on appelle régime dans le discours. La voici :

Du Régime.

Tous les mots qui composent une phrase, ont nécessairement un certain rapport entre eux, et dépendent les uns des autres. Mais il y en a toujours quelques-uns, dont le rapport et la dépendance sont plus marqués. Ce sont les mots qui régissent, et ceux qui sont régis. Je définirai donc le régime en général, un mot auquel la signification d’un autre mot, dont il dépend (celui-ci est le régissant), a particulièrement rapport : = Le luxe entraîne presque toujours la corruption des mœurs : = Le vrai chrétien désire le bonheur de ses ennemis. Ici les mots corruption, bonheur, dépendent des mots entraîne, désire ; et la signification de ceux-ci tombe particulièrement sur les premiers. Par conséquent ; les mots corruption, bonheur, sont les régimes des mots entraîne, désire, qui en sont les régissans. Dites-en autant des mots, mœurs, ennemis, relativement aux mots, corruption, bonheur.

On doit juger, par ce seul exemple, que les noms substantifs peuvent être régimes et régissants. Il en est de même des noms adjectifs, des pronoms et des verbes. En voici des exemples : = À la lecture de ce discours, on reconnaît le plus éloquent de nos orateurs. Voilà l’adjectif éloquent, régime du verbe reconnaît, et en même temps régissant du substantif orateurs. J’ai acheté les deux ouvrages nouveaux, et je lis en ce moment celui de votre ami. Voilà le pronom celui, régime du verbe lis, et en même temps régissant du substantif ami : = Votre frère veut un peu trop tard apprendre à danser. Voilà le verbe apprendre, régime du verbe veut, et en même temps régissant du verbe danser. Les prépositions sont toujours, et de leur nature, des mots régissants.

Régime simple, régime composé.

Il y a deux sortes de régimes, dont il est très important de bien saisir la différence ; le régime simple ou absolu, et le régime composé ou relatif.

Le régime est simple, quand il y a un rapport direct entre le mot régi, et le mot régissant : il n’est jamais précédé d’aucune préposition exprimée ou sous-entendue : = Cultivons les arts, et lisons les beaux ouvrages. Ici l’action de cultiver, et celle de lire se rapportent ou se terminent directement aux arts et aux beaux ouvrages. Ainsi ce régime ne peut convenir qu’au verbe actif.

Le régime est composé, quand il n’y a qu’un rapport indirect entre le mot régi et le régissant : il est toujours précédé d’une préposition exprimée ou sous-entendue : = Profitons de l’exemple qui nous est offert. Le mot exemple a sa préposition exprimée, et nous l’a sous-entendue, puisqu’on peut le tourner par à nous. Ici l’action de profiter et celle d’offrir ne se rapportent ou ne se terminent qu’indirectement aux mots exemple et nous.

Il arrive souvent qu’un nom substantif, quoique de le précède, est en régime simple, parce qu’alors de n’est que le particule. C’est pourquoi il faut ne pas confondre de particule, avec de préposition : voici pour cela un principe sûr.

Quand un nom substantif, que de précède, peut répondre à la question qui ? ou quoi ? il est en régime simple ; et de est alors particule. Quand ce même nom peut répondre à la question de qui ? ou de quoi ? il est en régime composé ; et de est alors préposition. Dans cette phrase : Il est quelquefois permis de manger de la viande en carême ; viande est en régime simple, et de est particule, parce qu’on peut dire : il est quelquefois permis de manger, quoi ? de la viande. Dans celle-ci : il faut s’abstenir de la viande en carême ; viande est en régime composé, et de est préposition, parce qu’on peut dire, il faut s’abstenir, de quoi ? de la viande.

Article I.

Observations sur l’Article.

L’article devant être placé avant les noms, pour leur donner un sens précis et déterminé, il s’ensuit que les noms qu’on emploie dans un sens vague et indéterminé, n’ont pas besoin de l’article, ainsi qu’on le voit dans ces vers de Corneille :

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire…..
Vous parlez en soldat : je dois agir en roi.

Dans le premier vers, le poète n’exprime que vaguement et indéterminément le péril qu’il y a à vaincre, la gloire qu’il y a à triompher. Dans le second vers, il ne désigne ni les soldats, les rois pris universellement ; ni aucun soldat, aucun roi pris individuellement.

Suppression de l’article.

On supprime encore l’article avant les noms communs, pris dans une partie indéterminée de leur signification, lorsque ces noms sont précédés de leur adjectif, ou d’un adverbe qui renferme une idée de quantité : = Quand on a des connaissances étendues, de grands sentiments, et beaucoup de jugement, on peut se consoler d’avoir peu de fortune. Les noms substantifs, connaissances, sentiments, jugement, fortune, sont pris ici dans un sens partitif et indéterminé, puisqu’on prétend désigner, non toutes les connaissances, tous les sentiments, tous le jugement, toute la fortune imaginables ; mais seulement quelques connaissances, quelques sentiments, quelque portion de jugement et de fortune, sans vouloir cependant les spécifier. Je mets donc l’article particulé des pour de les, avant connaissances, parce que ce nom n’est point précédé de son adjectif ; et par la raison contraire, je le supprime avant sentiments. Je le supprime aussi avant jugement et fortune, parce que ces noms sont précédés des adverbes de quantité, peu, beaucoup.

Ainsi Racine a fait une faute, en disant dans sa tragédie de Mithridate ; qui sait si ce roi

N’accuse point le ciel qui le laisse outrager,
Et des indignes fils qui n’osent le venger.

Il aurait fallu d’indignes fils.

J’ai dit que les noms substantifs, précédés de leur adjectif, et avant lesquels on supprime l’article, doivent être pris dans un sens partitif et indéterminé ; comme dans cet exemple : Cet homme n’est pas dépourvu de grands talents. Mais s’ils sont employés dans un sens déterminé, il faut mettre l’article : = Cet homme n’est pas dépourvu des grands talents qu’exige sa place. Le substantif, talents, a ici un sens déterminé, que ces mots, qu’exige sa place, servent à lui donner.

On dira aussi sans l’article : ce marchand a fait l’acquisition de belles étoffes, qu’il a achetées à un pris modique ; parce que le substantif, étoffes, est pris dans un sens indéterminé. Ces mots, qu’il a achetées à un prix modique, ne renfermant qu’une idée accessoire, qui n’est pas nécessairement liée à la première, ne peuvent servir à donner à ce substantif une signification déterminée. Mais on dira avec l’article : ce marchand s’est défait avantageusement des belles étoffes qu’il avait achetées à un prix modique. Le substantif, étoffes, est employé ici dans un sens déterminé, que ces mots, qu’il avait achetées à un prix modique, servent à lui donner, parce qu’ils renferment une idée nécessairement liée à la première.

La règle, que je viens d’exposer, est sûre, et ne souffre que deux exceptions :

Emploi de l’article.

1°. Quant à l’adjectif qui précéde son substantif, lorsqu’ils forment tous deux un sens indivisible. Il faut alors mettre l’article : = Cet homme a des belles-lettres ; c’est-à-dire, de la littérature ; = il voit des beaux esprits, des grands Seigneurs ; c’est-à-dire, des gens de lettres, des gens de qualité.

2°. Quant aux adverbes de quantité pas et point, lorsque, sans influer sur le nom substantif qu’ils précédent, ils tombent sur un autre mot. On doit alors employer l’article, comme l’a fait Racine dans ce vers de sa tragédie de Bajazet :

Je ne vous ferai point des reproches frivoles.

c’est Roxane qui parle à Bajazet, à qui elle fait des reproches dans toute cette scène. Elle ne veut donc pas dire qu’elle ne lui fera point de reproches ; mais qu’elle ne lui fera point de ces reproches qui ne seraient que frivoles. Ainsi l’adverbe point n’influe pas sur le substantif reproches : il ne tombe que sur le verbe ferai. La même remarque doit avoir lieu sur ce vers du même poète, dans sa tragédie de Phèdre :

Madame, je n’ai point des sentiments si bas.
c’est-à-dire, de ces sentiments qui seraient si bas.

Bien, mis pour beaucoup, n’est pas précisément un adverbe qui renferme une idée de quantité : mais il signifie seulement en abondance, largement. Ainsi il doit être suivi de l’article : = Cet homme a beaucoup de vertu, et bien de la vertu ; beaucoup de courage, et bien du courage.

Remarque essentielle.

Il y a encore une observation bien essentielle à faire sur cette règle, qui veut qu’on n’emploie pas l’article avant un nom précédé de son adjectif. Elle ne souffre à cet égard aucune difficulté, quand ce nom est au pluriel. Mais doit-elle être observée, quand ce nom est au singulier ? C’est ce que les grammairiens n’ont pas dit.

Restaut, observateur de cette règle, n’emploie pas l’article : il dit dans sa Grammaire, pag. 465 et 466 : de bon pain et de bonne eau suffisent pour la nourriture du corps humain. Les gens de guerre sont souvent réduits à de mauvais pain et à de mauvaise viande. Pour bien écrire, il faut de bon papier et de bonne encore.

L’abbé Girard au contraire, violateur de cette règle, fait usage de l’article : il dit, dans ses Principes de la langue française, tom. 2, pag. 22 : j’ai fait ce matin de la bonne besogne. Venons à une autorité bien plus respectable, et la seule capable de fixer notre incertitude.

L’Académie française, dans son Dictionnaire, édit. de Paris 1762, dit au mot papier : du grand papier ; du petit papier ; et au mot viande, elle dit : de bonne viande ; de belle viande. Pourquoi le premier nom est-il précédé de l’article particulé du ? et pourquoi le second n’est-il précédé que de la particule de ? Dirait-on que c’est à cause de la différence du genre, différence qui, comme cela arrive quelquefois, pourrait ici changer la règle établie ? Mais la même Académie, dans le même ouvrage, après avoir employé l’article avant un nom masculin, le supprime avant un autre nom de ce genre : après avoir dit, du petit papier, elle dit au mot sang : cela fait faire de mauvais sang. Ne sommes-nous donc pas en droit de conclure que cette règle ne regarde point les noms qui sont au singulier, et qu’on peut indifféremment employer, ou ne pas employer l’article avant ces noms ?

Observation sur une remarque de Wailly

Wailly, qui m’a cité dans la nouvelle édition de sa Grammaire (1786), touche légèrement cette question, pag. 123 ; et il tranche la difficulté, en disant qu’il faut regarder du grand papier, comme une faute d’impression. Mais dans ce même Dictionnaire, même édit. de Paris 1762, nous lisons au mot écrire : On dit figurément et familièrement écrire de bonne encre, de la bonne encre à quelqu’un, pour dire, lui écrire fortement sur quelque chose. Nous lisons au mot encre : on dit figurément et familièrement, écrire de bonne encre, de la bonne encre à quelqu’un, pour dire, en termes forts et pressants, et même menaçants . Faudra-t-il aussi regarder cet exemple, rapporté en deux endroits différents, comme une faute d’impression ? J’en citerai ici un autre, où un substantif singulier, sans adjectif, est mis avec l’article et sans l’article. La même Académie dit au mot faire : il ne faut faire de peine, de la peine à personne.

Autre emploi de l’article.

Quoiqu’on emploie principalement l’article, pour déterminer la signification des noms communs, soit, comme je l’ai dit ailleurs, qu’on veuille par ces noms exprimer toute une espèce de choses, soit qu’on ne veuille désigner qu’une ou plusieurs parties de cette espèce, on le met cependant quelquefois avant les noms propres d’hommes. Mais faut-il alors mettre ces noms au singulier, ou au pluriel ? Pour résoudre cette question, j’adopterai bien volontiers la distinction que fait l’abbé Girard. En voici le sens, avec les exemples qu’il cite.

Si ces substantifs ne servent, précisément, qu’à distinguer les personnes par leur nom, ils doivent être mis au singulier. On dira donc : les deux Corneille se sont distingués dans la républiques des lettres : = il est peu de magistrats aussi anciens dans la robe, que les Nicolaï, et les Lamoignon : = c’est ainsi que se sont conduits les plus grands capitaines, tels que les Scipion, les Turenne, et les Maurice. Mais si par ces noms de personne, on veut exprimer une qualité, on doit alors les mettre au pluriel. On dira donc : ces deux princes ont été les Alexandres de leur siècle : ils sont tous braves comme des Césars.

L’article accompagne encore les adjectifs placés avant ou après un nom propre. = Henri le Grand ; le grand Henri ; Louis le grand ; le grand Louis. Mais il est bon d’observer, après Duclos, que, dans ces cas, l’adjectif mis avec l’article avant le nom propre, ne sert qu’à qualifier cette personne dont on parle : placé après, il sert à la distinguer de celles qui portent le même nom. Ainsi, le riche Luculle, veut dire seulement, Luculle qui est riche, sans marquer qu’il y a plus d’un Luculle. Au contraire, Luculle le riche, marque qu’il y a plusieurs Luculle, dont celui-ci est distingué par ses richesses, étant comme le riche d’entre les Luculle.

Si un substantif est accompagné de plusieurs adjectifs, qui expriment des qualités opposées, il faut, avant chaque adjectif, répéter l’article, soit simple, soit particulé : = les pauvres et les riches citoyens sont égaux dans le sanctuaire de la justice : = votre ami a une profonde connaissance de la géographie ancienne et de la moderne. Mais si ces adjectifs n’expriment point des qualités opposées, on peut supprimer l’article avant le second. Ainsi l’on dira fort bien avec l’abbé Girard : les grands et vastes projets, joints à la prompte exécution, font le grand ministre .

L’article particulé se répète aussi avant plusieurs superlatifs relatifs, quand ils précèdent leur substantif. = Votre oncle vous a fait une donation de la plus grande, de la plus riche, de la plus belle terre qu’il possédait.

Suppression élégante de l’article.

Quoique l’article doive précéder les noms qu’on veut employer dans un sens précis et déterminé, on peut cependant le supprimer avant ces noms, pour rendre la diction plus vive. Quand on dit, par exemple : pauvreté n’est pas vice, on s’exprime bien plus vivement, que si l’on disait : la pauvreté n’est pas un vice. Voyez aussi cette phrase de Fléchier : citoyens, étrangers, ennemis, peuples, rois, empereurs le plaignent et le révèrent . Elle a bien plus de vivacité, d’énergie et de grâce, qu’elle n’en aurait eu, si l’orateur, faisant usage de l’article, avait dit : les citoyens, les étrangers, les ennemis, les peuples, les rois, les empereurs le plaignent et le révèrent.

On verra également en mille occasions, que la suppression ou l’emploi de l’article, avant un nom substantif, précédé d’un verbe, change entièrement le sens de l’expression. Par exemple, entendre la raillerie, signifie savoir bien railler. Entendre raillerie, signifie souffrir les railleries sans se fâcher.

Le, quelquefois article, quelquefois formant un adverbe.

Remarquons ici que le, placé avant plus, moins, mieux, suivis d’un adjectif, est quelquefois article, et quelquefois ne l’est pas. Si cet adjectif n’emporte pas proprement de comparaison, le n’est pas article. Mais il forme un adverbe avec plus, moins, ou mieux, et ne prend, par conséquent, ni genre ni nombre : = ne nous lassons point de faire du bien à nos semblables, lors même qu’ils sont le plus ingrats. On voit ici que l’ingratitude des hommes, dont il est question, n’est point comparée à celle de quelques autres hommes. D’ailleurs, l’article doit toujours accompagner immédiatement un nom substantif exprimé ou sous-entendu. Or il n’y en a point avant le plus ingrats.

Si l’adjectif superlatif exprime un rapport, une comparaison, le est article, et prend le genre et le nombre : = on ne condamna pas tous les criminels ; on punit seulement les plus coupables. Ici le superlatif renferme une comparaison ; et le substantif criminels est sous-entendu avant les plus coupables.

Article II.

Observations sur le Substantif et l’Adjectif.

Accord du substantif et de l’adjectif.

L’adjectif doit se mettre au même genre et au même nombre que le substantif auquel il se rapporte. Les participes suivent la règle des adjectifs, lorsqu’ils en font les fonctions : = je connais des hommes savants, des femmes prudentes : = j’ai lu un discours bien écrit, une tragédie bien conduite. Cette règle a quelques exceptions.

Exceptions à cette règle.

L’adjectif nu ne prend ni genre ni nombre en certaines occasions. On dit, nu-pieds, nu-jambes, nu-tête. Mais si on le place après ces substantifs, il faut suivre la règle ordinaire, et dire, les pieds nus, les jambes nues, la tête nue.

