(1881) Rhétorique et genres littéraires
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(1881) Rhétorique et genres littéraires

Rhétorique

Tableau synthétique de la rhétorique

Invention Disposition Élocution Action

1° Arguments.

1° Arguments proprement dits ;

2° Lieux communs :

Intrinsèques ;

Extrinsèques.

2° Mœurs.

Qualités de l’orateur :

1° Mœurs réelles ;

2° — oratoires.

3° Passions.

L’amour et la haine.

Règles.

1° Émotion personnelle ;

2° Ton ou opportunité et mesure.

1° Exorde.

1° Proposition ;

2° Division ;

3° Narration ;

4° Confirmation ;

5° Réfutation :

Sophismes et paralogismes.

3° Péroraison :

Récapitulation ou Conclusion.

1° Qualités générales du style.

2° Ancienne division du style.

1° Style simple ;

2° — tempéré ;

3° — sublime.

3° Figures.

1° Figures de pensée.

1° de raisonnement ;

2° de passion ;

3° d’imagination.

2° Figures de mots.

1° de grammaire ;

2° de construction ;

3° de sens ou Tropes.

1° Voix ;

2° Geste ;

3° Physionomie. Mémoire.

APPENDICE

Exercices de rhétorique.

Narration,

Description,

Tableau,

Portrait,

Parallèle,

Éloge,

Discours,

Allégorie,

Lettre,

Rapport,

Dialogue,

Dissertation,

Analyse littéraire.

Introduction

Définition de la rhétorique

La Rhétorique (lat. rhetorica, de ῥητωρική, s. ent. τέχνη) est l’art de l’orateur (ῥητωρ).

Quintilien l’a définie l’art de bien dire. Bien dire, suivant Aristote, c’est la faculté de découvrir tous les moyens possibles de persuader sur quelque point que ce soit. D’après Bossuet, c’est l’art de parler éloquemment .

Éloquence et rhétorique, leur différence

L’Éloquence est le talent de persuader ; c’est un don naturel. La Rhétorique est un art, fruit de l’observation, qui comprend l’ensemble des règles puisées dans l’étude des modèles et dictées par le bon sens. Avec l’art seul on peut être disert, c’est-à-dire faire un discours dont le style soit pur, facile, élégant. Ex. Fléchier. — Mais il peut rarement suppléer à la nature, et pour produire une œuvre qui ait du nerf, de la passion, de la noblesse et du sentiment, il faut avant tout posséder ce don de l’âme qu’on appelle l’Éloquence. Ex. Bossuet . — En dépit de la maxime de Quintilien ( nascuntur poetæ, fiunt oratores ), on naît orateur comme on naît poète.

Utilité de la rhétorique, son but moral

Bien qu’elle ait été niée par Platon et d’autres écrivains, l’utilité de la Rhétorique est incontestable. Lorsqu’on n’en abuse pas comme les Sophistes, elle développe les dons naturels, règle les écarts de la passion, et donne à l’éloquence instinctive une supériorité qui est le résultat de l’étude et de l’expérience.

La Rhétorique a aussi un but moral, quoiqu’on lui ait reproché, souvent avec raison, de servir à défendre le pour et le contre. On peut dire avec Aristote : « La bonne cause est plus facile à plaider que la mauvaise et le bien se défend plus éloquemment que le mal. » La Rhétorique peut prévenir les erreurs de la justice ; elle est aussi plus capable que la science pure de faire pénétrer la vérité parmi les hommes.

Origine et naissance de la rhétorique

Fondée sur l’observation et sur l’étude des chefs-d’œuvre de l’esprit humain, la Rhétorique, comme tous les arts, a son origine dans le besoin qu’éprouve l’homme de se rendre compte de toutes choses. Elle a pris naissance en Grèce, de là s’est introduite à Rome et n’a été à l’origine que la théorie de l’art oratoire.

L’éloquence chez les anciens

Chez les anciens, en effet, la vie publique absorbait la vie privée. Leurs mœurs et leurs institutions politiques avaient fait de l’éloquence l’art le plus élevé. C’est alors que des orateurs ou rhéteurs (ῥήτωρες) sont venus, en ont donné les principes et déterminé les règles. L’éloquence a donc précédé la rhétorique, comme les langues ont précédé la grammaire.

Sophistes et rhéteurs

Les premiers rhéteurs chez les Grecs furent les sophistes. Pris en bonne part, ce nom désigna d’abord les interprètes et les panégyristes des poètes. Plus tard, excepté au ier  siècle après J.-C., il fut appliqué aux dialecticiens sceptiques qui enseignaient à prix d’argent l’art de soutenir le pour et le contre. Socrate en fut le plus impitoyable adversaire. Les plus célèbres furent Gorgias, Protagoras, Hippias, Polus.

Premiers traités de rhétorique, leur transformation

On fait remonter les premiers ouvrages sur l’art oratoire environ au cinquième siècle avant J.-C. Ils s’appelèrent Traités de Rhétorique. Plus tard, en prenant de l’extension, ils s’appliquèrent à l’art d’écrire, soit en vers, soit en prose, et gardèrent généralement avec le même titre les mêmes divisions.

L’éloquence et la poésie sont si intimement unies que, suivant Quintilien, les rhéteurs anciens appuyaient tous leurs préceptes sur l’autorité d’Homère. Aussi leurs ouvrages ont-ils pris quelquefois le nom d’Art poétique et les avons-nous admis dans notre histoire abrégée, de la Rhétorique. Les uns et les autres sont de véritables Traités de style, de composition et même, de critique littéraire.

Rhétorique chez les modernes

Peu cultivée au moyen âge, la théorie de l’art d’écrire, soit en vers, soit en prose, a repris faveur dans les dernières années de la Renaissance et au dix-septième siècle. Les traités de ce genre se multiplièrent au dix-huitième. Notre époque est moins didactique. En dehors des livres destinés aux maisons d’éducation, et qui ne sont pour la plupart que des abrégés des anciennes rhétoriques, c’est plutôt chez les maîtres de la critique contemporaine que la doctrine s’est produite sous une autre forme.

Auteurs.

Dates.

Nés en — Morts en

Ouvrages.
Rhétorique chez les anciens.
1° Grecs.
Avant J.-C.
Platon 430 ? — 347 Gorgias ou la Rhétorique.
Aristote 334 — 322 Rhétorique ; — Poétique.
Denys d’Halicarnasse 54 ? — 7 Traité de l’arrangement des mots.
Après J.-C.
Plutarque 40 ? — 120 ? Pas de traité spécial de Rhétorique ; nombreuses pensées et observations sur ce sujet dans ses différentes œuvres
Lucien 125 ? — 200 ? De la manière d’écrire l’histoire.
Longin 213 ? — 273 Rhétorique ; — Traité du sublime.
2° Romains
(Imitateurs des Grecs.)
Avant J.-C.
Cicéron 106 — 43 Rhétorique à Herennius ? — De l’Invention ; — Dialogues sur l’orateur ; Brutus, ou des Orateurs illustres ; — l’Orateur ; — les Topiques, etc.
Horace 65 — 8 Art poétique (Épître aux Pisons).
Après J.-C.
Quintilien 35 ? — 95 ? De l’éducation de l’orateur (De Institutione oratoria.).
Tacite 54 ? — 119 ? Dialogue sur les Orateurs ?
Rhétorique en France.
XVIe siècle.
Sibilet (Thomas) 1512 ? — 1589 ? Art poétique (en prose).
Ronsard 1524 — 1585 Abbrégé de l’art poétique (en prose).
du Bellay (Joachim) 1524 — 1560 Deffense et illustration de la langue françoise.
Vauquelin de la Fresnaye. 1536 — 1607 Art poétique.
XVIIe siècle.
Colletet (Guillaume) 1598 — 1659 Art poétique (en prose).
Pascal 1623 — 1662 Pensées et remarques sur le style (passif).
Boileau 1636 — 1711 Art poétique.
La Bruyère 1645 — 1696 Caractères (des ouvrages de l’esprit ; — de la chaire)
Fénelon 1651 — 1715 Dialogues sur l’éloquence ; — Lettre à l’Académie française.
XVIIIe siècle.
Rollin 1661 — 1741 Traité des études (livres IV et V).
Dumarsais 1676 — 1756 Traité des tropes.
L’Abbé Girard 1677 — 1748 Préceptes de rhétorique.
Crévier 1693 — 1765 Rhétorique française.
Voltaire 1694 — 1778 Temple du goût ; — Observations nombreuses dans ses ouvrages.
Buffon 1707 — 1788 Discours sur le style.
Le Batteux 1713 — 1780 Principes de littérature.
Condillac 1715 — 1780 Cours d’études (Art d’écrire, etc.)
Marmontel 1753 — 1799 Éléments de littérature.
Cardinal Maury 1746 — 1817 Essai sur l’éloquence de la chaire.
XIXe siècle.
Leclerc (Victor) 1789 — 1865 Nouvelle Rhétorique.
Jullien 1798 — 1881 Petit traité de rhétorique et de littérature.
Géruzez 1799 — 1865 Cours de littérature.
Filon 1860 — 1875 Éléments de rhétorique française.
Brizeux 1803 — 1858 Poétique nouvelle (en vers).
Didier 1819 — 1870 Notions de rhétorique et de littérature.
Trois genres de causes

Quelque sujet que l’orateur ait à développer, on peut le ramener à l’un des trois genres de causes que distingue Aristote : 1° démonstratif ; 2° délibératif ; 3° judiciaire.

démonstratif

Le but du genre démonstratif est l’honnête ; son objet de louer ou de blâmer.

Ex. Panégyrique, — Discours académiques, — Oraison funèbre, — Discours satiriques.

délibératif

Le but du genre délibératif est l’utile ; son objet de conseiller ou de dissuader.

Ex. Éloquence de la chaire, — de la tribune.

judiciaire

Le but du genre judiciaire est le juste ; son objet d’accuser ou de défendre.

Ex. Plaidoyers, — Mémoires, — Éloquence du barreau.

Division de la Rhétorique (4 parties)

Dans tout sujet, l’orateur a trois conditions à remplir : 1° trouver les choses qu’il doit dire (invention) ; 2° les mettre en ordre (disposition) ; 3° les exprimer (élocution). On doit y ajouter l’Action (voix, geste, physionomie), et la Mémoire.

Excepté l’action qui n’appartient qu’à l’éloquence, toutes les parties de la Rhétorique comprennent les grands principes de la composition. Ils sont les mêmes pour toutes les œuvres de l’esprit humain. Quelle que soit la forme qu’un écrivain donne au développement d’un sujet, le fond exige toujours le même ordre et la même méthode ; c’est une question de goût et de bon sens. Depuis les conceptions les plus hardies de l’imagination jusqu’aux expositions les plus froides et les plus rigoureuses de la science, depuis les plus vastes créations des poètes jusqu’à une simple lettre d’affaires, il doit satisfaire aux règles générales de l’invention, de la disposition et de l’élocution ; il n’y a de différence que dans les détails (Voir dans Buffon, Discours sur le style, le passage où il fait la revue des règles oratoires communes à tous les genres de discours ou d’écrits : ordre d’invention où l’écrivain détermine les parties principales de sujet (plan) ; — égalité du style et du ton ; — unité de composition et emploi discret des divisions ; — sévérité pour l’abus des traits saillants qui dénaturent la vérité ; — naturel et vérité du ton, conditions essentielles du grandiose et du sublime.)

I. Invention

L’invention consiste à trouver les moyens de persuader. Pour atteindre ce but, il faut que l’orateur, comme dit Cicéron, prouve, plaise et touche ( ut probet, ut delectet, ut flectat ). Il prouve par les arguments, il plaît par les mœurs, il touche par les passions. L’invention comprend donc : 1° les Arguments, 2° les Mœurs, 3° les Passions.

1° Arguments

On appelle arguments ou preuves les raisons dont se sert l’orateur pour appuyer la vérité qu’il veut démontrer. On peut dire, toutefois, que les preuves sont les raisons elles-mêmes, dont les arguments ne sont que les formes.

Les rhéteurs distinguent deux espèces de preuves : 1° les arguments proprement dits ; 2° les lieux communs.

I° Arguments proprement dits

Les preuves revêtent toutes les formes de raisonnement. On en compte neuf principales, qui sont la base de toute démonstration ; imposées par la logique, elles tirent leur origine des lois même de notre intelligence.

Ces formes de raisonnement ou arguments proprement dits, sont : 1° le syllogisme ; 2° l’enthymème ; 3° l’épichérème ; 4° le dilemme ; 5° le sorite ; 6° l’exemple ; 7° l’induction ; 8° la déduction ; 9° l’argument personnel (ad hominem).

1° Syllogisme

Le syllogisme (σὺν-λογισμὸς, raisonnement) est l’argument par excellence, celui qui est le principe de tous les autres. Il se compose de trois propositions, dont la dernière est déduite des deux autres. Les deux premières ou prémisses (majeure et mineure) préparent la troisième (conclusion).

Ex. Toute vertu est aimable.

Or, la justice est une vertu ;

Donc, la justice est aimable.

2° Enthymème

L’enthymème (ἐνθύμημα, de ἐνθύμέομαι, je conçois par l’esprit) est un syllogisme abrégé. C’est l’argument favori de l’orateur et du poète. Dans la vivacité du discours, on sous-entend soit la majeure, soit la mineure.

Ex.

« Que si Dieu accorde aux prières des prospérités temporelles, combien plus leur accorde-t-il les vrais biens, c’est-à-dire les vertus ! »

(Bossuet, Oraison funèbre de Marie-Thérèse de France.)

Comment ? des animaux qui tremblent devant moi !
Je suis donc un foudre de guerre ?
(La Fontaine, Le Lièvre et les Grenouilles, II, 14.)
3° Épichérème

L’épichérème (ἐπιχειρημα, de ἐπιχειρέω, je traite un sujet) est un syllogisme développé, dans lequel les deux prémisses ou l’une des deux est suivie de sa preuve.

Ex. Toute action déloyale mérite d’être punie ; sans cela les honnêtes gens seraient à la merci des coquins.

Or, la calomnie est une action déloyale ;

Donc, elle mérite d’être punie.

4° Dilemme

Le dilemme (δίς-λῆμμα) est un syllogisme double ( argumentum cornutum exutrinque feriens ). Il tire de deux propositions contraires une seule conclusion.

Ex.

À d’illustres parents s’il doit son origine,
La splendeur de son sort doit hâter sa ruine ;
Dans le vulgaire obscur si le sort l’a placé,
Qu’importe qu’au hasard un sang vil soit versé ?
(J. Racine, Athalie, acte II, scène v.)
5° Sorite

Le sorite (σωρείτης) est un syllogisme accumulé (σωρεύω, j’entasse).

Ex. L’ambitieux a plus de désirs que de moyens pour les satisfaire ;

Celui qui a plus de désirs que de moyens pour les satisfaire est malheureux ;

Celui qui est malheureux est digne de pitié ;

Donc, l’ambitieux est digne de pitié.

6° Exemple

L’exemple (exemplum) est un syllogisme prouvé par un fait historique, qui devient comme un quatrième terme à l’appui de la conclusion.

Ex. Joad, pour encourager Josabeth à la résignation, lui cite l’exemple du sacrifice d’Abraham :

N’êtes-vous pas ici sur la montagne sainte,
Où le père des Juifs sur son fils innocent
Leva sans murmurer un bras obéissant ?
(J. Racine, Athalie, acte IV, scène v.)
7° Induction

L’induction (inductio) tire une proposition générale de plusieurs faits particuliers (in-ducere).

Ex. Après avoir fait le portrait de plusieurs genres de fous, Boileau termine ainsi :

N’en déplaise à ces fous nommés sages de Grèce,
En ce monde il n’est point de parfaite sagesse ;
Tous les hommes sont fous, et, malgré tous leurs soins,
Ne diffèrent entre eux que du plus ou du moins.
(Boileau, Satire IV, vers 33 et suiv.),
8° Déduction

La déduction (deductio) tire une vérité particulière d’une vérité générale (de-ducere).

Ex.

L’homme attaqué peut sans crime tuer en se défendant celui qui l’attaque ;

Or, Clodius a attaqué Milon ;

Donc, Milon a pu légitimement tuer Clodius.

(Cicéron, Pro Milone.)

9° Argument personnel

L’argument personnel (argumentum ad hominem) se tire des actes et des paroles mêmes de l’adversaire.

Ex. Auguste veut confondre Cinna, et lui reproche d’avoir loué devant lui la monarchie :

Affranchir ton pays d’un pouvoir monarchique ?
Si j’ai bien entendu tantôt ta politique,
Son salut désormais dépend d’un souverain
Qui, pour tout conserver, tienne tout en sa main.
(P. Corneille, Cinna, acte V, scène i.)
II° Lieux communs

Les arguments que nous venons d’énumérer se rapportent à des principes généraux, dont ils ne sont que des conséquences. Ces principes sont une autre forme de la preuve.

Les anciens rhéteurs les appelaient lieux communs (loci communes chez les Latins, τόποι chez les Grecs, d’où le nom de Topiques donné aux livres d’Aristote et de Cicéron qui en traitent). Les lieux communs ne sont devenus des banalités que par l’abus.

Il y a deux sortes de lieux communs : 1° les intrinsèques, c’est-à-dire tirés du sujet même, et qui s’appuient sur le raisonnement ; 2° les extrinsèques, c’est-à-dire hors du sujet.

On classe ainsi les principaux lieux communs intrinsèques.

1° Intrinsèques

Définition, Énumération des parties, Genre et Espèce, Comparaison, Contraires, Choses qui répugnent entre elles, Circonstances, Antécédents et conséquents, Cause et effet, etc.

Définition

La définition est tirée du sujet lui-même. Elle explique la question tout entière, et persuade en déterminant le sens des mots ; elle est générale ou partielle.

Ex. Définition du crime par le vieil Horace dans le procès de son fils :

Aimer nos ennemis avec idolâtrie,
De rage en leur trépas maudire la patrie,
Souhaiter à l’État un malheur infini,
C’est ce qu’on nomme crime, et ce qu’il a puni.
(P. Corneille, Horace, acte V, scène iii.)
Énumération des parties

L’énumération des parties expose toutes les faces d’un sujet, toutes les circonstances d’un fait, toutes les parties d’une idée.

Ex. Énumération des miracles et des justices de Dieu dans la première scène d’Athalie.

Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours
Des prodiges fameux accomplis en nos jours ? etc.
Genre et espèce

Le genre et l’espèce sont des lieux communs propres au genre judiciaire, où l’on cherche à prouver que les textes généraux de la loi sont applicables dans l’espèce à un sujet particulier. Ce qui est vrai du premier (le genre) l’est nécessairement de la seconde (l’espèce).

Comparaison et dissemblance

La comparaison établit entre deux idées un rapport qui amène une conclusion. Par-là, elle est le lieu d’un argument et rentre dans la preuve.

Ex. Bossuet compare le dévouement de Michel Le Tellier au sacrifice de Jésus-Christ, et en conclut implicitement que le sacrifice est un devoir. (Oraison funèbre de Michel Le Tellier.)

La dissemblance est une variété de la comparaison.

Contraires

Les contraires consistent à prouver le sujet en tirant la conclusion de deux idées ou de deux faits opposés.

Ex.

« Si Gracchus est coupable d’avoir soulevé le peuple, Opimius est justifié de l’avoir mis à mort ».

(Cicéron, de Oratore, II, § 40.)

Les contraires procèdent encore par exclusion, en montrant ce que le sujet n’est pas, pour faire comprendre ce qu’il est.

Ex. La Mollesse, dans Boileau, peint la cour des rois fainéants pour faire ressortir l’ardeur guerrière de Louis XIV. (Lutrin, chant II, vers 101 à 128.)

Choses qui répugnent entre elles

Les choses qui répugnent entre elles ( inter se repugnantia ) servent à prouver que deux idées ou deux faits sont inconciliables.

Ex. Cicéron raconte que Clélius fut absous de l’accusation de parricide parce qu’on l’avait trouvé dormant auprès de celui qu’on prétendait être sa victime. (Cicéron, Pro Roscio, xxiii.)

Circonstances

Les circonstances sont les preuves tirées de la comparaison du sujet ou du fait avec la personne, le lieu, le temps, etc. ; c’est par excellence un lieu commun du genre judiciaire. Les circonstances ont été groupées par les anciens rhéteurs dans ce vers technique :

Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando.

Ex. On peut lire dans Cicéron la justification de Milon, accusé du meurtre de Clodius. (Pro Milone, § xx).

Antécédents et conséquents

Les antécédents et les conséquents sent les préliminaires d’un fait et le fait lui-même dont le rapprochement aide souvent à reconnaître le coupable.

Ex. Discours d’Hippolyte qui se défend devant Thésée :

Examinez ma vie, et songez qui je suis.
Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes, etc.
(J. Racine, Phèdre, acte IV, scène ii.)
Cause et effet

La cause et l’effet servent à louer ou à blâmer une action en considérant son principe ou ses conséquences.

Ex. Lire dans Corneille le discours du vieil Horace défendant son fils (Horace, acte V, scène ii.)

2° Extrinsèques

Les lieux communs extrinsèques sont plutôt du domaine de la jurisprudence que de l’art oratoire. Les principaux sont :

1° La loi, base de tout jugement. Elle détermine la culpabilité et règle le droit.

2° Les titres écrits, qui établissent le droit ; ils sont discutables, faute de clarté.

3° Les témoins, qui servent à établir la vérité, d’après l’opposition ou la concordance de leur opinion, et suivant leur honorabilité.

4° Le serment, qui garantit la véracité des témoins,

5° La renommée, qui est la notoriété, le bruit public.

Utilité des lieux communs

La connaissance et la pratique des lieux communs n’est pas absolument inutile ; c’est une gymnastique pour l’esprit qui peut, en s’y exerçant, acquérir plus de souplesse et de vivacité. Toutefois, leur importance a bien diminué chez les modernes ; la réflexion, la sagacité personnelle et le savoir sont les sources les plus fécondes de l’invention. Les meilleures preuves se tirent des entrailles mêmes du sujet ( ex visceribus rei ).

2° Mœurs

Les preuves rendent la vérité claire, sinon évidente ; mais l’influence personnelle de l’orateur doit la rendre persuasive par l’autorité de son caractère ; c’est le but des Mœurs. La Rhétorique n’enseigne pas à les trouver, mais elle dirige les dispositions et les émotions naturelles.

Les Mœurs sont les qualités qui constituent le caractère de l’orateur et de l’écrivain. Ils doivent les posséder, s’ils veulent persuader leurs auditeurs ou leurs lecteurs et se concilier leur sympathie.

Pour convaincre les hommes, il faut captiver leur confiance. On n’y parvient qu’avec l’art de plaire « cet art qui, selon Pascal, est la partie la plus subtile, la plus difficile, la plus utile, la plus admirable de l’art de persuader », et que le grand Corneille regardait comme un devoir pour l’écrivain.

On peut ramener les qualités qui servent à établir l’autorité morale de l’écrivain et de l’orateur à quatre principales : 1° la probité, 2° la modestie, 3° la bienveillance ou le zèle, 4° la prudence.

La probité est le premier terme de la définition que Caton l’Ancien donnait de l’orateur : « Vir bonus dicendi peritus ». Cette qualité se produit dans l’ensemble d’un caractère.

Ex. Discours de Burrhus à Agrippine :

Vous m’avez de César confié la jeunesse…
Mais vous avais-je fait serment de le trahir…
Burrhus pour le mensonge eut toujours trop d’horreur, etc.
(Racine, Britannicus, acte I, scène ii.)

La modestie efface les mauvais effets de ce moi si haïssable , selon Pascal.

Ex. Les paroles de Monime s’adressant à Mithridate jaloux et menaçant :

Je n’ai point oublié quelle reconnaissance,
Seigneur, m’a dû ranger sous votre obéissance, etc.
(J. Racine, Mithridate, acte IV, scène iv.)

La bienveillance ou le zèle séduit l’homme en s’adressant à son intérêt personnel.

Ex. Xipharès dit à Mithridate :

J’irai,… j’effacerai le crime de ma mère.
Seigneur, vous m’en voyez rougir à vos genoux :
J’ai honte de me voir si peu digne de vous ; etc.
(J. Racine, Mithridate, acte III, scène i.)

La prudence détruit l’incertitude chez les timides, et met en garde les audacieux contre la témérité.

Ex. Acomat dit à Roxane pour la décider à la révolte contre Amurat :

Déclarons-nous, madame, et rompons le silence :
Fermons-lui, dès ce jour, les portes de Byzance ; etc.
(J. Racine, Bajazet, acte I, scène ii.)
L’autre lui dit : Qu’allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L’absence est le plus grand des maux, etc.
(La Fontaine, Les Deux Pigeons, IX, 2.)

À cause de l’imperfection de la nature humaine, on a dû établir une distinction entre les mœurs réelles et les mœurs oratoires.

1° Mœurs réelles

Les mœurs réelles sont les qualités vraies que possèdent l’orateur et l’écrivain. La conviction et la sincérité sont les conditions indispensables de toute éloquence. Le précepte de Boileau s’applique aux orateurs comme aux poètes :

Que votre âme et vos mœurs, peintes dans vos ouvrages,
N’offrent jamais de vous que de nobles images.
(Art poétique, chant IV, vers 91 et 92.)
2° Mœurs oratoires

Les mœurs oratoires sont les qualités que se donnent l’orateur et l’écrivain aux yeux des auditeurs ou des lecteurs ; tant il est vrai qu’un malhonnête homme est obligé, pour se concilier les esprits, pour les persuader et les séduire, d’emprunter les apparences d’un homme de bien. C’est le cas de répéter avec La Rochefoucauld : « L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. » (Maximes, 218, édit. Gilbert, etc.)

Bienséances

Aux mœurs se rattachent les bienséances, une des parties les plus essentielles et les plus difficiles de l’art oratoire. Elles consistent dans l’accord parfait des idées, des sentiments, du langage, de l’action de l’orateur avec le sujet qu’il traite et les circonstances où il se trouve. Les bienséances se rapportent donc à l’orateur, aux personnes dont on parle, à l’auditeur, au temps, aux lieux et au sujet.

3° Passions, leurs règles

À la force de la vérité, à l’autorité personnelle, l’écrivain et l’orateur doivent ajouter la puissance du sentiment. C’est le secret des passions oratoires. (Cf. Rollin, Traité des Études, livre IV, ch. iii, § 7.)

Par les passions ou le pathétique (πάθος), l’orateur fait passer dans notre âme les sentiments dont il est animé ; nous sentons ce qu’il sent, nous aimons ce qu’il aime, nous voulons ce qu’il veut. Les passions sont l’âme même de l’éloquence.

Toutes les passions peuvent se réduire à deux : l’amour et la haine. On excite l’amour en peignant les objets sous des couleurs agréables, la haine en leur prêtant un aspect repoussant.

Ex. L’apostrophe de Démosthène aux Athéniens, dans sa 1re Philippique (chap. iii) ; — les plaintes d’Antigone et de Philoctète dans Sophocle ; — les invectives de Cicéron contre Antoine ; — les reproches qu’Énée adresse à Sinon dans le récit de la chute de Troie (Virgile, Énéide, chant II, v. 57 et suiv.).

1° La première règle pour émouvoir, c’est d’être ému soi-même :

…………… Si vis me flere, dolendum est
Primum ipsi tibi.
(Horace , Art poétique, vers 102.)
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez.
(Boileau, Art poétique, chant III, vers 142.)

2° Une seconde règle est celle du ton, c’est-à-dire, de l’opportunité et de la mesure. Il faut savoir s’arrêter à temps dans l’emploi légitime et naturel de la passion ; Car rien ne sèche si vite qu’une larme, « Nihilenim lacryma citius arescit. » (Cicéron, Ad Herennium, II, 31.)

Invention.
Résumé synoptique.
RECHERCHE DES MOYENS POUR PERSUADER
prouver par les ARGUMENTS plaire par les MŒURS. toucher par l es PASSIONS.
proprement dits. lieux communs.

1° Syllogisme,

2° Enthymème,

3° Épichérème,

4° Dilemme,

5° Sorite,

6° Exemple,

7° Induction,

8° Déduction,

9° Argument personnel (ad hominem).

Intrinsèques,

Définition,

Énumération des parties,

Genre et espèce,

Comparaison,

Contraires,

Choses qui répugnent entre elles.

Circonstances,

Antécédents et conséquents,

Cause et effet, etc.

 

Extrinsèques.

Loi,

Titres,

Témoins,

Serment,

Renommée.

qualités de l’orateur.

1° Probité.

2° Modestie,

3° Bienveillance,

4° Prudence.

 

Mœurs réelles.

Sincérité,

Conviction,

 

Mœurs oratoires,

Qualités peintes dans le discours.

 

bienséances.

L’amour et la haine.

 

R ègles

1° Émotion personnelle ;

2° ton, ou opportunité et mesure.

II. Disposition

La disposition consiste à mettre en ordre les matériaux fournis par l’invention, et à en régler l’usage.

Elle divise le discours d’après un plan méthodique et raisonné, conforme à la nature de l’esprit humain, aux règles de l’expérience et aux nécessites du sujet.

Parties du discours

Les rhéteurs anciens distinguaient sept parties dans un discours : 1° l’exorde ; 2° la proposition ; 3° la division ; 4° la narration ; 5° la confirmation ; 6° la réfutation ; 7° la péroraison.

Un discours ainsi composé est un type complet et régulier. Cependant, toutes ces parties n’y entrent pas toujours nécessairement ; on doit les modifier suivant le sujet et les circonstances. On peut donc les réduire à trois principales : l’exorde, la confirmation et la péroraison.

1° Exorde

L’exorde (en latin exordium, du verbe exordiri, commencer) est la partie du discours par laquelle l’orateur entre en matière et cherche à se concilier la bienveillance de ses auditeurs. Il doit attirer adroitement leur attention ou s’en emparer brusquement. De là, deux espèces d’exordes : 1° par insinuation (exorde du Pro Milone), 2° ex abrupto (exorde de la première Catilinaire).

Il y a encore deux autres espèces d’exorde : 1° le simple, ou exposition courte et sans art du sujet (Massillon, 1er sermon du Petit Carême), 2° le grave ou sublime, employé dans des circonstances solennelles (Bossuet, Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre).

2° Proposition

La proposition est l’exposition sommaire du sujet ; elle doit être claire, courte et précise ; elle ne se détache de l’exorde que dans les grands discours ; cependant Bossuet les réunit souvent.

Ex. Septime dit au roi Ptolémée :

Pompée a besoin d’aide : il vient chercher la vôtre ;
Vous pouvez, comme maître absolu de son sort,
Le servir, le chasser, le livrer vif ou mort, etc.
(P. Corneille, Pompée, acte I, scène i.)
3° Division

La division est le partage du sujet en plusieurs points ou subdivisions qui doivent être traités successivement par l’orateur. Elle doit être complète, claire, progressive et naturelle. Elle est nécessaire, malgré Fénelon qui en a blâmé l’usage, même chez les prédicateurs, dans son 2e Dialogue sur l’Éloquence.

Ex. de division nette et régulière dans les discours de Cicéron (Pro Archia, Pro Murena, Pro lege Manilla, etc.), — dans Massillon (Sermon sur la Passion), etc.

4° Narration

La narration est l’exposition d’un fait. Elle doit être claire, brève, vraisemblable et intéressante.

Cicéron donne dans le Pro Milone un exemple d’un récit à la fois court et plein d’intérêt lorsqu’il décrit le combat entre Clodius et Milon.

