Principes généraux des Belles-Lettres.
Ce n’est pas sans raison que, dès notre plus tendre enfance, on nous enseigne les premiers éléments des Belles-Lettres, quelle que soit la carrière que nous devions fournir dans le monde. Cette étude, en débrouillant le chaos de nos idées, les multiplie insensiblement, les agrandit, les perfectionne, et nous accoutume peu à peu à concevoir avec une certaine facilité, à penser avec justesse, à nous exprimer avec une exacte rigueur. Elle présente ensuite à la jeunesse une charmante variété d’objets, dont la seule vue développe toutes les facultés de l’âme. L’esprit s’éclaire et s’enrichit ; le jugement se forme et se rectifie ; l’imagination s’embellit et s’enflamme ; le génie s’étend, s’élève, et prend déjà son essor, pour déployer bientôt toute sa grandeur et toutes ses forces. Mais plus on se livre à cette étude, plus on sent la nécessité d’asservir toujours l’esprit, le jugement, l’imagination, le génie, aux règles du bon sens, et aux lois de la saine raison.
Dans les divers empires, où les lumières ont fait quelques progrès, les Belles-Lettres ont toujours devancé les sciences. Elles en sont en effet la base la plus solide, la base nécessaire : sans les premières, nous ne pouvons acquérir les autres à un degré éminent, ni même les cultiver avec un succès distingué. Où sont les vrais savants, les savants un peu célèbres, qui, avant de le devenir, n’aient eu l’esprit suffisamment orné des connaissances littéraires ? S’il y en avait un seul, ce serait un de ces phénomènes, que la nature ne produit que dans l’espace de plusieurs siècles ; et l’on pourrait d’ailleurs assurer qu’à l’appui de ces connaissances, il eût marché d’un pas bien plus ferme, et se fût bien plus avancé dans la carrière.
Il est également certain que les Belles-Lettres servent à répandre et à faire goûter les sciences, par l’éclat, les agréments et l’intérêt qu’elles prêtent aux matières les plus abstraites, les plus arides et les plus rebutantes. Les beaux siècles d’Alexandre, d’Auguste, des Médicis, et de Louis XIV, ont vu les unes et les autres enchaînées par les rapports les plus étroits, et s’enrichir mutuellement. Les anciens reconnaissaient Apollon pour être tout à la fois le dieu des arts et le dieu des sciences : les neuf muses qui composaient sa cour, étaient des sœurs inséparables, formant un seul chœur, quoique chacune d’elles présidât à un art ou à une science particulière.
Mais ce ne sont pas là les seuls avantages que l’on retire de l’étude des Belles-Lettres. Il en est d’autres mille fois plus précieux sans doute ; tels que l’élévation, la noblesse et la sensibilité de l’âme, l’énergie et l’aménité du caractère, des mœurs douces et polies, des inclinations bienfaisantes et généreuses, l’amour de la justice et de l’humanité. Oui, les Belles-Lettres nous inspirent le goût des vertus morales, de la pratique desquelles dépendent l’harmonie et le bonheur de la société civile. Quand l’esprit est frappé des charmes de l’ordre et du beau, le cœur est plus susceptible de l’amour de l’honnête et du bon. Quand l’esprit se plaît à admirer les aimables et nobles traits qui caractérisent la vertu, le cœur est plus porté à l’aimer et à l’embrasser. On sait que les siècles d’ignorance ont été des siècles de barbarie, où la grossièreté des mœurs a enfanté les crimes les plus atroces, et les vices les plus monstrueux.
Quelles ressources d’ailleurs n’offrent point les Belles-Lettres contre l’ennui, ce fardeau, ce poison de l’âme, qui bien souvent en est accablée et dévorée, dans le centre même des plaisirs les plus piquants et les plus variés ! Le possesseur des trésors littéraires n’a point à craindre de se trouver avec lui-même. Combien de fois au contraire ne préfère-t-il pas l’humble silence de la retraite, à l’éclat bruyant des sociétés ! Les Belles-Lettres servent, comme l’a si bien dit Cicéron après Aristote, d’ornement dans la prospérité, et de consolation dans l’adversité. L’homme qui les cultive dans le sein de l’opulence et des honneurs, n’en est que plus heureux et plus grand à nos yeux ; ses dignités en reçoivent un nouveau lustre. Celui qui, victime des caprices du sort, ou des complots des méchants, (les exemples en sont-ils bien rares ?) paraît condamné à traîner, loin des hommes, une existence pénible et pleine d’amertume, puise dans les Lettres un courage ferme et d’abondantes consolations : elles lui font oublier ses disgrâces, ses revers, et lui tiennent lieu d’amis, de rang et de fortune. Le jeune-homme y trouve le véritable aliment de l’esprit ; le vieillard languissant un exercice qui l’amuse, et qui l’allège du poids de ses infirmités.
En un mot, dans tous les lieux, dans tous les âges, dans tous les états de la vie, cette étude si variée, si attrayante, nous procure les plaisirs les plus délicats, les plus purs et les plus durables que puisse goûter l’homme qui pense. La joie dont elle enivre notre âme, n’est point une joie vive et folâtre : mais elle est douce, tranquille, délicieuse et inaltérable. Que de motifs pour la jeunesse, de la regarder cette étude, comme une des plus importantes, des plus nécessaires, et d’y apporter toute l’application qu’elle mérite ! Le défaut des connaissances que nous avons négligé d’acquérir dans nos premières années, ne se répare jamais parfaitement. C’est une vérité également reconnue des personnes très instruites, et de celles qui ne l’étant que médiocrement, regrettent tous les jours la perte d’un temps si précieux.
Je ne prends point ici le mot Belles-Lettres, dans toute l’étendue de sa signification. Je la restreins, comme on le fait assez communément, à l’étude de la Grammaire, de la Rhétorique et de la Poétique, c’est-à-dire, à l’étude des principes nécessaires pour bien écrire en notre langue, et à celle des règles des divers genres de littérature, soit en prose, soit en vers. Ainsi cet ouvrage sera divisé en deux Parties. Dans la première, je traiterai de l’Art de bien écrire, et dans la seconde, des productions littéraires.