Demi, avant son substantif, est aussi sans genre et sans nombre : = une demi-heure ; une demi-douzaine. Mais si on le met après, on le construit en genre avec le substantif, auquel il est lié par la conjonction et : = une heure et demie ; une douzaine et demie. Cet adjectif n’a point de pluriel : mais, suivant l’Académie, il s’emploie quelquefois comme substantif ; et alors il reçoit ce nombre. Ainsi l’on dit : cette horloge, cette montre sonne les heures et les demies : = la demie est-elle sonnée ?

L’adjectif feu, feue, qui n’a jamais de pluriel, ne prend point de genre, lorsqu’il est mis avant l’article ou un pronom possessif : = feu la reine ; feu votre mère. S’il est mis après, il prend le genre : la feue reine ; votre feue mère.

Il y a des adjectifs qui sont pris adverbialement, et alors ils sont toujours au masculin : = cette femme chante faux : = elle parle haut : = elles restèrent court.

Adjectif se rapportant à plusieurs substantifs.

Si l’adjectif se rapporte à plusieurs substantifs, quoiqu’au singulier et de divers genres, on le met au pluriel et au genre masculin, comme étant un genre plus noble que le féminin : = j’ai vu votre père et votre mère très contents de vous. Si, néanmoins, ces substantifs sont de choses inanimées, et qu’ils soient immédiatement suivis de l’adjectif, celui-ci prend alors le genre et le nombre du dernier substantif : = ce général avait dans son armée un pouvoir, et une autorité absolue. Il serait contre le bon usage de dire : un pouvoir et une autorité absolus.

L’adjectif qui se rapporte au pronom vous, et joint à un verbe qui est au pluriel, se met au singulier, quand on n’adresse la parole qu’à une personne. On dira donc en ce sens : vous êtes sage et modeste, et non sages et modestes.

Construction des adjectifs qui sont au comparatif ou au superlatif.

On construit les adjectifs qui sont au comparatif, ou au superlatif, de la même manière que quand ils n’y sont point. Ainsi de même que l’on diroit : Paris est une des villes considérables de l’Europe ; il faut dire : Paris est une des villes les plus considérables de l’Europe, et non, des plus considérables.

Dites également : la science relative à l’état que nous devons embrasser, est un des objets les plus dignes de notre application, et non, le plus digne, comme le prétend Restaut. Son sentiment a été désapprouvé par tous les Grammairiens. Il est en effet contraire à la règle, qui veut qu’un adjectif s’accorde avec le substantif auquel il se rapporte. Or dans l’exemple cité, dignes se rapporte à objets, et non au mot un, parce que le sens de cette phrase n’est, ni ne peut être, que cette science est l’objet le plus digne de notre application. On veut dire seulement qu’elle doit être mise au nombre des objets qui sont les plus dignes de notre application.

C’est par cette même raison que l’on dira : voilà un des hommes qui ont le mieux servi l’État ; une des femmes qui ont le plus d’esprit ; un des plus beaux ouvrages qui aient été publiés depuis longtemps.

Mais je dois observer ici que quelquefois ce relatif qui se rapporte au mot un, et qu’alors étant au singulier, il veut au même nombre le verbe dont il est le sujet. En voici des exemples : = c’est un de nos meilleurs grammairiens, qui a fait cette faute : = c’est un de nos plus grands généraux, qui a remporté cette victoire mémorable : = c’est un de nos plus habiles politiques, qui a établi la balance de l’Europe. Il est bien clair qu’on ne veut pas dire dans ces phrases que nos meilleurs grammairiens ont fait cette faute ; que nos plus grands généraux ont remporté cette victoire ; que nos plus habiles politiques ont établi la balance de l’Europe. Il n’est question ici que d’un seul de ces personnages, chacun dans son genre.

Place des adjectifs.

Il faut consulter l’oreille et l’harmonie, pour placer l’adjectif avant ou après son substantif Par exemple, quoiqu’on puisse dire indifféremment : un habit vieux, ou un vieux habit ; il faudra dire : un habit neuf, et non, un neuf habit, parce que cette dernière construction formerait un son désagréable à l’oreille.

Les participes, faisant la fonction des adjectifs, doivent en général être mis après leur substantif. Ainsi, au lieu de dire, un redouté monarque, dites, un monarque redouté.

Il en est de même des adjectifs qui expriment la figure, la couleur, la saveur, la matière, une qualité de l’ouïe et du tact. On dit, une table ronde ; une étoffe rouge ; une herbe amère ; un lambris doré ; une voix basse ; une église sonore ; un marbre dur ; un chemin pierreux, etc. Il y a cependant quelques circonstances, où cette règle n’est pas de rigueur, puisque l’on dit fort bien, une verte prairie ; la blanche colombe ; la molle arène ; une dure enclume, etc.

Il ne faut pas joindre à des substantifs, des adjectifs qui ne peuvent pas leur convenir. Par exemple, les adjectifs pardonnable et déplorable, se disent, suivant l’Académie, des choses, et non des personnes. On dira bien : votre faute n’est pas pardonnable : le sort de votre ami est déplorable. Mais on ne pourra pas dire : vous n’êtes pas pardonnable : votre ami est déplorable. Il faudrait plutôt dire : vous n’êtes pas excusable : votre ami est à plaindre. Ainsi ce vers de Racine n’est pas correct :

Vous voyez, devant vous, un prince déplorable.

Noms de nombre.

Quand un nom de nombre est précédé du pronom relatif en, on met élégamment la préposition de avant l’adjectif ou le participe qui se rapporte à ce nom : = on en compte trois de tués et six de blessés : = il y en a deux de médiocres et quatre de mauvais.

Les noms de nombre adjectifs, cent et vingt ont un pluriel. Ainsi l’on dit : vingt hommes, cent hommes, et quatre-vingts hommes, deux cents hommes. Mais s’ils précédent un autre nom de nombre, ils restent au singulier. Il faut donc les écrire sans s dans quatre-vingt-dix, deux cent cinquante, etc.

Mille, nom de nombre adjectif, n’a pas de pluriel, et par conséquent ne prend point s dans dix mille écus ; mille amitiés. On écrit mil pour la date des années : = l’hiver fut très rude en mil sept cent neuf.

Mais mille, nom substantif, signifiant une étendue de mille pas, a un pluriel. Ainsi il faut une s finale dans deux milles, trois milles d’Allemagne.

Les noms de nombre, deux, trois, et cinq, ne peuvent pas s’employer avec le substantif francs. Il faut dire : deux livres, trois livres, cinq livres.

Je remarquerai ici qu’on peut se servir de ce substantif, francs, avec tous les autres nombres, à moins qu’ils ne soient suivis d’une fraction. On peut dire : six francs, et l’on doit dire : six livres dix sous.

Article III.

Observations sur les Pronoms.

Il en est du pronom comme de l’adjectif. Il doit se mettre au même genre et au même nombre que le substantif, auquel il se rapporte : = un jeune homme docile ne se borne point à écouter les bons conseils qu’on lui donne ; il s’applique de plus à les mettre en pratique.

Si le pronom se rapporte à plusieurs substantifs, quoiqu’au singulier, et de divers genres, il faut le mettre au pluriel, et au genre masculin : = j’ai vu votre jardin et votre maison de campagne : ils sont fort beaux. Voilà les règles générales de construction. Mais il y a des remarques particulières à faire sur l’usage de la plupart des pronoms de notre langue.

I.

Usage des Pronoms substantifs.

Pronoms personnels.

Les pronoms personnels des deux premières personnes ne peuvent jamais désigner que des personnes, ou des choses personnifiées On sait que les pronoms, me, te, se, doivent être mis avant le verbe ; mais que quand le verbe est à l’impératif, et qu’il marque affirmation, me, suivi du mot en, se place après : = parlez-m’en : = donnez–m’en. Je remarquerai ici que l’Académie ne veut pas qu’il en soit de même du mot y. On ne dit point ; envoyez m’y, menez m’y. Il faut dire, je vous prie de m’y envoyer, de m’y mener, ou, envoyez-y moi, menez-y moi.

Les pronoms de la troisième personne servent à désigner les personnes et les choses inanimées. On dira donc, en parlant d’un homme, d’un arbre, d’une femme, d’une prairie : il est beau ; elle est belle.

Règles concernant les pronoms elle, eux, lui et leur.

Il faut, cependant, observer que les pronoms elle, eux, lui et leur, ne se disent point des choses inanimées, quand ils sont en régime simple, ou en régime composé. On ne dira pas, en parlant d’un crayon : c’est avec lui que j’ai fait ce dessein : d’un arbre : c’est lui qui porte de bons fruits : d’une montagne : c’est elle qui est fort escarpée : des vers d’un auteur : que pense-t-on d’eux ? d’une ou de plusieurs maisons : je lui ajouterai, ou je leur ajouterai un pavillon. Dans les trois premiers exemples, il faut répéter le nom, et dans les autres y suppléer par les pronoms en et y. Si l’on vous demande : est-ce là votre tabatière ? sont-ce là vos livres ? vous ne répondrez point : non, ce n’est pas elle : oui, ce sont eux. Mais vous répondrez : non, ce ne l’est pas : oui, ce les sont.

J’ajouterai que les pronoms lui, elle, ne s’emploient point avec la préposition de, lorsqu’ils se rapportent à un nom collectif, même de choses animées. On ne dira donc pas : nous vîmes ce peuple furieux, et nous nous approchâmes de lui : nous vîmes l’armée ennemie, et nous nous approchâmes d’elle. Il faudra dire dans les deux exemples : nous nous en approchâmes. Mais pourra-t-on dire : nous marchâmes à lui, vers lui : nous marchâmes à elle, vers elle ? Je serais porté à croire qu’on ne le peut pas, quoique je sois bien loin de l’affirmer.

Ces règles, concernant ces quatre pronoms, ne souffrent, en général, aucune difficulté. On peut néanmoins les employer, quand ils ont rapport à des choses inanimées qu’on personnifie : = c’est à l’amour-propre, c’est à lui seul que nous rapportons souvent toutes nos actions : = quand la vérité se montre, il faut lui rendre les armes, et nous devons tout sacrifier pour elle : = les torrents entraînent avec eux tout ce qu’ils rencontrent ; ils ne laissent après eux que du sable et des cailloux : = cette rivière entraîne avec elle tout ce qu’elle rencontre ; elle ne laisse après elle que du sable et du gravier.

L’usage veut aussi, qu’en parlant des plantes et des animaux, on emploie lui en régime composé, mais dont la préposition ne soit pas exprimée : il en est de même de leur : = cet arbre est trop chargé : ôtez-lui une partie de son fruit : = qu’on visite ces chevaux, et qu’on leur donne à manger.

On peut également employer lui et leur, en parlant de choses inanimées, quand ces pronoms sont joints à un verbe, qui ne convient proprement qu’aux personnes. On dira d’une maison, de plusieurs livres : je lui dois le rétablissement de ma santé : je leur dois mon instruction.

Règles concernant les pronoms soi et on.

Le pronom soi se dit des personnes en général.

On a souvent besoin d’un plus petit que soi…..
Obliger ses amis, c’est s’obliger soi-même.

Mais si l’on parle de quelqu’un en particulier, il faut se servir du pronom lui ou elle, selon le genre : = cet homme n’aime que lui. Ainsi il y a une faute dans cette phrase de Voltaire : Heureusement j’ai lu dans madame Dacier, qu’un homme peut parler avantageusement de soi, lorsqu’il est calomnié. Il fallait de lui.

Et dans ces vers du même auteur :

Ou mon amour me trompe, ou Zaïre, aujourd’hui,
Pour l’élever à soi, descendrait jusqu’à lui.

Il aurait fallu dire, pour l’élever à elle.

Racine a fait la même faute en disant de Thésée :

Jeune, charmant, traînant tous les cœurs après soi.

Ainsi que Boileau dans ces vers :

Mais souvent un auteur, qui se flatte et qui s’aime,
Méconnaît son génie et s’ignore soi-même.

On emploie encore le pronom soi en parlant des choses : = la vertu porte sa récompense avec soi : = ce remède est bon de soi. Mais si le nom auquel ce pronom se rapporte, est au pluriel, on fera beaucoup mieux de se servir du pronom eux-mêmes, elles-mêmes. Ainsi au lieu de dire : de soi, ces choses sont indifférentes ; on dira mieux : ces choses sont, d’elles-mêmes, indifférentes.

On ou l’on (il ne faut employer ce dernier, que pour éviter un son désagréable à l’oreille), est ordinairement masculin, et veut, par conséquent, l’adjectif de ce genre : = on est paresseux toute sa vie, quand on n’a pas pris de bonne heure le goût du travail.

Si, néanmoins, on parle précisément d’une femme, ou de son sexe en général, l’adjectif doit être mis au féminin. C’est ainsi qu’un de nos poètes dit à une dame :

On est plus jolie à présent……
Mais nous avons peu de Déesses.

Ce pronom est quelquefois un terme collectif : il veut alors l’adjectif au pluriel : = on se battit de part et d’autre en désespérés.

Il ne faut jamais répéter on avec deux rapports différents : = on croit n’être pas trompé ; et l’on nous trompe à tout moment. Cette phrase est vicieuse, parce que le premier on se rapporte à ceux qui ne croient pas être trompés, et le second à ceux qui trompent. Dites plutôt : on croit n’être pas trompé, et l’on est trompé à tout moment.

Règle concernant les pronoms le, y et en.

Le pronom le, se rapportant à un ou à plusieurs adjectifs, ne prend ni genre ni nombre. Une femme à qui l’on demande si elle est malade, doit donc répondre : oui je le suis, et non, je la suis, parce que malade est adjectif. Des hommes à qui l’on demande s’ils sont chasseurs, doivent, par la même raison, répondre : oui nous le sommes, et non, nous les sommes.

Si le pronom le se rapporte à un substantif, il suit alors la règle générale, et prend le genre et le nombre de ce substantif : = était-ce là votre pensée ? doutez-vous que ce ne la fût ? Si l’on dit à une femme : êtes-vous la malade dont on m’a parlé : elle doit répondre : oui, je la suis ; parce que malade, accompagné de l’article, est substantif. Si l’on dit à des hommes : êtes-vous les chasseurs du Roi ? ils répondront : oui, nous les sommes ; parce que chasseurs est substantif.

La raison qu’on peut donner de cette règle, est que le pronom le se rapportant à un adjectif, signifie cela, et se rapportant à un substantif, peut absolument se tourner par un pronom personnel : = êtes-vous malade ? oui, je le suis ; c’est-à-dire, je suis cela : = êtes-vous chasseurs ? oui, nous le sommes ; c’est-à-dire, nous sommes cela : = êtes-vous la malade dont on m’a parlé ? oui, je la suis ; c’est-à-dire, je suis elle : = êtes-vous les chasseurs du Roi ? oui, nous les sommes ; c’est-à-dire, nous sommes eux.

Les pronoms y et en suppléent au nom des personnes et des choses : = pensez-vous à moi ? Oui, j’y pense : = souvenez-vous de mon ami. Je m’en souviendrai.

Règles concernant les pronoms autrui, quelqu’un, chacun, ce, et celui.

Autrui, n’a ni genre ni nombre : il ne s’emploie qu’en régime composé. On dit : ne rien faire à autrui, reprendre les défauts d’autrui. Mais on ne peut pas dire : offenser autrui ; mépriser autrui.

Quelqu’un, ne se rapportant point à un nom substantif, ne peut s’employer au pluriel qu’en sujet, et non en régime. On dira bien : quelques-uns prétendent. Mais on ne dira pas : je connois quelques-uns : j’ai parlé à quelques-uns.

Un quelqu’un n’est pas d’usage.

Quoique chacun, chacune, n’aient pas de pluriel, il faut joindre tantôt leur, tantôt son, sa, ses, au substantif qui le suit. Si dans la phrase, il n’y a point de pluriel, il n’est pas douteux qu’on ne doive toujours employer son, sa, ses. S’il y a un pluriel, voici la distinction qu’on doit faire.

Lorsque chacun est placé avant le régime du verbe, on met leur après chacun : = ces braves officiers ont fait chacun leur devoir : = le maître a réuni ses écoliers, et leur a dicté à chacun leur thème.