Le modèle de la brièveté dans la narration sera toujours le bulletin laconique de César : « Veni, vidi, vici » qu’Agrippa d’Aubigné a traduit fort heureusement et d’une façon tout aussi concise dans ses stances sur la mort d’Henri IV : « Je vins, vis et vainquis. »

Il y a trois espèces de narration : 1° oratoire, 2° historique, 3° poétique.

La narration oratoire doit être vraie, bien que les grands orateurs eux-mêmes n’aient pas toujours observé cette règle. Elle peut toutefois adoucir la vérité quand elle est blessante ou odieuse, et mettre en relief les détails les plus favorables à la thèse qu’on soutient. Elle est utile, surtout dans le genre judiciaire et dans l’éloquence de la chaire.

La narration historique est l’exposé pur et simple des faits. Elle doit être vraie, fidèle et complète, car on ne plaide pas comme dans la narration oratoire, et il n’est permis sous aucun prétexte d’atténuer la vérité ou d’embellir le récit. Elle doit être aujourd’hui plus que jamais soumise à la rigueur scientifique qui s’appuie sur des textes sûrs et des documents authentiques. L’art du style, dans la narration historique, ne doit jamais nuire à la vérité.

Ex. On saisira mieux la différence de la narration oratoire et de la narration historique en lisant le récit de la bataille de Rocroy par Bossuet (Oraison funèbre de Condé) et celui de Voltaire sur le même sujet (Siècle de Louis XIV, chap. iii).

La narration poétique orne le récit, l’enrichit de traits et d’images qui frappent l’esprit. Elle imagine les événements, rejetant tout ce qui est vulgaire et sans couleur ; elle crée ou agrandit les personnages, décrit et peint les objets, qu’elle place, pour ainsi dire, sous nos yeux. Elle poursuit l’idéal ; elle va même jusqu’à introduire le merveilleux dans les épisodes de la vie humaine. (Cf. le combat de Rodrigue contre les Maures dans Corneille, — les récits de la mort d’Hippolyte, de celle de Britannicus dans Racine, etc.).

5° Confirmation

La confirmation consiste à développer les preuves avec choix et avec ordre. Elle confirme la vérité des faits annoncés dans la proposition et exposés dans la narration. C’est la partie la plus essentielle du discours, elle en est le corps et la substance.

L’orateur doit choisir ses preuves, rejeter celles qui sont fausses et ne pas insister sur celles qui sont faibles ou secondaires.

Ex. Discours de Joad dans Athalie. Pour raffermir la confiance de ses lévites, il ne calcule pas les faibles moyens de résistance qu’il peut opposer aux desseins d’Athalie :

J’attaque sur son trône une reine orgueilleuse,
Qui voit sous ses drapeaux marcher un camp nombreux
De hardis étrangers, d’infidèles Hébreux ;
Mais ma force est au Dieu dont l’intérêt me guide.
………………………………………………………
Dieu sur ses ennemis répandra sa terreur, etc.
(J. Racine, Athalie, acte IV, scène iii.)

L’ordre des preuves dépend des convenances du sujet. Le plus suivi et le plus puissant consiste à mettre les preuves les plus concluantes au début ou à la fia de la confirmation, et les plus faibles au milieu.

Ex. Discours de Clytemnestre à Agamemnon pour lui démontrer l’atrocité du crime qu’il va commettre en immolant Iphigénie :

Quoi ! l’horreur de souscrire à cet ordre inhumain
N’a pas, en le traçant, arrêté votre main, etc.
(J. Racine, Iphigénie, acte IV, scène iv.)

Quand on a choisi et ordonné ses preuves, il faut les développer ; c’est le but de l’amplification oratoire, qu’il ne faut pas prendre dans la mauvaise acception de ce mot. Elle fait voir un objet sous toutes ses faces, soit par l’énumération des parties, soit par le redoublement de la pensée.

Ex. Exorde de l’Oraison funèbre d’Henriette de France, dans Bossuet. — Voir aussi dans Molière :

Eh quoi ! vous ne ferez nulle distinction
Entre l’hypocrisie et la dévotion ?
Vous les voulez traiter d’un semblable langage,
Et rendre le même honneur au masque qu’au visage ? etc.
(Tartuffe, acte I, scène v.)
6° Réfutation

La réfutation consiste à répondre d’avance aux objections, ou à détruire les arguments de son adversaire. Elle convient surtout au genre délibératif ; au genre judiciaire ; elle est du ressort de la dialectique. En effet, quand un philosophe réfute un adversaire, il cherche à lui démontrer qu’il s’est trompé, qu’il a fait un de ces faux raisonnements qu’on appelle sophismes ou paralogismes.

Sophismes et paralogismes

Le sophisme (σόφισμα, σοφίζω je trompe) est une erreur volontaire faite de mauvaise foi ; le paralogisme (παραλογισμός, de παραλογίζόμαι, je me trompe) est involontaire, c’est une faiblesse de l’esprit.

Les principaux sophismes ou paralogismes sont : 1° l’ignorance du sujet ; 2° la pétition de principe ; 3° le cercle vicieux ; 4° l’erreur sur la cause ; 5° le dénombrement imparfait ; 6° l’erreur des faits accidentels ; 7° l’équivoque ou ambiguïté des mots.

1° L’ignorance du sujet consiste à prouver contre son adversaire ce qu’il ne nie point, ou ce qui est étranger au sujet. Ce sophisme dénature aussi quelquefois la question en prêtant à l’adversaire une opinion qu’il n’a pas.

Ex. Les injustes attaques de J.-J. Rousseau contre Molière à propos du Misanthrope : « Convenons que l’intention de l’auteur étant de plaire à des esprits corrompus, ou sa morale porte au mal, ou le faux bien qu’elle prêche est plus dangereux que le mal même, en ce qu’il séduit par une apparence de raison, en ce qu’il fait préférer l’usage et les maximes du monde à l’exacte probité, etc. » (Lettre à d’Alembert sur les spectacles.)

2° La pétition de principe consiste à définir un objet par le terme qui a besoin d’être défini.

Ex. Dans Molière, le paralogisme du malade imaginaire sur la vertu soporifique de l’opium.

3° Le cercle vicieux est une variété de la pétition de principe. Il prouve une proposition par une autre qui s’appuie sur la proposition même qui est à définir. L’esprit tourne dans un cercle sans issue.

Ex. Pascal, dans son fragment De l’esprit géométrique, ch. I, § 1, en cite un exemple dont il se moque, « J’en sais, dit-il,qui ont défini la lumière en cette sorte : la lumière est un mouvement luminaire des corps lumineux. »

4° L’erreur sur la cause consiste dans une induction vicieuse qui conclut d’un effet réel à une cause imaginaire, d’après une apparence ou une analogie.

Ex. Lire dans La Fontaine une éloquente réfutation de l’astrologie, ou il dit, en parlant de Dieu :

Aurait-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ? etc.
(L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits, II, 13.)

5° Dans le dénombrement imparfait, on affirme la vérité d’une énumération où l’on a omis quelque partie de la question.

Ex. Le dilemme du vieil Horace défendant son fils :

Dis, Valère, dis-nous, si tu veux qu’il périsse,
Où tu penses choisir un lieu pour son supplice
Sera-ce entre ces murs que mille et mille voix
Font résonner encor du bruit de ses exploits ?
Sera-ce hors des murs, au milieu de ces places
Qu’on voit fumer encor du sang des Curiaces ;
Entre leurs trois tombeaux et dans ce champ d’honneur,
Témoin de sa vaillance et de notre bonheur ?
Tu ne saurais cacher sa peine à sa victoire : etc.
(P. Corneille, Horace, acte V, scène iii.)

Horace oublie un lieu où son fils peut subir le supplice, celui où il a tué sa sœur.

6° L’erreur des faits accidentels est un sophisme par induction dans lequel on conclut du particulier au général d’un fait accidentel à une loi universelle.

Ex. Le raisonnement d’Orgon lorsque dans sa colère il impute à l’humanité entière la méchanceté d’un seul homme :

Quoi ! sur un beau semblant de ferveur si touchante
Cacher un cœur si double, une âme si méchante !
Et moi qui l’ai reçu gueusant et n’ayant rien…
C’en est fait, je renonce à tous les gens de bien ;
J’en aurai désormais une horreur effroyable,
Et m’en vais devenir pour eux pire qu’un diable.
(Molière, Tartuffe, acte V, scène i.)

7° L’équivoque ou ambiguïté des mots est un abus des acceptions diverses d’un mot pour déplacer la question.

Ex.

Un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant.
Le sentiment commun est contre vos maximes,
Puisque ignorant et sot sont termes synonymes.
(Molière, Les Femmes savantes, acte IV, scène iii.)
7° Péroraison

La péroraison est la dernière partie du discours.

Après avoir prouvé, il faut conclure et entraîner l’auditoire. L’orateur atteint ce but en résumant les peints principaux (récapitulation) et par l’emploi du pathétique.

La péroraison est donc simple ou pathétique, suivant les circonstances ; elle peut être les deux à la fois. Le pathétique simple est le plus touchant.

Ex. Péroraison de Bossuet dans l’Oraison funèbre du prince de Condé :

« Venez, peuples, venez maintenant, mais venez plutôt, princes et seigneurs ; et vous qui jugez la terre, et vous qui ouvrez aux hommes les portes du ciel, etc. »

Voir aussi celle du discours de Burrhus à Néron dans Britannicus de Racine :

Me voilà prêt, seigneur ; avant que de partir,
Faîtes percer ce cœur qui n’y peut consentir :
Appelez les cruels qui vous l’ont inspirée ;
Qu’ils viennent essayer leur main mal assurée ; etc.
(Britannicus, acte IV, scène iii.)
Disposition. Résumé synoptique
EXORDE. CONFIRMATION. PÉRORAISON.

1° Par insinuation,

2° Ex abrupto,

3° Simple,

4° Grave ou Sublime.

Proposition
et
Division.

Narration  :

1° Oratoire,

2° Historique,

3° Poétique.

Confirmation  :

1° Ordre des preuves,

2° Amplification.

Réfutation.

Sophismes

et

Paralogismes :

1° Ignorance du sujet,

2° Pétition de principe.

3° Cercle vicieux,

4° Erreur sur la cause,

5° Dénombrement imparfait,

6° Erreur des faits accidentels,

7° Équivoque ou ambiguïté des mots, etc.

Récapitulation
ou
Conclusion.

Péroraison

1° simple,

2° pathétique.

III. Élocution

Lorsque les matériaux d’un sujet ont été trouvés et disposés, il faut les exprimer.

L’élocution, comme l’indique son nom (elocutio), est l’expression de la pensée par la parole. Prise dans une acception plus restreinte, l’élocution est cette partie de la rhétorique qui traite du style. Le mot style a donc ici le même sens, avec une nuance particulière.

Du style

Chez les anciens, le style (stylus) était le poinçon qui servait à tracer les lettres sur la tablette de cire. Passant du sens primitif au sens dérivé, et dans une acception plus étendue, il est devenu la forme personnelle et vivante que l’écrivain donne à sa pensée. L’élocution est commune à tout le monde, le style appartient au véritable écrivain, et le mot célèbre de Buffon : le style, c’est l’homme , ne veut pas dire que le caractère d’un auteur, ses qualités et ses défauts se reflètent dans son style, mais que le style donne à l’écrivain son originalité.

Le style fait vivre les œuvres de l’esprit : Les ouvrages bien écrits, a dit Buffon, seront les seuls qui passeront à la postérité.

Ses qualités générales

Les qualités générales du style sont : 1° La clarté ; 2° La propriété ; 3° La précision ; 4° La concision ; 5° La correction ; 6° La pureté ; 7° Le naturel ; 8° La noblesse ; 9° L’harmonie.

1° Clarté

La clarté consiste à ne laisser aucun doute sur la pensée, à la faire entendre tout de suite. Elle est le vernis des maîtres, suivant Vauvenargues. C’est la qualité maîtresse de la langue française, celle qui, jointe à des raisons historiques et politiques, en a fait la langue des relations internationales. Rivarol a dit avec raison : Ce qui n’est pas clair n’est pas français.

2° Propriété

La propriété est le rapport parfait du mot et de la pensée ; elle est une condition de la clarté. La propriété des mots complète la justesse des pensées.

3° Précision

La précision consiste dans l’expression la plus juste et la plus complète de la pensée ; elle a trait à ce qu’on dit. Il ne faut pas la confondre avec la concision, qui se rapporte à la manière dont on le dit,

4° Concision

La concision emploie le moins de mots possible pour rendre la pensée.

Ex.

L’amour n’est qu’un plaisir, l’honneur est un devoir.
(P. Corneille, Le Cid, acte III, scène vi.)

Exagérée, la concision devient un défaut.

Il y a différentes manières d’être concis. La concision de Bossuet n’est pas celle de Montesquieu, dont les Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains sont contenues dans quelques pages du Discours sur l’histoire universelle (IIIe partie, chap. vi et vii.)

5° Correction

La correction est l’observation des règles de la grammaire.

Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme ;
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.
(Boileau, Art poétique, chant I, vers 159 et suiv.)

On rencontre souvent, dans nos grands écrivains du dix-septième siècle, des exemples d’archaïsmes, des locutions regardées aujourd’hui comme vicieuses et des traces fréquentes de latinismes. Toutefois, s’il ne faut pas se servir de ces expressions hors d’usage, on doit bien se garder de critiquer à la légère les auteurs qui les ont employées ; car souvent elles n’étaient pas des fautes à l’époque où elles ont paru. Il ne faut pas non plus oublier que la syntaxe était plus libre au dix-septième siècle que de nos jours, et que ce sont les grands écrivains, et non les grammairiens, qui font les langues littéraires.

Ex. d’incorrection d’après la grammaire moderne :

« C’est (et non ce sont) des péchés légers. »

(Bossuet, Oraison funèbre de Marie-Thérèse.)

Corneille a employé le pronom en pour désigner les personnes :

Il connaît Nicomède, il connaît sa marâtre,
Il en sait, il en voit la haine opiniâtre.
(Nicomède, acte III, scène ii.)
6° Pureté

La pureté du style consiste à n’employer que les termes consacrés par l’autorité des grands écrivains.

Là encore, une juste mesure est délicate à observer, la limite difficile à fixer ; car l’usage varie, et bien des locutions du dix-septième siècle ont aujourd’hui disparu ou sont prises dans une acception différente. Il faut éviter les termes vieillis et employer discrètement les néologismes qui n’ont pas tout à fait conquis leur droit de cité dans la langue.

7° Naturel

Le naturel est la reproduction exacte et fidèle de la vérité, sans affectation, et pour ainsi dire, sans préparation apparente. C’est là une des qualités qui relèvent à la fois de la pensée et de l’expression.

Tous les bons écrivains sont naturels. C’est un véritable charme, quand, selon l’expression de Pascal, on s’attendait de voir un auteur et on trouve un homme . (Pensées, VII, 28, 2e édit. Havet.)

Au naturel se rattache cette qualité particulière qu’on appelle la naïveté, qualité bien rare, et qui a été le privilège de La Fontaine.

8° Noblesse

La noblesse consiste à éviter les expressions grossières et triviales, les images basses et repoussantes. Boileau a dit avec raison :

Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse ;
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
(Art poétique, chant I, vers 79 et 80.)

Ex. Phèdre se plaint de sa coiffure et des soins dont on l’obsède.

Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,
A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux ?
(J. Racine, Phèdre, acte I, scène iii.)

La noblesse du style varie scion les genres et les sujets. Elle a des nuances infinies dans la comédie, depuis Le Misanthrope jusqu’au Bourgeois gentilhomme. Dans la bouffonnerie même il y a une mesure dont ne doit jamais s’écarter un écrivain de bon goût. Ce qu’il faut toujours éviter, c’est l’emphase et la fausse élégance.

9° Harmonie

L’harmonie est la succession facile et agréable des sons dont l’accord est flatteur pour l’oreille ; c’est la qualité générale du style qui couronne l’œuvre.

Les rhéteurs distinguent trois espèces d’harmonie : 1° L’harmonie des mots, 2° L’harmonie des phrases, 3° L’harmonie imitative. Elles résultent les unes des autres.

1° On peut citer comme définition de l’harmonie des mots ces vers où Boileau allie l’exemple au précepte :

Il est un heureux choix de mots harmonieux.
Fuyez des mauvais sons le concours odieux :
Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée
Ne peut plaire à l’esprit, quand l’oreille est blessée.
(Boileau, Art poétique, chant I, vers 109 et suiv.)

Bossuet n’a pas observé cette règle dans la phrase suivante :

Alors qu’avons-nous vu ? qu’avons-nous ouï ?

(Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre.)

2° L’harmonie des phrases est le résultat de l’harmonie des mots et de leur assemblage plus ou moins heureux. Indispensable à l’unité, à la force et à la grâce de la pensée, elle consiste dans l’habile arrangement des propositions et de la période (περιόδος, circuit ou contour.)

La période, suivant Aristote, est une phrase qui a un commencement et une fin par elle-même, une étendue facile à embrasser (Rhétorique III), c’est-à-dire qu’elle exprime un mouvement de la pensée, depuis son point de départ jusqu’à son terme. Elle s’adapte bien au développement des idées, plaît par la cadence, le nombre, et charme l’oreille quand elle est harmonieuse.

Ex. Comparaison du caractère d’Antonin et de Marc-Aurèle dans Bossuet :

« Le père, toujours en paix, est toujours prêt, dans le besoin, à foire la guerre ; le fils est toujours en guerre, toujours prêt à donner la paix à ses ennemis et à l’empire. »

(Discours sur l’Histoire universelle, Ire partie, xe  époque.)

Mithridate peint les Romains enrichis par la guerre :

Des biens des nations ravisseurs altérés,
Le bruit de nos trésors les a tous attirés !
Ils y courent en foule, et, jaloux l’un de l’autre,
Désertent leur pays pour inonder le nôtre.
(J. Racine, Mithridate, acte III, scène i.)

Les articulations de la période s’appellent membres. Lorsque chacun de ces membres forme une ou plusieurs phrases indépendantes, il prend le nom d’incises (incisæ, coupées). Souvent aussi on entend par là une phrase isolée, intercalée dans la période, et que l’on peut enlever sans en changer le sens général. Il y a pour l’incise, comme pour la période, une juste mesure ; l’abus en serait fatigant et monotone. La mesure d’une période est limitée par la faculté d’embrasser tout le cercle d’une pensée. Quant à l’incise, il faut qu’elle soit d’autant plus harmonieuse qu’elle est plus isolée.

Il y a des périodes à deux, à trois, à quatre, rarement à cinq membres : au-delà, il n’y a que la période par énumération, employée par Bossuet dans l’exorde de l’Oraison funèbre d’Henriette de France.

Quel que soit le nombre de membres dont se compose une période, il faut qu’ils soient à peu près égaux, à moins d’un effet cherché. C’est l’équilibre de la période.

Le style périodique s’emploie généralement dans les sujets dont le genre est modéré et sans passion ; le style coupé convient à ceux qui demandent une argumentation pressante et des mouvements passionnés. La véritable harmonie du style consiste dans l’habile mélange de la période et de la phrase coupée. Ex. Voltaire.

L’harmonie imitative est plus artificielle en apparence. Tantôt elle frappe l’oreille par des sons (onomatopée), tantôt elle peint l’idée ou l’objet par les mots qu’elle emploie. Cette sorte d’harmonie est quelquefois cherchée ; elle naît presque toujours de la propriété des expressions.

Ex. Le vers suivant de Racine :

Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
(Andromaque, acte V, scène v.)

est de la première espèce.

Ex. de la seconde :

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,
         Six forts chevaux tiraient un coche :
Femmes, moines, vieillards, tout était descendu,
         L’attelage suait, soufflait, était rendu.
(La Fontaine, Le Coche et la Mouche, VII, 9.)
Ancienne division du style ; qualités particulières du style

Les qualités générales du style sont partout les mêmes ; les qualités particulières changent suivant la nature des sujets qu’on traite. Aussi, les anciens rhéteurs distinguaient-ils trois genres de style correspondant au triple but de l’éloquence, et à chacun desquels ils assignaient ses qualités respectives. En voici le tableau :


Style simple.

Style tempéré
.

Style sublime
.

Précision ;

Naïveté ;

Netteté ;

Concision ;

Naturel, etc.

Élégance ;

Richesse ;

Finesse ;

Délicatesse ;

Grâce, etc.

Énergie ;

Véhémence ;

Magnificence ;

Profondeur ;

Enthousiasme, etc.

D’après ces mêmes rhéteurs, le style simple convient aux compositions dont l’unique but est d’instruire, celles où l’écrivain ne s’applique qu’à suivre méthodiquement la déduction de ses idées, par exemple, les discours et écrits qui traitent d’affaires, de points d’histoire et de science, etc.

Le style tempéré tient le milieu entre le style simple et le style sublime, medius et quasi temperatus… ut cinnus amborum , dit Cicéron (Orator, chap. vi). Il est propre surtout aux sujets purement agréables.

Le style sublime est celui qu’on emploie dans les discours ou écrits qui demandent de la grandeur et de l’élévation (sublimis, élevé). Il se distingue des deux autres par la magnificence des images, la vivacité et la hardiesse des mouvements, et le sublime proprement dit.

On ne doit pas confondre le sublime avec le style sublime.

Il y a trois sortes de sublime :

1° Le sublime de pensée, ou grande idée exprimée simplement.

Ex. Dans la Bible, le trait si admiré du rhéteur Longin, par lequel Moïse explique la création : Fiat lux, et facta est lux.

2° Le sublime de sentiment, qui exprime un grand mouvement de l’âme avec line fierté souvent héroïque.

Ex. Cri du vieil Horace, quand on lui annonce que deux de ses fils ont été tués et que le troisième a pris la fuite.

Que voulez-vous qu’il fit contre trois ? — Qu’il mourût.
(P. Corneille, Horace, acte III, scène vi.)

3° Le sublime d’image, qui représente une action et peint un objet, avec des couleurs vives et fortes, comme dans ces vers où Corneille parle de l’attitude de Pompée devant ceux qui allaient l’assassiner :

………………… et s’avance au trépas
Avec le même front qu’il donnait les États.
(P. Corneille, Pompée, acte II, scène ii.)

Parmi les nombreux exemples de ce genre de sublime que nous offre la Bible, on peut citer celui-ci :

« Seigneur, mon Dieu, que vous êtes grand dans votre magnificence ! vous vous êtes revêtu de gloire et de beauté. Vous vous êtes couvert de la lumière comme d’un manteau ! Vous étendez les cieux comme un pavillon… Les nuées sont votre char, vous marchez sur l’aile des vents. Les anges sont vos messagers, et les flammes vos ministres ».

(David, Psaumes, 103.)

On a beaucoup critiqué de nos jours, et souvent avec raison, cette distinction des trois genres de style, établie par Aristote et les rhéteurs de l’antiquité, admise et vantée par Cicéron. Celui-ci a cependant prouvé par son exemple qu’ils ne sont pas exclusifs et qu’on peut prendre tous les tons dans un discours. Cette division est, en effet, arbitraire ; la précision, par exemple, est une qualité qui convient à tous les genres de style. En outre, il ne peut pas y avoir de style sublime ; car le sublime proprement dit exclut l’idée de continuité ; il est instantané comme les sentiments, les pensées ou les images qui le produisent ; on le trouve souvent dans la simplicité.

On pourrait multiplier les critiques de détail ; il nous suffira de faire remarquer d’une façon générale que cette classification a le grave inconvénient de s’occuper de la forme indépendamment du fond, et d’oublier qu’il existe autant de variétés dans le style qu’il y en a dans la composition. Le style de l’éloquence n’est pas celui de l’histoire ; celui de la poésie dramatique n’est pas le même que celui de la poésie lyrique, etc.

Division logique du style, moyens de le varier

Une division plus simple et mieux fondée, est celle qui consiste à distinguer le style de la poésie du style de la prose. L’un aime les épithètes, les synonymes, les tours hardis ses figures de prédilection sont l’ellipse, l’inversion, la périphrase. L’autre emprunte ses expressions à la langue commune ; son allure est libre et dégagée.

Il ne suffit pas de connaître les qualités générales et particulières du style, il faut aussi savoir les fondre ensemble, en un mot, varier le style, si l’on veut éviter la monotonie : « Les beaux vers, disait Fontenelle, oh ! les beaux vers, mais je ne sais pourquoi je baille en les lisant !… » Ils manquaient de variété.

C’est aussi la recommandation que nous fait Boileau dans le précepte suivant :

Sans cesse en écrivant variez vos discours ;
Un style trop égal et toujours uniforme
En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme.
(Boileau, Art poétique, chant I, vers 70 et suiv.)

Le moyen de répandre de la variété dans le style, c’est la convenance. Par cette qualité on assortit le style aux idées, aux sentiments ou aux images que comporte le sujet. On peut aussi le varier en employant :

1° Les alliances de mots ou combinaisons heureuses et imprévues d’expressions qui paraissent inconciliables, et dont la réunion n’enlève rien à la justesse de la pensée ;

2° Les néologismes, c’est-à-dire les mots nouveaux qu’on doit adopter seulement lorsqu’ils expriment une idée nouvelle pour laquelle ils étaient nécessaires ;

3° Les épithètes, qui embellissent le discours pourvu qu’elles ne soient pas trop multipliées, mais expressives ;

4° Les synonymes, qui représentent la même idée avec des mots différents, et permettent d’éviter la répétition ;

5° Les équivalents, ou formes différentes que peuvent prendre certains mots ou certaines racines ;

6° Les transitions, qui sont des mots (præterea, igitur, etc.), et quelquefois des tours de phrase servant à relier les différentes parties du discours ;

7° Les figures, que le rhéteur Longin regardait comme une des sources principales de la sublimité du discours et l’un des plus beaux ornements de tous les genres de style.

Des figures

On distingue dans les langues deux sortes d’expression : l’expression propre, et l’expression figurée.

L’expression propre, créée d’abord pour désigner tel ou tel objet, traduit exactement la pensée sans l’embellir.

L’expression figurée, au contraire, ajoute d’autres idées à celles de son objet ou y substitue des idées : analogues. Les rhéteurs ont donné à ces dernières expressions le nom de figures ; leur ensemble forme ce qu’on appelle le style figuré.

Les figures sont les tours et les transformations de la pensée et de l’expression, suivant Cicéron ( conformationes sententiarum ac verborum ). Tout le monde fait des figures de rhétorique sans s’en douter, comme M. Jourdain faisait de la prose. Quand nous disons : la campagne est riante, la maison est triste, nous faisons une figure. Rien n’est donc plus fréquent et plus naturel.

L’abus que les déclamateurs ont fait des figures, les noms pédantesques que les rhéteurs leur ont donnés, les subtilités de leur classification ont jeté sur elles un certain discrédit, et souvent, pour se moquer d’une composition oratoire ou littéraire, on dit : c’est un tissu de figures de rhétorique. Mais ces figures, créées par la nature seule, et auxquelles la rhétorique n’a fait qu’ajouter des noms, sont l’âme même du style. Elles leur donnent de la force, de la grâce et de la variété.

Deux espèces de figures : 1° de pensées. 2° de mots

On distingue deux espèces de figures : 1° les figures de pensée ; 2° les figures de mots.

Les premières dépendent du sens, des mouvements de la passion ou du tour de l’esprit ; quelles que soient les expressions, elles restent toujours. Les autres, au contraire, consistent dans l’emploi des mots ; changez-les, la figure disparaît.

Dans l’exemple suivant, la figure subsisterait avec des termes différents :

Oh ! rois, confondez-vous dans votre grandeur ; conquérants, ne vantez pas vos victoires !

(Bossuet, Oraison funèbre de Condé.)

Il n’en est pas de même de celui-ci :

Le glaive qui a tranché les jours de la reine est encore levé sur nos têtes ; nos péchés en ont affilé le tranchant fatal.

(Bossuet, Oraison funèbre de Marie-Thérèse.)

I. Figures de pensées 

Les rhéteurs divisent généralement les principales figures de pensée en trois espèces, qui correspondent, comme celles du style, au triple but de l’éloquence.


Figures de raisonnement.

Figures d’imagination.

Figures de passion.

Antithèse ;

Allusion ;

Réticence ;

Suspension ;

Prolepse ;

Correction ;

Concession ;

Prétérition, etc.

Prosopopée ;

Hypotypose ;

Comparaison ;

Périphrase, etc.

Interrogation ;

Apostrophe ;

Imprécation ;

Obsécration ;

Exclamation ;

Optation ;

Dubitation ;

Ironie ;

Astéisme ;

Hyperbole ;

Litote, etc.

Il ne faut pas attacher à cette classification artificielle une importance exagérée. Nous la donnons plutôt comme un moyen mnémonique que comme un modèle d’exactitude scientifique. Disons toutefois, en passant, que ces figures rentrent souvent les unes dans les autres : la prosopopée, par exemple, peut être aussi bien une figure de passion que d’imagination ; la périphrase est une figure d’imagination, quand elle renferme un tableau d’une étendue restreinte, ou une figure de raisonnement, quand elle est employée comme définition.

1° Figures de raisonnement
Antithèse

L’antithèse (ἀντιθέσις, ἀντὶ, en opposition et τίθημι, je place), oppose directement les mots aux mots et les pensées aux pensées. Elle les rend plus saisissants par le contraste.

Ex.

Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle ?
(J. Racine, Andromaque, acte IV, scène v.)

Un lit nous voit, naître et mourir : c’est un berceau garni de fleurs, c’est un sépulcre.

(X. de Maistre, Voyage autour de ma chambre.)

Cf. le sonnet de Joachim du Bellay tout en antithèses ;

J’ayme la liberté, et languis en service,
Je n’ayme point la Court, et me fault courtiser,
Je n’ayme la feintise, et me fault déguiser,
J’ayme simplicité, et n’apprens que malice :
Je n’adore les biens, et sers à l’avarice,
Je n’ayme les honneurs, et me les fault priser,
Je veulx garder ma foy, et me la fault briser,
Je cherche la vertu, et ne trouve que vice :
Je cherche le repos, et trouver ne le puis.
J’embrasse le plaisir, et n’esprouve qu’ennuis,
Je n’ayme à discourir, en raison je me fonde :
J’ay le corps maladif, et me fault voyager,
Je suis né pour la muse, on me fait mesnager :
Ne suis-je pas [Morel] le plus chétif du monde ?
(Œuvres françaises, Les Regrets, XXXIX, Édit. Marty-Laveaux, t. II, p. 186.)
Allusion

L’allusion, comme l’antithèse, procède par rapprochement ; elle rappelle le souvenir d’un objet analogue à l’idée exprimée, comme en se jouant (alludere) et sans s’y arrêter. Trop recherchée, cette figure devient fatigante.

Ex. Mme de Sévigné fait allusion au mot célèbre de Pompée :

J’ai beau frapper du pied, rien ne sort qu’une vie triste et monotone.

Dans Les Plaideurs de Racine, l’intimé fait allusion à l’éloquence quelquefois soporifique du barreau :

J’endormirai monsieur tout aussi bien qu’un autre.
(Acte II, scène xiv.)
Réticence

La réticence consiste à interrompre une phrase commencée qu’elle laisse achever par l’esprit du lecteur pour donner plus de force à l’idée.

Ex.

J’appelai de l’exil, je tirai de l’armée
Et ce même Sénèque, et ce même Burrhus
Qui depuis… Rome alors estimait leurs vertus.
(J. Racine, Britannicus, acte IV, scène ii)
Suspension

La suspension est une variété de la réticence ; elle arrête l’expression de l’idée, qu’elle fait attendre pour la rendre plus saisissante.

Ex.

Tu t’en souviens, Cinna ; tant d’heur et tant de gloire
Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire.
Mais ce qu’on ne pourrait jamais s’imaginer,
Cinna, tu t’en souviens… et veux m’assassiner.
(P. Corneille, Cinna, acte V, scène i.)
Prolepse

La prolepse ou antéoccupation prévient l’objection en la réfutant d’avance (πρὸ-λαμϐάνω).

Ex.

Il a tort, dira-t-on ; pourquoi faut-il qu’il nomme ?
Attaquer Chapelain ! ah ! c’est un si bon homme !
Balzac en fait l’éloge en cent endroits divers.
Il est vrai, s’il m’eût cru, qu’il n’eût point fait de vers.
Il se tue à rimer, que n’écrit-il en prose ? etc.
(Boileau, Satire IX, vers 203 et suiv.)
Correction

La correction est un procédé de rhétorique qui consiste à revenir sur une idée exprimée pour la modifier au moins en apparence. Les rhéteurs l’appellent aussi épanorthose (ἐπανόρθωσις, de ἐπι-ἀνορθόω je redresse).

Ex.

Étrangère… que dis-je, esclave dans l’Épire.
(J. Racine, Andromaque, acte II, scène v.)
Concession

La concession est une figure de discussion qui consiste à accorder à son adversaire une chose contestable, mais pour en tirer un avantage contre lui.

Ex.

L’attaque de Cléante contre Tartuffe :
Je passe là-dessus et prends au pis la chose.
Supposons que Damis n’en ait pas bien use,
Et que ce soit à tort qu’on vous ait accusé ;
N’est-il pas d’un chrétien de pardonner l’offense
Et d’éteindre en son cœur tout désir de vengeance ?
Et devez-vous souffrir, pour votre démêlé,
Que du logis d’un père un fils soit exilé ?
(Molière, Tartuffe, acte IV, scène i.)
Prétérition

La prétérition est une figure d’un emploi délicat par laquelle on dit une chose qu’on feint de vouloir omettre.

Ex.

Je veux passer sous silence les turpitudes et les infamies de sa jeunesse.

(Cicéron, In Verrem.)

Je ne vous dirai point combien j’ai résisté ;
Croyez-en cet amour par vous-même attesté.
(J. Racine, Iphigénie, acte IV, scène iv.)
2° Figures d’imagination
Prosopopée

La prosopopée (πρόσωπον, visage ; ποιέω, je fais) est une figure d’un emploi rare, mais saisissant, qui prête la vie a des objets inanimés, aux absents, aux morts même, Il ne faut pas la confondre avec l’apostrophe.

Ex.

« Dormez votre sommeil, riches de la terre, et demeurez dans votre poussière. Ah ! si quelques générations, que dis-je ? Si quelques années après vous reveniez, hommes oubliés du monde, vous vous hâteriez de rentrer dans vos tombeaux, pour ne pas voir votre nom terni, votre mémoire abolie et votre prévoyance trompée dans vos amis, dans vos créatures, et plus encore dans vos héritiers et dans vos enfants. »

(Bossuet, Oraison funèbre de Le Tellier.)

Eh bien ! le temps sur vos poussières
À peine encore a fait un pas ;
Sortez, ô mânes de nos pères.
Sortez de la nuit du trépas !
Venez contempler votre ouvrage
Venez partager de cet âge
La gloire et la félicité !
Ô race en promesses féconde,
Paraissez, bienfaiteurs du monde !
Voilà votre postérité !
(Lamartine, Premières méditations, ode x.)

Cf. la plus belle prosopopée de l’antiquité (Apostrophe à la Loi), où Socrate, dans le Criton, refuse de suivre le conseil de ses amis qui lui avaient ménagé les moyens de s’enfuir de sa prison ; — le Danube en colère, dans Victor Hugo (Orientales, xxxv).

Hypotypose

L’hypotypose (ὑποτύπωσις, de ὑπὸ-τυπόω, je représente) consiste à peindre les objets avec des traits si saisissants que nous croyons les avoir sous les yeux.

Ex.

Parmi tant d’huîtres toutes closes
Une s’était ouverte, et baillant au soleil
Par un doux zéphir réjouie,
Humait l’air, respirait, était épanouie,
Blanche, grasse et d’un goût à la voir non pareille.
(La Fontaine, Le Rat et l’Huître, VIII, 9.)

On rattache à cette figure le portrait et la description.

La description prend différents noms suivant l’objet auquel elle s’applique : Éthopée (description des caractères) ; Prosopographie (des personnes) ; Topographie (des lieux).

Comparaison

La comparaison est la figure par excellence de la poésie et de l’éloquence ; elle rapproche les objets pour en marquer la ressemblance et quelquefois les contrastes.

Ex.

« Gustave Adolphe parut à la Pologne surprise et trahie comme un lion qui tient sa proie dans ses ongles, tout prêt à la mettre en pièces. »

(Bossuet, Oraison funèbre d’Anne de Gonzague.)

La comparaison prolongée entre deux hommes illustres, entre deux vertus, etc., s’appelle parallèle. (Vies de Plutarque, suivies des Parallèles de ses héros.)

Ex. Parallèle de Démosthène et de Cicéron dans Fénelon (Lettre à l’Académie française, § 4) ; — de Turenne et de Condé par Bossuet ; — de Racine et de Corneille par La Bruyère.

Périphrase

La périphrase (περίφρασις, de περὶ, autour, φράζω je parle), au lieu de nommer l’objet tout simplement, le désigne par une qualité ; elle le décrit ou l’ennoblit.

Ex. La périphrase de l’exorde de Bossuet (Oraison funèbre de la reine d’Angleterre) par laquelle il remplace le mot Dieu :

« Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l’indépendance, etc. »

Autre exemple tiré de Pascal :

« Il y a des lieux où il faut appeler Paris Paris, et d’autres où il le faut appeler capitale du royaume ».

(Pascal, Pensées, VII, 20, 2e édit. Havet.)

3° Figures de passion.
Interrogation

L’interrogation oratoire présente l’idée sous forme de question ou de doute, afin de provoquer l’attention de l’auditeur. Dans le langage familier, rien n’est plus fréquent que le tour interrogatif ; on l’emploie presque toujours sans passion. Il ne faut pas le confondre avec cette figure de rhétorique par laquelle l’orateur exprime souvent un mouvement de dépit, d’indignation ou quelque forte émotion.

Ex.

« Qu’attendez-vous de moi, messieurs, et quel doit être aujourd’hui mon ministère ? »

(Fléchier, Oraison funèbre de la duchesse d’Aiguillon.)

Que m’importe, après tout, que Néron plus fidèle
D’une longue vertu laisse un jour le modèle ?
(J. Racine, Britannicus, acte I, scène i.)
Et quel temps fut jamais si fertile en miracles ?
Quand Dieu par plus d’effets montra-t-il son pouvoir ? etc.
(J. Racine, Athalie, acte I, scène i.)

À l’interrogation se rattache la subjection. Par cette figure, l’orateur se fait à lui-même la question et la réponse ( rem sibi subjicere ). Il s’adresse quelquefois à un adversaire ou à ses auditeurs et répond pour eux.

Ex. Auguste, dans le grand monologue de Cinna :

Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre.
Quoi ! tu veux qu’on t’épargne et n’as rien épargné !
Songe aux fleuves de sang où ton bras s’est baigné.
……………………………………………………..
Donc, jusqu’à l’oublier je pourrais me contraindre !
Non, non, je me trahis moi-même d’y penser.
(P. Corneille, Cinna, acte IV, scène ii)

Ex.

« Qui (Turenne) fit jamais de si grandes choses ?… Remportait-il quelque avantage ?… À l’entendre, ce n’était pas qu’il fût habile, mais l’ennemi s’était trompé. Rendait-il compte d’une bataille ?… Il n’oubliait rien, sinon que c’était lui qui l’avait gagnée. »

(Fléchier, Oraison funèbre de Turenne.)

Apostrophe

L’apostrophe (ἀποστροφή, de ἁπό-στρέφω) détourne brusquement le discours de sa marche naturelle pour s’adresser à une personne présente ou absente à Dieu et même aux objets inanimés. « Elle est la mitraille de l’éloquence », a dit spirituellement P.-L. Courier.

Ex.

« Glaive de Dieu ! quel coup vous venez de frapper ! Toute la terre en est étonnée ! »

(Bossuet, Oraison funèbre de Marie d’Autriche.)

Non, vous n’espérez plus de nous revoir encor,
Sacrés murs que n’a pu conserver mon Hector.
(J. Racine, Andromaque, acte I, scène iv.)
Imprécation

L’imprécation met l’apostrophe au service de la malédiction.

Ex. Imprécations de Camille dans Corneille :

Rome, l’unique objet de mon ressentiment, etc.
(P. Corneille, Horace, acte IV, scène v.)

« Enfin, enfin, disent les démons, nous ne serons pas seuls. Ça, ça, voici des compagnons. Ô justice divine ! tu as voulu des supplices, en voilà… Voilà, voilà ces hommes que Dieu avait voulu égaler à nous ; les voilà enfin nos égaux dans les tourments, cette égalité nous plaît. »

(Bossuet, Sermon sur les Démons.)

Obsécration

L’obsécration fait servir l’apostrophe à la bénédiction et à la prière.

Ex.

« Ô mon fils ! je te conjure par les mânes de ton père [Achille], par ta mère, par tout ce que tu as de plus cher sur la terre, de ne me laisser pas seul dans ces maux que tu vois… Il n’y a que les grands cœurs qui sachent combien il y a de gloire à être bon. »

(Fénelon, Télémaque, livre XII ; paroles de Philoctète à Néoptolème.)

Exclamation

L’exclamation est le cri subit de l’âme vivement émue. Elle éclate en général par des interjections.

Ex.

« Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle : Madame se meurt ! madame est morte ! »
(Bossuet, Oraison funèbre de la duchesse d’Orléans.)

Grâce aux dieux, mon malheur passe mon espérance !

(J. Racine, Andromaque, acte V, scène v.)

On a donné quelquefois le nom d’épiphonème à l’exclamation, quand elle termine un tableau, un récit, un raisonnement par une réflexion. Elle se réduit souvent à une sentence et exprime très bien alors la morale d’une fable.

Ex.

Oh ! que de grands seigneurs, au léopard semblables,
           N’ont que l’habit pour tous talents.
(La Fontaine, Le Singe et le Léopard, IX, 3.)
Optation

L’optation est l’expression d’un souhait.

Ex.

Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre !
(P. Corneille, Horace, acte IV, scène v.)
Dubitation

La dubitation consiste à feindre l’incertitude dans ses paroles ou ses actions.

Cf. le trouble d’Hermione, après qu’elle a ordonné à Oreste de tuer Pyrrhus :

Où suis-je ? qu’ai-je fait ? que dois-je faire encore ?
Quel transport me saisit ? quel chagrin me dévore ?
Errante et sans dessein, je cours dans ce palais :
Ah ! ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais !
(J. Racine, Andromaque, acte V, scène i.)
Ironie

L’ironie (ἐιρωνεία, dissimulation) est la figure favorite de la passion. Par elle on dit le contraire de ce qu’on veut faire comprendre pour donner à sa pensée plus de force ou plus de piquant. Quand elle est cruelle et amère, on lui donne le nom de sarcasme. L’ironie est quelquefois spirituelle et enjouée.

Ex.

Seigneur, dans cet aveu dépouillé d’artifice,
J’aime à voir que du moins vous vous rendiez justice, etc.
(J. Racine, Andromaque, acte IV, scène v.)

Cf. le mot ironique d’Oreste :

Eh bien ! je meurs content, et mon sort est rempli.
(J. Racine, Andromaque, acte V, scène v.)

La Bruyère parlant d’un intendant de province débauché qui signe après boire un ordre qui enlève le pain à tous ses administrés, nous donne un exemple d’ironie.

« Il est excusable : quel moyen de comprendre, dans la première heure de la digestion, qu’on puisse quelque part mourir de faim. »

Astéisme

L’astéisme (ἀστεῖσμός, urbanité, esprit) est une variété de l’ironie ; elle déguise délicatement le blâme sous le voile de la louange, et réciproquement.

Ex.

Qui Bavium non odit, amet tua carmina, Mævi.
(Virgile, Églogue III, vers 90.)

On peut citer comme exemple de la réciproque l’éloge indirect de Louis XIV, contenu dans les reproches qui lui sont adressés par la Mollesse personnifiée. (Cf. Boileau, Lutrin, chant II, vers 105 et suiv.)

Hyperbole

L’hyperbole (ὑπερϐολή de ὑπὲρ-ϐάλλω, je frappe au-delà du but) exagère la vérité pour la mieux faire saisir. Comme l’ironie, elle est familière à la passion.

Ex.

Rome entière noyée au sang de ses enfants.
(P. Corneille, Cinna, acte I, scène iii)

Victor Hugo donne une idée de la vanité des grandeurs humaines dans les vers suivants :

Rien ici-bas qui n’ait en soi sa vanité :
           La gloire fuit à tire d’aile ;
Couronnes, mitres d’or brillent, mais durent peu,
Elles ne valent pas le brin d’herbe que Dieu
           Fait pour le nid de l’hirondelle !
(Victor Hugo, Feuilles d’automne, iv.)

Ex.

« Sa férocité était extrême et se montrait en tout : c’était une meule toujours en l’air, et dont ses amis n’étaient jamais en sûreté ».

(Saint-Simon, Portrait de M. le Duc [Louis Henri de Bourbon, arrière-petit-fils du grand Condé].)

Litote

La litote ou diminution (λιτότης, de λιτός mince, petit) consiste à dire moins pour faire entendre plus ; c’est le contraire de l’hyperbole.

Ex. Chimène dit à Rodrigue :

Va, je ne te hais point. — Tu le dois. — Je ne puis.
(P. Corneille, le Cid, acte III, scène iv.)

Dans le Loup et le Chien, La Fontaine emploie une figure semblable ; c’est une véritable atténuation :

Qu’est-ce là ? lui dit-il. — Rien. — Quoi ! rien ! — Peu de chose.
Mais encor ? — Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
(La Fontaine, Le Loup et le Chien, I, 5.)
II. Figures de mots

D’après les rhéteurs, les figures de mots se divisent en trois espèces :


Figures de grammaire.

Figures de construction.

Figures de sens ou tropes.

Syncope ;

Apocope ;

Paragoge ;

Crase ;

Contraction ;

Diérèse ;

Tmèse, etc.

Ellipse ;

Syllepse ;

Anacoluthe ;

Hyperbate ;

Énallage ;

Hypallage ;

Disjonction ;

Pléonasme ;

Gradation ;

Apposition, etc.

Métaphores.

Allégorie ;

Catachrèse ;

Métonymies.

Synecdoque ;

Métalepse ;

Antonomase ;

Euphémisme ;

Antiphrase, etc.

1° Figures de grammaire

Les langues anciennes, le grec surtout, possédaient plus de figures de grammaire que le français ; toutefois, notre langue en offre de nombreux exemples dans les locutions populaires et archaïques, dans les dialectes provinciaux, etc.

Syncope

La syncope (συγκοπή, de σὺγκόπτω, je coupe) retranche une syllabe au milieu d’un mot.

Ex. Amarunt pour amaverunt ; — larcin pour larecin.

Apocope

L’apocope (ἀποκοπή ; de ἀπὸ-ϰοπτω, je coupe) enlève une ou plusieurs syllabes à la fin d’un mot.

Ex. ru pour ruisseau ; — fac, duc, pour face, duce.

Paragoge

La paragoge (παραγωγή de παρὰ-ἂγω, je conduis, j’allonge), ajoute une syllabe à la fin d’un mot.

Ex. Ludificarier (Plaute) ; — Imitarier (Lucrèce) ; — Dans notre vieille langue : Avecques, Doncques.

Crase

La crase (κρᾶσις, mélange) réunit en une syllabe longue la finale d’un mot et l’initiale du mot suivant :

Ex. κᾇτα, pour καὶ εἶτα.

Contraction

La contraction (συναίρεσις, contractio) est une figure qui de deux syllabes n’en fait qu’une.

Ex. Audientum pour audientium ; — deum pour deorum ; — rôle pour roolle ; — âme pour aame ; — âge pour aage.

Diérèse

La diérèse (διαίρεσις, de διὰ-ἀιρέω, je divise) sépare par un tréma une syllabe contractée.

Ex. Vitaï pour vitæ ; — auraï pour auræ.

Tmèse

La tmèse (τμῆσις je coupe) sépare en deux parties un mot composé.

Ex. Septem subjecta trioni , pour septentrioni. (Virgile, Géorgiques, livre III, vers 381.)

Il en est de même en prose :

Quod judicium cumque subierat, damnabitur, pour quodcunque, etc. (Cicéron, Pro Sextio, chapitre xxxi.)

2° Figures de construction.

Les figures de construction modifient les règles de la grammaire, mais ajoutent à la beauté du style.

Ellipse

L’ellipse (ἔλλειψις, de ἔνλείπω je fais défaut) supprime un ou plusieurs mots pour donner plus de vivacité et de rapidité à la phrase.

Ex.

Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
         Ce que je viens de raconter.
(La Fontaine, Le Vieillard et les trois jeunes hommes, XI, 8.)
Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud.
(Th. Corneille, Le Comte d’Essex, acte IV, scène iii)
Syllepse

La syllepse (σύλληψις, de σύν-λαμϐάνω, je réunis) substitue l’accord logique à l’accord grammatical.

Ex.

Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge ;
Vous souvenant, mon fils, que, caché sous ce lin,
Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin.
(J. Racine, Athalie, acte IV, scène iii.)
Anacoluthe

L’anacoluthe (ἀνακολουθος, de ἀνα-κωλύω, j’arrête) interrompt la construction régulière de la phrase.

Ex.

« Après s’être sauvée des flots, une autre tempête lui fut presque fatale. »

(Bossuet, Oraison funèbre d’Henriette de France.)

Hyperbate

L’hyperbate ou inversion (ὑπέρϐατον, de ὑπέρ, au-delà, — ϐαίνω, je vais) renverse l’ordre des mots. Cette figure, qui est le fond même de la construction de la phrase chez les Grecs et les Latins, donne aux langues anciennes une grande souplesse pour l’expression. La nôtre en offre des exemples, mais plus rares, en prose ; c’est la construction essentielle de notre poésie.

Ex.

« Restait cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne, etc. »

(Bossuet, Oraison funèbre de Condé.)

Dans son sang inhumain les chiens désaltérés,
Et de son corps hideux les membres déchirés, etc.
(J Racine, Athalie, acte I, scène i.)
Énallage

L’énallage (ἐναλλαγή, de ἐν-ἀλλάσσω, je change) substitue un temps à un autre.

Ex.

Le renard sera bien habile
S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s’engraisser coûtera peu de son,
Il était, quand je l’eus, de grosseur raisonnable :
J’aurai, le revendant, de l’argent bel et bon ;
Et qui m’empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau ?
(La  Fontaine, La Laitière et le Pot au lait, VII, 10.)
Hypallage

L’hypallage (ὑπαλλαγή, ὑπὸ-ἀλλάσσω, je mets à la place) transpose le rapport naturel des idées sans en modifier le sens.

Ex.

Ibant obscuri sola sub nocte per umbram.

(Virgile, Énéide, livre V, vers 268.)

Disjonction, conjonction, répétition

La disjonction (disjunctio, de dis-jungo, je sépare), supprime les particules, les liaisons des idées, tandis que la conjonction les multiplie. La répétition redouble les mots aussi bien que les idées.

Ex. de disjonction :

           Le loup est l’ennemi commun :
Chiens, chasseurs, villageois s’assemblent pour sa perte.
(La Fontaine, Le Loup et les Bergers, X, 6.)

Ex. de conjonction :

Mais tout dort, et l’armée, et les vents, et Neptune.
(J. Racine, Iphigénie, acte I, scène i.)

Ex. de répétition :

Je l’ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu,
               Ce qu’on appelle vu.
(Molière, Tartuffe, acte V, scène iii.)
Pléonasme

Le pléonasme (πλεόνασμος, surabondance) emploie des mots inutiles pour le sens. C’est souvent une faute, puisqu’il surcharge le discours. On s’en sert quelquefois avec intention pour donner plus de force à la pensée.

Ex.

Et que m’a fait, à moi, cette Troie où je cours ?
(J. Racine, Iphigénie, acte IV, scène vi.)
Gradation

La gradation (gradatio, de gradus, degré) ou progression, place les mots suivant leur plus ou moins d’énergie.

Ex.

Presse, pleure, gémis ; peins-lui Phèdre mourante.
(J. Racine, Phèdre, acte III, scène i.)
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.
(La Fontaine, Le Lièvre et les Grenouilles, II, 14.)
Demain, c’est le cheval qui s’abat blanc d’écume.
Demain, ô conquérant, c’est Moscou qui s’allume,
              La nuit comme un flambeau ;
C’est votre vieille garde au loin jonchant la plaine.
Demain, c’est Waterloo ! demain, c’est Sainte-Hélène !
              Demain, c’est le tombeau !
(Victor Hugo, Chants du crépuscule, v.)
Apposition

L’apposition (appositio, de appono, je mets à côté) emploie les substantifs comme épithètes.

Ex.

« Des titres, des inscriptions, vaines marques de ce qui n’est plus. »

(Bossuet, Oraison funèbre de Condé.)

3° Figures de sens ou tropes

Les tropes (τρὁπος de τέτροπα, parfait de τρέπω, je change) transforment le sens primitif et propre des mots.

Expression propre.

Fénelon.

Bossuet.

La profession militaire.

La magistrature.

Expression figurée.

Le cygne de Cambrai.

L’aigle de Meaux.

L’épée.

La robe.

Ces figures ont leur origine dans une relation naturelle entre deux objets.

On divise les tropes en deux classes : 1° les métaphores ; 2° les métonymies. On peut y ramener toutes les variétés de tropes énumérées par les rhéteurs.

Aristote réduisait tous les tropes à la métaphore. Elle est, en effet, le premier de tous, celui d’où dérivent tous les autres.

1° Métaphores
Métaphore

La métaphore (μεταφορά, de μέτα, au-delà, — φέρω je porte) fait passer un mot de sa signification propre à une nouvelle, en vertu d’une comparaison mentale.

Ex.

« Madame a passé du matin au soir comme l’herbe des champs. »

(Bossuet, Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre.)

Sur les ailes du temps la tristesse s’envole.
(La Fontaine, La Jeune Veuve, IV, 21.)

Il y a une différence entre la métaphore et la comparaison. Celle-ci se fait avec trois termes : le sujet, l’objet auquel on le compare et le signe de la comparaison.

La métaphore supprime le sujet et le signe pour donner plus de vivacité au style.

Pour faire mieux saisir le rapport et la différence de la comparaison et de la métaphore, on peut citer l’exemple suivant qui contient les deux :

                    …… Je voudrais qu’à cet âge
On sortît de la vie ainsi que d’un banquet,
Remerciant son hôte, et qu’on fit son paquet.
(La Fontaine, La Mort et le Mourant, VIII, 1.)

Quintilien appelait les métaphores les yeux même du discours ; mais il demandait que ces yeux ne fussent point placés çà et là, par tout le corps. Il ne faut donc point abuser des métaphores. Elles plaisent surtout à condition de ne pas enlever à une œuvre littéraire la simplicité et le naturel, qualités essentielles du style.

Allégorie

L’allégorie (ἀλληγορία, de ἄλλος, autre, — ἀγορεύω, je parle) est une métaphore prolongée.

Ex. Horace cherche à retenir au port un navire [symbole de Rome] qui va braver de nouveaux orages.

O navis, referent in mare te novi
Fluctus ! o quid agis ?
(Livre I, ode xiv.)

Cf. la fin de l’idylle dans laquelle André Chénier en donne une poétique définition :

Du Pange, c’est vers toi qu’à l’heure du réveil
Court cette jeune Idylle au teint frais et vermeil :
« Va trouver mon ami, va, ma fille nouvelle »,
Lui disais-je. Aussitôt, pour te paraître belle,
L’eau pure a ranimé son front, ses yeux brillants :
D’une étroite ceinture elle a pressé ses flancs ;
Et des fleurs sur son sein, et des fleurs sur sa tête,
Et sa flûte à la main, sa flûte qui s’apprête
À défier un jour les pipeaux de Segrais,
Seuls connus parmi nous aux nymphes des forêts.
(A. Chénier, Idylle, i, édit. Lemerre, t. I, p. 185.)

Lorsque l’allégorie est sous forme de récit et qu’elle contient une vérité importante, on l’appelle parabole. Ce terme ne s’applique guère qu’aux allégories contenues dans les livres saints. Ex. la parabole de l’enfant prodigue. — Toutefois l’allégorie doit être facile à comprendre, et c’est avec raison que Lemierre a dit :

L’allégorie habite un palais diaphane.
Catachrèse

La catachrèse (κάτάχρησις, de κατὰ, contre, χράομαι, je me sers) est l’extension par analogie du sens propre des mots ; on l’emploie quand il n’existe pas de termes pour désigner un objet nouveau.

Ex. Une feuille de papier,

À cheval sur un bâton.

Le dos d’un fauteuil.

2° Métonymies
Métonymie

La métonymie (μετωνυμία, de μετά, au-delà, ὄνομα, nom, — mot transposé) est la substitution d’un nom à un autre. Elle prend :

1° la cause pour l’effet : Cérès pour le blé ; — Bacchus pour le vin ; — Mars pour la guerre ; — la plume, le pinceau pour les écrits et la peinture, etc.

Ex.

Mars détruisit le lieu que nos gens habitaient.
(La Fontaine, L’Avantage de la science, VIII, 19.)

2° l’effet pour la cause : les pâles alarmes pour les alarmes qui font pâlir.

Ex.

La vengeance à la main, l’œil ardent de colère.
(P. Corneille, Polyeucte, acte I, scène iii.)

3° le contenant pour le contenu : la bouteille pour le vin.

Ex.

La cage et le panier avaient mêmes pénates.
(La Fontaine, Le Chat et les Deux Moineaux, XII, 2.)

4° l’auteur pour l’ouvrage.

Ex.

Térence est dans mes mains, je m’instruis dans Horace.
(La Fontaine, Epistre à Mgr l’Evesque de Soissons.)

5° l’abstrait pour le concret.

Ex.

De quel front cependant faut-il que je confesse
Que ton effronterie a surpris ma vieillesse ?
(P. Corneille, Le Menteur, acte V, scène ii.)

6° le concret pour l’abstrait.

Ex.

« La maison de France garda son rang sur celle d’Autriche jusque dans Bruxelles. »

(Bossuet, Oraison funèbre de Condé.)

7° le signe pour la chose signifiée.

Ex.

À la fin, j’ai quitté la robe pour l’épée.
(P. Corneille, Le Menteur, acte I, scène i.)
Synecdoque

La synecdoque (συνεκδοχή, de σὑν-ἐκ-δέχομαι, je reçois) est une variété de la métonymie. Cette figure consiste à étendre ou à restreindre le sens propre des mots. Elle prend :

1° le genre pour l’espèce (rarement le contraire) : les mortels pour les hommes.

Ex. La Fontaine dans Le Chat, la Belette et le Petit Lapin :

Dit l’animal chassé du paternel logis, (pour le lapin.)
(Livre VII, 16.)

2° la partie pour le tout, et réciproquement : trente voiles, cent feux, etc.

Ex.

Là, depuis trente hivers, un hibou retiré, etc.
(Boileau, Lutrin, chant III, vers 11.)

3° le nombre déterminé pour le nombre incertain.

Ex.

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.
(Boileau, Art poétique, chant  I, vers 172.)

4° le singulier pour le pluriel.

Ex.

Le Français, né malin, forma le vaudeville.
(Boileau, Art poétique, chant II, vers 182.)

5° la matière pour l’objet qui en est fait.

Ex.

Mais l’airain menaçant frémit de toutes parts.
(J. Racine, Athalie, acte IV, scène v.)
Métalepse

La métalepse (μετάληψις, de μετὰ-λαμϐάνω, je transpose) fait entendre une chose par les circonstances qui la précèdent ou qui la suivent.

Ex.

Mais il était trop tard, les chants avaient cessé.
(Raynouar d, Les Templiers, acte V, scène ix.)

Ce vers signifie que les Templiers avaient cessé de vivre.

Antonomase

L’antonomase (ἀντονομασία, de ἀντὶ, au lieu de — ὄνομα, nom) substitue un nom propre à un nom commun.

Ex. Un Benjamin, pour un enfant favori.

Un Aristarque, pour un critique sévère.

Un Zoïle ; pour un critique envieux,

et réciproquement :

le roi prophète, pour David,

le boulanger de Nîmes, pour Reboul (poète du xixe siècle),

le barbier d’Agen, pour Jasmin (poète gascon), etc.

Euphémisme

L’euphémisme (εὐφημισμός, de ἑυ, bien, — φημί, je dis) adoucit une expression qui pourrait être blessante.

Ex. Cicéron annonçant au peuple la mort des complices de Catilina : Ils ont vécu pour ils sont morts.

Antiphrase

L’antiphrase, variété de l’ironie, exprime une idée par son contraire(ἀντιφρασις, de ἀντι, contre, —φράζω, je parle).

Ex. Les Euménides (déesses bienfaisantes) pour les Furies.

[Conclusion sur les figures]

Dumarsais a dit, dans son livre des Tropes (p. 2) : « Je suis persuadé qu’il se fait plus de figures un. Jour de marché à la halle qu’il ne s’en fait en plusieurs jours d’assemblées académiques. »

Marmontel, dans ses Éléments de littérature, a essayé de réunir les principales figures de rhétorique dans le langage d’un homme du peuple. Il suppose celui-ci en colère contre sa femme :

« Si je dis oui, elle dit non ; soir et matin, nuit et jour, elle gronde (antithèse). Jamais, jamais de repos avec elle (répétition). C’est une furie, un démon (hyperbole). Mais, malheureuse, dis-moi donc (apostrophe) ! Que t’ai-je fait (interrogation) ? Ô ciel ! quelle fut ma folie en t’épousant (exclamation) ! Que ne me suis-je plutôt noyé (optation) ! Je ne te reproche ni ce que tu me coûtes, ni les peines que je me donne pour y suffire (prétérition) ; mais, je t’en prie, je t’en conjure, laisse-moi travailler en paix (obsécration). Ou que je meure si… Tremble de me pousser à bout (imprécation et réticence). Elle pleure ! Ah ! la. bonne âme ! vous allez voir que c’est moi qui ai tort (ironie). Eh bien ! je suppose que cela soit : oui, je suis trop vif, trop sensible (concession). J’ai souhaité cent fois que tu fusses laide ; j’ai maudit, détesté ces yeux perfides, cette mine trompeuse qui m’avait affolé (astéisme). Mais, dis-moi si par la douceur il ne vaudrait pas mieux me ramener (communication) ? Nos enfants, nos amis, nos voisins, tout le monde nous voit faire mauvais ménage (énumération) ; ils entendent tes cris, tes plaintes, les injures dont tu m’accables (accumulation) ; ils t’ont vue, les yeux égarés, le visage en feu, la tête échevelée, me poursuivre, me menacer (description) ; ils en parlent avec frayeur ; la voisine arrive : on le lui raconte ; le passant écoute et va le répéter (hypotypose). Ils croiront que je suis un méchant, un brutal, que je te laisse manquer de tout, que je te bats, que je t’assomme (gradation) ; mais non, ils savent bien que je t’aime, que j’ai bon cœur, que je décide de te voir tranquille et contente (correction). Va, le monde n’est pas injuste ; le tort reste à celui qui l’a (sentence). Hélas ! ta pauvre mère m’avait tant promis que tu lui ressemblerais ! Que dirait-elle ? que dit-elle ? Car elle voit ce qui se passe. Oui, j’espère qu’elle m’écoute, et je l’entends qui te reproche de me rendre si malheureux. Ah ! mon pauvre gendre, dit-elle, tu mériterais un meilleur sort (prosopopée). »

(Marmontel, Éléments de littérature, t. II, page 187.)