Lorsque chacun est après le régime du verbe, on emploie son, sa, ses : = ces soldats ont fait des prodiges de valeur, chacun sous ses drapeaux : = remettez tous ces livres, chacun à sa place.

J’ai dit, dans la première édition de cet ouvrage, en adoptant le sentiment de plusieurs grammairiens, que, si le verbe n’a point de régime, on met son, sa, ses, ou leur, indifféremment. Tous ces ouvriers ont travaillé, chacun selon ses forces, ou, selon leurs forces. Mais après un mûr examen, je pense qu’on ne peut employer que son, sa, ses, parce que le verbe est sous-entendu après chacun. C’est comme si l’on disait : tous ces ouvriers ont travaillé, et chacun a travaillé selon ses forces.

On ne dit plus un chacun.

Le pronom ce, placé avant le verbe être, veut ce verbe à la troisième personne du singulier, quand il est suivi des pronoms, moi, toi, lui, elle, nous, vous, ou d’un régime composé, de quelque nombre qu’il soit. Mais si le verbe être est suivi du pronom, eux, elles, ou d’un substantif pluriel, sans préposition, le verbe doit être mis au pluriel. Ainsi l’on dira : c’est nous qui sommes venus les premiers ; et, ce sont eux qui sont venus les premiers. = C’est de ces hommes, c’est d’eux-mêmes que je voulais parler ; et, ce sont ces hommes, ce sont eux-mêmes, que je voulais voir. = C’est contre les ennemis de l’état, c’est contre eux que vous devez exercer votre valeur ; et, ce sont les ennemis de l’état, ce sont eux contre lesquels vous devez exercer votre valeur.

Le pronom celui, employé tout seul à la place d’un nom substantif, qu’on ne veut point répéter, n’en exprime pas assez la force, pour qu’il puisse être accompagné d’un adjectif, ou d’un participe, et moins encore d’un autre substantif. Ainsi il y a une faute dans les phrases suivantes : = le précepte si généreux du pardon des injures, celui si juste de la loi de nature, l’élevèrent au-dessus de tous les cultes. = J’avertis que je n’avouerai d’autre édition que celle imprimée à Paris sous mes yeux. = Ces cornets peuvent remplacer, dans les porte-feuilles, ceux en métal. Dans la première phrase, il fallait répéter le nom et dire : le précepte si généreux du pardon des injures, le précepte si juste de la loi de nature, etc. Dans les deux autres, si l’on ne voulait pas répéter le nom, il fallait joindre au pronom celui, le relatif qui, et dire : que celle qui a été imprimée, etc., que ceux qui sont en métal.

Mais si ce pronom celui est suivi de ci ou , alors il a toute la force du substantif ; et il peut être accompagné d’un adjectif, ou d’un participe qui en fait les fonctions. Ainsi cette phrase sera très correcte : Le lieu que vous habitez, vous plaît beaucoup : mais celui-ci, bien plus agréable, plus riant, et plus varié, vous plaira davantage.

II.

Usage des Pronoms adjectifs.

Règle concernant les pronoms possessifs.

Les pronoms possessifs se répètent avant chaque substantif, et avant les adjectifs qui expriment des qualités différentes. On ne dira donc pas : mes père et mère ; ses père et mère ; nos grands et petits appartements ; leurs grands et petits appartements. Il faudra dire : mon père et ma mère ; son père et sa mère ; nos grands et nos petits appartements ; leurs grands et leurs petits appartements.

On peut faire rapporter à des choses inanimées le pronom possessif son, sa, ses, leur et leurs. Mais ce n’est que dans deux circonstances.

1°. Lorsque le substantif, auquel est joint ce pronom, est en régime composé : = la rivière est sortie de son lit : = ce parterre est agréablement varié dans ses compartiments : = ces arbres paraissent accablés sous leur fruit.

2°. Lorsque le substantif de ce pronom, est le régime simple du verbe qui a pour sujet, ou le substantif auquel se rapporte ce même pronom, ou un pronom relatif de ce substantif : = Cette solitude a sa beauté : = un ruisseau limpide roule ici ses petits flots avec un doux murmure : = voyez cette haute montagne, qui montre, dans le cœur même de l’été, son sommet tout couvert de neige : = nous avons vu cette année ces arbres porter (ou qui portaient) leurs fruits de bien bonne heure.

Hors ces deux cas, on ne doit jamais employer ce pronom son, sa, ses, leur et leurs. Il faut y suppléer par le pronom relatif en. Ainsi l’on ne pourra pas dire : cette rivière est peu large ; mais son lit est très profond : = ces arbres n’ont pas un beau feuillage ; mais leurs fruits sont délicieux : = j’ai lu l’ouvrage que vous m’avez envoyé ; j’ai trouvé son plan bien construit, et son style très agréable. Il faudra dire : cette rivière est peu large ; mais le lit en est très profond : = ces arbres n’ont pas un beau feuillage ; mais les fruits en sont délicieux : = j’ai lu l’ouvrage que vous m’avez envoyé ; j’en ai trouvé le plan bien construit, et le style très agréable.

N’imitez donc pas l’historien qui a dit : cette ville a soutenu plusieurs sièges mémorables. Les Normands ont été pendant longtemps ses plus redoutables ennemis. Il fallait dire, en ont été les plus redoutables ennemis.

On remarque la même faute dans ces vers de Voltaire :

Reine, l’excès des maux où la France est livrée,
Est d’autant plus affreux, que leur source est sacrée.

Il aurait fallu que la source en est sacrée.

Cette règle doit être également observée, quand on a employé un nom collectif de personnes. Ainsi l’on ne pourrait pas dire d’une armée : ses soldats sont braves et bien disciplinés : d’un tribunal de justice : on estime généralement ses magistrats : d’une société littéraire : nous connaissons tous ses membres. Il faudrait dire : les soldats en sont braves et bien disciplinés. On en estime généralement les magistrats. Nous en connaissons tous les membres.

Règle concernant les pronoms qui, , d’où, et par où.

Qui, pronom relatif, peut être explicatif ou déterminatif. Il est explicatif, quand il ne sert qu’à expliquer, à développer une idée, renfermée ou supposée dans le nom auquel il se rapporte. Il est déterminatif, lorsqu’il détermine la signification de ce nom. Dieu qui est juste, punira les hommes, qui violent ses commandements. Dans cette phrase, le premier qui est explicatif, parce qu’il ne sert qu’à développer l’idée de justice, renfermée dans le mot Dieu. Le second qui est déterminatif, parce qu’il détermine la signification du mot hommes, en ce qu’il fait connaître qu’on parle, non de tous les hommes, mais seulement de ceux qui violent les commandements de Dieu. Il est essentiel de saisir cette distinction du qui explicatif, et du qui déterminatif, pour bien prendre le sens de certaines phrases.

Le même qui, pronom relatif, ne doit point être séparé du substantif auquel il se rapporte. Ainsi il y a une faute dans ce vers de Racine :

Phénix même en répond, qui l’a conduit exprès
Dans un fort éloigné du temple et du palais.

Suivant la règle, il aurait fallu dire : Phénix même, qui l’a conduit, en répond.

Ce serait une plus grande faute encore de placer le pronom qui, immédiatement après un nom auquel il ne se rapporte pas, comme dans cette phrase : = on doit se souvenir qu’il est un respect pour les productions des personnes illustres, qui approche souvent de la superstition. L’auteur aurait dû dire : on doit se souvenir qu’il est, pour les productions des personnes illustres, un respect qui approche, etc.

La même faute se remarque dans cette autre phrase : = les murs de ces réservoirs, qui se trouvent adossés aux gros murs de la maison, n’ont que cinq pouces d’épaisseur . Ce pronom qui, se rapporte ici, non au substantif réservoirs, mais au substantif murs. On aurait pu éviter cette faute, en disant : les murs de ces réservoirs se trouvent adossés aux gros murs de la maison, et n’ont que cinq pouces d’épaisseur.

Qui, désignant le sujet, se dit des personnes et des choses : = l’homme qui étudie : = la loi qui commande : = le bâton qui me soutient. Mais s’il est précédé d’une préposition, il ne convient qu’aux personnes ou aux choses personnifiées. Ainsi on ne peut pas dire : la loi à qui nous obéissons : = le bâton sur qui je m’appuie. Il faut dire : la loi à laquelle nous obéissons : = le bâton sur lequel je m’appuie.

Qui, sans substantif qui le précède, ne peut point convenir aux choses. Ne dites donc point avec l’Auteur d’une Géographie : qui sont les États du Nord ? mais quels sont les États du Nord ?

, d’où et par où, sont pronoms relatifs, lorsqu’ils se rapportent à un substantif de choses, qui les précède, et signifient alors, auquel, duquel ou dont, par lequel, dans lequel, etc. = réfléchissez sur le danger où vous vous exposez ; c’est-à-dire, auquel vous vous exposez : = voyez les preuves d’où je tire cette conséquence, c’est-à-dire, dont ou desquelles je tire cette conséquence : = prenez le chemin par où il est venu, c’est-à-dire, par lequel il est venu. Ainsi Racine a fort bien dit :

Faites qu’en ce moment je lui puisse annoncer,
Un bonheur peut-être il n’ose plus penser.

Wailly se trompe en disant que cet n’est pas bien placé. L’Académie, elle-même, a dit : le bonheur, la félicité où j’aspire.

Mais il faut observer que, lorsque d’où marque proprement le lieu, il n’est point pronom relatif, et ne peut pas signifier dont ou duquel, etc. : il est alors seulement adverbe. Ainsi l’on dira : Coriolan vint assiéger Rome, d’où il avait été banni, et non pas, dont il avait été banni. Il y a donc une faute dans ce vers de Racine le fils :

L’esprit retourne au Ciel dont il est descend.

Il aurait fallu dire, d’où il est descendu.

Règle concernant les pronoms relatifs, et les possessifs le mien, le tien, etc.

Les pronoms relatifs, et les possessifs, le mien, le tien, le sien, etc., ne peuvent point se rapporter à un nom commun, qui n’est point précédé de l’article, ou d’un mot équivalent, ni exprimés, ni sous-entendus. Ainsi les phrases suivantes ne sont pas correctes : = vous avez droit de chasser : et je le trouve bien fondé. Il faut dire : vous avez le droit, ou répéter le nom, au lieu du pronom, en disant et je trouve ce droit bien fondé : = chaque père de famille doit bien gouverner la sienne. Il faut prendre un autre tour, et dire, doit bien gouverner ses enfants.

Il y a donc une faute dans ce vers de Racine :

Nulle paix pour l’impie, il la cherche ; elle fuit.

parce que les pronoms la, elle, ne peuvent point se rapporter au substantif paix, qui n’a point d’article, soit exprimé, soit sous-entendu. Le pronom relatif, en effet, doit toujours rappeler l’idée d’un nom qui a une signification déterminée. Or un nom ne peut avoir cette signification, s’il n’est précédé de l’article, ou d’un mot équivalent ; puisque c’est l’article, ou ce mot, qui la lui donne. Dans le vers cité, le mot paix joint à nulle d’une manière inséparable, ne présente qu’un sens indéfini ; et, cependant, les pronoms la, elle, rappellent l’idée de ce nom, comme s’il présentait un sens défini ; ce qui n’est pas moins contraire aux règles de la Grammaire, qu’à celles de la Logique. On pourrait, en effet, demander, que cherche l’impie ? la paix ? Il n’en est pas ici question ; il s’agit de nulle paix. L’impie cherche donc, quoi ? nulle paix ? nulle paix le fuit ? Telle est la justesse d’esprit, la précision qu’on exige dans ceux qui veulent écrire purement et nettement.

J’observerai, néanmoins, après l’Auteur de la Grammaire générale, et l’Abbé d’Olivet, que le pronom relatif qui peut être immédiatement placé après ces mots nulle paix, ou autres semblables. On peut donc dire : nulle paix qui soit durable. = Je n’ai reçu aucune nouvelle qui me fasse plaisir. Ces mots nul, aucune, déterminent, aussi bien que l’article, la signification du nom, mais seulement, lorsqu’ils sont suivis du relatif qui.

J’ai dit que si l’article, ou un mot équivalent, est sous-entendu avant le nom, on peut employer le pronom. Ainsi les phrases suivantes sont correctes : – il est accablé de maux qui lui font perdre patience ; parce que le mot certains, ou plusieurs équivalant à l’article, est sous-entendu avant le substantif maux : = il agit en politique qui sait bien gouverner ; c’est-à-dire, comme un politique : = ce sont gens habiles qui m’ont dit cela ; c’est-à-dire, des gens habiles.

Règles concernant les pronoms même, tout, et quelque suivi de que.

Le pronom même, signifiant identité ou parité, se place avant le substantif auquel il est joint. Il s’emploie aussi pour donner plus de force et d’énergie au discours ; et alors on le met après le substantif, ou le pronom. Dans ces deux significations, il prend une s, quand il se rapporte à un pluriel : = les scélérats mêmes condamnent dans les autres les mêmes vices qu’ils ont. Ainsi il y a une faute dans ces vers de Voltaire :

Leur orgueil foule aux pieds l’orgueil du diadème :
Ils ont brisé le joug, pour l’imposer eux-même.

Il aurait fallu eux-mêmes.

Même, ne prend point d’s, quand il signifie aussi, de plus : = il ne faut pas négliger de faire le bien ; il faut même chercher toutes les occasions de le pratiquer.

Tout, signifiant très, entièrement, ne prend ni genre, ni nombre ; lorsqu’il précède immédiatement un adverbe : = elles marchaient tout tranquillement. Un adjectif masculin : = ils sont tout interdits et tout silencieux. Un adjectif féminin qui commence par une voyelle ou une h non aspirée : = elles sont tout habillées et tout abattues. Mais si l’adjectif féminin commence par une consonne, tout prend alors le genre et le nombre : = la campagne est toute belle et toute riante : = ces Dames sont toutes consolées.

Quelque, suivi de que, signifiant à peu près la même chose que quoique, prend le nombre, lorsqu’il y a entre quelque et que, un substantif seul, ou accompagné de son adjectif : = quelques richesses que vous possédiez, quelques brillants emplois que vous occupiez, ne méprisez jamais personne.

Mais si entre quelque et que, il n’y a qu’un adjectif séparé de son substantif, quelque ne prend point de nombre : = quelque grossières que soient les mœurs d’un homme, on vient à bout de les adoucir par l’éducation.

Quand le substantif, n’ayant point d’adjectif, est après le verbe, il faut se servir de quel, que ; quelle, que, qui désigne la qualité : = quelle que soit votre fortune, quel que soit votre mérite, ne vous laissez point dominer par l’orgueil.

Bien des personnes emploient tel, que ; telle, que, pour quelque… que, ou, quel, que, et disent, par exemple : à tel degré d’honneur que vous soyez élevé : telle que soit votre dignité, etc. Cette façon de parler est vicieuse. Il faut dire : à quelque degré d’honneur que vous soyez élevé : quelque que soit votre dignité. N’imitez donc pas l’auteur qui a dit : je ne répondrai pas que dès qu’il n’y a rien de pire que ce qu’on éprouve, il faut s’en libérer à tel prix que ce puisse être . Il aurait dû dire, à quelque prix, etc.

Article IV.

Observations sur le Verbe.

Accord du verbe et de son sujet.

Le verbe se met au même nombre et à la même personne que son sujet. Les noms substantifs faisant la fonction de sujet, désignent toujours la troisième personne : = je vous loue de ce que vous étudiez, tandis que vos compagnons se divertissent.

Le verbe, dont le relatif qui est le sujet, se met au même nombre et à la même personne, que le nom ou pronom, auquel le qui se rapporte. On dira donc : c’est moi qui ai travaillé. C’est vous qui avez travaillé. Ce sont eux qui ont travaillé. Ainsi il y a une faute dans ce vers :

C’est toi qui me tue :
Mais je pardonne à ta fureur.

Il aurait fallu, qui me tues.

Lorsque le verbe a pour sujet un nom collectif partitif, ou un adverbe de quantité, suivis d’un nom substantif pluriel, il doit être mis lui-même au pluriel : = une infinité de braves officiers périrent dans cette affaire : = peu d’hommes sont véritablement sages : = tant de philosophes se sont égarés. La raison de cette règle est que le nom collectif, ou l’adverbe de quantité, ne présente avec ce substantif pluriel, qu’une idée totale et indivisible. Ainsi il y a une faute dans cette phrase de Voltaire : une foule d’écrivains occidentaux a prétendu que les Mahométans niaient la providence . Il fallait dire, ont prétendu.