Élocution. Résumé synoptique
STYLE. FIGURES
Qualités générales. Ancienne division. de pensée. de mots.

Clarté,

Propriété,

Précision,

Correction,

Concision,

Pureté,

Naturel,

Noblesse,

Harmonie :

1° Des mots ;

2° Des phrases (période) ;

3° Harmonie imitative.

Style simple.

Précision,

Naïveté,

Netteté,

Concision,

Naturel, etc.

Style tempéré.

Élégance,

Richesse,

Finesse,

Délicatesse,

Grâce, etc.

Style sublime.

Énergie,

Véhémence, Magnificence, Profondeur, Enthousiasme, etc.

Sublime proprement dit :

1° Sublime de pensée ;

2° Sublime de sentiment ;

3° Sublime d’image

Figures de raisonnement.

Antithèse,

Allusion,

Réticence,

Suspension,

Prolepse,

Correction,

Concession,

Prétérition, etc.

Figures d’imagination.

Prosopopée,

Hypotypose,

Comparaison,

Périphrase, etc.

Figures de passion.

Interrogation,

Apostrophe,

Imprécation,

Obsécration,

Exclamation,

Optation,

Dubitation,

Ironie,

Astéisme,

Hyperbole,

Litote, etc.

Figures de grammaire.

Syncope,

Apocope,

Paragoge,

Crase,

Diérèse,

Tmèse, etc.

Figures de construction.

Ellipse,

Syllepse, Anacoluthe,

Hyperbate,

Énallage,

Hypallage,

Disjonction, Pléonasme, Gradation, Apposition, etc.

3° Figures de sens, ou Tropes.

Métaphores.

Allégorie,

Catachrèse,

Métonymies.

Synecdoque,

Métalepse,

Antonomase,

Euphémisme,

Antiphrase, etc.

IV. Action

L’action oratoire est l’ensemble des moyens extérieurs qui concourent à l’effet du discours.

L’action se compose de la voix, du geste, de la physionomie et même de la mémoire. Cette dernière ne fait pas partie de l’action proprement dite, mais elle en est une condition indispensable.

L’ensemble des préceptes relatifs à l’action s’appelle art de la déclamation. C’est une partie dont l’orateur et le comédien doivent faire une étude spéciale.

Les anciens attachaient à l’action oratoire une grande importance. On demandait un jour à Démosthène quelle était la première partie de l’éloquence : « C’est l’action, répondit-il ; et la seconde ? l’action ; et la troisième ? l’action, toujours l’action. » Plus tard, Cicéron, dans le de Oratore, exprimait la même idée.

Chez les anciens, l’action jouait un plus grand rôle que chez les modernes ; car ceux-ci possèdent plus d’écrivains que d’orateurs. Chez les Grecs et les Romains, elle était violente et passionnée. Ils n’avaient pas la moitié du corps caché comme chez nous, l’orateur politique par la tribune, le prédicateur par la chaire l’avocat par le tribunal. C’était pour eux une véritable science de pantomime, et les rhéteurs notaient même la pose de la main, le mouvement des doigts et la direction du regard.

Toutefois, si l’action n’a plus chez les modernes le caractère théâtral qu’elle avait chez les anciens, si elle est plus calme et plus modérée, l’orateur, pour produire de l’effet sur son auditoire, ne sera véritablement éloquent que s’il joint au talent d’inventer, de disposer, d’exprimer les faits et les idées essentielles de tout discours, une voix sonore et vibrante, une physionomie vive, des gestes expressifs, enfin une mémoire prompte et fidèle qui laisse l’orateur maître de son esprit et de sa parole.

La voix est l’expression des idées et des sentiments (fond de tout discours) au moyen de sons articulés.

La prononciation doit être distincte, pure et nuancée, suivant les pensées que l’on développe. Ni trop lente ni trop rapide, elle doit être ménagée avec intelligence, autant pour le plaisir de l’auditeur que pour le soulagement de celui qui parle. L’orateur doit prendre des tons appropriés aux passions dont il est animé et aux sentiments qu’il veut communiquer, il faut qu’il soit simple dans l’exposition des faits, animé dans la discussion, véhément ou touchant dans les circonstances pathétiques. La voix est une des plus puissantes ressources de l’action.

Le geste est l’expression des idées au moyen des mouvements du corps. En général, les gestes sont naturels chez l’orateur, mais l’art peut les perfectionner. Il faut surtout qu’ils soient en harmonie avec le ton du discours) tout geste exagéré ou recherché ne peut que choquer et déplaire.

La physionomie a aussi son langage. En effet, le visage humain exprime tous les mouvements et toutes les passions de l’âme ; il les reflète comme un miroir. De même que la voix et le geste, la physionomie doit être appropriée aux pensées et aux sentiments du discours :

                                         Tristia mæstum
Vultum verba decent, iratum, plena minarum,
Ludentem, lasciva ; severum, seria dictu.
Format enim natura priùs nos intùs ad omnem
Fortunarum habitum.
(Horace, Art poétique, vers 105 et suiv.)

La mémoire oratoire n’est pas seulement la faculté de retenir et de citer exactement le texte d’un discours écrit d’avance, mais le don de conserver l’ordre de ses pensées dans l’improvisation, lorsqu’on en a simplement préparé le canevas. Tout discours écrit et récité est plus ou moins froid ; ce n’est que par le développement improvisé d’un sujet conçu dans l’esprit qu’on arrive à produire les grands effets de l’éloquence. L’orateur doit se rappeler ses idées pour les suivre méthodiquement) sans mémoire, point de véritable orateur.

Action. Résumé synoptique
Voix. Geste. Physionomie.
Mémoire.

Appendice.
Exercices de rhétorique

Quand l’esprit est bien pénétré des préceptes de la Rhétorique et que, par la lecture des grands modèles, car la conversation et par la réflexion, il s’est enrichi d’un certain nombre d’idées, on doit s’exercer à les développer. Il en est de l’art de bien dire ou de bien écrire comme de tous les autres ; il faut l’avoir pratiqué pour le connaître à fond. C’est l’objet des différents exercices de rhétorique. On peut classer ainsi les principaux :

Narration, 2° Description, 3° Tableau, 4° Portrait, 5° Parallèle,    Éloge, 7° Discours, 8° Allégorie, 9° Lettre, 10° Rapport, 11° Dialogue, 12° Dissertation, 13° Analyse littéraire, etc.

1° Narration

La narration est l’exposé d’un fait vrai ou supposé, accompagné de toutes les circonstances qui en dépendent ; c’est aussi la peinture d’une action. Elle se distingue de la description et du tableau par le mouvement dramatique.

Il ne s’agit point ici de la narration comme partie essentielle du discours. Nous avons déjà dit dans la Rhétorique (p. 18 [Division de la Rhétorique, II. Disposition, 4° Narration]) que cette sorte de narration se divise en narration oratoire, historique et poétique ; nous en avons fait connaître les caractères, les ressemblances et les différences. Considérons ici la narration comme œuvre séparée et constituant à elle seule une composition littéraire. Elle est à peu près soumise aux mêmes règles que la narration oratoire.

On donne plus particulièrement le nom d’anecdote (de ἄν privatif, et ἔκδοτος livré, = inédit), au récit court et piquant d’un petit fait. Ex. les anecdotes du Siècle de Louis XIV par Voltaire (chap. xxv et xxvi).

Le fait vrai doit être raconté d’une manière scrupuleusement exacte. Ex. le passage du Saint-Bernard, par Thiers (Histoire du Consulat et de l’Empire, t. I, livre IV, p. 365, édit. Paulin, 1845), et tous les modèles de narration historique dus à la plume d’Augustin Thierry, de Guizot, etc.

Le fait supposé peut être présenté de deux façons :

1° En mettant en scène des personnages historiques auxquels on suppose des actes, des paroles, des sentiments conformes à leur époque, à leur nationalité et à leur caractère particulier. On y emploie la couleur locale ; c’est le roman historique.

Ex. Le morceau où Alfred de Vigny représente Richelieu faisant signer à Louis XIII la condamnation de Cinq-Mars dans le roman de ce nom (chap. xxiv, p. 393-395).

2° En faisant mouvoir dans un cadre fictif des personnages imaginaires dus au caprice et à la fantaisie de l’écrivain, qui doit toutefois observer la vraisemblance.

Ex. Le Docteur anglais, Les Indiens et Le Paria, par Bernardin de Saint-Pierre ; — Le Meunier sans souci, par Andrieux ; — les Fables de La Fontaine ; — les récits du Télémaque de Fénelon ; — ceux des Martyrs de Chateaubriand ; — La Prise d’une redoute, par Mérimée, etc.

Comme tout drame, la narration se compose de trois, parties essentielles : 1° l’exposition, 2° le nœud, 3° le dénouement. Elle doit être claire, vraisemblable, brève et intéressante. Cf. Boileau :

Soyez vif et pressé dans vos narrations, etc.
(Art poétique, chant III, vers 257.)

À la narration ou peinture des faits on peut rattacher naturellement la description ou peinture des choses, des personnes et des lieux (éthopée, prosopographie et topographie).

2° Description

La description est une amplification dont le but est de peindre les objets sous leurs traits les plus importants et les plus caractéristiques. Elle est fausse, quand elle substitue les mois au dessin et à la couleur.

La description scientifique, qu’il faut distinguer de la description littéraire, se propose seulement d’instruire et de peindre l’objet d’après ses caractères essentiels. C’est une variété de la définition. Sa principale qualité est l’exactitude.

Les qualités de la description doivent être celles de la narration. Son but est de produire sur l’imagination du lecteur ou de l’auditeur une impression si vive qu’il lui semble voir l’objet. Elle embellit un fait que l’historien se contente de raconter simplement. Cf. Platon décrivant au début de Phèdre un paysage des environs d’Athènes ; les descriptions de Buffon, de J.-J. Rousseau, de Bernardin de Saint-Pierre, de Chateaubriand, etc.

Il ne faut pas abuser de la description comme Delille et imiter ces auteurs dont se moque Boileau :

S’il rencontre un patois, il m’en dépeint la face :
Il me promène après de terrasse en terrasse ; etc.
(Art poétique, chant I, vers 51 et 52.)
Tableau

La description devient un tableau quand le cadre embrasse un ensemble d’objets. Ex. le lever du soleil dans les Confessions de J.-J. Rousseau.

4° Portrait

On donne le nom de portrait à la description quand elle peint les hommes ou les animaux.

Ex. Le portrait du cardinal de Retz dans La Rochefoucauld, dans Voltaire ; — et ceux de La Rochefoucauld, de M. le duc d’Orléans, de M. de Longueville, de Turenne, dans les Mémoires du cardinal de Retz ; — les caractères de La Bruyère ; — le portrait du chien dans Buffon.

5° Parallèle

Le parallèle est une espèce de comparaison appliquée aux personnes ou aux caractères. Il oppose deux portraits, l’un à l’autre pour en faire ressortir les contrastes et les différences. Ex. Les Parallèles, qui suivent les Vies des hommes illustres de Plutarque.

Le parallèle doit contenir tous les détails qui offrent quelque intérêt pour faire connaître les personnages que l’on rapproche. Il y a souvent dans ce genre de composition une symétrie un peu factice, quand on multiplie les analogies, les contrastes, et qu’on oppose deux caractères l’un à l’autre, trait pour trait.

Ex. Le parallèle de Turenne et de Condé dans Bossuet, — celui de Corneille et de Racine dans La Bruyère, etc.

On compare quelquefois deux villes entre elles. Ex. parallèle de Rome et de Carthage dans Montesquieu (Grandeur et décadence des Romains).

Le parallèle procède aussi par deux tableaux symétriques, mais distincts, et, pour ainsi dire, se faisant pendant. Ex. portrait du riche et du pauvre dans La Bruyère (chap. vi, Des biens de la fortune) ; — celui de Démosthène et de Cicéron par Fénelon, dans sa Lettre à l’Académie française, § 4.

6° Éloge

L’éloge est un portrait destiné à faire aimer ou admirer le personnage que représente l’écrivain. Le panégyriste insiste sur le bien, glisse sur le mal, quelquefois même n’en parle pas du tout. Il n’est ni historien ni témoin. S’il est obligé de ne rien dire qui soit contraire à la vérité, il n’est pas forcé de la dire tout entière. Ex. en général, les discours académiques ; en particulier l’éloge de Dupin par M. Cuvillier-Fleury (11 avril 1867).

Sobriété dans le ton, expressions choisies, telles sont les qualités indispensables à tout éloge. Le panégyriste doit surtout tenir compte de la line et courte observation de La Bruyère : amas d’épithètes, mauvaises louanges.

7° Discours

Le discours est une composition dans laquelle un orateur parle devant un peuple assemblé pour l’intéresser aux affaires de l’État, ou devant un sénat, un corps législatif dont il veut éclairer les délibérations (discours politique). Tantôt c’est une armée à laquelle il adresse une proclamation, une harangue militaire, ou un bulletin de victoire (discours militaire), tantôt c’est un tribunal déjugés, un jury qu’il cherche à émouvoir sur le sort d’un criminel (discours judiciaire). C’est aussi une Académie, un concile, une chaire dans lesquels il développe une idée littéraire ou religieuse (discours académique, — discours religieux).

Dans nos habitudes modernes, le discours repose entièrement sur l’étude de l’histoire. Il est de tous les exercices de rhétorique le plus important et le plus difficile, celui qui réclame le plus d’aptitudes diverses, car il exercera la fois l’imagination et le raisonnement. Plus que tout autre aussi, il donne l’occasion d’appliquer toutes les règles de la rhétorique.

On peut lire, comme exercice, les modèles suivant : 1° dans le genre délibératif, le discours contre la banqueroute prononcé par Mirabeau à l’Assemblée (séance du 26 septembre 1789) ; 2° dans le genre judiciaire, la défense de Fouquet par Pellisson ; 3° dans le genre démonstratif, le discours de Buffon à l’Académie française le jour de sa réception, 25 août 1750 (Discours sur le style), etc.

8° Allégorie

Dans la Rhétorique, nous avons déjà parlé de l’allégorie comme figure. Il s’agit ici de l’allégorie en tant que composition littéraire. Considérée à ce point de vue, elle est une fiction poétique dans laquelle l’on personnifie des êtres moraux ou abstraits. Ex. La personnification de l’Envie dans la Henriade ; — celle de la Chicane et de la Mollesse dans le Lutrin.

La mythologie a fourni en littérature le sujet d’un grand nombre d’allégories, et Boileau, partisan du merveilleux païen, l’a proclamée le soutien de la poésie épique.

Ce n’est plus la vapeur qui produit le tonnerre,
C’est Jupiter armé pour effrayer la terre ;
Un orage terrible aux yeux des matelots,
C’est Neptune en courroux qui gourmande les flots ;
Écho n’est plus un son qui dans l’air retentisse,
C’est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.
(Boileau, Art poétique, chant III, vers 167 et suiv.)

Nos anciens poètes français employaient fréquemment l’allégorie. Ex. les personnages appelés Jalousie, Faux-semblant, Bel-accueil, dans le Roman de la Rose.

On doit ranger parmi les allégories certaines comédies d’Aristophane (Les Oiseaux, — Plutus, allégorie sur l’inégale et injuste distribution des richesses parmi les hommes ; — Les Guêpes, satire allégorique dirigée contre les tribunaux, et dans laquelle le chœur des juges est représenté sous la forme de mouches armées d’un aiguillon) ; — quelques personnages dans Eschyle (la Force et la Violence dans le Prométhée enchaîné).

L’apologue n’est qu’une allégorie, surtout quand on laisse deviner la moralité, comme dans Le Chêne et le Roseau de La Fontaine.

Les paraboles de l’Ancien et du Nouveau Testament sont des allégories morales. Les proverbes sont aussi quelquefois allégoriques.

9° Lettre

La lettre est un entretien par écrit entre personnes absentes ou séparées. Comme exercice de rhétorique, elle n’est guère qu’un discours déguisé.

La lettre proprement dite n’est pas soumise à la méthode rigoureuse du discours. On pourrait même dire, si toutefois une composition littéraire pouvait se passer de règles, que sa méthode consiste à n’en point avoir. La lettre, par la nature multiple des sujets qu’elle aborde, échappe à des préceptes absolus ; elle doit cependant observer un certain ordre dans la disposition des principaux points de son sujet. Oh ne peut pas établir entre les parties d’une lettre une proportion qui permette de la découper en un certain nombre de paragraphes égaux. La lettre n’est pas une dissertation ; son charme est surtout dans l’aisance naturelle avec laquelle la plume semble courir.

Le genre épistolaire comporte toutes les formes et toutes les variétés de style. Ses principales qualités sont celles qui conviennent à la conversation des personnes bien élevées : bienséance, simplicité, aisance et naturel. C’est avec raison que Mme de Sévigné, dont les lettres sont des modèles de style épistolaire a dit : Soyez-vous et non autrui ; votre lettre doit m’ouvrir votre âme et non votre bibliothèque. Cette pure nature est précisément ce qui est beau et ce qui plaît uniquement. — Cf. les lettres de Mme de Sévigné, de Mme de Maintenon, de Voltaire, de P.-L. Courier, d’Eugénie de Guérin ; etc.

10° Rapport

Le rapport n’est qu’une lettre d’affaire d’une nature particulière. C’est l’exposé clair et sobre d’une question sur laquelle il faut appeler l’attention d’une ou de plusieurs personnes intéressées, et qui est soumise à la discussion compétente d’un conseil, d’une compagnie, d’un tribunal, d’une assemblée politique, d’un gouvernement et même d’un pays tout entier.

Ce genre de composition comporte donc trois parties : 1° l’exorde, dans lequel on expose l’origine, la nature, la portée et les limites de la question ; 2° l’argumentation, c’est-à-dire l’historique clair et net, la discussion méthodique des principaux points de la question ; 3° la péroraison ou conclusion brève du rapporteur. Cf. Rollin, Traité des études, livre V, chap. i.

Ex. Rapport sur les inondations de l’Allier et de la Loire par M. Béhic (30 octobre 1866).

11° Dialogue

Le dialogue proprement dit est un entretien de deux, quelquefois de trois personnes et même davantage, bien qu’il faille éviter cette complication, au théâtre surtout, pour obéir au précepte d’Horace, qui condamnait absolument l’emploi d’un quatrième personnage. Les Grecs en admettaient deux, rarement trois.

Le dialogue entre pour une part assez importante dans les paraboles, dans les fables. Ex. La Fontaine, Le Savetier et le Financier, — Le Loup et l’Agneau, — Le Lièvre et la Tortue, etc.

Le nœud de l’intrigue dans une narration est quelquefois traité sous forme de dialogue, mais il faut que celui-ci vienne à propos, qu’il soit naturel et rapide.

Le dialogue a été employé par les anciens et les modernes dans un grand nombre de traités philosophiques, moraux, littéraires et scientifiques.

Ex. Chez les anciens, les Dialogues de Platon, de Xénophon, de Lucien, de Cicéron ; — en France, ceux de Fénelon : Dialogues sur l’éloquence, — Dialogues des morts ; — de Malebranche, Entretiens sur la métaphysique et la religion ; — de Vacherot, La Métaphysique et la Science, etc.

De nos jours, Alexandre Dumas père a été un maître incomparable dans l’art de faire parler plusieurs personnages de ses romans, de ses drames et de ses comédies.

Quand le dialogue comprend plus de deux personnages, il faut qu’il y en ait un qui dirige la discussion. Ex. Socrate dans les dialogues de Platon et de Xénophon ; — Cicéron dans celui qu’il a composé sur les orateurs illustres de Rome ; — Caton l’ancien dans le dialogue du même écrivain sur la Vieillesse ; — Fénelon dans ses Dialogues sur l’éloquence. Il y a une distinction à établir entre ces noms, puisque tantôt le dialogue est supposé (Socrate, Caton), tantôt c’est l’écrivain lui-même qui prend la parole (Cicéron, Fénelon).

Il y a deux règles principales à observer dans le dialogue : 1° ne pas substituer, sous peine de monotonie, à un véritable dialogue une série de longs discours ; 2° éviter des répétitions trop multipliées. (Voir le début des Dialogues sur l’éloquence de Fénelon).

12° Dissertation

La dissertation est le développement d’une pensée historique, littéraire, morale ou philosophique, telle que celle-ci, de Quintilien : Pectus est quod disertos facit  ; ou la maxime de Vauvenargues : Les grandes pensées viennent du cœur . Elle prouve la justesse des opinions et des idées ; elle s’adresse au raisonnement et à la raison.

On peut appliquer à ce genre de composition les règles de l’invention et de la disposition. Pour être bonne, une dissertation doit avoir un développement clair, rigoureux et complet, son style doit être simple et sobre.

On distingue plusieurs espèces de dissertations, suivant l’objet de la pensée que l’on développe. Elle peut être : 1° religieuse : Ex. Le sentiment de la divinité (Bernardin de Saint-Pierre, Études de la nature) ; 2° morale ou philosophique : Ex. L’amour de la patrie (Chateaubriand, Génie du christianisme) ; — 3° scientifique : Ex. les Alluvions (Cuvier, Discours sur les révolutions de la surface du globe); — 4° littéraire : Ex. de l’imitation littéraire au dix-septième siècle (Villemain, Discours d’ouverture du cours d’éloquence française, 1824).

13° Analyse littéraire

L’analyse littéraire est un compte rendu plus ou moins court d’une œuvre écrite en vers ou en prose.

Il y en a de deux sortes. La première (c’est la plus simple) résume, quelquefois sans les juger, les idées ou les faits développés dans une composition plus ou moins étendue ; l’autre, plus compliquée, mêle à cet exposé des observations pour faire ressortir les intentions de l’auteur, les beautés et les défauts de son œuvre. Elle ajoute l’appréciation au résumé.

Ex. les analyses des pièces du théâtre classique, par La Harpe ; — celle de la fable Le Chêne et le Roseau par Le Batteux ; — celle du Cid de Corneille par Sainte-Beuve (Nouveaux Lundis, t. VII, p. 199 à 307).

L’analyse raisonnée des œuvres des grands écrivains est une excellente école de goût.

Pour faire une bonne analyse, il faut satisfaire à trois conditions ; 1° déterminer l’idée générale de la composition qu’on analyse ; on le fait ordinairement par le titre : 2° énumérer les pensées principales qui ont servi au développement de l’idée générale ; 3° indiquer les idées ou faits accessoires qui remplissent chaque paragraphe et examiner la manière dont l’auteur les a exprimés, c’est-à-dire juger son style.

Exercices de rhétorique (Appendice)
Narration. Allégorie . apologue, parabole, etc.
Description.

scientifique,

littéraire.

Lettre.
Tableau. Rapport.
Portrait. Dialogue.

moral,

philosophique,

littéraire,

scientifique.

Parallèle. Dissertation.

religieuse,

philosophique,

scientifique,

littéraire.

Éloge. Analyse littéraire.

simple,

critique

Discours.

politique,

militaire,

judiciaire,

académique,

religieux, etc.

[Bibliographie]

Outre les traités anciens et modernes sur la rhétorique que nous avons cités dans le tableau de son histoire abrégée (p. 5 et 6), nous indiquerons, comme complément, les ouvrages suivants que nous avons souvent consultés avec profit :

Vida : Art poétique (3 liv. en vers latins, 1527) ;
Hugues Blair : Cours de Rhétorique et de Belles lettres, traduit de l’anglais par Prévost, 2 vol. in-8, 1821 ;
E. Laurentie : De l’étude et de l’enseignement des lettres, 2e édit. in-8, 1851 ;
E. Talbot ; Principes de composition et de style, in-12, 1855 ;
Hector Lemaire, La Rhétorique des classes, in-12, 1868 ;
Pellissier, Principes de Rhétorique française, in-12, 1873
A. Henry, Cours pratique et raisonné de style et de composition, 2e édit., in-12, 1874 ;
Deltour, Littérature française (Principes de composition et de style), in-12, 1875 ;
Brisbarre, Notions théoriques sur la Rhétorique, in-12, 1876 ;
Gidel, L’Art d’écrire enseigné par les grands maîtres, 1 vol. in-12, 1878, etc.

Littérature

Étude des genres littéraires. Tableau synthétique

POÉSIE PROSE

Versification : 1° grecque, 2° latine, 3° française.

Différents genres de composition en vers.

Prose : 1° grecque, 2° latine, 3° française.

Différents genres dé composition en prose.

Genres Divisions Genres Divisions
Lyrique

Ode,

Élégie,

Chanson,

Rondeau,

Ballade,

Sonnet, etc.

Oratoire

Éloquence :

politique,

militaire,

judiciaire,

sacrée,

académique.

Épique

Épopée :

Poème héroïque, ou historique, héroï-comique.

Historique

Histoire proprement dite,

Annales ou chroniques, Mémoires,

Biographie,

Histoire littéraire.

Dramatique

Genre tragique : Tragédie, Drame, Opéra, etc.

Genre comique : Vaudeville, Opéra-comique, etc.

Didactique et philosophique Traités religieux, philosophiques, littéraires, artistiques, scientifiques.
Didactique et philosophique

Poème descriptif,

Fable ou apologue,

Épître,

Satire, etc.

Romanesque

Roman,

Conte,

Nouvelle.

Pastoral

Idylle,

Églogue.

Épistolaire. Lettres philosophiques, familières.

Étude des genres littéraires

Introduction

Définition et division de la littérature ; poésie et prose, leur origine

La Littérature est, dans le sens le plus étendu du mot, la théorie générale et l’histoire critique des œuvres de l’esprit humain.

Elle comprend donc : 1° l’Étude des genres littéraires et des règles auxquelles ils sont soumis ; 2° l’Histoire littéraire, c’est-à-dire le tableau et l’appréciation des œuvres composées par les écrivains dans les différents genres et aux diverses époques.

On distingue toutefois la littérature proprement dite de la science et de l’érudition pure, dont elle exprime les résultats généraux et qu’elle ne fait qu’effleurer.

Les productions littéraires se divisent en deux grandes classes : les œuvres poétiques, et les œuvres en prose.

Dans l’ordre des faits généraux de l’humanité, la prose a précédé les vers, mais dans celui des faits particuliers de l’histoire littéraire, la poésie a précédé la prose. Le jour ou l’homme a exprimé sa pensée par des mots, il a fait de la prose sans le savoir comme le bourgeois gentilhomme de Molière ; mais quand il a voulu donner à sa pensée une forme plus vive, capable d’entraîner et de charmer l’imagination, il a imposé un rythme à sa parole et a fait de la poésie. Le vers est la première forme littéraire de l’esprit humain.

Conditions d’une œuvre littéraire ; classification des écrivains

Pour composer des ouvrages en vers ou en prose, pour en faire une étude critique, il faut certaines qualités spéciales, sans lesquelles il n’y a pas d’œuvre véritablement littéraire : le génie, l’imagination, le talent, l’esprit et le goût.

Le génie est la faculté naturelle de créer et de donner à ses conceptions une forme originale et puissante. Cette supériorité d’esprit est rare et l’on compte les hommes de génie.

L’imagination est la faculté de nous représenter les objets sous les couleurs les plus vives. Elle est l’attribut spécial du génie, qui ne peut créer sans imagination. Toutefois, elle doit être réglée par un goût sage et éclairé.

Le talent est une aptitude naturelle ou acquise à disposer avec habileté les éléments d’une œuvre littéraire et à les revêtir d’une forme élégante et agréable.

L’esprit est cette qualité par laquelle on saisit facilement les rapports plus ou moins éloignés des choses, et qui permet de donner à la pensée un tour piquant.

Le goût, en littérature, est un discernement, vif, net, précis des beautés et des défauts d’une œuvre littéraire. C’est un sentiment qui guide dans la composition ou dans la critique des ouvragés de l’esprit ; il arrête les écarts du génie et du talent.

Pour faire mieux saisir le sens de ces mots, qui échappent à une définition complète, indiquons quelques écrivains célèbres chez lesquels ces dons se rencontrent, soit isolés, soit réunis. Bossuet les possède tous à divers degrés, mais c’est le génie qui domine. Racine les possède tous aussi, mais chez lui, c’est le talent qui l’emporte. Corneille a le génie, mais le goût lui manque quelquefois. Boileau a du talent, de l’esprit, beaucoup de goût, peu d’imagination. La Bruyère a surtout du talent et de l’esprit.

On pourrait diviser les écrivains en trois classes : 1° les hommes de génie, 2° les hommes de talent, 3° ceux qui écrivent d’une façon convenable, mais sans éclat ni élévation, si toutefois ces derniers méritent le nom d’écrivains.

I. Poésie

Définition de la poésie ; ses conditions essentielles, ses principaux caractères ; langue poétique

Le mot poésie, suivant son étymologie (ποιέω, je fais), implique l’idée de création ; cependant, toute création n’est pas poétique. La poésie n’est pas l’histoire minutieuse et exacte de la vie humaine ; elle en est seulement l’imitation et la peinture ( ut pictura, poesis , a dit Horace).

Outre les conditions générales communes à toutes les productions de l’esprit humain (génie, imagination, talent, esprit et goût), les conditions essentielles de la poésie sont :

1° L’inspiration, ou état de l’âme qui élève le poète au-dessus des choses vulgaires et lui permet de concevoir et d’exécuter une œuvre, pour ainsi dire, tout d’un trait ;

2° L’enthousiasme, ou exaltation produite par la vue ou la pensée de grandes choses ;

3° Enfin, la sensibilité, ou disposition à être ému.

L’ensemble de ces qualités est ce qu’on appelle le génie poétique.

La poésie a trois principaux caractères :

1° Elle idéalise le monde réel en le dégageant des imperfections accidentelles et passagères, en peignant non-seulement ce qui est, mais encore ce qui pourrait être, (beau idéal) ;

2° Elle spiritualise le monde physique en prêtant à la nature, même insensible, la pensée, le sentiment et la vie ;

3° Elle matérialise le monde moral en donnant des formes visibles aux êtres spirituels.

Outre ces principaux caractères, ces conditions et ces qualités essentielles, la poésie a besoin d’une langue musicale, harmonieuse, presque toujours rythmée, qui charme l’oreille en touchant le cœur. C’est la langue poétique, et l’art qui en varie la structure cl la soumet à un rythme cadencé s’appelle art des vers, ou versification.

La langue poétique se distingue par des expressions et des tours hardis, les grandes images, la couleur et l’éclat. Elle aime les figures de mots, telles que l’ellipse, l’inversion, etc. ; elle use des figures de pensée les plus saisissantes (métaphore, hyperbole, prosopopée, etc.).

Versification
[Introduction]

La versification est l’art de soumettre la langue poétique à un rythme, à une cadence et à une mesure. La mesure dépend du nombre et de la longueur des syllabes ; le rythme et la cadence résultent de l’harmonie propre des mots et de leur combinaison dans la période poétique.