La plupart, quoiqu’il ne soit suivi d’aucun nom, veut le verbe, et l’adjectif ou le participe qui le suit, au pluriel : = la plupart prirent la fuite : = la plupart furent condamnés à l’exil : = la plupart sont aveugles sur leurs défauts.

Règle concernant le verbe qui a plusieurs sujets.

Si le verbe a plusieurs sujets de différentes personnes, on le fait accorder avec la plus noble, et on le met au pluriel. La première personne est plus noble que les autres, et la seconde est plus noble que la troisième : = vous, mon frère et moi devons terminer cette affaire.

Il ne faut pas changer de personnes dans une même phrase. Ce ne serait pas parler exactement, que de dire : on censure, dans les autres, les défauts que nous avons nous-mêmes : dites, qu’on a soi-même ; ou bien, nous censurons dans les autres les défauts que nous avons nous-mêmes.

Le verbe qui a pour sujets plusieurs noms singuliers, qui ne sont pas liés par une conjonction, peut se mettre au singulier : = la prospérité, la fortune, le mauvais exemple n’a pu le gâter. Mais si ces noms sont liés par une conjonction, on met le verbe au pluriel : = une entreprise mal concertée, une dépense excessive, et la perte d’un procès ont ruiné votre ami.

Exceptions à cette règle.

Cette règle souffre quelques exceptions. Les voici :

1°. Quand ces substantifs sujets sont liés par la conjonction ou, le verbe se met au singulier : = la raison ou la nécessité lui a fait prendre son parti. Mais si ces sujets sont des pronoms personnels, le verbe, suivant l’Académie, doit suivre la règle générale : = vous ou moi irons à la campagne.

2°. Plusieurs substantifs liés par la conjonction ni répétée, veulent le verbe au singulier, si un seul de ces substantifs fait ou reçoit l’action ; au pluriel, si tous ces substantifs la font ou la reçoivent en même temps : = ni Philinte ni Timante ne remportera le prix. Ici l’action tombe sur un seul homme, parce qu’il ne doit y en avoir qu’un qui sera couronné. Mais dans ce vers de La Fontaine :

Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux.

l’action est attribuée aux deux substantifs, parce que chacun d’eux, pris en particulier, ne peut nous rendre heureux.

3°. On peut dire, suivant l’Académie : l’un et l’autre est bon ; l’un et l’autre sont bons : ni l’un ni l’autre n’est bon ; ni l’un ni l’autre ne sont bons. Mais si l’on place ces mots après le verbe, celui-ci doit toujours être mis au pluriel : = ils voulaient l’un et l’autre se trouver ici ; mais ils ne s’y sont trouvés ni l’un ni l’autre.

4°. S’il y a plusieurs substantifs sujets liés par la conjonction mais, et dont le dernier soit au singulier, on met alors le verbe au singulier : = non seulement ses titres, ses honneurs, ses dignités, mais encore sa fortune s’évanouit.

Tout et rien, placés après plusieurs substantifs, même pluriels, veulent le verbe au singulier : = les meubles les plus précieux, les livres les plus rares, les plus beaux chef-d’œuvres des arts, tout fut la proie du vainqueur : = les pleurs des enfants, les supplications des vieillards, les gémissements des femmes, rien ne put arrêter sa barbare furie. Dans ces exemples, le verbe est sous-entendu après chaque substantif.

Régimes des différentes espèces de verbes.

Tous les verbes actifs ont un régime simple ; et la plupart ont de plus un régime composé. = Consacrons notre temps à l’étude : = votre maître vous dispense de ce travail : = je vous donnerai un livre.

Le verbe passif a un régime composé, marqué par la préposition de ou par. Il faut employer de, quand le verbe exprime une action de l’âme : = l’honnête homme est estimé de ceux mêmes qui ne le sont pas. Il faut employer par, quand il exprime une action du corps, ou une action, à laquelle le corps et l’âme ont part : = les anciens monuments ont été détruits par les barbares du nord : = ce peuple est gouverné par un bon roi.

Les verbes neutres n’ont jamais de régime simple. Il y en a qui en ont un composé : = il ne faut ni médire de son prochain, ni nuire à qui que ce soit. Il y en a d’autres qui n’en ont pas du tout ; comme exister, souper, dormir, etc.

Il y a des verbes réciproques qui ont un régime simple ; et alors le pronom, avec lequel ils se conjuguent, est en régime composé : = cette femme, dans l’excès de sa douleur, se déchirait le visage : ne cherchez pas à vous rendre la vie amère. Il y en a d’autres qui ont un régime composé ; et alors le pronom, avec lequel ils se conjuguent, est en régime simple : = c’est un devoir de s’abstenir des plaisirs défendus ; c’est une vertu de se priver des plaisirs permis.

Aucun verbe, de quelque espèce qu’il soit, ne peut avoir deux régimes, soit simples, soit composés. Ainsi il y a une faute dans ce vers de Racine :

Ne vous informez point ce que je deviendrai.

parce que vous, et ce, qui signifie la chose, sont en régime simple du verbe informer. Il aurait fallu dire : ne vous informez point de ce que je deviendrai.

Suivant la même règle, Boileau ne s’est point exprimé correctement, en disant :

C’est à vous, mon esprit, à qui je veux parler.

parce que à vous et à qui sont en régime composé du verbe parler. Il aurait fallu ; c’est à vous, mon esprit, que je veux parler, ou, c’est vous, mon esprit, à qui je veux parler.

L’abbé de Condillac se trompe donc, lorsqu’il dit : « Il y a des occasions où que se met pour à qui ; c’est à vous que je parle : et d’autres où il s’emploie pour dont ; c’est de lui que je parle. » Dans ces deux exemples, que est seulement conjonction.

Verbes qui ont différents régimes.

Il y a des verbes qui ont différents régimes, ou qui veulent être suivis de l’une des deux prépositions à et de, selon leur signification, et la manière dont ils sont employés. En voici quelques-uns :

Aider, signifiant secourir, assister, est actif, suivant l’Académie, et veut, par conséquent, un régime simple : = il faut aider les pauvres dans leur nécessité. Lorsqu’il signifie, secourir un homme trop chargé, il est neutre, et veut un régime composé, qui prend à : = aidez un peu à ce pauvre homme. Il en est de même, lorsqu’il signifie, contribuer à faire réussir quelque chose : = il a aidé au succès de cette affaire. Ce verbe est aussi réciproque ; et il prend alors de : = il s’est aidé de tout son crédit.

Commander, signifiant ordonner, enjoindre, donner charge de faire quelque chose, a deux régimes ; l’un simple, qui est celui de la chose ; l’autre composé, qui est celui de la personne : = l’église commande aux fidèles l’observation des fêtes. Dans toute autre signification, ce verbe n’a qu’un régime. Ce régime est simple, lorsque commander signifie, en matière de guerre, conduire, faire marcher des troupes : = ce général a commandé une armée de cent mille hommes. Ce régime est composé, lorsque commander signifie, avoir droit et puissance, avoir autorité, empire sur quelqu’un ; et en ce sens, ce verbe est neutre : = le souverain commande à ses sujets ; le père à ses enfants ; le maître à ses domestiques ; le capitaine à ses soldats.

Croître, suivant l’Académie, est un verbe neutre, qui prend tantôt en, tantôt à: = croître en sagesse : croître à certaine hauteur. On ne peut donc pas le faire actif, en lui donnant un régime simple. Il y a donc une faute dans ces vers de Racine :

Tu verras que les Dieux n’ont dicté cet oracle,
Que pour croître, à la fois, sa gloire et mon tourment.

Désespérer, signifiant perdre l’espérance, cesser d’espérer, est neutre, et a un régime composé avec de : = il ne faut pas désespérer de l’état. Lorsqu’il signifie, tourmenter, affliger au dernier point, il est actif : = ne désespérez pas cet homme.

On peut dire, désirer de faire quelque chose, et, désirer faire quelque chose. Mais, suivant l’Académie, l’usage le plus ordinaire est de mettre de avant l’infinitif qui suit le verbe désirer.

Échapper, signifiant se sauver des mains de quelqu’un, d’une prison, de quelque péril, est neutre ou réciproque, et veut un régime composé avec la préposition de : = il a échappé, il s’est échappé des mains des sergents. Échapper, signifiant n’être pas saisi, n’être pas aperçu, est neutre, et veut un régime composé avec la préposition à : = il a échappé, il est échappé à la poursuite de son ennemi. Le sens différent de ces deux prépositions, dit l’Académie, se fera sentir dans un exemple : = l’un des coupables a échappé au prévôt ; et l’autre s’est échappé de prison.

Éclairer, signifiant faire des éclairs, est impersonnel : = il a éclairé toute la nuit. Lorsqu’il signifie, répandre de la clarté, il est actif, et par conséquent a un régime simple : = le soleil éclaire la terre. Mais lorsqu’il signifie, apporter de la lumière à quelqu’un, pour lui faire voir clair, il est neutre, et veut un régime composé avec la préposition à. Ainsi ce serait une faute de dire : éclairez monsieur. Il faut dire : éclairez à monsieur.

Élever, a un régime simple et un régime composé. Mais ce dernier veut toujours à, lorsque le substantif est précédé de l’article, ou d’un mot équivalent. On dit, élever en dignité, parce qu’il n’y a pas d’article avant ce nom. Mais il faut dire, élever à une dignité, parce qu’il y a un mot équivalent à l’article. L’Académie, dans sa critique de la tragédie du Cid, a relevé cette faute que Corneille a faite en disant :

Enfin vous l’emportez ; et la faveur du Roi
Vous élève en un rang qui n’était dû qu’à moi.

Il aurait fallu, à un rang.

Être d’humeur à, se dit, suivant la même Académie, d’une disposition habituelle : = il n’est pas d’humeur à se laisser gourmander. Être en humeur de, se dit de la disposition actuelle : = il est en humeur de faire tout ce qu’on veut.

Insulter, signifiant maltraiter quelqu’un de fait ou de parole, est actif. Mais lorsqu’il signifie, prendre avantage de l’état d’un homme pour lui faire quelque offense, il est neutre, et veut un régime composé avec la préposition à. Ainsi l’on dira : n’insultez point cet homme ; et n’insultez pas à la misère de cet homme.

Il ne faut pas mettre que entre le verbe ne pas laisser, et la préposition de placée avant l’infinitif qui le suit. L’Académie dit : il est pauvre ; mais il ne laisse pas d’être honnête homme ; et non, il ne laisse pas que d’être honnête homme.

Pardonner, a un régime simple, qui est celui de la chose, et un régime composé avec la préposition à, qui est celui de la personne. Ainsi l’on dit, pardonner une faute à quelqu’un. Mais on ne peut pas dire, pardonner quelqu’un. Il faut dire pardonner à quelqu’un ; et en ce sens ce verbe est neutre : = le roi lui a pardonné et l’a remis en grâce.

Satisfaire, signifiant contenter, a un régime simple : = cet enfant satisfait son père et sa mère : = il a satisfait tous ses créanciers. Satisfaire, signifiant faire ce que l’on doit à l’égard de quelque chose, est neutre, et a un régime composé qui prend à : = il a satisfait à son devoir, à ses engagements.

Suppléer, est actif, suivant l’Académie, lorsqu’il signifie ajouter ce qui manque, fournir ce qu’il faut de surplus : = ce sac doit être de mille francs : vous suppléerez ce qu’il y aura de moins ; vous suppléerez le reste. Mais suppléer, signifiant réparer le manquement, le défaut de quelque chose, est neutre, et a un régime composé qui prend à : = son mérite supplée au défaut de sa naissance.

Répétition d’un nom en régime après deux verbes.

Quand deux verbes, qui ont de leur nature différents régimes, sont suivis d’un nom, il faut que le nom en régime soit mis après chacun de ces deux verbes, et par conséquent, qu’il soit répété ou par lui-même ou par un pronom. On ne peut donc pas dire : les vaisseaux qui entrent et sortent de ce bras de mer, s’arrêtent souvent dans un petit port, qui n’en est pas éloigné : = le souverain créateur préside et règle, avec une sagesse infinie, le mouvement des astres. Dites : les vaisseaux qui entrent dans ce bras de mer, et qui en sortent, s’arrêtent souvent dans un petit port qui n’en est pas éloigné : = le souverain créateur préside au mouvement des astres, et le règle avec une sagesse infinie.

Il en est de même, lorsque deux verbes sont suivis d’un autre verbe, qui doit être employé dans différents temps ou dans différents modes : il faut alors répéter ce troisième verbe. Ainsi au lieu de dire : je désire et j’espère que nous serons vainqueurs ; on doit dire : je désire que nous soyons vainqueurs, et j’espère que nous le serons.

Cette règle a lieu pour toute espèce de mots régissants, soit participes, soit adjectifs, soit prépositions, etc. Chacun d’eux assujettit à son régime le même nom. Ne dites donc pas : les rois sont soumis et dépendants de Dieu : votre ami paraît digne et bien propre à remplir la place qu’il occupe : = nous devons toujours nous conduire suivant et conformément aux principes de l’honneur. Il faut dire : les rois sont soumis à Dieu, et en sont dépendants : = votre ami paraît digne de la place qu’il occupe, et bien propre à la remplir : = nous devons toujours nous conduire suivant l’honneur, et conformément à ses principes. Il y a donc une faute dans cette phrase : ce seigneur avait toutes les qualités aimables qui sont quelquefois attachées, et devraient toujours être inséparables de la haute noblesse. Il fallait dire : ce seigneur avait toutes les qualités aimables, qui sont quelquefois attachées à la haute noblesse, et qui devraient toujours en être inséparables.

Répétition du verbe.

Le verbe doit être répété dans une phrase qui a deux parties, dont l’une est affirmative, et l’autre négative. Ainsi, au lieu de dire ; attendons tout de Dieu, et rien de nous-mêmes ; dites plutôt : attendons tout de Dieu, et n’attendons rien de nous-mêmes. Il est assez important d’observer cette règle, parce que le défaut de répétition du verbe rend souvent le sens d’une phrase, louche et obscur ; comme on le voit dans ce vers de la tragédie du Cid :

L’amour n’est qu’un plaisir, et l’honneur un devoir.

Le sens, en effet, que présente cette phrase ainsi construite, est celui-ci : l’amour n’est qu’un plaisir, et l’honneur n’est qu’un devoir. Or ce n’est certainement pas celui du poète, qui voulait dire :

L’amour n’est qu’un plaisir ; l’honneur est un devoir.

Et c’est ainsi qu’il aurait dû s’exprimer.

Si je me permets ici de relever deux fautes, qui, dans une même phrase, sont échappées à un de nos grammairiens les plus estimés, c’est dans la seule vue de faire sentir aux jeunes gens la grande attention qu’ils doivent joindre à la connaissance des règles, pour écrire correctement. L’abbé Girard a dit : ce n’est pas les plus honnêtes gens de la cour qu’il faut choisir pour soutiens de sa fortune ; mais ceux qui ont le plus de crédit auprès du Prince . Suivant la règle que j’ai exposée ailleurs, il aurait dû, dans le premier membre de la phrase, mettre le verbe être au pluriel, et, suivant la règle dont il s’agit ici, le répéter dans le second, en disant : ce ne sont pas les plus honnêtes gens de la cour qu’il faut choisir pour soutiens de sa fortune ; mais ce sont ceux qui ont le plus de crédit auprès du Prince.

Il faut encore répéter le verbe, quand il est actif dans le premier membre de la phrase, et que dans le second il doit être employé avec le verbe être. On dira, par exemple : les lois qu’on n’a pas su maintenir, et qui devaient être maintenues ; au lieu de dire simplement, et qui devaient l’être. C’est une faute qu’on remarque assez souvent dans les écrivains de nos jours. N’imitez donc pas celui qui a dit : l’église fut rebâtie, et l’on plaça l’autel comme il devait être placé, ou prendre ce tour, et l’autel fut placé comme il devait l’être.

Le verbe avoir, employé d’abord seul comme verbe actif, doit être répété avant un participe qui se trouve dans la même phrase. Celle-ci ne serait pas correcte : cet homme avait plus de talents naturels, et acquis plus de connaissances. Il faudrait dire : et avait acquis plus de connaissances.

Le verbe faire peut être mis à la place d’un verbe qu’on ne veut point répéter. Mais il doit être alors employé absolument, c’est-à-dire, qu’il ne doit point avoir de nom ni de pronom en régime. Ainsi il y a une faute dans cette phrase : les gouverneurs de province, devenus héréditaires, méconnurent les ordres du nouveau souverain, comme ils avaient déjà fait ceux de ses prédécesseurs . L’auteur aurait dû répéter le verbe, et dire, comme ils avaient déjà méconnu ceux de ses prédécesseurs.

I.

Remarques sur le Participe.

La règle du participe n’est ni aussi embarrassante, ni aussi difficile qu’on pourrait se l’imaginer. On n’a besoin, pour la bien saisir sous tous ses rapports, que d’une attention un peu suivie, mais en se rappelant toujours ce que c’est que le régime simple, c’est-à-dire, celui qui n’est pas précédé d’une préposition exprimée ni sous-entendue ; et ce que c’est que le régime composé, c’est-à-dire, celui qui est précédé d’une préposition exprimée ou sous-entendue. Les deux premiers rapports, sous lesquels je considère cette règle, sont ceux-ci.

Règle du participe, considérée sous ses deux premiers rapports.

1°. Le participe est indéclinable, c’est-à-dire, ne prend jamais ni genre ni nombre, dans les verbes actifs suivis de leur régime simple, ni dans les verbes neutres qui se conjuguent avec l’auxiliaire avoir.

Verbes actifs : = une grêle affreuse a dévasté nos campagnes : = les brillants exploits d’un homme de guerre ont illustré une famille obscure : = nous avons entendu les cris effrayants des séditieux, et nous avons bravé la fureur de ces monstres sanguinaires.

Verbes neutres : = dans cette douce espérance, tous les cœurs avaient tressailli de joie ; et cette joie avait éclaté sur tous les visages. Mais au seul récit de ces nouveaux attentats, nous avons tous frémi, frissonné d’horreur ; et nos femmes auraient même tremblé pour leur propre vie, si nous avions tardé à voler à leur secours.

2°. Le participe prend toujours le genre et le nombre de son sujet dans les verbes passifs ; dans les verbes neutres, qui se conjuguent avec l’auxiliaire être, et dans les verbes réciproques, qui n’ayant point de régime simple, ne pourraient jamais se construire avec l’auxiliaire avoir.

Verbes passifs : = quand le vrai mérite seul est récompensé par le souverain, la vertu est toujours honorée par les grands ; les principes des bonnes mœurs sont respectés par ceux qui les approchent ; toutes les lois sont constamment observées par le peuple.

Verbes neutres : = cette grande armée était déjà partie, lorsque les deux derniers régiments sont arrivés : = si nous étions sortis plus tard, nous serions infailliblement tombés dans ce précipice.

Verbes réciproques : = bien des gens se sont repentis d’avoir perdu le temps de leur jeunesse : = nous nous sommes lamentés inutilement : = cet homme s’est moqué, cette femme s’est moquée mal à propos de ce malheureux ; = vos frères se sont tus, vos sœurs se sont tues sur ce sujet. On voit que ce second pronom, avec lequel se conjuguent ces verbes réciproques, n’est pas en régime simple, puisqu’on ne pourrait pas les changer en actifs, en disant : bien des gens ont repenti eux, etc ; nous avons lamenté nous, etc. ; cet homme a moqué lui, cette femme a moqué elle, etc. ; vos frères ont tu eux, vos sœurs ont tu elles, etc. Voilà pourquoi l’usage les mettant ici, en quelque façon, dans la classe des verbes passifs, veut que leur participe s’accorde avec le sujet.

Au reste, il y a quelques verbes de cette espèce, mais en très petit nombre, dont le participe est indéclinable, n’ayant ni féminin ni pluriel. Ceux qui, dans ce moment, se présentent à ma mémoire, sont les participes ri et plus. Ainsi l’on doit dire : il s’est ri, ils se sont ri, elle s’est ri, elles se sont ri de ce bon homme : il s’est plu, ils se sont plu, elle s’est plu, elles se sont plu à la campagne. À cette occasion, je dirai aussi que les participes été et pu n’ont ni féminin ni pluriel.

Ces deux points, assez clairs par eux-mêmes, n’ont, sans doute, pas besoin d’une plus longue explication. Je vais exposer et éclaircir le troisième, en suivant les traces de nos écrivains qui ont le mieux approfondi la science grammaticale, et parmi lesquels je me borne à nommer Duclos et l’Abbé d’Olivet. Voici le vrai sens du principe fixe qu’ils ont établi.

Règle du participe, considérée sous son troisième rapport.

Dans les verbes actifs, et dans les verbes réciproques, le participe, précédé de son régime simple, en prend toujours le genre et le nombre. Il faut donc, pour que le participe soit déclinable, la réunion de ces trois circonstances : 1°. qu’un nom ou un pronom le précède : 2°. que ce nom ou ce pronom soit régi par ce participe, joint à son auxiliaire avoir ou être : 3°. que ce nom ou ce pronom soit en régime simple. Voici d’abord des exemples pour les verbes actifs.

Exemples pour les verbes actifs.

Quel livre avez-vous lu ? = quelle beauté avez-vous remarquée ? = quels ouvrages avez-vous composés ? = quelles contrées avez-vous parcourues ? Ces noms substantifs livre, beauté, ouvrages, contrées, sont en régime simple : ils sont régis par l’auxiliaire et les participes qu’ils précèdent, lu, remarquée, composés, parcourues. Donc ces participes doivent prendre le genre et le nombre de ces noms.

La valeur que vous avez montrée, dans ce combat sanglant, nous a remplis de la plus grande estime pour vous. = Voilà des fleurs que j’ai cultivées moi-même : je les ai cueillies au lever de l’aurore. Dans la première phrase, je dis montrée, parce que le pronom relatif que, en régime simple, et régi par le participe qu’il précède, est au féminin et au singulier, à cause de son antécédent valeur. Je dis remplis, parce que le pronom nous, en régime simple, et qui précède ce participe, par lequel il est régi, est au masculin et au pluriel. Dites-en autant, pour la seconde phrase, des participes cultivées et cueillies.

Cette règle doit être également observée, quand le participe, précédé de son régime simple, est immédiatement suivi ou d’un substantif, ou d’un adjectif, ou d’un autre participe. Il faudra donc dire : je connais les deux braves officiers que le roi a nommés colonels : = votre mère, que j’avais vue malade, je l’ai trouvée guérie. Racine a dit, en parlant de l’épée d’Hippolyte :

Je l’ai rendue horrible à ses yeux inhumains.

Et dans un autre endroit :

La Grèce, en ma faveur, est trop inquiétée :
De soins plus importants je l’ai crue agitée.

Voltaire ne s’est donc pas exprimé correctement, lorsqu’il a dit : je ne défends point ces rimes, parce que je les ai employées : mais je ne m’en suis servi, que parce que je les ai cru bonnes. Il devait dire, crues. Le même auteur a fait aussi une faute, en disant : tant d’ouvrages que j’ai vu applaudis au théâtre et méprisés à la lecture, me font craindre pour le mien le même sort. Il aurait dû dire, vus.

Le participe s’accorde encore avec son régime simple qui le précède, quoique le sujet soit mis après le verbe : c’est aujourd’hui le sentiment de tous les bons grammairiens. On dira donc : je ne suis pas surpris de la justice que vous ont rendue vos juges. = Vous savez les peines que m’a données cette affaire.

J’ajoute que cette dernière règle a été, dans tous les temps, observées par nos meilleurs écrivains. Malherbe, qui a été presque le créateur de notre langue, dit dans sa traduction de Tite-Live : la Légion qu’avait eue ce général romain , etc. Boileau, dans ses réflexions sur Longin : La langue qu’ont écrite Cicéron et Virgile , etc. Racine, dans sa tragédie de Britannicus :

Ces yeux que n’ont émus ni soupirs ni terreur.

À l’égard du pronom relatif en, il suppose toujours la préposition de, puisqu’il est pour de lui, d’elle, d’eux, d’elles, de cela. Par conséquent il n’est jamais régime simple ; et par cette raison, il n’influe point sur le participe. = De trois histoires qu’il a écrites, il en a publié deux, et non pas publiées. Voltaire, parlant de sa tragédie de Mariamne, dit : je sens avec déplaisir toutes les fautes qui sont dans la contexture de ma pièce, aussi bien que dans la diction. J’en aurais corrigé quelques-unes, si j’avais pu retarder cette édition. Mais j’en aurais encore laissé beaucoup . Il n’a point dit, corrigées, laissées.

Les exceptions qu’on a voulu faire au sujet du participe, suivi d’un verbe à l’infinitif, sont, suivant Duclos, de pures chimères. En effet, la règle établie est invariable, toutes les fois que le régime simple qui précède, est régi par l’auxiliaire joint au participe : peu importe que ce participe soit suivi d’un verbe à l’infinitif, ou qu’il ne le soit pas. Racine a dit, en parlant de Junie :

Cette nuit je l’ai vue arriver en ces lieux.

vue, parce que le pronom la est régi par ce participe et l’auxiliaire, puisqu’on peut dire : j’ai vu elle arriver ou qui arrivait. Mais je dirai : la maison que j’ai vu bâtir, menace ruine : vu, parce que le pronom que est régi par l’infinitif bâtir, puisqu’on peut fort bien dire, j’ai vu bâtir la maison ; au lieu qu’on ne pourrait pas dire : j’ai vu la maison bâtir.

Ainsi, on dirait, par exemple, d’une femme qui aurait été battue : on l’a laissé battre : laissé, parce que le pronom la, qui précède ce participe, est le régime du verbe battre, puisque c’est comme si l’on disait : on a laissé battre elle. Mais on dirait d’une femme qui aurait battu son enfant : on l’a laissé battre son enfant : laissée, parce que la, qui précède ce participe, en est le régime, puisque c’est comme si l’on disait : on a laissé elle battre, ou qui battait son enfant.

Dans cet exemple, cité par Duclos : avez-vous entendu chanter la nouvelle actrice ? il faut répondre : je l’ai entendue chanter ; c’est-à-dire, j’ai entendu elle chanter, ou, qui chantait : = avez-vous entendu chanter la nouvelle ariette ? il faut répondre : je l’ai entendu chanter, parce qu’on ne pourrait pas dire : j’ai entendu la nouvelle ariette chanter ; il faudrait dire : j’ai entendu chanter la nouvelle ariette. On dira donc d’une dame qui peignait : je l’ai vue peindre ; c’est-à-dire, j’ai vu elle peindre, ou, qui peignait ; et d’une dame qu’on peignait : je l’ai vu peindre ; c’est-à-dire, j’ai vu peindre elle.

Il faudra également dire d’une femme : on l’a laissée tomber, mourir, parce que le pronom la est le régime de laissée, ne pouvant être celui des infinitifs tomber, mourir, qui sont des verbes neutres : c’est-à-dire, on a laissé elle tomber, mourir. Mais on dira : on l’a fait tomber, mourir, et non pas faite, parce qu’on ne pourrait pas dire : on a fait elle tomber, mourir : il faudrait dire : on a fait tomber, mourir elle. Le pronom la est régi par les deux verbes fait et mourir, qui étant ici mots inséparables, présentent une seule idée à l’esprit (j’en dirai la raison un peu plus bas). C’est ce qui a lieu dans tous les cas, où le participe de faire est suivi d’un infinitif ; comme la maison que j’ai fait bâtir les terres que j’ai fait labourer ; les soldats qu’on a fait marcher.

Il arrive quelquefois que l’infinitif qui régit le pronom qui précède, est sous-entendu ; et alors le participe ne prend ni genre ni nombre : = il a obtenu toutes les grâces qu’il a voulu : = il s’est donné tous les soins qu’il a dû : = il a employé tous les moyens qu’il a pu. Les verbes obtenir, donner, employer, sont sous-entendus après les participes voulu, , pu ; et c’est à ces verbes que le pronom en régime doit se rapporter.

Il faut observer encore qu’il y a quelques participes, entre autres ceux des verbes plaindre, craindre, fuir, qu’il est bon d’éviter au féminin : = la personne que j’ai plainte : la maladie que j’ai crainte : l’occasion que j’ai fuie. Ces participes sont très conformes à la règle. Mais ils sont si durs à l’oreille, qu’ils ne sont presque pas usités. On fera bien d’y substituer d’autres expressions.

Cette règle, concernant les participes des verbes actifs, ne souffre point d’exceptions, ou en souffre tout au plus une seule. C’est quand le participe et l’auxiliaire forment un verbe impersonnel. Alors le participe ne prend ni genre ni nombre : = les chaleurs excessives qu’il a fait, et non pas faites : = la grande inondation qu’il y a eu, et non pas eue.

Exemples pour les verbes réciproques.

Quant aux verbes réciproques, la règle est, comme je l’ai déjà dit, la même que dans les verbes actifs. Quelques exemples suffiront pour la confirmer.

Quel chemin nous sommes-nous frayé ? = quelle tâche vous êtes-vous prescrite ? = quelle réputation se sont-ils acquise ? = quels biens se sont-elles appropriés ? Changeons un peu le sens de ces phrases, en leur donnant un autre tour. = Le chemin que nous nous sommes frayé, se raccommode. = La tâche que vous vous êtes prescrite, est pénible. = Leur réputation est bien fondée : ils se la sont acquise par leur mérite. = Elles possèdent de grands biens : mais elles se les sont appropriés injustement. Dans tous ces exemples, les participes frayé, prescrite, acquise, appropriés, s’accordent avec les substantifs chemin, tâche, réputation, biens, et les pronoms relatifs que, la, les, qui précèdent ces participes, et qui en sont les régimes simples.

Nous nous sommes réunis à propos : = avant que ce procès soit jugé, vous vous serez l’un et l’autre déterminés à le finir : = doutez-vous que cette femme ne se soit réduite, par ses folles dépenses, à une extrême misère ? = on n’aurait pas cru que ces troupes se seraient si bien défendues. Je dis réunis, déterminés, réduite, défendues, parce que les pronoms, nous, vous se, sont les régimes simples de ces participes qu’ils précèdent. C’est comme si l’on disait : nous avons réuni nous ; vous aurez déterminé vous ; cette femme ait réduit elle ; ces troupes auroient défendu elles.

Il n’en est pas de même dans les exemples suivants : = nous ne nous sommes pas dissimulé que le succès de cette affaire est douteux. = Vous vous êtes tous les deux imaginé ; vos femmes se sont figuré que la chose pourrait arriver autrement. Je dis dissimulé, imaginé, figuré, parce que les pronoms nous, vous, se, qui précèdent ces participes, n’en sont que les régimes composés. C’est comme si l’on disait : nous n’avons pas dissimulé à nous ; vous avez tous les deux imaginé à vous, ou, dans vous ; vos femmes ont figuré à elles, ou, dans elles.

On dira donc : nous nous sommes proposés pour exécuter cette entreprise, c’est-à-dire, nous avons proposé nous (comme étant capables de l’exécuter) ; et, nous nous sommes proposé d’exécuter cette entreprise, c’est-à-dire, nous avons proposé à nous (comme ayant le dessein de l’exécuter). Lucrèce s’est tuée, c’est-à-dire a tué elle ; et Lucrèce s’est donné la mort, c’est-à-dire, a donné la mort à elle. Cette femme se sera mise à la tête des cabaleurs ; c’est-à-dire, aura mis elle ; et, cette femme se sera mis des chimères dans l’esprit, c’est-à-dire aura mis à elle.

Quand le participe de ces verbes réciproques est immédiatement suivi ou d’un substantif, ou d’un adjectif, ou d’un autre participe, il s’accorde aussi, comme dans les verbes actifs, avec le régime simple qui le précède. En voici un exemple, qui réunissant ces trois espèces de mots, suffira pour l’explication de cette règle. = Ces femmes se sont déclarées les maîtresses de la maison : elles se sont ensuite reconnues coupables, et se sont vues contraintes à faire cet aveu.

Peu importe que le sujet soit mis après le verbe. La règle est encore ici la même que dans les verbes actifs ; et le participe doit prendre le genre et le nombre du régime simple, dont il est précédé. Ainsi de même qu’il faut dire : les lois que les Romains s’étaient prescrites, étaient fort sages : les pénitences que de pieux solitaires se sont imposées, sont très austères : la gloire que nos soldats se seraient acquise, aurait été au-dessus de tous les éloges ; on doit dire aussi : les lois que s’étaient prescrites les Romains, étaient fort sages : les pénitences que se sont imposées de pieux solitaires, sont très austères : la gloire que se seraient acquise nos soldats,aurait été au-dessus de tous les éloges.