Différence de la poésie et de la versification ; art poétique (sa définition) ; prose poétique

Toutefois, la versification n’est pas la poésie ; elle en est une partie considérable, mais ce n’est qu’un outil merveilleux, qui donne à la pensée pressée aux pieds nombreux du vers, l’éclat du son de la trompette, selon l’expression de Montaigne. La poésie est une création du génie et l’œuvre des grands maîtres ; la versification est l’ensemble des observations faites sur ces maîtres depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, le code des règles inspirées par les chefs-d’œuvre pour déterminer les genres poétiques et appliquer à chacun les principes dictés par le goût. Ce code s’appelle l’art poétique. Il exige chez celui qui le compose, le goût, la science et un peu de l’âme du poète.

La versification est un instrument dont le sentiment poétique peut à la rigueur se passer. On en trouve d’heureux exemples dans la prose de Bossuet, et dans celle de quelques écrivains de nos jours (Michelet, Quinet, G. Sand, Th. Gautier, P. de Saint-Victor, etc.) ; cependant on ne doit admettre le sentiment poétique en prose qu’autant qu’il ne devient pas un défaut par l’abus des synonymes, des épithètes, des périphrases, par la recherche des expressions et des tours exclusivement employés dans les vers. Dans ce cas, la prose poétique est un genre faux, et il ne faut pas l’imiter, malgré des exemples illustres à des degrés divers (le Télémaque de Fénelon, Les Incas de Marmontel. Les Martyrs de Chateaubriand, La Gaule poétique de Marchangy, les Poèmes en prose de Ch. Baudelaire, et le Gaspard de la nuit de Louis Bertrand, si admiré de Sainte-Beuve).

1° Versification chez les Grecs et les Latins

Chez les Grecs et les Latins, les vers étaient métriques, c’est-à-dire mesurés sur la quantité des syllabes longues et brèves dont les combinaisons forment ce qu’on appelle pieds. Leur double prosodie comprenait à peu près les mêmes pieds et les mêmes espèces de vers. Les principaux pieds étaient :

1° Le spondée

2° L’ïambe

3° Le trochée

4° Le d actyle

5° L’anapeste

6° Le tribraque

deux longues,

une brève et une longue,

une longue et une brève,

une longue et deux brèves,

deux brèves et une longue.

trois brèves

gēntēs ;

diēs ;

Rōmă ;

cārmĭnâ ;

pătrĭaē ;

ăgĕrĕ.

Prosodie latine

Le dactyle et le spondée sont les pieds les plus usités, excepté chez les poètes lyriques.

On distingue deux principes dans la versification latine : 1° la césure (cædere, couper), syllabe longue qui finit un mot et commence un pied ; 2° l’Élision (elidere, briser, annuler), qui est la suppression d’une syllabe à la fin d’un mot.

Il y a plusieurs sortes de vers ; les plus usités sont :

L’hexamètre (ἕξ, six, μέτρον, mesure) se compose de six pieds ; les quatre premiers sont dactyles eu spondées, le cinquième dactyle, le sixième spondée.

Ex.

Nōs pătrĭ|æ fī| nā ēt | dūlcĭă | līnquĭmŭs | ărvă.
(Virgile, Églogue I, vers 3.)

2° Le pentamètre (πέντε, cinq, — μέτρον, mesure), ou élégiaque, se compose de cinq pieds partagés en deux hémistiches ; le premier formé de spondées ou de dactyles suivis d’une césure, le second de deux dactyles également accompagnés d’une césure.

Ex.

Dīffŭgĭ|ŭnt ăvĭ|dōs | cārmĭnă | sōlă rŏ|gōs.
(Ovide, Amours, III, ix, 28.)

On appelle distique la réunion de l’hexamètre et du pentamètre.

L’asclépiade, le saphique, attribué à Sapho, l’alcaïque, attribué à Alcée, sont des variétés du pentamètre. (Voir les Prosodies pour les règles particulières.)

L’ïambique est pur, c’est-à-dire composé uniquement d’ïambes,

Ex.

Bĕa|tŭs il|lĕ quī | prŏcūl | nĕgō | tĭīs.
(Horace, Épode II, vers 1.)

où il est mêlé à d’autres pieds ; mais le second, le quatrième et le sixième sont nécessairement des ïambes,

Ex.

Aūt prē|ssă pū|rīs mē|liă cōn|dĭt ām|phŏrīs.
(Horace, Épode II, vers 15.)
Prosodie grecque

Il est beaucoup plus difficile de fixer la prosodie grecque que la prosodie latine. Toutefois, on peut remarquer dans la première la complète indépendance de la quantité et des accents. Quant aux différentes formes de vers, les poètes n’ont employé que l’hexamètre pour l’épopée, le genre didactique, etc. ; l’ïambe trimètre dans le dialogue de la poésie dramatique (tragédie et comédie) : les vers saphique et alcaïque dans la poésie lyrique. Le retour périodique de la strophe, de l’antistrophe et de l’épode répondait aux trois évolutions du chœur dans la poésie chorique de la tragédie. Les hymnes de Pindare n’ont pas encore leur métrique déterminée d’une manière certaine.

La poésie grecque empruntait une puissance musicale, dont nous ne pouvons guère nous faire une idée, à l’usage de l’accent tonique qui élevait la notation de quelques syllabes, sans en augmenter ni diminuer la durée. Le temps fort sur lequel la voix montait s’appelait ἀρσὶς, et le temps faible où la voix s’abaissait prenait le nom de θέσις.

2° Versification française. Principaux points à étudier

Les vers français sont syllabiques, c’est-à-dire composés d’un nombre déterminé de syllabes.

Il y a huit points principaux à étudier dans la versification française :

1° La mesure des vers ; 2° La nature des syllabes ; 3° La césure ; 4° L’élision ; 5° La rime ; 6° Les licences poétiques ; 7° L’enjambement ; 8° L’hiatus.

Mesure des vers

La mesure est le nombre de syllabes qui forment un vers.

On distingue douze sortes de mesures ou de vers d’après le nombre des syllabes, de une à douze. Les vers le plus souvent employés sont ceux de douze, de dix, de huit, de sept et de six syllabes, les autres le sont beaucoup moins.

1° Le vers de douze syllabes :

1      2      3      4      5      6      7   8    9  10     11    12
Ce | lui | qui | met | un | frein | à | la | fu|reur | des | flots
(Racine, Athalie, acte I, scène i.)

s’appelle alexandrin, parce qu’il fut, dit-on, employé pour la première fois au douzième siècle par Alexandre de Bernay, ou de Paris, continuateur d’un Roman en vers sur Alexandre le Grand.

Le poème épique, la tragédie, la comédie et le poème didactique sont écrits en vers de douze syllabes.

2° Les vers de neuf et de onze syllabes sont presque inusités.

3° Le vers de dix syllabes, vif et rapide, est employé surtout dans les récits familiers et enjoués : l’épître, la satire, l’épigramme, etc. ; la césure se place après le quatrième pied.

Ex.

  1    2    3      4         5      6       7      8        9          10
Cré|qui | pré|tend | qu’O|reste | est | un | pauvre | homme,
  1      2       3       4     5      6        7     8    9  10
Qui | sou |tient | mal | le | rang | d’am|ba|ssa|deur.
(J. Racine, Épigrammes, III, v. 1 et 2.)

4° Le vers de huit syllabes n’est pas soumis à la règle de la césure, mais le mouvement de la période le rend très harmonieux.

Ex.

Je porte | en un cœur tout chrétien
Une flamme | toute divine.
(P. Corneille, Polyeucte, acte IV, scène ii.)

5° Le vers de sept syllabes, plus rare que les précédents, est très harmonieux.

Ex.

Jupiter, voyant nos fautes,
Dit un jour, du haut des airs :
Remplissons de nouveaux hôtes
Les cantons de l’univers
Habités par cette race
Qui m’importune et me lasse.
(La  Fontaine, Jupiter et les Tonnerres, VIII, 20.)

6° Le vers de six syllabes ou demi-alexandrin va rarement seul, et se combine avec celui de douze syllabes.

Ex.

Mais elle était du monde où les plus belles choses
              Ont le pire destin ;
Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
              L’espace d’un matin.
(Malherbe, Consolation à du Perrier.)

7° Le vers de cinq syllabes est encore harmonieux.

Ex.

Dans ces prés fleuris
Qu’arrose la Seine,
Cherchez qui vous mène,
Mes chères brebis, etc.
(Mme Deshoulières, Vers à ses enfants.)

8° Le vers de quatre syllabes se trouve ordinairement mêlé à des vers de mesure différente.

Ex.

       … les coiffeuses
       Et les brodeuses,
Les joyaux, les robes de prix, etc.
(La Fontaine, Testament expliqué par Ésope, II, 20.)

9° Il en est de même du vers de trois syllabes.

Ex.

La perfide descend tout droit
       À l’endroit
Où la laie était en gésine.
(La Fontaine, L’Aigle, la Laie et la Chatte, III, 6.)

10° Le vers de deux syllabes se rencontre dans Marot, dans La Fontaine et chez quelques-uns de nos poètes contemporains.

Ex.

C’est promettre beaucoup : mais qu’en sort-il souvent ?
                                   Du vent.
(La Fontaine, La Montagne qui accouche, V, 10.)

11° On trouve des vers d’une seule syllabe.

Ex.

On y [à Paris] voit des commis
         Mis
Comme des princes,
Après être venus
         Nus
De leurs provinces.
(Panard, Œuvres, t. III, p. 21, édit. Gouffé, — Vaudeville en écho.)

Ces dernières formes de vers, de cinq, de quatre, de trois, de deux et surtout d’une syllabe, sont rarement employées.

Nature des syllabes

Les syllabes sont muettes ou sonores. La syllabe muette est celle qui, à la fin d’un mot, finit par un e muet, tantôt seul, tantôt suivi de s ou de nt. Ex. je loue, tu loues, ils louent. La syllabe sonore est celle qui fait entendre un son fort après la consonne du radical.

Césure

La césure est le repos plus ou moins sensible qui coupe le vers en deux parties, dont chacune est un hémistiche, au milieu desquels elle se place ordinairement. Boileau a joint l’exemple au précepte dans les vers suivants, où la césure se trouve plus accusée :

Que toujours, dans vos vers, | le sens coupant les mots,
Suspende l’hémistiche, | en marque le repos.
(Art poétique, chant I, vers 105 et 106.)

Les vers de dix syllabes ont la césure après le quatrième, rarement après le cinquième pied. Elle n’est ni obligatoire, ni déterminée dans aucune autre espèce de vers. Nos grands poètes n’ont pas toujours observé rigoureusement cette règle de la césure et on pourrait citer de nombreux exemples de leur liberté à cet égard.

Élision

L’élision est le retranchement de l’e muet devant une voyelle. À la fin des vers, où il forme les rimes féminines, l’e muet ne compte pas ; il en est de même devant une syllabe ou une h muette.

Ex.

Oui, c’est Agamemnon, c’est ton roi qui t’éveille.
(J. Racine, Iphigénie, acte I, scène i.)
Rime

La rime (corruption euphonique du mot rythme) est la consonance finale de deux ou plusieurs vers. Indispensable dans la versification française, où l’accent tonique n’existe presque pas, elle est avec la césure et le nombre des syllabes, la condition nécessaire de l’harmonie dans notre langue poétique où, malgré quelques essais de Voltaire, de Marmontel et de Vauvenargues, on n’a jamais pu faire admettre les vers blancs, c’est-à-dire sans rime. Les poètes anglais, allemands et italiens en ont fait usage assez heureusement.

La rime est masculine, c’est-à-dire terminée par une syllabe fermée et un son plein, ou féminine, c’est-à-dire terminée par un e muet ou suivi de s ou de nt. On remarquera que les vers finissant par une rime féminine ont réellement une syllabe de plus que les autres, puisque la syllabe muette ne compte pas.

La rime riche est formée par deux ou plusieurs syllabes identiques (auteur, hauteur, souvenir, revenir).

Ex.

Enfant, on me disait que les voix sibyllines
Promettaient l’avenir aux murs des sept collines, etc.
(Victor Hugo, Odes, livre IV, ode xv.)

La rime est suffisante, lorsqu’il y a conformité dans la désinence.

Ex.

Certes, plus je médite, et moins je me figure
Que vous m’osiez compter pour votre créature ; etc.
(J. Racine, Britannicus, acte I, scène ii.)

Les rimes plates sont celles qui se suivent deux à deux comme dans le vers alexandrin, deux vers masculins et deux vers féminins, ou réciproquement.

Les rimes croisées sont celles où les vers masculins et féminins sont entrelacés.

Ex.

Éperdu, l’œil fixe sur quiconque était roi,
Comme un aigle arrivé sur une haute cime,
Il cria, tout joyeux, avec un air sublime :
« L’avenir ! l’avenir ! l’avenir est à moi ! »
(V. Hugo, Chants du crépuscule, v.)

Les rimes mêlées sont celles qui ne sont pas disposées dans un ordre uniforme. Elles sont employées dans les vers libres.

Ex.

          Un mal qui répand la terreur,
          Mal que le ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom),
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
          Faisait aux animaux la guerre.
(La Fontaine, Les Animaux malades de la peste, VII, 1.)

Les rimes sont redoublées quand trois vers de suite au moins se terminent par la même consonance.

Ex.

Cieux, écoutez ma voix ; terre, prête l’oreille.
Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille !
Pécheurs, disparaissez : le Seigneur se réveille.
(J. Racine, Athalie, acte III, scène vii.)

On appelle stances, strophes et couplets une réunion de vers à rimes fixes, de mesure égale ou inégale, qui entrent librement dans les petites pièces, s’enlacent symétriquement dans la poésie lyrique, et après lesquels le sens est généralement achevé.

Le tercet est une pensée développée en trois vers, le quatrain en quatre, le sixain en six, le dizain en dix.

Licences poétiques

On appelle licences poétiques des dérogations aux règles de la versification.

Ex. Encor pour encore, — avecques pour avec.

De tout temps les poètes ont joui de ces libertés, et l’on peut leur appliquer à ce sujet ce qu’Horace disait des conceptions poétiques :

                                  Pictoribus atque poetis
Quidlibet audendi semper fuit æqua potestas.
(Horace, Art poétique, vers 9 et 10.)
Enjambement

On dit qu’un vers enjambe sur l’autre lorsque le sens commence dans un vers et s’achève dans la première partie du vers suivant, quelquefois au-delà.

         Puis donc qu’on nous permet de prendre
Haleine, et que l’on nous défend de nous étendre, etc.
(J. Racine, Les Plaideurs, acte III, scène iii.)
         Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine.
(La Fontaine, Le Chêne et le Roseau, I, 22.)

L’enjambement ou rejet est familier au vers latin dont il varie la cadence. Cette construction poétique, fréquemment employée dans la versification française, au xve et surtout au xvie  siècle par Ronsard, d’Aubigné, etc., en a été bannie au commencement du xviie par Malherbe, bien que l’on en trouve des exemples dans Corneille, Molière, La Fontaine, Racine (les Plaideurs), etc. Boileau a consacré cette proscription par ses préceptes. Dans notre poésie moderne, l’enjambement a repris faveur, et souvent il produit beaucoup d’effet dans les œuvres d’André Chénier, de Lamartine, de Victor Hugo, d’Alfred de Musset, etc. L’effet est d’autant plus grand qu’on en abuse moins.

Hiatus

L’hiatus est le choc, sans élision possible, de deux voyelles, dont l’une se trouve à la fin d’un mot et l’autre au commencement du mot suivant.

Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée
Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée.
(Boileau, Art poétique, chant I, vers 107 et 108.)

L’hiatus, fréquemment usité chez les poètes du xve et du xvie  siècles, proscrits par Malherbe et Boileau, a été admis par La Fontaine toutes les fois que l’oreille n’était pas blessée. Ex. Çà et là, va et vient, etc., expressions qu’il emploie comme si elles n’étaient qu’un seul mot.

Résumé synoptique de la versification

 

VERSIFICATION
Grecque et latine. Française.
Principaux pieds

Spondée,

Ïambe,

Trochée,

Dactyle,

Anapeste,

Tribraque, etc.

Mesure

douze syllabes,

dix syllabes,

huit syllabes,

sept syllabes,

six syllabes,

cinq syllabes, etc.

Principes de versification

Césure,

Élision.

Nature des syllabes

muettes,

sonores.

Différentes espèces de vers

Hexamètre,

Pentamètre,

Asclépiade,

Saphique,

Alcaïque,

Ïambique, etc.

Principes de versification

Césure,

Hémistiche,

Élision,

Chez les Grecs seulement

Accent tonique,

Temps fort/faible.

Rime

masculine,

féminine

riche,

suffisante,

plate,

croisée, etc.

Licences poétiques,

Enjambement,

Hiatus.

Des genres de composition en vers, et de leurs caractères
Genres poétiques

On appelle genres en littérature les grandes divisions, soit en vers, soit en prose, des diverses conceptions des écrivains, déterminées d’après leurs caractères propres et leurs différences relatives.

En poésie comme en prose, les genres ne représentent pas des divisions rigoureuses ; ils se touchent par beaucoup de points.

Nous nous occuperons d’abord des genres poétiques dont les caractères ont été marqués par la nature à l’origine même de la poésie. Plus tard, la critique a séparé les genres et classé les œuvres des poètes.

Critique des anciennes classifications

Nous avons laissé de côté les anciennes classifications, qui consistaient à diviser les œuvres poétiques en grands genres et en petits genres, genres principaux et genres secondaires, grands et petits poèmes, poésies légères et fugitives. Pas plus pour la poésie que pour la prose, cette classification n’a sa raison d’être ; elle n’a rien de précis et d’absolu. Il nous suffira, pour en montrer le ridicule, de citer la satire et la fable, que l’on rangeait parmi les petits genres ou genres secondaires. L’une peut atteindre une étendue de neuf mille vers, comme les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, qui ne sont autre chose qu’une satire ; l’autre, que l’on classe parmi les petits genres, a produit une série de chefs-d’œuvre inimitables sous la plume de La Fontaine. Tout le monde convient aussi, avec Boileau, qu’un excellent sonnet vaut mieux qu’un poème d’une longueur démesurée, dont l’action serait peu intéressante et la versification sans éclat.

Nouvelle division en cinq genres

Nous nous sommes bornés à diviser d’une façon générale les œuvres poétiques en cinq genres : 1° lyrique, 2° épique, 3° dramatique, 4° didactique, 5° pastoral. Nous avons fait rentrer dans ces cinq catégories les prétendus genres secondaires, suivant qu’ils s’y rattachent plus ou moins directement, ou par la nature de leur sujet, ou par la forme qu’ils revêtent.

Nous avons terminé par quelques mots sur certaines curiosités poétiques qui n’appartiennent à aucun genre et ne sont guère que des jeux d’esprit.

1° Genre lyrique
Poésie lyrique, sa définition ; son caractère, son but

La poésie lyrique est l’expression la plus hardie de la pensée et du sentiment.

Ainsi nommée, parce que les premiers poètes accompagnaient leurs chants de la lyre ou d’un instrument analogue, elle embrasse tous les poèmes où l’auteur exprime les mouvements les plus vifs de l’âme humaine, depuis l’enthousiasme religieux jusqu’aux passions profanes. Nous avons gardé le nom, mais la chose elle-même s’est modifiée bien souvent, dans tous les temps et chez tous les peuples.

Une imagination brillante, une âme inspirée sont les conditions essentielles de toute poésie lyrique.

Le caractère général de la poésie lyrique est d’être toujours libre et spontanée. Son but est de toucher l’âme par tous les moyens qu’il plaît au poète d’employer.

Les strophes les plus propres à l’expression de la poésie lyrique sont celles de huit et de dix vers, les alexandrins avec de petits vers, les tercets et deux autres rythmes empruntés à l’Italie, la terza rima, et la strophe de six vers adoptée par Racan et A. de Musset dans plusieurs de leurs poèmes.

Une strophe appelée à rendre de grands services à la poésie française, c’est celle de sept vers, dont les deux derniers sont terminés par des rimes masculines. C’est de nos jours seulement qu’un poète de talent, E. Grenier, l’a employée pour la première fois et avec succès d’abord dans son poème de l’Elkovan, et, plus tard, dans celui de Marcel.

L’Ode, ses diverses espèces

La forme la plus ordinaire de la poésie lyrique est l’ode (ὤδη, chant). Pour Boileau, elle la résume tout entière.

L’ode, avec plus d’éclat et non moins d’énergie,
Élevant jusqu’au ciel son vol ambitieux,
Entretient dans ses vers commerce avec les dieux ; etc.
(Art poétique, chant ii, du v. 58 au v. 72.)

L’ode est un poème composé d’une suite de strophes ou de stances, tantôt égales entre elles, tantôt mêlées de grands et de petits vers, quelquefois aussi de vers libres,

1° l’ode sacrée, 2° l’ode héroïque, 3° l’ode morale, 4° l’ode badine, 5° l’odelette, 6° la cantate.

1° Ode sacrée

L’ode sacrée (hymne ou cantique) chante la Divinité.

Ex. Cantiques de Moïse, — Psaumes de David, etc.

L’ode héroïque célèbre les demi-dieux et les grands hommes, les héros de tous les temps et de tous les pays.

Ex.

Est-ce une illusion soudaine
Qui trompe nos regards surpris ? etc.
(J.-B. Rousseau, liv. III, ode ii au prince Eugène de Savoie.)

Ex.

À la colonne de la place Vendôme.

Ô monument vengeur ! Trophée indélébile !
Bronze qui, tournoyant sur ta base immobile,
Semblés porter au ciel ta gloire et ton néant,
Et, de tout ce qu’a fait une main colossale,
Seul es resté debout ; — ruine triomphale
         De l’édifice du géant !

Débris du Grand Empire et de la Grande Armée,
Colonne, d’où si haut parle la renommée !
Je l’aime : l’étranger t’admire avec effroi.
J’aime tes vieux héros, sculptés par la Victoire,
         Et tous ces fantômes de gloire
         Qui se pressent autour de toi.

J’aime à voir sur tes flancs, Colonne étincelante,
Revivre ces soldats qu’en leur onde sanglante
Ont roulés le Danube, et le Rhin, et le Pô !
Tu mets comme un guerrier le pied sur ta conquête.
J’aime ton piédestal d’armures, et ta tête
         Dont le panache est un drapeau !

Au bronze de Henri mon orgueil te marie :
J’aime à vous voir tous deux, honneur de la patrie,
Immortels, dominant nos troubles passagers,
Sortir, signes jumeaux d’amour et de colère,
         Lui, de l’épargne populaire,
         Toi, des arsenaux étrangers !

Que de fois, tu le sais, quand la nuit sous ses voiles
Fait fuir la blanche lune ou trembler les étoiles,
Je viens, triste, évoquer tes fastes devant moi,
Et, d’un œil enflammé dévorant ton histoire,
Prendre, convive obscur, ma part de tant de gloire,
         Comme un Pâtre au banquet du Roi !

Que de fois j’ai cru voir, ô Colonne française,
Ton airain ennemi rugir dans la fournaise !
Que de fois, ranimant tes combattants épars,
         Heurtant sur tes parois leurs armes dérouillées,
         J’ai ressuscité ces mêlées
         Qui t’assiègent de toutes parts !

Jamais, ô monument, même ivres de leur nombre,
Les étrangers sans peur n’ont passé sous ton ombre.
Leurs pas n’ébranlent point ton bronze souverain.
Quand le sort une fois les poussa vers nos rives,
Ils n’osaient étaler leurs parades oisives
         Devant tes batailles d’airain etc. !
(V. Hugo, Odes, liv. III, 7.)

Lire aussi l’ode de Lamartine sur Bonaparte (Nouvelles méditations poétiques, vii), etc.

3° Ode morale

L’ode morale traite dans un langage élevé des grandes vérités morales ou philosophiques, et des problèmes de la destinée humaine.

Ex. Ode de J.-B. Rousseau sur l’aveuglement des hommes :

Qu’aux accents de ma voix la terre se réveille, etc.

Le Chrétien mourant, de Lamartine :

Qu’entends-je ? autour de moi l’airain sacré résonne !
(Premières méditations, xxxiii)
4° Ode badine

L’ode badine, à laquelle Anacréon a donné son nom (ode anacréontique), roule sur des sujets légers ou gracieux. Elle chante le vin et le plaisir.

5° Odelette

L’odelette ou ode sentimentale, est l’expression délicate des sentiments d’un cœur ardent, dans des stances curieusement ouvragées.

6° Cantate

La cantate est une espèce d’ode, tantôt du genre héroïque, tantôt du genre gracieux, mêlée d’airs chantés et de récitatifs non mesurés. Ex. J.-B. Rousseau., Cantate de Circé (genre héroïque), cantate de Céphale (genre gracieux), etc.

Autres genres de poésie lyrique

On peut comprendre dans le genre lyrique de petits poèmes qui, surtout chez les modernes, sans avoir l’enthousiasme et les élans passionnés de l’ode, ont cependant, sous les formes variées des stances, emprunté quelque chose de cette poésie.

Dans un petit cadre et suivant sa fantaisie, le poète exprime, tantôt avec mélancolie, tantôt avec gaieté, toujours avec délicatesse, les sentiments joyeux de l’âme ou ses angoisses infinies. Voici le tableau de ces petits poèmes, dont quelques-uns ont une forme fixe :

PETITS POÈMES LYRIQUES
à forme libre à forme fixe

L’élégie,

L’épithalame,

3° Le madrigal,

4° La chanson.

1° Le lai,

2° Le virelai,

3° La villanelle,

4° Le rondel,

5° Le rondeau,

6° Le rondeau redoublé.

Le triolet,

8° La ballade,

9° La double ballade,

10° Le chant royal,

12° Le sonnet.

Petits poèmes lyriques à forme libre
1° Élégie

L’élégie (ἐλεγέια) est un chant de douleur ou de joie, tour à tour gracieux, tendre et passionné :

La plaintive élégie, en longs habits de deuil,
Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil, etc.
(Boileau, Art poétique, chant II, vers 39 et suiv.)

L’élégie est individuelle quand elle a pour sujet des malheurs privés ; elle est sociale quand elle est l’expression des misères de tout un peuple. Le mot élégie ne vient pas de ἔ, hélas, λέγω, je dis ; car cette étymologie très répandue est contraire aux lois philologiques. Son origine est l’ἐλεγεῐον qui désigne l’union de l’hexamètre (ἔπος) et du pentamètre (ἔλενος), c’est-à-dire le distique. Les poètes grecs n’ont pas toujours employé cette forme de vers, qui est antérieure au viie  siècle av. J.-C., pour exprimer des sentiments de tristesse, de regrets ou des passions amoureuses. Ils l’ont également appliquée à toute sorte de sujets. C’est en vers élégiaques que Callinus et Tyrtée ont écrit leurs chants de guerre. Toutefois il est possible qu’à l’origine le mot ἔλεγος ; ait eu aussi le sens de plainte, sans rapport déterminé avec mie forme métrique. Bien qu’elle soit écrite quelquefois en alexandrins, l’élégie est presque toujours lyrique chez les Modernes.

Ex.

La Pauvre Fille.

    J’ai fui ce pénible sommeil
    Qu’aucun songe heureux n’accompagne.
    J’ai devancé, sur la montagne,
    Les premiers rayons du soleil.
    S’éveillant avec la rature,
Le jeune oiseau chantait sur l’aubépine en fleurs,
Sa mère lui portait la douce nourriture :
    Mes yeux se sont mouillés de pleurs.
    Oh ! pourquoi n’ai-je pas de mère ?
Pourquoi ne suis-je pas semblable au jeune oiseau,
Dont le nid se balance aux branches de l’ormeau ?
    Rien ne m’appartient sur la terre,
    Je n’ai pas même de berceau,
Et je suis un enfant trouvé sur une pierre,
    Devant l’église du hameau.

    Loin de mes parents exilée,
De leurs embrassements j’ignore la douceur,
    Et les enfants de la vallée
Ne m’appellent jamais leur sœur !

Je ne partage pas les jeux de la vallée ;
Jamais sous son toit de feuillée
Le joyeux laboureur ne m’invite à m’asseoir,
    Et de loin je vois sa famille.
    Autour du sarment qui pétille,
Chercher sur ses genoux les caresses du soir.
    Vers la chapelle hospitalière
    En pleurant je dirige mes pas,
    La seule demeure ici-bas
    Où je ne sois point étrangère,
La seule devant moi qui ne se ferme pas !

    Souvent je contemple la pierre
    Où commencèrent mes douleurs ;
    J’y cherche la trace des pleurs
Qu’en m’y laissant, peut-être, y répandait ma mère.

    Souvent aussi mes pas errants
Parcourent des tombeaux l’asile solitaire ;
Mais pour moi les tombeaux sont tous indifférents ;
    La pauvre fille est sans parents,
Au milieu des tombeaux ainsi que sur la terre.
    J’ai pleuré quatorze printemps
    Loin des bras qui m’ont repoussée ;
    Reviens, ma mère, je t’attends,
    Sur la pierre où tu m’as laissée,
La pauvre fille, hélas ! ne pleura pas longtemps ;
Plaintive, elle mourut en priant pour sa mère.
    On dit qu’une femme étrangère
Un jour, le front voilé, parut dans le hameau,
On conduisit ses pas vers l’humble cimetière,
Mais, parmi les gazons et l’épaisse bruyère,
On ne put retrouver la trace du tombeau.
(A. Soumet.)
2° Épithalame

L’épithalame (ἐπί sur, θάλαμος, lit) est un chant nuptial en l’honneur de jeunes époux.

Ex. L’épithalame du cardinal de Bernis sur le mariage du dauphin Louis avec Marie-Thérèse d’Espagne :

Descends, Hymen, descends des cieux, etc.
3° Madrigal

Le madrigal est une petite pièce de poésie ingénieuse et galante. Elle consiste à exprimer en quelques vers délicats, des pensées ou des sentiments tendres.

Ex. Le madrigal du marquis de Saint-Aulaire adressé à la duchesse du Maine, qui, en l’appelant son Apollon, lui demandait le secret de sa rêverie :

            La divinité qui s’amuse
            À me demander mon secret,
Si j’étais Apollon ne serait point ma muse :
Elle serait Thétis et le jour finirait.

La brièveté n’est pas une condition essentielle de ces sortes de pièces. Marot et bien d’autres nous offrent des modèles de madrigaux qui ont une certaine étendue.

4° Chanson

La chanson est l’ode familière, gaie, tendre, badine. C’est un chant vif, gracieux, alerte, ennemi de tout pédantisme.

Elle se compose de stances appelées couplets. Chaque couplet est terminé par un refrain qui contient ou résume l’idée principale du sujet. Ex. les chansons de Désaugiers, celles de Béranger, de Pierre Dupont, de Nadaud, etc.

On distingue presque autant d’espèces de chansons qu’il y a de sentiments divers capables d’inspirer le poète : chansons patriotiques, guerrières, champêtres, historiques, érotiques, satiriques, etc.

Lorsque la chanson contient le récit d’une aventure touchante ou exprime un sentiment tendre, on l’appelle romance.

Petits poèmes lyriques à forme fixe

Le lai et le virelai ne sont que des variétés de la chanson. Ils ont été fort en vogue chez nos anciens poètes.

1° Lai

Le lai (du celte, llais, chant) se composait d’une suite de vers de cinq syllabes écrits sur une même rime féminine et séparés, de deux en deux, par des vers de deux syllabes, sur une même rime masculine.

Ex.

Sur l’appui du monde
Que faut-il qu’on fonde
D’espoir ?
Cette mer profonde
En débris féconde
Fait voir
Calme au matin l’onde
Et L’orage y gronde
Le soir, etc.
(Le père Mourgues, Traité de la poésie française.)