Enfin, quand le participe d’un verbe réciproque est suivi d’un infinitif, il faut voir, comme dans les verbes actifs, si le régime simple qui précède, dépend du participe, ou du verbe qui est à l’infinitif. = La science que nous nous sommes proposé d’étudier, est très utile. = Le fort que les ennemis se sont obstinés à assiéger, était imprenable. Je dis proposé, et non proposée ; obstinés, et non obstiné, parce que le pronom relatif que, est régi, non par ces participes, mais par les infinitifs étudier et assiéger, puisqu’on pourrait dire : nous nous sommes proposé d’étudier une science très utile ; les ennemis se sont obstinés à assiéger un fort imprenable.

Dans ces exemples : elle s’est fait peindre ; ils se sont fait peindre ; je dis fait, parce que le pronom se est régi par le verbe peindre, ou plutôt, comme je l’ai déjà remarqué, par le participe fait et l’infinitif peindre, qui sont ici deux mots inséparables. C’est comme si l’on disait : elle a fait peindre elle : ils ont fait peindre eux.

Mais on dira, elle s’est laissée aller : elle s’est laissée tomber : elle s’est laissée mourir. Laissée, parce que le pronom se est régi par ce participe, et non par les verbes aller, tomber, mourir, qui sont des verbes neutres ; c’est-à-dire, elle a laissé elle aller, tomber, mourir. Il faut dire au contraire, elle s’est laissé séduire : elle s’est laissé mener : elle s’est laissé battre. Laissé, parce que le pronom se est le régime, non pas de ce participe, mais des verbes séduire, mener, battre, qui sont des verbes actifs ; c’est-à-dire, elle a laissé séduire, mener, battre elle.

Tel est le principe simple et unique, mais fixe et invariable, qui répand la plus vive et la plus pure lumière sur cette question de notre grammaire, qu’on regardait autrefois comme une des plus difficiles à éclaircir. Duclos dit qu’il exposa ce principe à l’Académie, et à quelques-uns de ceux qui auraient été faits pour en être ; qu’on lui fit toutes les objections qui pouvaient le vérifier, et que tous finirent par le lui avouer. Il est donc assez surprenant que Wailly ne l’ait point admis dans toutes ses applications ; et d’autant plus surprenant, qu’il n’a établi son opinion particulière que sur des raisons peu solides, qui peuvent même rendre la règle du participe, plus embarrassante et bien moins facile à retenir.

Observations sur une remarque de Wailly.

On a vu que je pense, après Duclos, l’abbé d’Olivet, et l’Académie, qu’il faut dire d’une femme : on l’a laissée tomber, mourir : elle s’est laissée aller, tomber, mourir. Wailly pense, au contraire, qu’il faut dire au masculin, en parlant d’une dame : on l’a laissé tomber, mourir : elle s’est laissé aller, tomber, mourir. Pourquoi ? Parce que, suivant lui, on dit toujours : on a laissé tomber, mourir madame la présidente, et qu’on ne dirait pas bien : on a laissé madame la présidente tomber, mourir.

Il est aisé de répondre d’abord qu’on dit toujours aussi : on a vu arriver madame la présidente, et que l’on ne dirait pas bien : on a vu madame la présidente arriver. Faudra-t-il donc dire au masculin, en parlant de cette dame : on l’a vu arriver ? On serait autorisé, d’après Wailly, à tirer cette conséquence. Elle serait cependant très fausse, suivant tous les grammairiens, et Wailly lui-même, qui dit que Racine n’a point dérogé à la règle, quand il a fait dire à Néron, en parlant de Junie :

Cette nuit je l’ai vue arriver en ces lieux.

J’ajoute qu’on s’exprimerait très correctement, en disant : on a laissé madame la présidente tomber, mourir ; et que si l’on dit ordinairement : on a laissé tomber, on a laissé mourir madame la présidente ; c’est parce que ces mots, ainsi arrangés, flattent bien plus agréablement l’oreille.

Mais Wailly prétend que le participe laissé, et l’infinitif dont il est suivi, sont des mots inséparables, qui ne présentent qu’une idée à l’esprit, et qu’ainsi ce participe doit, dans toutes ces circonstances, être employé au masculin.

Ce principe et cette conséquence sont également inadmissibles. En effet, si le participe laissé, et l’infinitif qui le suit, sont réellement des mots inséparables, il est clair que, dans quelque ordre de construction que ce soit, on ne pourra jamais les séparer, en mettant le régime entre le participe et l’infinitif. Or nous voyons le contraire dans ces exemples : = on prétendit que le duc, séduit par les conseils de ses favoris, avait laissé ce malheureux prince mourir de faim dans sa prison. = Nous avons laissé tous ces jeunes gens courir en liberté dans la campagne. = Ils ont laissé leur mère désolée, succomber à sa douleur. Quel est le grammairien, même parmi les plus rigides, qui trouvera ces phrases incorrectes ; quoique le régime y soit placé entre le participe et l’infinitif ? Donc ce participe laissé, et l’infinitif qui le suit, ne sont pas des mots inséparables.

Au contraire, le participe fait, et l’infinitif dont il est suivi, le sont réellement, puisqu’ils ne peuvent jamais être séparés l’un de l’autre par le régime. Il serait en effet absurde de dire, par exemple : on a fait ces personnes mourir, c’est-à-dire, qui mouraient, ou qui étaient près de mourir ; tomber, c’est-à-dire, qui tombaient, ou qui étaient sur le point de tomber ; courir, c’est-à-dire, qui couraient, ou, qui voulaient courir ; passer, c’est-à-dire, qui passaient, ou qui se sont présentées pour passer.

La preuve complète de ce que je viens d’avancer, se trouve dans la propre signification des deux verbes laisser et faire, joints à un infinitif. Le verbe laisser, signifie permettre, souffrir, ne pas empêcher une chose ; et le verbe faire, signifie être la cause prochaine ou éloignée, mais toujours directe et positive d’une chose : ce qui est évidemment bien différent. Voilà pourquoi, d’un côté, le participe laissé, pouvant toujours être séparé du verbe neutre auquel il est joint, régit lui-même le nom ou pronom en régime simple qui les précède, et dont par conséquent il doit prendre le genre et le nombre. Voilà pourquoi, d’un autre côté, le verbe faire ne pouvant jamais être séparé du verbe dont il est suivi, de quelque espèce qu’il soit, ne présente avec cet infinitif qu’une idée à l’esprit. Ainsi le nom ou pronom qui les précède, et qui est en régime simple, ne se rapporte pas uniquement au participe fait, et ne peut pas non plus se rapporter au verbe neutre qui le suit. Mais il se rapporte à tous les deux conjointement, parce que le participe ne faisant qu’un avec l’infinitif, communique à celui-ci la faculté d’avoir un régime. D’où il s’ensuit que ce participe n’étant pas seul régissant, ne peut point s’accorder avec le régime antécédent.

Au reste ce participe fait, est le seul de notre langue, qui, dans ces circonstances, ne prend jamais ni le genre ni le nombre.

Mais pour ne pas m’appesantir davantage sur une question, qui, d’après le principe établi, et d’après la saine raison même, doit paraître très oiseuse, je prierai le lecteur d’ouvrir le dictionnaire de l’Académie. Il y lira au mot laisser : « on dit qu’une fille s’est laissée aller, pour dire qu’elle s’est laissé séduire ». Voilà dans l’exemple, le participe laissée au féminin, parce qu’il prend le genre et le nombre du pronom se qui le précède, et qu’il régit ; le verbe neutre aller ne pouvant le régir lui-même. Voilà dans l’explication de l’exemple, le participe laissé au masculin, parce que ce même pronom se n’est régi que par le verbe actif séduire. N’est-ce pas là une preuve bien claire, que l’Académie a pleinement adopté le principe de Duclos et de l’abbé d’Olivet.

Participe placé au commencement de la phrase.

Il ne me reste plus qu’à dire un mot du participe mis au commencement d’une phrase. Il y est fort bien placé, 1°. lorsqu’il se rapporte à un nom ou à un pronom substantif, (voyez ce que j’ai dit, pag. 26), qui est en sujet. = Honoré de la confiance du roi, le nouveau ministre ne tarde pas à justifier le choix du prince par ses talents. = Pressés de toutes parts, accablés par le nombre des ennemis, nous n’avons pu nous battre qu’en retraite. 2°. Lorsqu’il se rapporte naturellement et sans équivoque à un nom ou à un pronom substantif, qui est en régime, soit simple, soit composé ; comme dans ces vers de Racine, et dans la phrase suivante :

Chargé du crime affreux dont vous me soupçonnez,
Quels amis me plaindront quand vous m’abandonnez ?
Ou lassés ou soumis,
Ma funeste amitié pèse à tous mes amis.

Toujours redoutée, il ne lui manquait (à la France) que d’être aimée. Ce sont là des inversions élégantes, qui donnent de la grâce au discours. Cette remarque a lieu pour l’adjectif et pour le substantif, placés au commencement d’une phrase.

Mais si le participe, ou l’adjectif, ou le substantif ne se rapportant point à un nom, se rapportent seulement au pronom adjectif, qui est joint à ce nom, alors la construction est vicieuse. C’est ce qu’on voit dans ces vers de Voltaire :

Vaincu, mais plein d’espoir, et maître de Paris,
Sa politique habile, au fond de sa retraite,
Aux ligueurs incertains, déguisait sa défaite.

ici le participe vaincu, l’adjectif plein, et le substantif maître, ne se rapportent qu’au pronom adjectif sa, qui est mis pour de lui ; et c’est ce qui rend la phrase incorrecte.

Suivant ce principe, il y a une faute dans ces beaux vers de Racine :

Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux.

On dira, sans doute, qu’il ne faut pas juger les poètes si sévèrement, et que la poésie a des licences qui l’affranchissent des entraves de la prose. Que cela soit vrai, ou ne le soit pas, il ne sera pas moins certain que le grammairien doit toujours faire remarquer les fautes, même les plus légères, échappées à nos bons écrivains, de peur que l’autorité de ces hommes supérieurs ne jette quelque incertitude dans les règles. D’ailleurs, nos plus grands maîtres ont senti la nécessité de s’assujettir aux lois grammaticales, pour bien écrire en vers ; et c’est aux poètes mêmes, que Boileau s’adresse, lorsqu’il dit :

Surtout qu’en vos écrits, la langue révérée,
Dans vos plus grands excès, vous soit toujours sacrée.

Au reste, on verra dans l’article de la clarté du style, ce que je dois dire sur ce sujet.

II.

Remarques sur les Gérondifs.

Gérondifs, qui sont précédés de la préposition en : gérondifs qui ne le sont pas.

Les gérondifs ne sont point précédés de la préposition en, lorsqu’ils désignent simplement l’état du sujet qui agit, la cause et le fondement de l’action. = Ce grand ministre donnait une égale attention à toutes les affaires, agissant, tout à la fois, avec la même vivacité dans les diverses parties de l’Europe. = Les courtisans préférant leur avantage particulier au bien général, ne donnent que des conseils intéressés. Dans le premier exemple, le gérondif marque une espèce d’état du sujet, et dans le second, la cause de l’action.

Si ces gérondifs expriment une circonstance de l’action, une manière dont on la fait, ou un moyen de parvenir à une fin, ils doivent être précédés de la préposition en. = Je lis en me promenant. = On dit souvent la vérité en riant. = On jouit de la paix du cœur, en maîtrisant ses passions. Ici, le premier gérondif exprime une circonstance ; le second, une manière ; le troisième, un moyen.

Il est essentiel de saisir cette distinction, parce que la préposition en, employée ou supprimée avant un gérondif, change entièrement le sens d’une phrase. Je vous ai vu, en lisant l’histoire de France, ne signifie pas la même chose que, je vous ai vu lisant l’histoire de France. La première phrase signifie : je vous ai vu, pendant que je lisais, etc. ; et la seconde, je vous ai vu, lorsque vous lisiez, etc.

On peut juger, par ce second exemple, que ces gérondifs qui ne sont pas précédés de en, se rapportent fort bien à un régime simple : ils peuvent alors se tourner par un autre temps du verbe, précédé du relatif qui. = J’ai rencontré votre ami, partant (ou, qui partait) pour la campagne. = Vous voyez cet homme, formant (ou, qui forme) toujours de nouveaux projets, et n’en exécutant (ou, qui n’en exécute) aucun.

Mais lorsqu’on emploie ces gérondifs, en les plaçant, soit au commencement, soit dans le corps de la phrase, il faut qu’il y ait dans cette phrase un mot auquel ils puissent se rapporter naturellement et sans équivoque. Celle-ci, par exemple, serait vicieuse. = Étant résolu de partir, nous terminerons cette affaire. On ne verrait pas en effet si ce gérondif se rapporte à celui qui parle, ou à la personne à laquelle il parle. Il faudrait donc dire, pour ôter l’équivoque : comme je suis, ou comme vous êtes résolu de partir, etc., selon le sens qu’on voudrait marquer.

Les gérondifs, soit présents, soit passés, peuvent former un membre d’une phrase, sans qu’ils se rapportent précisément à aucun mot particulier de cette même phrase, c’est-à-dire, au sujet ou au régime : on les appelle alors gérondifs absolus. Ainsi, les phrases suivantes sont correctes. = Les savants ayant décidé cette question, il serait hors de propos de s’y arrêter davantage. = La géographie et la chronologie étant les deux yeux de l’histoire, nous devons, pour étudier avec fruit cette dernière science, posséder suffisamment les deux premières. = La capitale ayant été soumise, les provinces ne tardèrent pas à rentrer dans le devoir.

Gérondifs différents des adjectifs verbaux.

Il ne faut pas confondre les gérondifs avec les adjectifs verbaux, ainsi appelés, parce qu’ils sont formés des verbes. Les premiers expriment toujours une action ; les autres ne font que qualifier. Voici des exemples des mêmes mots employés sous ces deux rapports. = Les hommes bas vont toujours rampant devant les grands. = Les avares sont les plus méprisables des égoïstes, n’obligeant jamais personne. Ici, rampant et obligeant sont gérondifs, parce qu’ils expriment une action. Mais dans ces phrases : les hommes bas sont toujours rampants : les avares ne sont jamais obligeants ; ces mots sont des adjectifs verbaux, parce qu’ils servent à qualifier.

On doit faire attention à cette différence, parce que les gérondifs ne prennent ni genre ni nombre, tandis que les adjectifs verbaux suivent la règle des adjectifs. Voltaire a fait une faute dans ces vers à l’empereur de la Chine :

Ton peuple est-il soumis à cette loi si dure,
Qui veut qu’avec six pieds d’une égale mesure,
De deux alexandrins, côte à côte marchants,
L’un serve pour la rime, et l’autre pour le sens ?

Il aurait fallu dire marchant, parce que ce mot est un gérondif, et non un adjectif verbal.

III.

Remarques sur les modes et les temps du Verbe.

L’emploi des modes et des temps du verbe étant assez connu par l’usage, je ne m’attacherai qu’à quelques remarques essentielles.

Usage du présent de l’indicatif, du parfait défini, et de l’indéfini.

On peut employer le présent de l’indicatif pour un passé, quand on raconte quelque chose, et qu’on veut donner plus d’énergie et de vivacité au récit. Mais il faut alors que tous les verbes de la même phrase soient mis au présent. Celle-ci n’est pas correcte. = Ils tombent sur les ennemis avec une telle furie, qu’ils les firent plier et reculer. Il fallait dire, qu’ils les font plier.

Cette règle doit être également observée pour le parfait défini et l’indéfini, à moins que le premier ne soit accompagné d’une circonstance, qui marque un temps entièrement écoulé. Ainsi l’on ne pourrait pas dire : j’ai vu l’acteur qui débuta par le rôle d’Agamemnon. Il faudrait dire, qui a débuté. Mais on dirait fort bien : j’ai vu l’acteur qui débuta, la semaine dernière, par le rôle d’Agamemnon ; ou, dans une autre circonstance : je vis, la semaine dernière, l’acteur qui a débuté par le rôle d’Agamemnon.