Au moyen âge, le lai fut un récit chanté, une sorte de roman abrégé ou de fabliau mélancolique et tendre. Ex. les Lais de Marie de France au xiiie  siècle.

2° Virelai

Le virelai est une transformation du lai. On imagina, en effet, de faire virer, c’est-à-dire tourner la rime (d’où le nom de virelai).

On en distingue deux sortes : le virelai ancien et le virelai nouveau.

Pour faire un virelai ancien on continuait la première partie du lai et on prenait la rime du petit vers pour en faire dans la seconde la rime du grand vers.

À partir de ce virement, le nombre de vers ajoutés devait égaler celui qui l’avait précédé.

Le virelai nouveau diffère complètement de l’ancien. Il est tout entier écrit sur deux rimes et commence par deux vers destinés à revenir plusieurs fois comme refrain, alternativement ; le premier vers d’abord ; le second ensuite jusqu’à la fin du poème. Les vers du virelai nouveau ne sont pas à forme fixe ni coupés par strophes régulières. Ils s’entremêlent selon la fantaisie du poète, comme des vers libres ; l’alinéa finit chaque fois que le poète les coupe en faisant revenir habilement un des deux vers refrain. Ceux-ci sont la fin du poème comme ils en ont été le commencement ; seulement le vers refrain qui a été le second vers du poème en devient l’avant-dernier, et celui qui en a été le premier en devient le dernier. C’est ainsi que le virelai se rapproche de la ballade et du triolet.

Voici, d’après le père Mourgues, un exemple de chacun de ces virelais :

Virelai (ancien).

Sur l’appui du monde
Que faut-il qu’on fonde
D’espoir ?
Cette mer profonde
En débris féconde
Fait voir
Calme au matin l’onde
Et l’orage y gronde
Le soir,

Le destin fait choir,
Homme, ton pouvoir
Funeste
Et ton vain savoir !
Mais, comme un espoir
Céleste
Sous le lourd ciel noir,
C’est le seul devoir
Qui reste.

Dans un site agreste
Suis sa loi modeste !
Les yeux
Vers l’azur céleste,
La vie et le geste
Joyeux :
Clarté manifeste,
Le devoir atteste
Les cieux.

Virelai (nouveau)

Le Rimeur rebuté.

Adieu vous dy, triste lyre,
C’est trop apprêter à rire,

De tous les métiers le pire.
Et celui qu’il faut élire
Pour mourir de male-faim,
C’est à point celui d’écrire.
Adieu vous dy, triste lyre.

J’avais vu dans la satire
Pelletier cherchant son pain
Cela me devait suffire.
M’y voilà, s’il tant le dire ;
Faquin et double faquin,
(Que de bon cœur j’en soupire !)
J’ai voulu part au Pasquin.
C’est trop apprêter à rire.

Tournons ailleurs notre mire
Et prenons plutôt en main
Une rame de navire.
Adieu vous dy, triste lyre, etc.

Dans le virelai ancien, on doit toujours placer le petit vers sous le grand vers, de façon à ce que la première lettre de l’un soit sous la première de l’autre. À cause de cela, on le nommait arbre fourchu.

3° Villanelle

La villanelle (de l’italien villano, paysan) est divisée en tercets dont le nombre n’est pas fixe. Commençant par un vers féminin, elle est écrite sur deux rimes : l’une masculine, qui régit le second vers de chaque tercet ; l’autre féminine, qui régit les autres vers. Le premier et le troisième vers du premier tercet reparaissent alternativement comme refrain, pendant tout le cours du poème, et deviennent aussi le dernier vers de chaque tercet. La villanelle se termine par un quatrain.

Ex.

La Tourterelle envolée.

J’ai perdu ma tourterelle ;
Est-ce point elle que j’oi ?
Je veux aller après elle.

Tu regrettes ta femelle ;
Hélas ! aussi fais-je, moi.
J’ai perdu ma tourterelle.

Si ton amour est fidèle,
De même est ferme ma foi ;
Je veux aller après elle.

Ta plainte se renouvelle :
Toujours plaindre je me doi,
J’ai perdu ma tourterelle.

En ne voyant plus la belle,
Plus rien de beau je ne voi :
Je veux aller après elle.

Mort, que tant de fois j’appelle,
Prends ce qui se donne à toi !
J’ai perdu ma tourterelle,
Je veux aller après elle.
(J. Passerat, Œuvres, édit. 1606.)
4° Rondel

Le rondel est un petit poème écrit tout entier sur deux rimes ; il peut commencer par un vers masculin ou par un vers féminin. Charles d’Orléans nous a laissé des chefs-d’œuvre en ce genre :

Ex.

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s’est vestu de brouderie,
De souleil luisant, cler et beau.

Il n’y a beste ne oyseau
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.

Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d’argent l’orfaverie,
Chascun s’abille de nouveau.
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.
(Charles d’Orléans, Poésies, édit. Guichard, p. 423.)
5° Rondeau

Le rondeau a servi d’abord à désigner plusieurs poèmes du même genre que celui qui a gardé définitivement ce nom.

On appelle rondeau ordinaire un petit poème de treize vers, sur deux rimes, l’une masculine, l’autre féminine. Il se compose :

1° De trois strophes, dont la première et la troisième ont chacune cinq vers, mais la seconde trois seulement.

2° D’un refrain répété deux fois, que constituent le premier ou les premiers mots du premier vers, qui se reproduisent après la seconde et la troisième strophe.

Ex. Rondeau en vers de huit syllabes, commençant par un vers féminin :

Penser, que pour ne vous déplaire,
Je me veuille jamais distraire
D’un dessein, où j’ay tant de droit,
C’est être injuste en mon endroit
Et de plus, un peu téméraire.

Philis depuis deux ans m’éclaire,
Elle est mon Ange tutélaire ;
Je l’aime plus qu’on ne sçauroit
            Penser.

Je vous demande en cette affaire
Pardon de vous être contraire.
Un autre s’en contenteroit.
Cependant vous faites le froid.
Ma foy, c’est trop : allez-vous faire
            Panser.
(Voiture, Œuvres, rondeau xliii, t. II, p. 326, édit. Charpentier.)
6° Rondeau redoublé

Le rondeau redoublé n’est pas du tout le redoublement du rondeau ordinaire. Écrit sur deux rimes, il se compose de six quatrains à rimes croisées, commençant alternativement par un vers féminin et par un vers masculin, ou réciproquement.

Chaque vers du premier quatrain contient l’idée principale des deuxième, troisième, quatrième et cinquième quatrains ; il est aussi répété à la fin de chacun d’eux. Après le sixième on ajoute, comme refrain, les premiers mots du premier vers du rondeau redoublé.

7° Triolet

Le triolet, autrefois rondel, se compose de huit vers écrits sur deux rimes, arrangés de telle sorte que le premier reparaisse après le troisième, et que pour terminer le huitain, le sens ramène les deux premiers.

De ces huit vers, il y en a donc trois (le premier, le quatrième et le septième), qui ne sont qu’un seul et même vers. C’est à cause de cette triple répétition que ce genre de poème est appelé triolet.

L’idée qui en fait le fond doit être délicate et gracieuse ; il faut que les refrains paraissent ramenés sans effort, pour l’agrément de la pièce et non par nécessité.

Le triolet commence habituellement par un vers masculin ; mais le mélange des rimes n’est pas déterminé.

On réunit quelquefois plusieurs triolets pour ne former qu’un seul petit poème. Ex.

ÉCHO DE TRIOLETS.
À madame A. Tastu

En réponse à ses vers  : «  Dernière fleur de mon jardin  » .

 

Que ces vers que je viens de lire
Ont un accent tendre et touchant !
Non ! ce n’est pas un dernier chant
Que ces vers que je viens de lire !
On n’en est pas à son couchant
Quand si jeune encore est la lyre !
Que ces vers que je viens de lire.
Ont un accent tendre et touchant !

Ces beaux vers que chacun admire,
On les retient à son insu ;
On veut les lire et les relire
Ces beaux vers que chacun admire,
Où votre art exquis a tissu
Une larme dans un sourire !
Ces beaux vers que chacun admire,
On les retient à son insu.
La fleur que tant d’éclat colore
N’est pas la dernière au jardin
Elle a bien d’autres sœurs encore,

La fleur que tant d’éclat colore !
N’en parlez pas avec dédain ;
Votre soir vaut mieux qu’une aurore.
La fleur que tant d’éclat colore
N’est pas la dernière au jardin !
(Ed. Grenier, Amicis, 1868.)
8° Ballade

La ballade est une sorte de romance chantée et même dansée ou ballée, comme on disait dans notre ancienne langue ; de là est venu son nom.

Elle est composée de trois couplets ou strophes et d’un envoi (sorte de dédicace). Ces trois couplets en vers de huit, de dix ou de douze syllabes à volonté, pouvant commencer par un vers masculin ou par un vers féminin, doivent être égaux pour le nombre des vers et l’entrelacement des rimes. Le refrain doit être le même pour l’envoi que pour les couplets.

Las ! Mort, qui t’a fait si hardie
De prendre la noble princesse
Qui estoit mon confort, ma vie,
Mon bien, mon plaisir, ma richesse !
Puisque tu as prias ma maistresse,
Prens-moy aussy, son serviteur ;
Car j’ayme mieulx prouchainnement
Mourir, que languir en tourment,
En paine, soussy et douleur.

Las ! de tous biens estoit garnie
Et en droitte fleur de jeunesse ;
Je prye à Dieu qu’il te maudie,
Faulse-Mort, plaine de rudesse !
Se prise l’eusses en vieillesse,
Ce ne fust pas si grant rigueur ;
Mais prise l’as hastivement
Et m’a laissié piteusement
En paine, soussy et douleur.

Las ! je suy seul sans compaignie.
Adieu, madame, ma lyesse.
Or est nostre amour despartie !
Non pourtant : je vous fais promesse
Que de prières à largesse,
Morte, vous servirai de cueur,
Sans oublier aucunement,
Et vous regretteray souvent
En paine, soussy et douleur.

Envoi.

Dieu, sur tout souverain seigneur,
Ordonnes, par grâce et doulceur,
A l’âme d’elle tellement
Qu’elle ne soit pas longuement
En paine, soussy et douleur,
(Charles dOrléans, ballade lix, sur la mort de la duchesse d’Orléans.)

Chez les modernes, la ballade, que quelques-uns de nos poètes ont essayé de faire revivre, a été complètement modifiée comme sujet et comme forme. Elle n’a de commun avec l’ancienne qu’une certaine simplicité dans le ton, une forme presque lyrique, et la répétition fréquente d’une même idée qui ressemble à un refrain. Dans ses Odes et ballades, Victor Hugo a commis une erreur en appelant ballades de petits poèmes du genre de ceux qui portent ce nom en Allemagne ou autres pays, et qui dans des vers souvent lyriques racontent une légende où le merveilleux se mêle au tragique. (Cf. Le Livre des ballades, édit. A. Lemerre, 1876.)

9° Double ballade

La double ballade renferme six dizains ou six huitains sur des rimes pareilles ; elle se termine rarement par un envoi.

10° Chant royal

Le chant royal est une espèce de ballade de grande dimension et d’un caractère élevé. Il se compose de cinq strophes de onze vers chacune, et d’un envoi.

Toutes ces strophes sont écrites sur des rimes pareilles à celles de la première ; les vers de chacune d’elles doivent être toujours disposés dans le même ordre.

L’envoi se compose de cinq vers écrits sur des rimes semblables à celles des cinq derniers vers de chaque strophe, et disposés de la même façon.

L’envoi commence par les mots : Prince, princesse, roi, reine, sire, etc. car ce poème fut d’abord composé en l’honneur des rois et des seigneurs ; c’est l’origine de son nom. Chez Gringore, Villon, Charles d’Orléans, cette règle a subi de nombreuses exceptions.

Ex.

Chant royal chrestien.

Qui ayme Dieu, son règne et son empire.
Rien désirer ne doibt qu’à son honneur :
Et toutesfois l’hôme tousjours aspire
A son bien propre, à son aise et bonheur,
Sans adviser, si point contemne, ou blesse
En ses désirs la divine noblesse.
La plus grand’ part appete grand avoir :
La moindre part souhaite grand sçavoir :
L’autre désire être exempte de blasmc :
Et l’autre quiert (voulant mieulx se pourvoir),
Santé au corps, et paradis à l’âme.
(Clément Marot, Chantz divers de l’adolescence.)
11° Sonnet

Le sonnet est un petit poème à forme fixe composé de deux quatrains et de deux tercets (en tout 14 vers),

Boileau l’a exactement défini, quand il a dit qu’Apollon…

Voulut qu’en deux quatrains de mesure pareille
La rime avec doux sons frappât huit fois l’oreille ;
Et qu’ensuite six vers artistement rangés
Fussent en deux tercets par le sens partagés, etc.
(Boileau, Art poétique, chant II, vers 85 et suiv.)

Le sonnet peut être écrit en vers de douze, de dix et de huit syllabes, il est régulier ou irrégulier.

Il n’y a qu’une seule forme de sonnet régulier, c’est celui que nous venons de définir, dans lequel chaque mot des quatrains doit amener le trait final et résumer la pensée du sonnet tout entière.

Le sonnet irrégulier peut être disposé de plusieurs façons.    À moins qu’on ne veuille produire un effet spécial, et malgré quelques chefs-d’œuvre en ce genre, on doit lui préférer le sonnet régulier.

Ex. :

SONNET.
Les Deux Cortèges.

Deux cortèges se sont rencontrés à l’église.
L’un est morne : — il conduit le cercueil d’un enfant ;
Une femme le suit, presque folle, étouffant
Dans sa poitrine en feu le sanglot qui la brise.

L’autre, c’est un baptême : — au bras qui le défend
Un nourrisson gazouille une note indécise ;
Sa mère, lui tendant le doux sein qu’il épuise,
L’embrasse tout entier d’un regard triomphant !

On baptise, on absout, et le temple se vide.
Les deux femmes, alors, se croisant sous l’abside,
Échangent un coup d’œil aussitôt détourné ;

Et — merveilleux retour qu’inspire la prière —
La jeune mère pleure en regardant la bière,
La femme qui pleurait sourit au nouveau-né !
(J. Soulary, Œuvres poétiques, — Sonnets.)

La forme du sonnet est une des plus belles de la poésie française, malgré sa brièveté. Elle a été louée de tout temps, et Boileau, dans son Art poétique, a porté un jugement vrai quand il a dit :

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poëme.

Cette opinion sur le sonnet était tellement commune au xviie  siècle que Lancelot, dans son Traité de versification française, déclarait qu’il n’y a guère d’ouvrages en vers plus beaux ni plus difficiles, et qu’il comprend à la fois la magnificence du style de l’ode et la grâce de l’épigramme. Le sonnet peut être en effet lyrique, élégiaque, satirique, etc.

Le sonnet a toujours été très cultivé dans notre littérature. Il a en son histoire, sa monographie. Les poètes provençaux, Girard de Bourneüil (mort en 1278), Bertrand de Marseille (qui florissait vers 1310), Guillaume des Almarics (célèbre vers 1321), en sont généralement regardés comme les inventeurs. C’est une erreur sans doute, puisque Guillaume de Lorris (mort en 1260) parle déjà des « sonnets courtois » dans son Roman de la Rose. On doit, suivant G. Colletet, en faire remonter l’origine probable aux « poëtes qui florissaient en la cour de nos premiers roys. »

Transporté en Italie, il y fit la gloire de Pétrarque. En France au xvie siècle, Ronsard et les autres poètes de la Pléiade le remirent en honneur. Abandonné vers la fin du xviie  siècle et surtout au xviiie , il est devenu de nos jours, entre les mains d’ingénieux et habiles poètes, une des formes les plus achevées de la poésie française. (Cf. Le Livre des sonnets, édit. A. Lemerre, 1874.)

Sainte-Beuve a résumé l’historique de ce petit poème dans le sonnet suivant :

Ne ris point du sonnet, ô critique moqueur.
Par amour autrefois en fit le grand Shakespeare
C’est sur ce luth heureux que Pétrarque soupire,
Et que Le Tasse aux fers soulage un peu son cœur.

Camoëns de son exil abrège la longueur ;
Car il chante en sonnets l’amour et son empire.
Dante aime cette fleur de myrte, et la respire,
Et la mêle au cyprès qui ceint son front vainqueur.

Spencer, s’en revenant de l’île des Féeries,
Exhale en longs sonnets ses tristesses chéries ;
Millon, chantant les siens, ranimait son regard.

Moi, je veux rajeunir le doux sonnet en France.
Du Bellay, le premier, l’apporta de Florence,
Et l’on en sait plus d’un de notre vieux Ronsard.
(Sainte-Beuve, Poésies, édit. M. Lévy, t. I, p. 136.)
Poésie lyrique chez les Hébreux, chez les Grecs et les Romains, chez les modernes

La poésie lyrique apparaît à l’origine des peuples, et on la retrouve à toutes les époques de leur existence.

Chez les Hébreux, elle est religieuse, patriotique et guerrière, comme dans le cantique de Moïse après le passage de la mer Rouge et dans les psaumes de David. La Bible est pleine d’effusions lyriques.

Chez les Grecs, elle est également née de la religion (Linus et Orphée).

Silvestres homines sacer interpresque Deorum
Cædibus et victu fœdo deterruit Orpheus.
Dictus ob hou lenire tigres rabidosque leones ; etc.
(Horace, Art poétique, v. 391 et suiv.)

Pleine de patriotisme avec Tyrtée et Pindare, la poésie lyrique célèbre les héros et les victoires des jeux olympiques : avec Sapho et Alcée, elle chante l’amour et les Grâces. Dans le dithyrambe, elle a pour sujet les exploits de Bacchus et des Dieux.

Chez les Romains, la poésie lyrique, en descendant des hauteurs où l’avaient placée les Hébreux et les Grecs, prend un accent plus personnel pour exprimer les sentiments de l’âme humaine dans les œuvres de Catulle, de Tibulle, de Properce et d’Ovide. Religieuse et morale dans la partie officielle de celles d’Horace, elle chante aussi quelquefois avec lui Bacchus et Vénus.

Chez les modernes, en France particulièrement, la poésie lyrique a absorbé tous les autres genres poétiques ; elle est devenue presque toute la poésie du xixe  siècle. Ses moyens de rendre la pensée ont varié à l’infini, et une quantité innombrable de rythmes a été créée depuis les poètes du seizième siècle (la Pléiade) jusqu’aux dernières productions de la poésie contemporaine ; aussi se prête-t-elle merveilleusement à l’expression de tous les sentiments, depuis les plus élevés et les plus graves jusqu’aux plus tendres et aux plus délicats. De nos jours, elle a surtout un caractère plus intime et tout personnel. (Cf. Villemain, Essai sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique, etc.)

2° Genre épique
Poésie épique, sa définition, son sujet, son importance

La poésie épique, poème épique ou épopée (ποιέω, je fais, ἔπος, vers, et par extension récit) est, suivant la définition de Voltaire, « le récit en vers d’aventures héroïques ». Les héros sont à peu près exclusivement ceux de la fable ou de l’histoire.

L’épopée chante les actions, la gloire et les malheurs de l’homme elle a pour sujet les grands événements d’un peuple, et quelquefois l’humanité entière.

Les critiques de tous les temps se sont beaucoup occupés de ce genre de composition, depuis Aristote dans sa Poétique, jusqu’à Voltaire dans son Essai sur la poésie épique, depuis Chapelain et le père Le Bossu jusqu’à Chateaubriand (Génie du christianisme) et M. Egger (Mémoires de littérature ancienne, p. 100).

Critiques des règles minutieuses des rhéteurs ; règles de bon sens et de goût ; préceptes d’Horace et de Boileau ; merveilleux païen et chrétien

Quelques écrivains modernes (le père Le Bossu, Marmontel, etc.) ont considéré à tort l’épopée comme une œuvre d’art et de réflexion, et ils ont donné les préceptes les plus minutieux sur le choix du sujet, le plan et les caractères du poème épique (Cf. Marmontel, Éléments de littérature, t. II, p. 100). Ils ont oublié qu’une des conditions principales de l’épopée est la foi des poètes et de leurs lecteurs dans les conceptions épiques et les aventures merveilleuses de leurs héros.

Laissons de côté le détail de toutes ces règles étroites, qui entravent le génie au lieu de le diriger, les machines épiques (songes, descriptions de tempêtes, etc.), qui remplissent un poème sans l’animer. Indiquons en passant quelques règles générales dictées par le bon sens et le goût.

Horace dit que le poète épique doit chanter, comme l’a fait Homère, les actions héroïques des rois et les guerres sanglantes :

Res gestæ regumque ducumque et tristia bella
Quo scribi possent numero, monstravit Homerus.
(Art poétique, vers 73 et 74.)

Il lui recommande aussi l’ordre dans l’enchaînement des faits, l’art de mettre les choses à leur place, une marche rapide, le naturel, un habile mélange de la fiction et de la réalité.

Dans le IIIe chant de son Art poétique, Boileau a consacré à la poésie épique cent soixante-quatorze vers (de 160 à 334), où il a réuni et développé les préceptes d’Horace. Il recommande d’abord la grandeur et l’intérêt du sujet :

D’un air plus grand encor la poésie épique,
Dans le vaste récit d’une longue action,
Se soutient par la fable, et vit de fiction.
……………………………………………
Faites choix d’un héros propre à m’intéresser, …
On s’ennuie aux exploits d’un conquérant vulgaire, … etc.

Boileau montre ensuite la part de la mythologie grecque et romaine dans l’Énéide de Virgile ; il célèbre le merveilleux païen, mais n’approuve pas le merveilleux chrétien. La Pucelle de Chapelain, le Clovis de Desmarets étaient du reste peu propres à le lui faire goûter ; aussi l’a-t-il condamné très sévèrement. Il semble n’avoir pas connu le Paradis perdu de Milton et il n’a pas compris que le merveilleux chrétien est le ressort de la Jérusalem délivrée du Tasse.

Aujourd’hui le merveilleux païen est complètement banni de la poésie. Ce n’est plus qu’un souvenir historique. Quant au merveilleux chrétien, bien que Chateaubriand ait brillamment soutenu dans son Génie du christianisme une opinion contraire à celle de Boileau, il ne semble pas devoir fournir aux poètes épiques de l’avenir une matière nouvelle et féconde.

Caractères de l’épopée, ses éléments, ses conditions

Les caractères essentiels de l’épopée sont la grandeur unie à la simplicité, et l’énergie virile jointe à la grâce de la jeunesse. Les peuples primitifs en fournissent les éléments. Ce caractère éclate dans l’Iliade d’Homère.

Il y a quatre éléments à distinguer dans l’épopée : 1° l’action ; 2° les personnages ; 3° la forme ; 4° le style.

1° L’action doit être vraisemblable, une, entière, intéressante, héroïque et merveilleuse (merveilleux païen, merveilleux chrétien).

2° Il y a toujours un personnage principal sur lequel est concentré l’intérêt général ; les personnages même secondaires doivent être présentés sous des traits nettement caractérisés.

3° Le poème épique se divise en un certain nombre de chants. Il renferme ordinairement une exposition du sujet, des épisodes et un dénouement.

L’épisode (ἐπεισόδιον, digression) est le récit d’une petite action subordonnée à l’action principale et qu’on pourrait supprimer sans nuire à l’unité de l’œuvre. On ne doit l’y laisser que si elle n’est pas contraire à cette unité et ne paraît pas un hors-d’œuvre.

4° Dans l’épopée, la poésie déploie toutes les ressources de l’art des vers et tous les trésors de l’imagination : figures hardies, coloris brillant, expressions pompeuses, images vives, pensées nobles et sentiments élevés.

Pour composer une œuvre épique durable et vraiment digne de ce nom, il faut trois conditions :

1° Un grand sujet, la guerre de Troie, par exemple, qui met aux prises l’Asie et l’Europe (Iliade), ou un héros célèbre qui a frappé l’imagination populaire par le prestige de grandes actions (les poèmes chevaleresques du moyen âge, particulièrement ceux du cycle carlovingien, — Chanson de Roland) ;

Un développement considérable d’imagination et de langue chez le peuple qui voit naître cette œuvre, c’est-à-dire une imagination poétique empreinte d’une forte culture intellectuelle, une langue et un esprit mûris par de longs efforts ;

3° Enfin, une école de poètes privilégiés, personnifiée dans l’un de ses plus célèbres représentants (Homère et les rhapsodes) ou le génie d’un grand poète qui résume l’inspiration des siècles passés et donne à leurs conceptions une forme parfaite et définitive (Virgile, dans l’Énéide).

Variétés de poème épique

À l’épopée se rattachent le poème héroïque ou historique (Ex. la Pharsale de Lucain, — La Henriade de Voltaire), et le poème héroï-comique ou badin (Ex. Le Lutrin de Boileau).

À prendre le mot épopée dans le sens vulgaire, on compte par centaines les épopées qui ont vu le jour depuis l’Iliade et l’Odyssée, pour disparaître et ne laisser aucune trace durable.

Poésie épique chez les anciens, en France au Moyen-Âge ; épopée moderne en France

Dans les temps primitifs, l’épopée a trouvé des sujets dans les traditions et les légendes des peuples ; elle a été la seule forme poétique qui pût leur servir d’expression ; mais, quand cette société a disparu pour faire place à une civilisation plus positive, ce genre de composition poétique est devenu de plus en plus difficile, pour ne pas dire impossible.

Voltaire a dit que les Français n’ont pas la tête épique. La France est au contraire la plus épique de toutes les nations modernes. Elle a produit au moyen âge deux cents poèmes populaires consacrés à des héros chrétiens et français. Ces poèmes, chantés par nos jongleurs, comme les poèmes homériques l’étaient par les aèdes, avaient pour sujet les hauts faits des familles héroïques, certaines gestes ou exploits, d’où leur est venu le nom de chansons de gestes. La plus célèbre de toutes, la Chanson de Roland, en est restée le type le plus populaire.

Voltaire se plaignait de l’esprit géométrique qui, déjà de son temps, s’était emparé des belles-lettres et devenait un obstacle pour la poésie. Que dirait-il de nos jours, où la précision sévère de la science historique et de la critique ont remplacé les légendes, les traditions, et où l’on ne peut idéaliser des personnages dont elles ont fixé tous les traits. L’épopée classique ne peut donc plus être qu’une faible et artificielle imitation, c’est-à-dire une chose morte.

Tableau synoptique des principales épopées
PEUPLES. AUTEURS. DATES. POÈMES.
Nés en — Morts en

Grecs

Homère

Apollonius de Rhodes

Avant J.-C.

xe  siècle ?

250 ? — 186

Iliade. — Odyssée.

Expédition des Argonautes.

Latins

Virgile

 

Silius Italicu s

Lucai n

Stace

69 — 18

Après J.-C.

25 ? — 100 ?

39 — 65

61 ? — 96

Énéide.

 

Puniques.

Pharsale.

Thébaïde, Achilléide.

Français

Théroulde ?

Chrestien de Troyes

Alexandre de paris

Ronsa rd

Voltaire

xiie siècle ?

? — 1195 ?

xiie siècle

1524 — 1585

1694 — 1778

Chanson de Roland.

Romans de la Table ronde.

Roman d’Alexandre.

Franciade,

Henriade.

Portugais Luis de Camoens 1525 — 1579 Lusiades.
Italiens

Dante Alighieri

L’Arioste

Le Tasse

1265 — 1321

1474 — 1533

1544 — 1595

Divine Comédie.

Roland furieux.

Jérusalem délivrée.

Anglais Milton 1608 — 1674 Paradis perdu.
Allemands Klopstock 1724 — 1803 Messiade.
3° Genre dramatique
Poésie dramatique, sa définition, son triple genre, ses éléments

La poésie dramatique (δρᾶμα, action) est la représentation de la vie en action, avec les développements de situation, de caractère et de passion que comporte un fait historique eu imaginaire. Ce n’est plus une production essentiellement primitive comme l’épopée, c’est l’œuvre d’un art plus habile et d’un âge plus mûr.

Le spectacle de la vie humaine, tour à tour triste ou joyeux, tragique ou comique, souvent l’un et l’autre à la fois, a de bonne heure inspiré les deux formes principales de l’art dramatique : les genres tragique et comique, dont l’union féconde a produit un genre mixte, représenté par le drame moderne.

Éléments du poème dramatique

Dans tout poème dramatique, il y a trois éléments à distinguer : 1° l’action, 2° les personnages, 3° le style.

1° L’action doit avoir deux caractères : la vraisemblance et l’unité. Sans vraisemblance, point d’intérêt ; sans unité, dispersion de l’intérêt.

L’école classique des xviie et xviiie  siècles, exagérant les règles d’Aristote, contestables dans certains détails, s’était imposé la triple unité du lieu, du temps et de l’action.

Qu’en un lieu, qu’en un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
(Boileau, Art poétique, chant III, vers 45 et 46.)

L’école romantique n’a conservé avec raison de ces trois règles que l’unité d’action. Elle est aussi absolue dans le poème dramatique que dans l’épopée.

2° Le poète dramatique doit présenter les personnages de la manière la plus intéressante, les prendre dans la nature et les montrer d’accord avec eux-mêmes jusqu’à la fin de la pièce.

3° Dans tout poème dramatique, le style doit être naturel, c’est-à-dire noble sans déclamation dans la tragédie, familier sans trivialité dans la comédie.

Trois parties dans le poème dramatique

Quelles que soient ses règles, le poème dramatique comprend trois parties : 1° l’exposition du sujet ; 2° le nœud de l’action ; 3° le dénouement.

1° Dans les pièces importantes, le premier acte est consacré à l’exposition du sujet ; il nous fait connaître les principaux personnages du drame avec leurs caractères, leurs intérêts et leurs passions.

2° Le nœud de l’action, qui prend le nom d’intrigue, dans la comédie, se forme au premier acte et se resserre graduellement dans les trois suivants.

3° Le dénouement a lieu au dernier par une péripétie dans la comédie, par une catastrophe dans la tragédie. Les modernes ne tiennent plus guère compte de cette règle, et la comédie a souvent un dénouement malheureux.

Division du poème dramatique

Le poème dramatique est divisé en actes et les actes en scènes. Le nombre des actes varie de un à cinq, suivant l’importance du sujet. Nos tragédies classiques comptent généralement cinq actes, rarement trois. On peut citer parmi ces exceptions Esther de Racine, Les Enfants d’Édouard de Casimir Delavigne, etc. Les actes sont séparés les uns des autres par un intermède ou entracte. On appelle ainsi le moment de repos accordé aux acteurs et aux spectateurs, pendant lequel les événements que l’écrivain dramatique ne peut produire sur la scène, sont censés s’accomplir. Ex. le récit de la mort d’Hippolyte dans Phèdre de Racine.

La condition essentielle de tout poème dramatique est le dialogue. Ce n’est que par exception qu’on admet le monologue ou discours dans lequel un seul personnage expose, soit ses réflexions, soit ses résolutions. Il doit être court et rare, car le drame vit surtout d’action. Ex. le monologue d’Auguste, dans Cinna de Corneille.

Formes de la poésie dramatique

Les deux genres principaux de la poésie dramatique, tragique et comique prennent plusieurs formes, dont voici le tableau :

Genres
Tragique. Comique.

Tragédie.

Drame :

 

 

Mélodrames.

Mimodrame.

Opéra.

Ballet.

satirique,

larmoyant,

romantique.

Comédie :

 

 

Vaudeville.