Ne vous servez jamais du parfait indéfini, qu’en parlant d’un temps qui n’est pas entièrement écoulé. Bien des personnes disent, par exemple : j’ai reçu hier votre lettre. J’ai vu hier la pièce nouvelle. Le jour d’hier étant entièrement écoulé, on doit employer le parfait défini, et dire : je reçus, je vis.

Par la raison contraire, on ne dirait pas bien : je vis votre frère cette semaine, ce mois-ci, cette année. La semaine, le mois, l’année n’étant pas entièrement écoulés, il faut dire : j’ai vu. Ainsi Racine ne s’est pas exprimé correctement, en faisant dire à Théramène, dans sa tragédie de Phèdre :

Le flot qui l’apporta, recule épouvanté.

Non plus que La Fontaine, dans sa fable du taon et du moucheron, en disant :

Comme il sonna la charge, il sonne la victoire.

Parce que les actions dont il s’agit ici, viennent de se passer. Il aurait fallu dire : suivant les règles grammaticales, qui l’a apporté : comme il a sonné la charge. C’est sur ce même principe, que l’Académie, dans son jugement sur la tragédie du Cid, condamna cette phrase que Corneille corrigea depuis : quand je lui fis l’affront, etc. Il s’agit d’un soufflet que D. Gomés vient de donner à D. Diègue.

Usage de l’indicatif et du subjonctif.

Il est essentiel de ne pas oublier qu’on met le verbe à l’indicatif, quand on veut affirmer une chose ; et au subjonctif, quand on en exprime une qui tient du doute ou du souhait, sans l’affirmer absolument. Voilà pourquoi il y a des conjonctions, après lesquelles on emploie tantôt l’indicatif, tantôt le subjonctif, selon la chose qu’on veut affirmer, ou qu’on exprime d’une manière qui marque le doute ou le souhait ; comme dans ces phrases : = il s’est placé, de manière qu’il peut tout voir et tout entendre : = il n’a rien dit autre chose, si ce n’est que vous êtes studieux et docile. Le verbe est ici à l’indicatif, parce que l’on affirme : = il veut se placer, de manière qu’il puisse tout voir et tout entendre : = il ne désire rien autre chose, si ce n’est que vous soyez studieux et docile. Le verbe est ici au subjonctif, parce qu’on exprime un souhait.

La conjonction que, placée entre deux verbes, est principalement assujettie à cette règle. Si l’on marque une affirmation ou une espèce de certitude, on met le second verbe à l’indicatif, comme dans ces phrases : = je vous assure qu’il est digne de votre estime : = vous conviendrez que j’ai pris de justes mesures pour réussir : = il croit que vous voudrez bien l’aider de vos conseils.

Si l’on marque le doute, la crainte, le désir, en un mot si l’on n’exprime pas quelque chose de positif, on met le second verbe au subjonctif, comme dans ces phrases : = je doute qu’il soit en état de bien répondre : = vous avez tort de craindre que je n’aie été trahi : = il désire que vous fassiez cette démarche pour lui.

Il en est de même, si le premier verbe est accompagné d’une négation ; comme : je n’espère pas qu’il vienne aujourd’hui : = il ne croit pas que vous puissiez remplir vos engagements.

Évitez une faute que bien des personnes font en parlant, et souvent même en écrivant. Elles mettent le présent du subjonctif après l’imparfait de l’indicatif, suivi de la conjonction que, et disent, par exemple : ne fallait-il pas que je m’en aille ; que je revienne ; que je parte ? Il y en a même qui disent : il a fallu que je fasse cela. Dites : ne fallait-il pas que je m’en allasse ; que je revinsse ; que je partisse ? = il a fallu que je fisse cela, ou, que j’aie fait cela, si l’on veut marquer un passé.

Après les relatifs qui, que, dont, précédés d’un superlatif relatif, le verbe doit être mis au subjonctif : = Racine est le poète le plus élégant, que la France ait produit, et Corneille le plus sublime dont elle puisse se glorifier.

Quelque… que, quoique, tout… que, sont des espèces de conjonctions, qui signifient à peu près la même chose. Néanmoins les deux premières veulent le subjonctif, et la dernière l’indicatif : = quelque éclairé que vous soyez, quoique vous soyez éclairé, tout éclairé que vous êtes, craignez de vous tromper.

Article V.

Observations sur les Prépositions.

Règles concernant les prépositions avant, devant, dans, au travers, près, vis-à-vis, et hors.

L’usage le plus commun aujourd’hui, est de supprimer le que après la préposition avant suivie d’un infinitif. Ainsi au lieu de dire avant que de partir, vous direz mieux avant de partir.

Promettez-moi, du moins, de ne décider rien,
Avant de m’accorder un second entretien.

Cette préposition devient adverbe, lorsqu’elle est employée avec les adverbes si, bien, trop, plus, assez, fort, ou la particule en : = vous creusez trop avant dans la terre. Il a pénétré bien avant dans le siècle passé. = Allez en avant.

Devant, ne s’emploie guère comme préposition, que pour signifier en présence, ou vis-à-vis. = Il a prêché devant le roi. = Mettez cela devant le feu. On ne doit point s’en servir pour marquer la priorité de temps, ni la priorité d’ordre. Ce ne serait pas parler correctement, que de dire : il est arrivé devant moi. L’article se met devant le nom. Il faudrait dire avant moi, avant le nom. Il y a cependant quelques circonstances, mais en très petit nombre, où devant marque l’ordre des places : = c’est mon ancien, il marche devant moi.

Les prépositions dans et en ne doivent pas s’employer l’une pour l’autre. Dans marque un sens précis, et signifie qu’on est dans un lieu à l’exclusion de tout autre. En marque un sens vague, et ne présente pas nécessairement cette exclusion : = il travaille dans la chambre. Il travaille en chambre. = Il est dans une pension. Il est en pension. = Il est en ville signifie, il n’est pas au logis. Il est dans la ville, signifie, il n’est pas à la campagne.

Dans, marque encore le temps auquel on fera ou l’on aura fait une chose : = il terminera, ou il aura terminé cette affaire dans trois mois. En marque le temps qu’on emploie à la faire : = il a terminé cette affaire en trois mois. Ainsi, j’arriverai dans quatre jours, signifie que je serai arrivé le quatrième jour ; et j’arriverai en quatre jours, signifie que je serai quatre jours en chemin.

On ne doit dire, en campagne, qu’en parlant du mouvement, du campement, ou de l’action des troupes. Dans toute autre signification, on doit dire : à la campagne : = l’armée est en campagne : = mon frère est à la campagne.

Le substantif, précédé de la préposition en, sans article, ne peut pas être suivi d’un adjectif. On dit, donner en spectacle : mais on ne doit pas dire, donner en spectacle funeste. Cette expression est, suivant l’Abbé d’Olivet, un barbarisme.

Remarquons ici, après l’Académie, que, quand cette préposition se joint avec un nom, elle ne reçoit jamais l’article pluriel les, immédiatement après elle, ni l’article le et la singulier, à moins qu’il ne soit suivi d’une voyelle ou d’une h non aspirée. Ainsi, on ne dit point, en les lieux, en les temps. Mais on dit fort bien, en l’honneur des saints, en l’absence d’un tel. L’Académie ajoute qu’on dit aussi ; en la présence de Dieu, et qu’il y a encore quelques formules, où en reçoit immédiatement après lui l’article : = ce procès a été jugé en la grand-chambre : = conseiller en la seconde des enquêtes : = président en la chambre des comptes.

Au travers prend de. À travers veut le, la, les. = Je vous ai vu au travers des vitres ; à travers les vitres.

Pendant peut être suivi d’un que. Durant ne peut pas l’être : = travaillez pendant que vous êtes jeune ; et non, durant que vous êtes jeune.

Les prépositions près et vis-à-vis prennent régulièrement de : = s’asseoir près de quelqu’un : = se placer vis-à-vis de quelqu’un. Cependant on peut, suivant l’Académie, supprimer de dans le discours familier : = être logé près le château des Tuileries : = demeurer vis-à-vis le palais.

Cette préposition près sert bien souvent à marquer un temps proche. Elle signifie alors sur le point de ; et l’on ne doit pas la confondre avec prêt, adjectif, qui signifie, disposé à quelque chose, en état de faire, ou de souffrir quelque chose. Près de combattre, signifie, sur le point de combattre et prêt à combattre, signifie, disposé à combattre. Ainsi ce n’est pas s’exprimer correctement, que de dire, cette ville prête à succomber, se soutint par la constance et la sagesse du sénat. Il fallait dire, sur le point, ou, près de succomber, parce qu’en effet cette ville n’y était pas disposée.

Quant à la préposition vis-à-vis, voici ce que dit Voltaire dans sa lettre à l’Abbé d’Olivet. « Dites-moi si jamais vous vîtes dans aucun bon auteur de ce grand siècle de Louis XIV, le mot de vis-à-vis, employé une seule fois, pour signifier envers, avec, à l’égard ? y en a-t-il un seul qui ait dit, ingrat vis-à-vis de moi, au lieu d’ingrat envers moi : il était fier vis-à-vis de ses supérieurs, pour, fier avec ses supérieurs ? » Il faut soigneusement éviter cette faute.

Répétition des prépositions

Hors, signifiant exclusion ou séparation, prend de : = il est hors de la maison ; hors du royaume. Mais il ne le prend point, quand il signifie, excepté : = je ferai tout pour vous, hors la démarche que vous souhaitez.

La même remarque que j’ai faite sur la répétition de l’article et des pronoms possessifs, a lieu pour les prépositions. On doit les répéter avant des noms ou des verbes qui signifient des choses opposées, ou tout à fait différentes. = Rien n’est moins selon Dieu et selon le monde, que d’appuyer tout ce que l’on dit dans la conversation, jusqu’aux choses les plus indifférentes, par de longs et fastidieux sermens. = Ayez le courage de tout dire, pour vous justifier, ou pour vous déclarer coupable. Ainsi, il y a une faute dans cette phrase de Massillon  : = Il réconciliera les peuples et les rois, loin de les diviser pour les affaiblir, et élever sa puissance sur leurs divisions et sur leur faiblesse. Il fallait dire, et pour élever sa puissance, etc.

Cependant si les deux verbes ne sont suivis d’aucun régime, on peut se dispenser de répéter la préposition. Ainsi l’on dira fort bien : ne jugez pas ce criminel, sans l’avoir entendu et examiné.

Article VI.

Observations sur les Adverbes.

Règles concernant les adverbes plus, davantage, moins, mieux, pas si, aussi, tant, autant, non plus, rien moins, auparavant, dessus, dessous, dedans, dehors, et autour.

Plus et davantage ne peuvent pas s’employer l’un pour l’autre. Davantage ne peut ni se mettre avant un adjectif, ni avoir à sa suite de et que. On ne dira donc pas : il y a davantage de brillant que de solidité, mais plus de brillant : = ce général travaillait davantage à rendre les peuples heureux, qu’à enrichir ses troupes. Il faut, travaillait plus.

C’est aussi une faute de mettre davantage pour le plus. Au lieu de dire : cet ouvrage est celui qui me plaît davantage ; dites, qui me plaît le plus.

Quand les adverbes comparatifs, plus, moins, mieux, pis, et les adjectifs, meilleur, moindre, pire, sont suivis d’un que, et d’un verbe à l’indicatif, on met ne avant ce verbe. Il en est de même de l’adverbe autrement, et de son adjectif autre : = la science donne plus de considération, que la fortune ne peut en donner : = il écrit mieux qu’il ne parle : = ces fruits sont meilleurs qu’on ne se l’imagine : = il est moins riche qu’il ne le paraît : = c’est autre chose que je ne croyais.

On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.

Quand mieux, autant, sont suivis de deux infinitifs, il faut mettre de avant le second : = le brave militaire aime autant, aime mieux mourir, que de faire la moindre lâcheté dans les combats. Ainsi il y a une faute dans ces vers de Voltaire :

J’ai prévu ta réponse. Il vaut mieux expirer
Et mourir avec toi, que se déshonorer.

Il aurait fallu, que de se déshonorer.

Les adverbes, moins, plus, si, aussi, tant, autant, doivent toujours être suivis d’un que, et non de la conjonction comme. Ainsi il y a une faute dans cette phrase : = si l’on ne voit pas briller les grands talents aussi communément dans les gens de basse condition, comme dans les autres ; c’est faute de soins et de culture : il fallait dire, que dans les autres.

On doit employer, non plus, pour aussi, pareillement, quand la phrase est négative. Ainsi au lieu de dire : l’âme du ministre français, qui n’avait pas la barbarie de celle de cet usurpateur, n’en avait pas aussi la grandeur ; dites, n’en avait pas non plus la grandeur.

Rien moins, est une expression très usitée, et, suivant l’Académie, a quelquefois deux acceptions opposées. Avec le verbe être, rien moins signifie le contraire de l’adjectif qui le suit. Il n’est rien moins que sage, veut dire, il n’est point sage. Rien moins, employé impersonnellement, a aussi un sens négatif. Il n’y a rien de moins vrai que cette nouvelle, veut dire, cette nouvelle n’est pas vraie. Mais avec un verbe actif, réciproque ou neutre, le sens serait équivoque, s’il n’était déterminé par ce qui le précède : = vous le croyez votre concurrent ; il a d’autres vues ; il ne désire rien moins, il ne se propose rien moins, il n’aspire à rien moins, qu’à vous supplanter ; c’est-à-dire, qu’il n’est point votre concurrent : = vous ne le regardez pas comme votre concurrent ; cependant il ne désire rien moins, il ne se propose rien moins, il n’aspire à rien moins qu’à vous supplanter ; c’est-à-dire, qu’il est votre concurrent.

Auparavant étant toujours adverbe, ne doit jamais être suivi d’un régime ni d’un que. Ne dites donc pas : il est arrivé auparavant son frère ; auparavant que l’affaire fût terminée ; mais, avant son frère ; avant que l’affaire fût terminée.

On ne doit pas confondre dessus, dessous, dedans, dehors, qui sont presque toujours adverbes, avec sur, sous, dans, hors, qui sont prépositions, et toujours suivis d’un régime : les premiers n’en ont pas. Ainsi Voltaire ne s’est pas exprimé correctement en disant :

Bientôt lassés de leur belle aventure,
Dessous un chêne ils soupent galamment.

Il devait dire, sous un chêne. Voltaire lui-même a relevé une pareille faute, dans son commentaire sur les tragédies de Corneille.

Il y a des cas où ces adverbes deviennent prépositions, et ont par conséquent un régime. C’est, 1° lorsqu’on en met plusieurs ensemble, et qu’on ne place le nom qu’après le dernier : = il y a des animaux dessus et dedans la terre. 2.° Lorsqu’ils sont eux-mêmes précédés des mots, de, au, ou par : = ôtez tous ces papiers de dessus cette table : = les ennemis ont passé par dedans la ville : = vous avez fait une action au-dessus de tout éloge.

Il ne faut pas non plus confondre autour avec alentour. Le premier est toujours préposition, et a toujours un régime. Le second n’en a jamais, parce qu’il est adverbe. On dira, il tourne autour de vous ; non pas, alentour de vous.

Article VII.

Observations sur les Conjonctions.

Règles concernant les conjonctions et, pour, sans, plutôt que, ne, ne pas, ni, pas, point, et que.

Quelques grammairiens prétendent qu’une phrase n’est pas correcte, lorsque la conjonction et y est placée entre le régime simple d’un verbe, et le sujet d’un autre verbe ; comme dans celle-ci : Germanicus a égalé sa vertu, et son bonheur n’a jamais eu de pareil. Il semble d’abord, disent-ils, que bonheur soit, ainsi que vertu, le régime du verbe égalé, tandis qu’il est le sujet du verbe a eu.

Ces grammairiens pourraient bien paraître un peu trop rigides. Quoi qu’il en soit, je pense avec eux que, quand le sujet du second verbe est séparé de ce verbe par plusieurs mots, la phrase n’est réellement pas correcte. Telle est celle-ci : pour réussir, il employait l’artifice ; et l’adresse qu’il mettait en usage, le faisait venir à bout de beaucoup de choses. Il faut éviter avec soin ces sortes de constructions, et prendre un autre tour. C’est ce que n’a pas fait Wailly, qui prescrit néanmoins bien formellement, cette règle, contre laquelle il lui est échappé cette faute dans la préface de sa grammaire : j’ai retouché les régles des participes ; et les phrases que j’ai ajoutées et analysées, rendront plus facile et plus sensible l’application de ces règles .

Les conjonctions pour, sans, et les autres qui sont suivies d’un infinitif, ne peuvent s’employer avec cet infinitif, que quand il se rapporte au sujet de la phrase. Ainsi l’on dira bien : un honnête homme ne peut manquer à sa parole, sans se déshonorer, parce que l’infinitif déshonorer se rapporte à honnête homme, qui est le sujet. Mais on ne pourra pas dire avec un historien : la vie de ce monarque ne fut pas assez longue, pour mettre la dernière main à tous ces projets ; parce que l’infinitif mettre ne se rapporte pas à vie, qui est le sujet, mais à monarque. Il faut dire, pour qu’il mît.

Plutôt que est une sorte de conjonction qui, placée avant un infinitif, doit toujours être suivie de la préposition de. Ainsi ne dites pas avec un historien, les habitants, déterminés à mourir, plutôt qu’à se rendre, firent une très vigoureuse résistance . Il faut, plutôt que de se rendre.

La conjonction négative ne, doit être mise après la conjonction à moins que. = Je ne sortirai pas, à moins qu’il ne fasse beau, à moins que vous ne veniez me prendre.

On la met aussi avec le que qui suit les verbes douter et nier, lorsque ces verbes sont précédés d’une négation = Je ne doute pas, je ne nie pas que cela ne soit. S’il n’y a point de négation, on supprime ne. = Je doute, je nie que cela soit.

Après peu s’en faut que, on met toujours ne. = Peu s’en faut que son ouvrage ne soit achevé. Mais si ce verbe est accompagné d’un autre adverbe que peu, on est libre d’employer ou de supprimer ne. L’Académie dit : Il s’en faut beaucoup que l’un soit du mérite de l’autre. = Vous dites qu’il s’en faut tant que la somme entière n’y soit ; il ne peut s’en falloir tant.

Prendre garde, signifiant prendre ses mesures, veut ne avec le que qui le suit = Prenez garde qu’on ne vous trompe. Il veut ne pas, lorsqu’il signifie, faire réflexion. = Prenez garde que l’auteur ne dit pas ce que vous pensez.

Quand le verbe empêcher n’a point de négation, il faut joindre ne au second verbe. = Empêchez qu’on ne chante. Quand il est accompagné d’une négation, il faut supprimer ne avant le second verbe. = N’empêchez pas qu’on chante.

Il en est de même des verbes craindre, avoir peur, appréhender. Les deux exemples se trouvent dans ces vers de Racine :

Hélas ! on ne craint point qu’il venge un jour son père ;
On craint qu’il n’essuyât les larmes de sa mère.

Il faut cependant observer qu’après ces verbes suivis de la conjonction que, on met seulement ne, lorsqu’il s’agit d’un effet qu’on ne désire pas. = Je crains, j’ai peur, j’appréhende que vous ne perdiez votre procès. Lorsqu’il s’agit d’un effet qu’on désire, on met ne pas. = Je crains que ce fripon ne soit pas puni. Il en est de même après ces manières de parler, de crainte que, de peur que. Lorsque l’on dit, de crainte qu’il ne perde son procès, on souhaite qu’il le gagne ; et de crainte qu’il ne soit pas puni, on souhaite qu’il le soit.

La conjonction ni doit être employée, pour lier les mots, quand on nie une chose, et non quand on l’affirme. Ainsi il y a une faute dans cette phrase de La Bruyère. = Un homme d’esprit, et qui est né fier, ne perd rien de sa fierté et de sa roideur, pour se trouver pauvre. Il fallait, ni de sa roideur, parce que la phrase est négative. Boileau ne s’est pas non plus exprimé correctement lorsqu’il dit que celui qui inventa les lois rigoureuses du sonnet,

Défendit qu’un vers faible y pût jamais entrer,
Ni qu’un mot déjà mis osât s’y remontrer.

il fallait, et qu’un mot, parce que la phrase est affirmative.

On demande s’il faut dire : il n’est point de mémoire d’un plus rude et d’un plus furieux combat. Suivant le principe établi, on ne le peut point. D’ailleurs l’Académie préfère : il n’est point de mémoire d’un plus rude ni d’un plus furieux combat .

Pas et point sont des conjonctions qui expriment la négation. Mais suivant l’abbé Girard, pas l’énonce simplement : point l’appuie avec force et paraît l’affirmer. Pas ne nie souvent la chose, qu’en partie ou avec modification : point la nie toujours absolument, totalement et sans réserve. Voici l’exemple que l’Académie apporte en preuve. On dira également : il n’a pas d’esprit ; il n’a point d’esprit ; et l’on pourra dire : il n’a pas d’esprit ce qu’il en faudrait pour une telle place. Mais quand on dit : il n’a point d’esprit ; on ne peut rien ajouter. Point suivi de la particule de, tranche donc absolument, et forme une négation parfaite ; au lieu que pas laisse la liberté de restreindre ou de réserver.

Pas vaut mieux que point, avant plus, moins, si, autant et autres termes comparatifs, ainsi qu’avant les noms de nombre. = Démosthène n’est pas si diffus que Cicéron. = Vous ne trouverez pas deux hommes de votre avis. = Il n’a pas un livre. Point s’emploie mieux à la fin d’une phrase. = Si, pour acquérir de la fortune, il faut faire des bassesses, je n’en veux point. On le met encore pour non, dans les phrases interrogatives, et l’on ne peut jamais se servir de pas. = Lirez-vous ces vers ? point.

Ajoutons, après l’Académie, que pas convient mieux à quelque chose de passager et d’accidentel. = Il ne lit pas, c’est-à-dire, présentement. Point convient mieux à quelque chose de permanent et d’habituel. = Il ne lit point, c’est-à-dire, jamais, dans aucun temps.

On doit toujours joindre ne à pas et point, et se bien garder d’imiter Racine, qui a dit dans sa tragédie de Mithridate :

Les yeux peuvent-ils pas aisément se méprendre ?

il aurait fallu dire : les yeux ne peuvent-ils pas, etc.

Pas et point doivent se supprimer avant jamais, guères, plus, nul, aucun, rien, personne (pronom), ni, nullement, etc.

Ce serait faire un barbarisme, que de dire : je n’ai pas vu personne : je ne connais point aucun homme : je ne veux pas rien faire qui vous déplaise. Il faudrait dire : je n’ai vu personne :je ne connais aucun homme : je ne veux rien faire qui vous déplaise.

Ce serait aussi une faute de dire : il ne mange point, ni ne boit. Il faudrait supprimer point, et dire : il ne mange ni ne boit. Si ces verbes étaient employés dans des temps composés, il faudrait, de plus, répéter la conjonction ni avant chaque verbe, et dire : il n’a ni mangé ni bu.

Toutes les fois qu’il y a dans une phrase plusieurs choses liées ensemble, auxquelles on veut rendre la négociation commune, les bons grammairiens exigent qu’en supprimant point, on répète la conjonction ni avant chacune de ces choses. Ainsi l’on doit dire : il n’aime ni le jeu ni la table. = Un supérieur ne doit être ni trop sévère ni trop indulgent. Il y a donc une faute dans cette phrase de l’abbé Millot : ce pontife n’en devint pas moins fier, ni moins intrépide . Il fallait dire : ce pontife n’en devint ni moins fier, ni moins intrépide.

La même faute se trouve dans ces vers de Voltaire :

Il n’a pointaffecté l’orgueil du rang suprême,
Ni placé sa tiare auprès du diadème.

il auroat fallu répéter la conjonction ni, et dire : il n’a ni affecté l’orgueil du rang suprême, ni placé sa tiare auprès du diadème. En effet si l’on se rappelle ici que ni est une conjonction copulative, qui lie avec négation, on peut voir aisément que dans ces deux vers, il y a deux idées, dont la liaison doit être marquée par cette conjonction. Or, il faut annoncer cette liaison dès le commencement, en exprimant la première idée ; parce que sans cela, le sens paraîtrait complet après ce premier membre de la phrase, il n’a point affecté l’orgueil du rang suprême, puisqu’il ne laisserait rien à désirer. Au lieu que si vous dites, il n’a ni affecté l’orgueil du rang suprême, cette conjonction ni rend le sens suspendu, annonçant une autre idée, qui doit suivre, et avec laquelle la première est liée.

On supprime encore paset point, après, depuis que ; il y a… que, si le verbe qui suit ces expressions adverbiales, est au passé. On dira donc : depuis que je ne l’ai vu ; depuis que je ne le vois point : = il y a six mois que je ne l’ai vu ; il y a six mois que je ne le vois point.

Pas et point ne doivent jamais être employés après le verbe savoirpris dans le sens de pouvoir : = je ne saurais en venir à bout, pour, je ne puis en venir à bout. On les supprime avec élégance après les verbes cesser, oser, et pouvoir : = il n’a cessé de gronder : = on n’ose l’aborder : = je ne puis me taire.

Supprimez aussi pas et point avant que mis pour seulement. Crébillon a fait une faute, en disant :

Car il n’a point dû voir l’ennemi qui m’offense,
Que pour venger ma gloire ou trahir ma vengeance.

Il aurait fallu, il n’a du voir l’ennemi.

On connaît assez par l’usage les différentes manières d’employer la conjonction que. Je me bornerai donc à dire que quand ce mot est mis pour combien, il est particule. Alors l’adjectif ne doit pas être précédé de très, bien, fort. Il y a une faute dans ce vers de Crébillon.

Que cet heureux instant me doit être bien doux !

Il aurait fallu, que cet heureux instant me doit être doux !

Article VIII.

Du Gallicisme et des figures de construction.

On entend par gallicisme, une construction propre et particulière à la langue française. Cette construction est contraire aux règles communes de la grammaire : mais elle est autorisée par l’usage. = Le jour va finir, pour dire, le jour est sur le point de finir. = Je viens de le quitter, pour dire, il y a très peu de temps, il n’y a qu’un moment que je l’ai quitté. = Les bonnes gens sont aisés à tromper, pour dire, à être trompés, ou, il est aisé de tromper les bonnes gens. Voilà des expressions qui sont des gallicismes.

La conjonction que, jointe au verbe être, forme aussi un gallicisme : = c’est à vous que je parle : = était-ce à un homme si étourdi, que vous deviez confier votre secret ?

Voici deux gallicismes tirés d’une tragédie de Racine.

Avez-vous pu penser qu’au sang d’Agamemnona,
Achilleb préférât une fille sans nom,
Qui, de tout son destin ce qu’elle a pu comprendre,
C’est qu’elle sort d’un sang qu’il brûle de répandre.

Ce qui, dont le verbe ne paraît point, est un gallicisme.

Je ne sai qui m’arrête et retient mon courroux,
Que par un prompt avis de tout ce qui se passe,
Je ne coure des Dieux divulguer la menace.

Je ne sai qui m’arrête ; que je ne coure forment encore un gallicisme. Ces sortes de constructions rendent souvent la diction aisée, vive, naturelle, comme on le voit dans les charmantes lettres de madame de Sévigné. Il faut cependant les employer rarement et avec goût. Le trop grand usage deviendrait un abus, qu’on ne pourrait pas justifier, même dans un bon ouvrage.

Les figures de construction sont des irrégularités dans la grammaire, quoiqu’elles soient quelquefois des beautés et des perfections dans la langue. On en compte cinq ; la syllepse, l’ellipse, le pléonasme, l’hyperbate, et l’hypallage.

Syllepse.

La Syllepse ou conception, s’accorde plus avec notre pensée, qu’avec les mots du discours ; comme quand nous disons : il est six heures, au lieu de dire suivant les règles : elles sont six heures. Nous ne prétendons alors que marquer un temps précis, et une seule de ces heures, savoir la sixième, qui est l’objet de notre pensée. Racine a employé cette figure dans ces vers :

Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge,
Vous souvenant, mon fils, que caché sous ce lin,
Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin.

Et Fénelon dans cette phrase : il commence à faire sortir sa jeunesse lacédémonienne encore à demi-désarmée : mais l’ennemi ne les laisse point respirer . Le pronom eux dans le premier exemple, et le pronom les dans le second, forment une syllepse, parce qu’ils se rapportent à l’idée, et non aux mots.

Ellipse.

L’Ellipse ou défaut, est le retranchement d’un ou de plusieurs mots, autorisé par l’usage : = puissiez-vous être heureux ! c’est-à-dire, je souhaite que vous soyez heureux : = qu’il fasse le moindre excès, il tombe malade, c’est-à-dire, s’il arrive qu’il fasse le moindre excès, etc.

Boileau a fait une ellipse, en disant :

Écrive qui voudra : chacun à ce métier,
Peut perdre impunément de l’encre et du papier.

c’est-à-dire ; que celui qui voudra écrire, écrive.

Il y a aussi ellipse dans ce beau vers de Racine :

Je t’aimais inconstant : qu’aurai-je fait fidèle !

c’est-à-dire ; je t’aimais, quoique tu fusses inconstant : qu’aurai-je fait, si tu avais été fidèle ! Voilà, dit l’abbé d’Olivet, de toutes les ellipses que Racine s’est permises, la plus forte et la moins autorisée par l’usage. Mais, continue-t-il, ce qui rend l’ellipse, non seulement excusable, mais digne même de louange, c’est lorsqu’il s’agit, comme ici, de s’exprimer vivement, et de renfermer beaucoup de sens en peu de paroles, surtout lorsqu’une violente passion agite la personne qui parle. Hermione, dans son transport, voudrait pouvoir dire plus de choses, qu’elle n’articule de syllabes.

On trouvera encore plusieurs ellipses dans ces vers du même Poète :

Mes soldats presque nus dans l’ombre intimidés ;
Les rangs de toutes parts mal pris et mal gardés ;
Le désordre partout redoublant les alarmes ;
Nous-mêmes contre nous tournant nos propres armes ;
Des cris que les rochers renvoyaient plus affreux ;
Enfin toute l’horreur d’un combat ténébreux ;
Que pouvait la valeur dans ce trouble funeste ?

Les substantifs sujets, soldats, rangs, cris, horreur, dont le verbe est sous-entendu, forment autant d’ellipses.

Pléonasme

Le Pléonasme ou surabondance, est opposé à l’ellipse, et a quelques mots de plus qu’il ne faut ; comme, entendre de ses oreilles ; voir de ses yeux, etc. Voltaire a dit :

Les éclairs sont moins prompts : je l’ai vu de mes yeux,
Je l’ai vu qui frappait ce monstre audacieux.

Cette figure de construction consiste aussi dans la réduplication (ou répétition) du régime ou du sujet du verbe. Racine nous en fournit ces exemples :

Et que m’ a fait à moi cette Troie où je cours ?…
Moi-même, pour tout fruit de mes soins superflus,
Maintenant je me cherche et ne me trouve plus…
Un Roi sage, ainsi Dieu l’a prononcé lui-même,
Sur la richesse et l’or ne met point son appui.

Il faut avoir soin de n’employer le pléonasme, que quand il doit donner au discours, ou plus de grâce, ou plus de netteté, ou plus d’énergie. S’il ne produit point cet effet, il est vicieux.

Hyperbate.

L’Hyperbate ou inversion, est un tour particulier, qu’on donne à une phrase, et qui consiste principalement à faire précéder des mots ou une proposition, par d’autres, qui, dans l’ordre naturel, auraient dû les suivre : = déjà prenait l’essor, pour se sauver dans les montagnes, cet aigle, dont le vol hardi avait d’abord effrayé nos provinces  : = le tribut d’admiration qui est refusé aux grands hommes par leurs contemporains, la postérité sait le leur rendre. La construction naturelle de ces phrases est : cet aigle, dont le vol hardi avait d’abord effrayé nos provinces, prenait déjà l’essor, pour se sauver dans les montagnes. = La postérité sait rendre aux grands hommes le tribut d’admiration, qui leur est refusé par leurs contemporains. Mais on voit bien que ces phrases ainsi construites, ont moins de vivacité, de grâce et d’harmonie que les premières. Aussi emploie-t-on souvent cette figure, en plaçant le sujet après le verbe, ou le régime avant le sujet et le verbe.

Hypallage.

L’Hypallage est une figure par laquelle on fait un changement dans quelques expressions. Dire, par exemple : il n’avait point de souliers dans ses pieds, au lieu de dire, il n’avait point les pieds dans ses souliers, c’est, suivant l’Académie, faire une hypallage.