Proverbe.

Opéra-comique.

Opérette.

Saynète.

Féerie.

Farce.

Parodie.

Revue.

de mœurs,

d’intrigue,

à tiroir.

1° Genre tragique, ses diverses espèces
Tragédie

La tragédie est la représentation d’une action héroïque et malheureuse, dont le but est d’émouvoir par la terreur ou la pitié. En général, le sujet est imaginaire ; il est pris dans la mythologie ou dans les récits des temps héroïques, souvent aussi dans l’histoire politique des peuples. Son style doit avoir de la noblesse, de la grandeur et de la force.

Voir les règles et caractères de la tragédie dans Horace (Art poétique du vers 153 au vers 309), — dans Boileau (Art poétique, chant III, du vers 1 au vers 160), — dans Fénelon, Lettre à l’Académie, § 6, son projet d’un Traité sur la tragédie, etc.

Drame

Le drame est une pièce dont les personnages sont empruntés à toutes les classes de la société. On y représente les événements les plus funestes et les situations les plus émouvantes de la vie. Ce genre de pièces, sérieux par le fond, souvent familier par la forme, admet tous les sentiments et tous les tons compatibles avec le bon goût.

Il y a plusieurs espèces de drame : 1° le drame satyrique ; 2° le drame larmoyant ; 3° le drame romantique.

1° Le drame satyrique est une composition dramatique de l’ancien théâtre grec, qui tenait le milieu entre la tragédie et la comédie, ou, plutôt, qui prenait alternativement le ton de l’un et de l’autre. Ex. Le Cyclope d’Euripide.

2° Le drame larmoyant, appelé aussi tragédie bourgeoise, est une espèce de composition intermédiaire et de compromis entre le genre comique et le genre tragique. Très en vogue au xviiie  siècle, il se rapprochait un peu de ce que nous entendons aujourd’hui par le drame. Ex. Le Père de famille par Diderot, — Le Philosophe sans le savoir de Sedaine, etc.

3° Le drame romantique est au contraire la réunion du tragique et du comique, c’est-à-dire de tous les éléments les plus opposés, le noble et le trivial, le beau et le laid, le sublime et le grotesque. Il vit des oppositions qui se rencontrent à chaque instant dans la vie réelle, où tout événement touche au comique par un point quelconque, il en est la peinture exacte. Un de ses caractères est la couleur locale. Ex. Ruy-Blas de Victor Hugo, — Chatterton d’Alfred de Vigny, etc.

Mélodrame

On appelle mélodrame une sorte de tragédie populaire mêlée de musique, où, dans une prétendue peinture de la vie, on pousse souvent jusqu’à l’invraisemblance toutes les idées et tous les sentiments.

Mimodrame

Le mimodrame est une œuvre scénique dans laquelle les acteurs ne parlent pas et se bornent à mimer leur rôle. Il ne faut pas le confondre avec la pantomime, dont le nom a été donné en France à des ballets tirés de sujets mythologiques, et qui a été perfectionnée par Noverre, le célèbre danseur du xviiie  siècle.

Les anciens appelaient pantomimes (πᾶν, tout, μιμέομαι, j’imite) les comédiens qui représentaient des drames complets uniquement avec des signes et des gestes.

Opéra

L’opéra ou tragédie lyrique est une sorte de tragédie chantée et à laquelle se môle ordinairement le merveilleux. Dans tout opéra on distingue deux parties : le chant et le récitatif ou dialogue. Ex. Guillaume Tell de Rossini, — Les Huguenots de Meyerbeer, — La Muette de Portici d’Auber, — Faust de Gounod, etc.

Ballet

Le Ballet (de l’italien ballare, danser) est une action dramatique représentée par la danse et la pantomime à l’aide de la musique. Tantôt il est l’accessoire d’une pièce, comme dans les opéras modernes, où il figure en qualité d’élément d’une fête ou d’une cérémonie quelconque ; c’est alors un simple divertissement. Tantôt la danse est la partie principale autour de laquelle une petite action exprimée eh paroles est ajoutée, comme dans l’opéra-ballet et la comédie-ballet, peu en usage de nos jours. Ex. Le Mariage forcé de Molière (comédie-ballet).

2° Genre comique, ses diverses espèces

La comédie est la représentation d’une action de la vie commune sous une forme plaisante. Son but est de corriger nos défauts par le rire ( castigat ridendo mores ). Toutefois, de nos jours, on a introduit dans la comédie des éléments qui autrefois étaient exclusivement réservés à la tragédie, et l’on donne ce nom à des pièces qui contiennent en même temps une action triste et plaisante.

Le style de la comédie doit être simple, vif et enjoué.

Le vers n’est pas la seule forme appliquée à un sujet comique. Il y a aussi beaucoup de comédies en prose. Ex. L’Avare de Molière, et la plus grande partie des comédies de nos jours.

Voir les règles et caractères de la comédie dans Horace (Art poétique, du vers 153 au vers 309, passim), — dans Boileau (Art poétique, chant III, du vers 335 jusqu’à la fin), — dans Fénelon (Lettre à l’Académie, § 7, son projet d’un Traité sur la comédie), etc.

Trois sortes de comédie

Il y a trois principales sortes de comédie : 1° la comédie de mœurs ou haute comédie ; 2° la comédie d’intrigue ; 3° la comédie à tiroir.

1° La comédie de mœurs ou haute comédie consiste à peindre, comme dans les comédies de Molière, tantôt des travers éternels de l’humanité (Le Misanthrope), tantôt des ridicules d’une époque (Les Précieuses ridicules). Elle prend aussi le nom de comédie de caractère lorsqu’elle peint un caractère dominant (Tartuffe), et celui de comédie mixte quand elle présente un mélange de plusieurs caractères opposés entre eux, mais dont aucun n’est le principal (L’École des maris).

2° La comédie d’intrigue consiste dans un enchaînement d’aventures qui se compliquent graduellement et qui tiennent le spectateur dans une attente continuelle jusqu’au dénouement (Ex. le Menteur de Corneille, — le Barbier de Séville et le Mariage de Figaro de Beaumarchais). Ce genre de comédie n’a pour but, ni d’instruire, ni de corriger nos défauts, mais d’amuser notre esprit.

3° La comédie à tiroir consiste dans une série de portraits ou de tableaux amenés successivement sur la scène au moyen d’une action feinte et pour en dévoiler les travers. (Ex. L’Étourdi de Molière, — Le Fâcheux de Destouches.)

Vaudeville

Le vaudeville est une comédie d’un genre léger, entremêlée de couplets, de duos, rarement de trios, avec des refrains chantés en général sur des airs connus.

Proverbe

Le proverbe est une pièce où l’on développe et met en scène des dictons familiers ou populaires.

Opéra-comique

L’opéra-comique est une comédie d’un genre léger, dont la partie chantée est entremêlée de dialogue. Dans l’opéra-comique, comme dans l’opéra et dans le genre inférieur de l’opérette, le poème a rarement une valeur littéraire ; la musique et les décors ont la plus grande importance et suffisent pour captiver le spectateur. Ex. La Dame blanche de Boieldieu ; — Le Domino noir d’Auber ; — Mignon d’A. Thomas, etc.

Opérette

L’opérette est un opéra-comique d’un genre inférieur et dont la musique est plus légère.

Saynète

La saynète (de l’espagnol sainete, assaisonnement) est une petite pièce faite à l’imitation du théâtre espagnol. Elle n’est autre chose qu’un divertissement joué, en guise d’intermède, après une pièce principale.

Féerie

La féerie est une pièce mêlée de farce, de chant et de ballets, où l’action, le plus souvent invraisemblable, est empruntée au merveilleux ou au grotesque. Les décors et l’art du machiniste y jouent le plus grand rôle.

Farce

L’objet de la farce est de faire rire et de divertir en critiquant les vices par les traits les plus exagérés et les plus ridicules. (Ex. La Farce de maître Patelin ; dans Molière, Les Fourberies de Scapin, — Le Médecin malgré lui, — Le Malade imaginaire, etc.)

Parodie

La parodie est l’imitation burlesque d’une pièce sérieuse, souvent aussi le travestissement satirique et plaisant d’une œuvre littéraire quelconque.

Revue

La revue est une pièce dans laquelle défilent, sous une forme bouffonne, les principaux événements de l’année.

Histoire de la poésie dramatique

Dans le chant IIIe de son Art poétique (v. 61 et suiv.), Boileau a résumé en quelques vers, imites d’Horace, l’histoire incomplète et inexacte de la poésie dramatique :

La tragédie, informe et grossière en naissant, etc.
Poésie dramatique chez les Grecs

Chez les Grecs, la tragédie naquit au milieu des fêtes de Bacchus (Dionysiaques). Ce souvenir fut conservé par son nom (τράγος, bouc, — ὠδή, chant), parce que le bouc, consacré à ce Dieu, y était immolé en son honneur, et non, comme l’ont prétendu Horace et Boileau, parce que cet animal était le prix du vainqueur dans les concours lyriques en usage dans ces solennités. Elle est sortie du dithyrambe dorien que chantait un chœur de personnages déguisés en Pans, Faunes et Satyres, pour célébrer quelque épisode de la vie de Bacchus.

Malgré les perfectionnements qu’y apporta Thespis, la tragédie ne s’éleva à toute sa hauteur qu’à l’époque où parurent Eschyle, Sophocle et Euripide.

Venue après la tragédie, la comédie eut la même origine. La partie grave et liturgique des fêtes de Bacchus était suivie d’un banquet (κῶμος). Là se faisait entendre un chant (ὠδή), mêlé de danses bouffonnes et de grossières plaisanteries à l’adresse des passants. La comédie est sortie peu à peu du comos, comme la tragédie du dithyrambe. C’est aussi l’étymologie la plus vraisemblable de son nom.

De Mégare (ancienne Grèce), le dorien Susarion apporta la comédie dans les bourgs de l’Attique. Les promenades qu’y faisaient les acteurs exclus de la ville d’Athènes ont probablement donné lieu à l’étymologie peu certaine (κῶμη, bourg, ὠδή, chant), qu’Aristote en a donnée.

Grâce à la situation politique et sociale d’Athènes, la comédie prit rapidement un essor qui la fit considérer comme l’émule de la tragédie d’Eschyle et de Sophocle. Elle affecta d’en parodier les formes générales, et mêla tous les tons. La comédie ancienne se produisit presque simultanément dans deux centres, en Sicile et à Athènes. La comédie sicilienne introduisit dans les farces bachiques la première idée philosophique avec Épicharme. qui inaugura ainsi la Comédie de mœurs et de caractère. Politique et personnelle avec Cratinus et Aristophane dans la comédie athénienne, elle cessa de l’être avec Antiphane et Alexis dans la moyenne ; elle redevint générale et morale (comédie de mœurs et de caractère) avec Philémon et Ménandre dans la nouvelle.

Poésie dramatique à Rome

Les Romains, imitateurs des Grecs, ne nous offrent en fait de tragédies que des traductions et des imitations dues à Livius Andronicus, Nævius, Ennius et Sénèque. Ils furent plus heureux dans la comédie. Importée par Livius Andronicus, comme la tragédie, la comédie grecque reparaît sur la scène avec Plaute et Térence, qui donnent à l’art dramatique chez les Latins un vif éclat.

Tragédie et drame en France

En France, ce fut l’école de Ronsard qui restaura la tragédie. Jodelle, qui s’était chargé de remettre au jour les tragiques grecs, ne nous rendit qu’une ombre de leurs drames. Pendant longtemps la tragédie française les imita. Malgré des essais qui vivent encore aujourd’hui, grâce à quelques situations vraiment tragiques comme dans le Wenceslas de Rotrou, elle n’atteignit son apogée qu’avec Le Cid. Corneille et Racine en sont les plus illustres représentants. Mais elle dégénère au dix-huitième siècle, d’abord avec Voltaire et Crébillon, ensuite avec les froids imitateurs de Racine, tels que Lafosse, La Chaussée, Campistron, etc. Elle obtient quelques succès avec Marie-Joseph Chénier, dont le Tibère est resté au théâtre, grâce à quelques scènes très belles.

Au xixe  siècle, la lutte des classiques et des romantiques a fait presque disparaître cette forme un peu surannée de la tragédie purement fictive, malgré quelques œuvres estimables de Casimir Delavigne (Louis XI, — Les Enfants d’Édouard, etc.) ; — de Ponsard (Lucrèce, — Agnès de Méranie, — Charlotte Corday, etc.) pour faire place au drame moderne, vivant et réel, mélange de tragique et de comique, fondé sur la peinture exacte et les contrastes de la vie humaine.    À divers titres, A. de Vigny (Othello, Chatterton, etc.), A. Dumas père (Henri III, en prose, Hamlet, en vers, etc.), se sont illustrés en ce genre.

La véritable tragédie moderne est le drame grandiose de Shakespeare en Angleterre, au xvie  siècle, celui dont V. Hugo, ajoutant l’exemple au précepte, a donné la théorie dans la célèbre préface de Cromwell (1827). Son Ruy-Blas en est chez nous l’expression la plus complète et la mieux réussie.

Comédie en France

Bien plus que la tragédie, la comédie a changé aujourd’hui d’objet et de caractère. Après les moralités les farces, les sotties du moyen âge, mélange des deux, étaient des pièces étranges dont L’Avocat Patelin est resté le meilleur type. La comédie française n’a, été véritablement un genre littéraire que le jour où Molière, au dix-septième siècle, lui a appliqué sa, verve comique, sa pénétrante observation, et lui a imprimé le sceau de son immortel génie. Après Molière, qui représente avec Regnard presque toute la comédie de son époque, on peut citer au xviiie  siècle Destouches, Dancourt, Piron (La Métromanie), Lesage (Turcaret), Marivaux, Beaumarchais surtout, dont Le Mariage de Figaro et Le Barbier de Séville nous offrent des modèles de comédie étincelante d’action, de vivacité et d’esprit. Ces trois derniers comiques n’ont écrit qu’en prose.

De nos jours la comédie est en grande faveur ; elle est presque la seule forme littéraire qui existe encore sur nos théâtres. Malgré les œuvres, remarquables à des degrés différents, de Ponsard et d’Émile Augier écrites en vers, nos dramaturges tels qu’Alexandre Dumas père et fils, Octave Feuillet, Victorien Sardou, Jules Sandeau, Théodore Barrière, etc., n’ont employé que la prose dans leurs comédies. Ils en ont même transformé le fond, puisqu’elles ont presque toujours un côté tragique. L’usage seul lui a conservé son nom de comédie.

4° Genre didactique et philosophique
Poésie didactique, son objet, ses caractères

Comme l’indique l’étymologie de son nom, la poésie didactique (διδάσκω, j’instruis) a pour objet d’enseigner des vérités de l’ordre moral ou physique, dans les arts ou dans les sciences.

Elle n’est pas flexible et variée à l’infini comme les autres genres poétiques. Son essence est l’enseignement et les préceptes. Elle étudie la nature et l’homme, renferme des vérités morales, des règles de goût, les principes du beau dans des vers expressifs, qui deviennent souvent des proverbes. La peinture des passions et des révolutions de l’humanité est rare dans le poème didactique ; elle n’en est jamais que l’accessoire.

Les sujets du poème didactique appartiennent à tous les ordres d’idées. Une classification complète et absolue serait impossible ; car non-seulement la poésie didactique traite tous les sujets, mais elle comporte une grande variété de tons. Le même poème peut être â la fois philosophique, moral et religieux, scientifique et littéraire, etc. Ex.

Sujets. Noms de poèmes. Auteurs.

Philosophique

Moraux et religieux

Scientifique

Littéraire

 

Badin

Agricole

Astronomique

Poème de la Nature

Poème de la Religion

Géorgiques

Art poétique

 

Poème sur la Gastronomie

Travaux et Jours

Phénomènes et pronostics

Lucrèce.

Louis Racine.

Virgile.

Horace ;

Boileau.

Berchoux.

Hésiode.

Aratus.

Poème didactique, ses conditions, sa valeur poétique

Quel que soit le sujet d’un poème didactique, il doit avoir les qualités qui conviennent à tout enseignement :

1° l’ordre, qui divise les matériaux du poème d’une manière logique et en fait ressortir l’unité ;

2° la variété, qu’on obtient par l’emploi des épisodes choisis et amenés avec art ;

3° la clarté dans la pensée et dans l’expression.

Les poèmes didactiques écrits en langue grecque, latine française et étrangère sont innombrables. Toutes les sciences, tous les arts et tous les métiers ont servi de sujet à des poèmes de ce genre oubliés ou peu lus. En général, ils ennuient sans instruire. Au point de vue scientifique, ils n’ont pas la valeur des traités spéciaux ; au point de vue poétique, ils manquent d’élan, d’imagination et de sentiment. Les qualités même qu’exigent le poème didactique, la méthode, l’exactitude en rendent l’exécution difficile. Il faut le génie d’un Lucrèce ou d’un Virgile pour y réussir, et donner la vie à des matières peu poétiques par elles-mêmes.

Poème descriptif

On distingue parfois du poème didactique proprement dit le poème descriptif, qui en est l’abus. Il est ainsi nommé parce que la description y tient la plus grande place. Cette variété du genre a suscité plus de versificateurs que de poètes. Le poêle descriptif décrit pour le plaisir de décrire, sans intention morale ou scientifique, comme sans émotion. Pour lui, l’idéal est le mérite de la difficulté vaincue dans la mise en scène de tous les phénomènes sensibles ; c’est une abondance stérile. La description doit être un cadre poétique, comme chez La Fontaine, et non le poème tout entier, comme dans Delille.

Poésie didactique chez les Grecs, chez les Romains, en France

Née avec le génie grec, la poésie didactique donne aux poètes, par la bouche d’Hésiode, de naïfs préceptes d’agriculture et de marine. Réfléchie et savante avec Parménide et Empédocle, elle prend pour sujet la nature tout entière, la formation du monde, l’homme et les Dieux. Mais, plus tard, les poètes alexandrins choisissent souvent des matières spéciales, la géographie ou la médecine, la chasse ou la pêche, et abusent de la description. Le plus illustre d’entre eux, Aratus, auteur des Phénomènes, a été traduit en vers par Cicéron et par Germanicus.

La poésie didactique devait plaire au génie pratique des Romains ; aussi leur premier chef-d’œuvre poétique est-il le poème philosophique De rerum natura, où Lucrèce « a pu connaître le principe des choses et mettre sous ses pieds toutes les terreurs et l’inexorable destin, et le bruit de l’avide Achéron ».

Felix qui potuit rerum cognoscere causas,
Atque metus omnes et inexorabile fatum
Subjecit pedibus, strepitumque Acherontis avari !
(Virgile ; Géorgiques, liv. II, v. 490 et suiv.)

C’est ainsi que dans ses Géorgiques, le plus parfait peut-être des poèmes didactiques, Virgile, génie moins puissant, mais plus souple que celui de Lucrèce, a rendu hommage à son maître. En même temps Horace, dans son Épître aux Pisons, plus familière que didactique, donnait des préceptes de bon sens et des règles de goût pour la composition des œuvres littéraires (Art poétique). Après eux, chez les Romains comme chez les Grecs, la poésie didactique s’empare de sujets trop spéciaux avec Manilius, l’élégant mais superficiel auteur d’un poème sur l’Astronomie. Elle aboutit aux poèmes de Némésien sur la chasse, sur la pêche, et à la Psychomachie (combat de l’âme) par Prudence.

Appliquée à la composition de ses vastes et nombreuses épopées, de ses romans satiriques et d’aventure, notre littérature du moyen âge a produit peu de poèmes purement didactiques (l’Image du monde par Gautier de Metz, le Bestiaire par Philippe de Thaun, etc.).

Vers la fin du seizième siècle, Salluste Du Bartas, dans son poème de La Semaine, ou Création du Monde, et Agrippa d’Aubigné, dans celui de La Création, suivent les traces d’un auteur anonyme du xiiie  siècle, qui avait composé un poème sur le même sujet. Vauquelin de la Fresnaye publie son Art poétique, que dans la seconde moitié du xviie  siècle, celui de Boileau devait presque faire oublier.

Au dix-huitième siècle, la poésie didactique en France prend, sous la double influence des économistes et des philosophes, un développement qui menace de devenir-un fléau. Louis Racine, dans son Poème de la Religion, Voltaire, dans celui qu’il écrivit sur la Loi naturelle et dans son Épître à Horace, montrent, l’un une correction élégante, mais froide, l’autre un accent de vérité qu’il ne sait pas soutenir. Rosset dans son poème sur l’Agriculture, Saint-Lambert dans Les Saisons, Roucher dans Les Mois, déploient une grande facilité, mais leur art consiste trop souvent à ne pas appeler les choses par leur nom. Ils font comme ce poète trop délicat, qui, voulant mettre en vers le mot d’Henri IV sur la poule au pot, et n’osant parler, dans une tragédie, ni de dimanche, ni de poule, ni de paysan, s’écriait pompeusement :

Je veux que, dans ces jours consacrés au repos (le dimanche),
L’hôte laborieux des modestes hameaux (le paysan)
Sur sa table moins humble ait, par ma bienfaisance,
Quelques-uns de ces mets réservés à l’aisance. (la poule.)
(Gabriel Legouvé, La Mort de Henri IV, acte IV, scène i.)

Au milieu du xviiie  siècle, sous l’influence de l’anglais Thompson et de l’allemand Gessner, naît et se développe l’école descriptive. Son véritable chef, Delille, auteur des Trois règnes, de L’Homme des champs, des Jardins, etc., poussa si loin l’abus de la description, que Marie-Joseph Chénier a pu dire de lui, en vers spirituels et méchants :

Un âne sous les yeux de ce rimeur maudit
Ne peut passer tranquille et sans être décrit.

Fausse et antipoétique, cette école se prolongea jusqu’à l’Empire et la Restauration. Seul, André Chénier aurait peut-être pu, dans ses poèmes didactiques (Invention, Hermès, L’Amérique, etc.), dont l’échafaud est venu interrompre la composition, nous dédommager des œuvres peu poétiques que nous ont laissés les successeurs de Delille. Fontanes, auteur du Verger, Castel, chantre des Plantes, Boisgelin, de la Botanique, Esmenard, de la Navigation, Gudin, de l’Astronomie, etc., ont fait de ce genre de poésie un véritable abus. De nos jours, la poésie didactique a presque disparu ; elle est destinée à périr, si elle ne trouve un renouvellement nécessaire dans l’œuvre d‘un poète de génie qui chantera les grandes conquêtes de la science moderne.

Poésie philosophique, ses diverses formes

Outre les œuvres dont la forme est purement didactique ou descriptive, on peut faire rentrer dans ce genre de poésie celles qui, dans un cadre différent et moins étendu, ont pour objet un enseignement quelconque par la leçon directe ou indirecte que l’on en peut tirer. Elles s’y rapportent plus ou moins par la pensée et par le ton. Tels sont :

1° La fable ou apologue ;

2° Le conte ;

3° L’Épître ;

4° La Satire ;

5° l’Épigramme ;

6° l’Inscription ;

7° l’Épitaphe.

1° Fable

La fable ou apologue (ἀπόλογος, conte) est un récit allégorique qui contient une vérité morale, sous le voile d’une fiction facile à saisir.

Elle exprime d’une manière dramatique et vivante les mœurs, les ridicules et les faiblesses des hommes. La fable tient donc à la fois : de la poésie didactique par la leçon indirecte qu’elle nous donne ; de la satire par la critique de nos vices, et de la comédie par la mise en scène d’êtres ou d’animaux que l’on fait agir ou parler comme s’ils étaient des hommes.

C’est ainsi que La Fontaine a fait de la fable, simple et concise dans Ésope, Babrius et Phèdre, une ample comédie à cent actes divers . Si Boileau n’en a pas parlé dans son Art poétique, ce n’est pas, comme on l’a prétendu, par jalousie, mais parce que, à l’époque où il a écrit son poème, la fable n’était pas encore classée parmi les genres littéraires. Peut-être aussi ne lui avait-elle pas semblé digne d’être remarquée.

On distingue dans la fable deux parties : 1° l’action, ou le récit allégorique, dans lequel on expose tout ce qui sert à déduire une leçon morale ; 2° la moralité, c’est-à-dire la leçon morale elle-même. La moralité doit être claire, courte et juste. Elle se place indifféremment au commencement ou à la fin.

2° Conte

Le conte est un récit vrai ou imaginaire dont le but est en général d’amuser. Quelquefois satirique par l’intention, il peut être aussi inspiré par une pensée philosophique.

Le conte sert quelquefois comme épisode dans le poème badin, dans l’épître, mais le plus souvent, il existe comme composition indépendante. Il tient une brillante place dans notre littérature.

Le conte est soumis aux règles de la narration (unité, clarté, vraisemblance). Ses qualités essentielles sont la simplicité dans le ton, la finesse, la grâce et la légèreté de la forme.

3° Épître

L’épître en vers est en général un cadre assez restreint où l’on développe des réflexions sur des préceptes et des vérités philosophiques. Elle ne diffère qu’en étendue du poème purement didactique. Suivant le sujet, l’épître est grave, simple et familière, toujours élégante. Si sa dimension est bornée, la compréhension du genre est indéfinie ; elle peut être familière ou badine, philosophique ou historique. (Ex. les Épîtres d’Horace et de Boileau.)

4° Satire

La satire (satura, mélange) est ainsi nommée parce qu’Ennius employa des vers de toute longueur dans ce genre de poème. Elle a pour but la description et la critique de nos vices et de nos ridicules.

La satire ne diffère souvent de l’épître que par le style et le nom. Elle peint tantôt les vices et les ridicules généraux de l’humanité sous quelque forme qu’ils se présentent, tantôt les vices et les travers particuliers à chaque homme. C’est une leçon de sagesse et de conduite qui a la prétention, comme la comédie, de les guérir par la moquerie on la flétrissure. Suivant le sujet, la satire prend le ton enjoué et légèrement moqueur, — (Ex. Satires d’Horace et de Boileau) — ou la voix plus ample de l’indignation. Dans ce dernier cas, elle devient la « mordante hyperbole » de Juvénal et une impitoyable leçon adressée aux hommes d’une époque ou à l’humanité tout entière.

On distingue plusieurs espèces de satires ; la satire personnelle, la satire politique, la satire morale et la satire littéraire.

La satire se présente sous des formes bien différentes. Elle prend quelquefois les proportions des grandes compositions poétiques, comme dans Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné qui contiennent plus de neuf mille vers, et la Dunciade ou Guerre des sots de l’Anglais Pope, poème en quatre chants.

5° Épigramme

L’épigramme (ἐπίγραμμα, inscription) est une raillerie fine ou cruelle enfermée dans quelques vers aux pointes acérées. Virgile a immolé deux poètes dans un seul vers :

Qui Bavium non odit, amet tua carmina, Mævi.

Suivant la définition de Boileau, l’épigramme

N’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné.

Elle est quelquefois beaucoup mieux que cela. Sous une forme caustique, elle peut avoir une plus grande étendue, une portée plus haute, et présenter d’une manière piquante le résultat d’observations profondes, être, en un mot, une satire en abrégé.

Ex.

Ce monde-ci n’est qu’une œuvre comique
Où chacun fait ses rôles différents.
Là, sur la scène, en habit dramatique,
Brillent prélats, ministres, conquérants.
Pour nous, vil peuple, assis aux derniers rangs,
Troupe futile et des grands rebutée,
Par nous, d’en bas, la pièce est écoutée.
Mais nous payons, utiles spectateurs ;
Et, quand la farce est mal représentée,
Pour notre argent nous sifflons les acteurs.
(J.-B. Rousseau, Épigrammes, I, 18.)

L’épigramme n’a pas toujours été une satire en abrégé. Comme l’indique son étymologie, ce mot désignait spécialement, chez les Grecs, les inscriptions mises sur les monuments, les statues, etc. De cette signification primitive, il a passé à un sens plus étendu, et on l’a appliqué à toute pièce de vers, qui, comme celles de l’Anthologie grecque, ne dépassait pas la longueur d’une inscription. L’épigramme n’est devenue satirique que chez les Romains, et plus tard chez les modernes.

6° Inscription

L’inscription consiste en un ou plusieurs vers gravés sur un monument pour transmettre à la postérité, quelquefois sous une forme ironique, la mémoire d’un fait.

7° Épitaphe

L’inscription placée sur un tombeau prend le nom d’épitaphe (ἐπι, sur, τάφος, tombeau).

Ex. L’épitaphe pour le tombeau d’Alexandre :

Sufficit hic tumulus cui non suffecerat orbis.
5° Genre pastoral.
Poésie pastorale, sa définition, ses caractères

La poésie pastorale ou bucolique (βουκὸλος, bouvier) est la peinture dramatique des mœurs et des beautés champêtres.

Souvent narrative, elle tient du genre épique. Elle participe quelquefois du poème dramatique par le dialogue, du poème didactique par la description. Son objet est d’inspirer aux habitants des villes l’amour de la nature en leur peignant les beautés et les plaisirs de la campagne.

On ne doit pas confondre la poésie pastorale, genre distinct en littérature, avec la description de la nature, dont le sentiment est exprimé, à des degrés divers, dans les autres genres littéraires, par les grands écrivains.

Sa double forme : l’Idylle et l’Églogue

La poésie pastorale a une double forme, l’églogue et l’idylle.

Idylle

L’idylle (εἱδύλλιον, petit tableau) diffère de l’églogue en ce qu’elle n’a généralement pas d’action. Elle ne contient que des peintures de sentiment ou de la passion tendre, quelquefois modérée, souvent ardente, qui se manifeste par des expressions pleines de douceur et de grâce. Boileau en a donné les règles suivantes :

Telle qu’une bergère aux plus beaux jours de fête
De superbes rubis ne charge point sa tête,
Et, sans mêler à l’or l’éclat des diamants,
Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements ;
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,
Doit éclater sans pompe une élégante idylle.
Son tour simple et naïf n’a rien de fastueux,
Et n’aime point l’orgueil d’un vers présomptueux.
Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,
Et jamais de grands mots n’épouvante l’oreille.
(Boileau, Art poétique, chant II, vers 1 et suiv.)

Bien qu’il n’y ait pas de différence fondamentale entre ces poèmes, puisqu’ils ont tous deux pour objet de peindre la vie champêtre, on peut toutefois établir une distinction dans la manière de les composer.

Églogue

L’églogue (ἐκλογή, choix, de ἐκ parmi, λέγω, je choisis) est une petite pièce sur un sujet champêtre. Elle renferme ordinairement une action, prend la forme dramatique ou épique, c’est-à-dire qu’elle est en dialogue ou en récit. L’églogue se compose quelquefois de chants alternés ou amébéens, —  amant alterna Camœna (Virgile, Églogue III, vers 59), — dans lesquels des bergers s’entretiennent de la vie des champs dans un style simple et naturel.    À cause de sa forme, elle a plus de mouvement que l’idylle. Voici ses règles d’après Boileau.

Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois
Jette là, de dépit, la flûte et le hautbois ;
Et, follement pompeux, dans sa verve indiscrète
Au milieu d’une églogue entonne la trompette.
De peur de l’écouter, Pan fuit dans les roseaux,
Et les Nymphes, d’effroi, se cachent sous les eaux.
    Au contraire, cet autre, abject en son langage,
Fait parler ses bergers comme on parle au village.
Ses vers plats et grossiers, dépouillés d’agrément,
Toujours baisent la terre, et rampent tristement :
On dirait que Ronsard, sur ses « pipeaux rustiques »,
Vient encor fredonner ses idylles gothiques,
Et changer, sans respect de l’oreille et du son,
Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon.
    Entre ces deux excès la route est difficile.
Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile :
Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictes,
Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés,
Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre
Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre ;
Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers ;
Au combat de la flûte animer deux bergers ;
Des plaisirs de l’amour vanter la douce amorce ;
Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d’écorce ;
Et par quel art encor l’églogue quelquefois
Rend dignes d’un consul la campagne et les bois.
Telle est de ce poème et la force et la grâce.
(Boileau, Art poétique, chant II, vers 1 et suiv.)
Poésie pastorale primitive, chez les Grecs, et les Romains, en France

Les anciens ont souvent compris sous le nom d’ἐιδύλλια une foule de petits poèmes qui n’avaient rien de champêtre. On admet généralement qu’il y a eu dans l’antiquité une pastorale naturelle. La vie des champs a trouvé de bonne heure des interprètes en Sicile, en Arcadie, en Thessalie. De tous ces poètes primitifs, le plus illustre fut Diornos, dont le souvenir seul a survécu avec celui du héros de ses poèmes, Daphnis. On trouve aussi des pastorales dans les tragiques et les comiques grecs, Homère, Hésiode, etc. (Cf. Egger, Mémoires de littérature ancienne, p. 242 et suiv.)

Toutefois la pastorale littéraire est née du contraste de la vie des champs avec les raffinements de la civilisation. Elle apparaît chez les Grecs, au milieu de la cour savante d’Alexandrie, avec les Idylles de Théocrite (iiie siècle av. J. C.). Simple et naïve dans ses œuvres un peu factices, elle s’éloigne tout à fait de la nature avec Bion, Moschus et surtout Callimaque.

Chez les Romains, Virgile, dans ses Bucoliques, fait subir à la poésie pastorale de profondes modifications. L’églogue devient, ce qu’elle a toujours été depuis, un cadre convenu destiné à recevoir des idées étrangères à la vie des champs, aux bergers et à leurs mœurs. Ce caractère ne fait que s’accentuer, au troisième siècle de l’ère chrétienne, dans les Églogues de Calpurnius, de Némésien, et au quatrième dans les Idylles d’Ausone.

Presque inconnue en France au Moyen-Âge, la poésie pastorale renaît au seizième siècle, au milieu des guerres politiques et religieuses qui ensanglantent la plus grande partie de l’Europe. Sous la double influence de l’Espagne et de l’Italie, elle charme dans des œuvres froides et maniérées les hommes si rudes de cette époque. Ronsard, par la bouche de son ami Joachim du Bellay, excite les poètes à lutter dans ce genre avec les anciens, et Remy Belleau publie sa Bergerie (1572) l’année même qui vit la Saint-Barthélemy.

Réduite au silence par les clameurs de la guerre civile au xvie siècle, la poésie pastorale reparaît au commencement du xviie avec L’Astrée, roman en prose d’Honoré d’Urfé, et devient l’objet d’un véritable engouement dans la société romanesque de l’hôtel de Rambouillet. Fausse et fade avec Segrais, Racan Mme Deshoulières, malgré quelques jolis vers, elle n’ose montrer clans leur naturel aux courtisans de Versailles « ces animaux mâles et femelles » (les paysans) dont parle La Bruyère.

La poésie pastorale conserve au dix-huitième siècle ce caractère de fausse rusticité. Les bergers et les bergères de Fontenelle, de Florian, de La Motte-Houdart n’ont jamais existé que dans leur imagination. Romans, comédies, opéras, poésies légères, presque tout est placé à cette époque dans un cadre champêtre. Gentil-Bernard, Dorat sont avant tout des poètes citadins ; ils ne connaissent, la campagne que de réputation. André Chénier seul a pu donner à ses Idylles un coloris digne de Théocrite, dans un genre où tout est plus ou moins faux, convenu et peu naturel.

De nos jours, George Sand dans certains romans (François le Champi, La Mare au diable, etc.) et d’autres écrivains ont mis à la mode, sinon la poésie pastorale, du moins le goût des tableaux champêtres dans des œuvres en prose : Ex. les scènes bretonnes d’E. Souvestre (Scènes de la Chouannerie, — Les Derniers Bretons, etc.) ; — les scènes provençales (Lettres de mon moulin) par Alphonse Daudet ; — le poème en patois provençal de Mirèio, par Mistral ; — les scènes du Languedoc (romans de F. Fabre, Les Courbezon, Julien Savignac, etc.). Mais la poésie pastorale proprement dite est morte, si un retour à la vérité ne lui rend la vie, comme ont pu nous le faire espérer l’épisode des Laboureurs de Lamartine dans Jocelyn, Les Pauvres Gens de Victor Hugo, quelques pages de La Vie rurale, des Laboureurs et soldats de J. Autran, où se révèle un véritable sentiment de la nature.

Appendice.
Curiosités poétiques, leur origine ; vieilles rimes

Mentionnons seulement pour mémoire certaines petites pièces de vers qui ne sont souvent que des tours de force poétique, et n’ont d’autre mérite que la bizarrerie de leur versification :

L’énigme,

La charade,

Le logogriphe,

L’acrostiche,

Les bouts rimés,

La sextine,

La glose,

Le pantoum,

Les échos,

Sonnets boiteux,

— mésostiches,

— nus et vêtus,

— commentés,

— rapportés, etc.

Cette dernière forme était variée jusqu’à l’infini dans les sonnets serpentins, retournés, losanges, croix de Saint-André, etc.

C’est au seizième siècle, au milieu des tâtonnements de notre langue poétique, que furent imaginées ces combinaisons bizarres que les poêles de cette époque inventèrent dans leur fureur de nouveauté. Ces divers genres de composition nous intéressent tout au plus comme curiosités historiques.

Pour donner une idée du degré que peut atteindre cette étrange manie, il suffit de mentionner la pièce de vers qui se trouve dans Rabelais et dont la disposition typographique reproduit la forme d’une bouteille. Rappelons le sonnet baroque dont parle Guillaume Colletet dans la Vie de Schelandre, et qui était à la fois acrostiche, mésostiche, losange, et croix de Saint-André.

Nous avons passé en revue la poésie dans toutes les variétés de ses formes, depuis les plus sublimes créations du génie jusqu’aux caprices puérils lu bel esprit et aux stériles combinaisons des maniaques. Terminons en énumérant les rimes les plus connues autrefois en usage, telles que la kirielle, la batelée, la fraternisée, la brisée, l’empérière, l’annexée, l’équivoque, la couronnée, etc.

Pour ceux qui désireraient les connaître davantage, nous les renverrons au chapitre où Pierre Richelet en étudie tous les détails dans son Abrégé des règles de la versification française. — Voir aussi le Petit traité de poésie française, par Th. de Banville, auquel nous avons souvent emprunté des renseignements.

Différents genres de poésie. Résumé synoptique
Lyrique. Épique. Dramatique. Didactique.

Ode : sacrée, héroïque, morale, badine.

Odelette,

Cantate.

Petits poèmes :

À forme libre.

Élégie ;

Épithalame ;

Madrigal ;

Chanson.

À forme fixe.

Lai ;

Virelai ;

Villanelle ;

Rondel ;

Rondeau ;

Rondeau redoublé ;

Triolet ;

Ballade ;

Double ballade ;

Chant royal ;

Sonnet.

Épopée.

 

Poème héroïque
ou

historique.

 

Poème
héroï-comique
ou
badin.

Genre tragique.

Tragédie,

Drame,

Mélodrame,

Mimodrame,

Opéra,

Ballet.

 

Genre comique.

Comédie :

1° de mœurs,

2° d’intrigue,

3° à tiroir.

Proverbe,

Vaudeville,

Opéra-comique,

Opérette,

Saynète,

Féerie,

Farce,

Parodie,

Revue.

Poème didactique,

Poème descriptif,

Fable ou Apologue,

Conte,

Épître,

Satire,

Épigramme,

Inscription,

Épitaphe.

Genre pastoral. Curiosités poétiques.

Églogue.

Idylle.

Énigme, charade, logogriphe, acrostiche, bouts rimes, etc.
[Bibliographie]

Outre les Traités anciens et modernes sur la poésie, et en particulier la Poétique d’Aristote, l’Art poétique d’Horace et celui de Boileau, cités dans l’Histoire abrégée de la rhétorique (p. 5 et 6), nous indiquerons les ouvrages suivants que nous avons souvent consultés avec profit :

Cf. Lamartine : Les Destinées de la poésie, en tête des Méditations ;
Cassin : Sur la poésie considérée spécialement dans sa nature, son objet et ses conditions, thèse, in-8, 1832 ;
A. Nisard : Examen des Poétiques d’Aristote, d’Horace et de Boileau, thèse, in-8, 1845 ;
P. Albert : La Poésie, in-12, 1874, 2e édit. ;
Th. de Banville, Petit traité de poésie française, in-12 ;
F. de Grammont, Les Vers français et leur prosodie, in-12, etc.

II. Prose

[Introduction]
Définition grecque, latine, française de la prose ; ses conditions essentielles

La prose (du latin prorsa ou prosa oratio, langage direct) est le langage ordinaire des hommes, exempt des lois de la versification, de la mesure et de la rime poétiques.

Les Grecs lui donnaient le nom de πεζὸς ou ψιλὸς, langage pédestre. Il est devenu le sermo pedestris des Romains, parce que ceux-ci comparaient sa marche à celle des gens de pied, dont le pas est plus lent que celui des cavaliers. Ils l’appelaient aussi « langage libre et dégagé d’entraves, oratio soluta ac libera ». La prose est donc le contraire de la poésie, qui est par excellence la langue de l’imagination et du sentiment.

On peut donner de la prose une définition simple et complète en citant les paroles bien connues que Molière met dans la bouche du Bourgeois gentilhomme : « Et comme l’on parle, dit M. Jourdain, qu’est-ce donc que cela ? — De la prose. — Quoi ? Quand je dis : Nicole, apportez-moi mes pantouffles et me donnez mon bonnet de nuit, c’est de la prose ? — Oui, monsieur. »

La prose n’est astreinte qu’aux règles grammaticales, à l’accord des mots avec les idées et à celui des périodes avec les sentiments. Elle est toutefois susceptible d’une certaine harmonie provenant du nombre et de la cadence, qui la rapprochent de la poésie. Bien qu’en général la prose doive être simple, précise et sobre d’ornements, elle admet cependant quelquefois les mêmes images, les mêmes figures, des tours presque aussi hardis. Il n’a manqué à certains prosateurs que d’écrire en vers pour être placés au rang des plus grands poètes.

Ex. Chez les Grecs, la prose de Platon ; chez les Romains, celle de Tite-Live ; en France, celle de Bossuet, de Fénelon, etc.

Principaux caractères de la prose, ses avantages

La prose est la langue de la raison et de la science. Fidèle image de la réalité, elle s’adresse surtout à l’intelligence, et son but est de persuader, d’instruire et de plaire. La prose persuade les hommes en leur démontrant la vérité, en la faisant pénétrer dans le cœur par l’éloquence (genre oratoire) ; elle instruit en racontant les événements du passé (genre historique), en faisant connaître les découvertes de la science et de l’histoire, les résultats de l’observation, de l’expérience et de l’analyse (genre didactique et philosophique). Elle plaît par le charme des fictions romanesques, par le récit d’aventures réelles ou imaginaires, par la peinture des mœurs et des caractères (genre romanesque). La prose peut tout à la fois nous convaincre, nous instruire et nous charmer, au moyen de ces conversations par écrit entre personnes absentes, qu’on appelle lettres (genre épistolaire).

Pour traiter tant de sujets si différents, la prose a besoin de sa forme libre, dégagée de cette mesure rigoureuse, qui est tout à la fois pour la poésie une gêne et une puissance.

Un habile prosateur de nos jours, L. Veuillot, a fait l’éloge de la prose dans quelques vers bien frappés :

Ô prose ! mâle outil et bon aux fortes mains !
Quand l’esprit veut marcher, tu lui fais des chemins ;
Sans toi, dans l’idéal il flanc et vagabonde.
Vrai langage des rois et des maîtres du monde,
Tu donnes à l’idée un corps ferme et vaillant ;
Tu l’ornes si tu veux ; jamais un faux brillant
À sa simplicité malgré toi ne s’ajoute.
Grave dans le combat, légère dans la joute,
Tu vas droit à ton but, et tu n’as pas besoin
De lâcher de la corde au mot qui fuit trop loin.
Ton métal est à toi. Serve de la pensée,
La phrase saine et souple, en son ordre placée,
Vil, commande déjà ; le poète aux abois
Poursuit encor la rime à travers champs et bois.
Bossuet a fini lorsque Boileau commence.
En prose l’on enseigne et l’on prie et l’on pense ;
En prose l’on combat. Les vers les plus heureux
Sont faits par des rêveurs ou par des amoureux.
Dans les nobles desseins dont lame est occupée,
Les vers sont le clairon, mais la prose est l’épée.
(L. Veuillot, Satires, liv. I, Préliminaires, p. 22.)
Prose scientifique et littéraire ; abrégé historique de la prose chez les Grecs et les Romains, en France

La prose de la science n’est pas toujours la prose littéraire. Pour que le savant soit un véritable écrivain, il ne suffit pas qu’il expose dans toute sa rigueur une vérité mathématique, une découverte scientifique ; le goût demande quelque chose de plus. Son style doit nous révéler ses sentiments et ses émotions, quand il raconte les merveilles de la nature, expose les grandes découvertes de la science, analyse les facultés de l’âme, quand il démontre la vérité sous toutes ses formes. C’est ce que n’ont pas oublié Fénelon et Bossuet en exposant les abstractions de la métaphysique, Buffon en prêtant aux animaux les mœurs et les passions des hommes, Cuvier en décrivant les révolutions du globe.

Dans le développement de la pensée, la prose a certainement précédé les vers ; il n’en est pas de même dans l’histoire littéraire, où elle a été devancée par le langage poétique. En effet, à l’origine des sociétés, lorsque l’écriture n’existait pas encore, on a dû, pour conserver les œuvres de la pensée, les revêtir d’une forme qui put les fixer d’une manière durable dans la mémoire des hommes. Tel a été le privilège de la poésie.

Sic honor et nomen divinis vatibus atque
Carminibus venit.
(Horace, Art poétique, vers 400.)

Chez les Grecs, l’Iliade, l’Odyssée, des chants lyriques, les premiers monuments de la poésie philosophique et didactique avaient paru depuis environ trois siècles, quand les logographes (λογογράφοι, rédacteurs de discours, historiens) Hécatée de Milet, Phérécyde de Léros, Hellanicus, jetèrent les fondements du genre historique, et qu’après eux Hérodote écrivit ses Histoires.

Chez les Latins, les Chants des frères Arvales, Ennius, Lucrèce sont venus avant Cicéron, César et Salluste. Les Chants saliens ont précédé les premiers essais d’éloquence militaire et politique (Caton, les Gracques), les livres des premiers historiens (Grandes annales, Livres des pontifes), etc.

En France, lorsque parurent les premiers prosateurs, Villehardouin, Froissart, Joinville, Commines, la littérature avait déjà des monuments de son génie poétique dans les épopées du Cycle carlovingien, les chants des Troubadours et des Trouvères. Des genres de composition en prose et de leurs caractères.

Des genres de composition en prose
Genres en prose ; critique des anciennes classifications ; nouvelle division en cinq genres

Les différents genres de composition en prose sont :

1° le genre oratoire,

2° — historique,

3° — didactique et philosophique,

4° — romanesque,

5° — épistolaire.

Avant d’aborder l’étude des divers genres de composition en prose, nous répéterons en abrégé ce que nous avons dit pour les compositions en vers. En prose, comme en poésie, il n’y a pas, absolument parlant, de grands genres et de petits genres, de genres secondaires. Une lettre de Mme de Sévigné ou de Voltaire peut être un chef-d’œuvre, comme une oraison funèbre de Bossuet ; sous sa modeste forme, elle est supérieure à un lourd traité de philosophie ou à un livre d’histoire écrit d’un style pesant et plat. Nous adopterons la classification la plus simple et la plus naturelle.

1° Genre oratoire.

Le genre oratoire comprend : 1° l’éloquence politique ou de la tribune ; 2° militaire ; 3° judiciaire ou du barreau ; 4° sacrée ou de la chaire ; 5° académique ou savante.

1° Éloquence politique

L’éloquence politique ou de la tribune est celle qui a pour objet de discuter, dans les assemblées délibérantes, sur les affaires d’une nation et les grands intérêts de l’État.

L’éloquence politique appartient au genre délibératif. Elle comprend les discours de politique générale, les discours d’affaires particulières ou locales, la discussion des lois, etc. Ex. Discours de Mirabeau sur le droit de paix et de guerre ; — celui de l’abbé Maury sur la constitution civile du clergé, etc.

L’éloquence politique s’adresse à tout un pays ; elle met quelquefois en question les destinées et l’existence d’un peuple.

Chez les anciens, c’est dans les assemblées populaires que se rendaient les orateurs et qu’on discutait les intérêts généraux. Chez les Grecs, elle avait pour théâtre l’agora ; chez les Romains, le sénat et le forum.

Chez les modernes, c’est à la tribune du parlement que se produit l’éloquence politique. Les grandes discussions de nos assemblées depuis la Révolution jusqu’à nos jours, les luttes célèbres du parlement anglais avec Pitt, Fox, Sheridan, ont passionné plusieurs générations. Ce genre d’éloquence paraît nécessairement froid, le jour où sont éteintes les passions qui l’ont fait naître.

2° Éloquence militaire

L’éloquence militaire est celle qu’emploie un général pour soutenir ou exciter le courage, de ses soldats.

Chez les anciens, ces sortes de discours étaient fort en usage. Dans les républiques d’Athènes et de Rome, les généraux avaient souvent occasion de parler à la multitude dans les assemblées publiques. La plupart d’entre eux étaient à la fois orateurs et hommes d’État. Quand ils quittaient la tribune pour les camps, ils continuaient à faire des discours comme dans les assemblées populaires, et retrouvaient le même auditoire dans leurs soldats, car les armées d’alors n’étaient autre chose que le peuple armé pour la défense de la patrie. Cela explique la présence de nombreuses harangues de généraux chez les historiens grecs et latins. Elles n’ont probablement jamais été prononcées telles qu’elles se trouvent dans leurs œuvres, mais leur conformité avec les mœurs du temps montrent qu’elles étaient alors en usage.

Chez les modernes, les harangues militaires ont moins d’art et d’étendue. Elles ne sont souvent que quelques mots vifs et rapides, nobles et généreux, capables d’exciter l’enthousiasme des troupes.

Ex. Les paroles de Henri IV avant la bataille d’Ivry :

« Je suis voire roi, vous êtes Français, voilà l’ennemi… Ne perdez pas de vue mon panache blanc, vous le trouverez toujours au chemin de la victoire et de l’honneur. »

Celles de La Rochejaquelein aux paysans vendéens :

« Si j’avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi. »

On pourrait peut-être retrouver le type des discours que faisaient les anciens dans les proclamations et bulletins adressés à l’armée, et qui ne sont souvent que des ordres du jour écrits. Leur principal caractère est l’énergie jointe à une certaine brièveté. Ex. les proclamations de Bonaparte.

3° Éloquence judiciaire

L’éloquence judiciaire ou du barreau est celle qui s’exerce devant des juges pour accuser ou défendre. La science du droit est le fonds même de cette éloquence. Elle discute les affaires civiles et criminelles. Son intérêt est limité comme le public d’un tribunal, car une plaidoirie ne s’adresse pas à tout un pays, comme un discours politique.

L’éloquence judiciaire comprend les réquisitoires, les plaidoyers, les mémoires et rapports sur les procès, les mercuriales, les discours de rentrée des cours et tribunaux.

C’est encore dans l’antiquité qu’il faut chercher les noms les plus illustres de l’éloquence judiciaire : c’est au style immortel de Démosthène, d’Eschine chez les Grecs, de Cicéron chez les Romains, que bien des affaires et des procès d’un intérêt médiocre pour nous, ont dû l’honneur de passer à la postérité.

Chez les modernes, en France, le barreau a longtemps été barbare et ne s’est révélé que vers la fin du seizième siècle avec les éloquentes Mercuriales de Michel de l’Hospital, la fameuse plaidoirie d’Étienne Pasquier, où il soutint contre Versoris, avocat des Jésuites, les privilèges de l’Université. Mais les discours du barreau à cette époque, surchargés de citations étrangères à la cause, de subtilités ingénieuses, dont Racine a fait justice dans sa comédie des Plaideurs, ne sont guère connus que des érudits. Patru en est, au dix-septième siècle, le plus illustre représentant. Le barreau du dix-huitième siècle, malgré ses Causes célèbres, ne nous a laissé d’autres pages lisibles que celles de Voltaire pour la défense de La Barre et de l’infortuné Calas, et quelques-unes de Beaumarchais dans ses Mémoires. Le dix-neuvième siècle compte de grands noms dont la postérité déterminera le rang. Ex. Berryer, Dufaure, Jules Favre, etc.

4° Éloquence sacrée

L’éloquence sacrée ou de la chaire est celle qui a pour objet d’enseigner aux hommes réunis dans les temples les vérités morales et dogmatiques de la religion.

Les qualités nécessaires à l’orateur chrétien, pour porter avec fruit la parole évangélique, sont : la sainteté dans sa vie, la gravité, la chaleur, l’onction et la clarté dans ses discours. Son style doit être exempt de déclamation ; il ne doit point rechercher l’effet, et, selon l’expression de saint Jérôme, il faut que « les larmes de ses auditeurs soient ses seules louanges ».

Les anciens, en faisant du genre démonstratif l’une des grandes divisions de l’éloquence, n’en ont pas connu la forme la plus élevée. Chez eux, il consistait seulement dans l’éloge ou le blâme, le panégyrique et l’éloge funèbre.

C’est au christianisme que nous devons la création de l’éloquence de la chaire, dont Bossuet est chez nous la plus glorieuse personnification. Elle a commencé avec les Apôtres et s’est continuée avec les Pères de l’Église grecque et latine (saint Jean Chrysostôme, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, etc. ; — saint Ambroise, saint Augustin, etc.).

Un peu effacée au moyen âge, sauf les brillantes exceptions des orateurs qui prêchèrent les croisades, et dont il ne nous reste presque rien, mêlée d’érudition païenne et chrétienne au seizième siècle, l’éloquence sacrée n’a atteint chez nous la véritable perfection qu’au dix-septième siècle (Bossuet, Fénelon, Bourdaloue, Massillon). Avec Fléchier, la décadence semble se faire sentir. Médiocre au dix-huitième-siècle, malgré les fragments un peu surfaits du P. Bridaine, l’éloquence de la chaire est devenue, pour ainsi dire, militante au dix-neuvième siècle. La discussion est son arme journalière contre le rationalisme et les hardiesses de la philosophie contemporaine. Il suffit de rappeler la brillante succession d’orateurs chrétiens qui ont illustré la chaire de Notre-Dame et de Saint-Sulpice depuis la Restauration : Frayssinous, le P. Lacordaire, le P. Ravignan, le P. Félix, le P. Hyacinthe, le P. Monsabré, etc.

Les différentes espèces de discours sacré sont : 1° le sermon, 2° le prône, 3° l’homélie, 4° le panégyrique, 5° l’oraison funèbre.

Sermon

Le sermon est un discours dans lequel l’Orateur évangélique expose les dogmes de la morale et de la religion. Outre les qualités générales qui conviennent à tous les discours sacrés, l’unité et la méthode semblent plus particulièrement propres au sermon. Ex. le sermon de Fénelon sur l’Épiphanie, ceux de Massillon sur l’ambition des grands, dans le Petit carême, et sur la mort, dans son Avent.

Prône

Le prône est une instruction simple et familière faite aux fidèles durant la messe. Il exige deux qualités principales : l’onction et la brièveté.

Homélie

L’homélie, comme son nom l’indique (ὁμιλία) est un entretien familier dans lequel le prêtre explique et paraphrase les Évangiles et les Épîtres. L’orateur développe devant ses auditeurs les réflexions morales que lui suggère la lecture du texte sacré. Elles doivent être simples, car l’esprit et la recherche y seraient déplacés. Ex. les homélies des Pères de l’Église, surtout celles de saint Jean Chrysostôme.

Le panégyrique est uniquement consacré à la louange des saints. L’orateur doit rappeler les principales circonstances de leur vie, et en rattacher les faits à leur principale vertu. Juste mélange d’éloge et de morale, tel est l’idéal du genre. Ex. Bourdaloue, Panégyrique de saint Louis.

Oraison funèbre

L’oraison funèbre est un discours prononcé du haut de la chaire chrétienne pour honorer les morts illustres par leur naissance, leur rang, leurs vertus et leurs actions. Toutefois, l’éloge de ces grands personnages est subordonné aux doctrines de la religion ; il sert à les confirmer. Il nous offre une double leçon en nous enseignant la vanité des choses humaines et l’espoir dans une autre vie. C’est le genre de discours sacré qui demande le plus de génie et d’élévation. Ex. Les Pères de l’Église, saint Grégoire de Nazianze, Oraison funèbre de Césaire, son frère, celle de saint Grégoire, son père, de saint Basile, son ami, etc. ; — saint Grégoire de Nysse, Oraison funèbre de saint Mélèce, etc. ; — saint Ambroise, Oraison funèbre de Théodose, de Valentinien, etc. ; — Bossuet, les six Oraisons funèbres classiques ; — Fléchier, celle de Turenne ; — Lacordaire, celle du général Drouot, id. d’O’Connell, etc.

Si le christianisme devait donner à ce genre d’éloquence un caractère véritablement grandiose, il n’en est pas le créateur. Les anciens le connaissaient. En Égypte, les prêtres faisaient, devant le peuple, l’éloge des rois après leur mort. Dans la république démocratique et jalouse d’Athènes, des orateurs populaires prononçaient publiquement des oraisons funèbres pour honorer plutôt la mémoire des citoyens en général, morts en défendant leur patrie, que celle d’un grand homme en particulier. Ex. l’Oraison funèbre de Périclès en l’honneur des soldats tués à la guerre de Samos (441 av. J.-C.).

Chez les Romains, l’oraison funèbre était le privilège de la noblesse avant de devenir celui des empereurs. Elle fut d’abord Considérée comme une sorte de récompense nationale pour ceux dont on faisait l’éloge. C’est ainsi que Valérius Publicola fut chargé de prononcer celui de Brutus devant le peuple assemblé. Mais la vanité des familles et la flatterie altérèrent de lionne heure le caractère des oraisons funèbres. Parmi les plus célèbres, on citait dans l’antiquité celles que Jules César prononça en l’honneur de sa tante Julie et de sa femme Cornélie. Antoine rendit hommage au cadavre sanglant de César. Après avoir interdit la tribune aux citoyens, Auguste y monta pour faire l’éloge funèbre de Marcellus, son neveu, et de Drusus, fils de sa femme, Tibère celui d’Auguste, Caligula celui de Tibère, Néron celui de Claude, etc. Toutes ces oraisons funèbres sont aujourd’hui perdues.

Mais ces éloges, sans caractère religieux, n’avaient qu’un rapport purement nominal avec notre oraison funèbre. On peut rapprocher chez nous des éloges funèbres de ce genre, celui qu’a prononcé Voltaire en l’honneur des officiers morts dans la Guerre de la succession d’Autriche (1741).

5° Éloquence académique

L’éloquence académique et savante est celle qui a pour théâtre les académies et sociétés savantes. Elle appartient au genre démonstratif ou d’apparat.

Les conditions dans lesquelles s’exerce l’art oratoire pour le critique, l’historien, le philosophe, le publiciste, même le savant, sont tout à fait différentes les unes des autres. Le professeur dans sa chaire, le publiciste dans son journal, l’historien, le philosophe et le savant dans leurs livres, peuvent aussi atteindre l’éloquence, sans être des orateurs de profession ; car il y a toujours de l’intérêt et une grandeur mêlée d’émotion, à poursuivre l’erreur et à enseigner la vérité.

Chez les Grecs, excepté dans l’origine et au premier siècle de Père chrétienne, les rhéteurs n’étaient guère que des sophistes qui défendaient le pour et le contre. Chez les Romains, ils le furent aussi, sauf Quintilien. Sous les empereurs, cette éloquence ne produisit que des déclamations. Les lectures publiques et les improvisations sur les belles-lettres n’offrirent jamais rien de très remarquable.

Né au dix-septième siècle, lors de la fondation de l’Académie française, par Richelieu, ce genre d’éloquence a eu à cette époque d’illustres représentant : La Bruyère, Fénelon, etc. ; et au dix-huitième siècle : Voltaire, Buffon, Montesquieu, etc.

Au dix-neuvième siècle, de célèbres professeurs en Allemagne, en Angleterre, en France, ont ouvert une nouvelle carrière à la parole publique. Il suffit de rappeler ici les noms célèbres de Royer-Collard, Cousin, Guizot, Villemain, Saint-Marc Girardin et de bien d’autres qui, de nos jours, ont enseigné avec tant d’éclat devant les auditoires de la Sorbonne et du Collège de France la philosophie, l’histoire, l’éloquence et la poésie. Ce genre d’éloquence a encore trouvé d’illustres représentants à l’Académie française et dans les autres classes de l’Institut.

L’éloquence académique ou savante comprend : 1° les discours de réception ; 2° les éloges historiques, 3° les rapports sur les prix de vertu et les concours littéraires, 4° les harangues et compliments, 5° les mémoires sur les sciences, les arts, les lettres et tous les genres d’érudition, 6° les discours funèbres.

Discours de réception

Le discours de réception est celui que prononce un membre nouvellement élu le jour, il est admis officiellement à l’Académie française ou dans une société savante et auquel répond le directeur président. Ex. le discours de réception de La Bruyère, — celui de Fénelon, etc.

Pendant longtemps, à l’Académie française, le sujet de ce genre de discours a été invariablement l’éloge de l’académicien décédé, celui de Richelieu, fondateur de l’Académie, et du prince régnant. Voltaire est le premier qui ait traité un point de littérature, innovation bientôt suivie par Buffon dans son Discours sur le style. Aujourd’hui, sans abandonner sa forme primitive, on passe en revue et on apprécie les œuvres de l’académicien : décédé.

Éloge

L’éloge, pris dans son sens le plus étendu, est un discours à la louange de quelque personnage. Chez les anciens il se confondait avec le panégyrique et l’oraison funèbre.

Chez les Grecs, l’éloge public des guerriers morts pour la patrie était une institution politique et nationale. Ex. celui de Démosthène pour les soldats athéniens morts à la bataille de Chéronée.

On faisait aussi l’éloge des citoyens qui avaient rendu quelques services à la patrie. Ex. celui de Léonidas à Sparte, etc.

D’autres éloges étaient politiques et historiques. Ex. le panégyrique d’Athènes, — l’éloge d’Évagoras par Isocrate, — celui d’Agésilas par Xénophon, etc.

Chez les Romains, l’usage des éloges en l’honneur des grandes actions ou des vertus d’un personnage illustre exista dès les premiers temps de la république.

Ex. L’éloge collectif des soldats de la légion de Mars, morts en combattant contre Antoine, par Cicéron, dans sa quatorzième Philippique, — ceux de Virginius Rufus, à Agricola par Tacite.

Chez les modernes, les éloges consistent en oraisons funèbres, dont nous avons déjà parlé, et en discours académiques, dont l’usage remonte au dix-septième siècle. Les plus célèbres parmi ces derniers sont ceux de Fontenelle à l’Académie des sciences, ceux de d’Alembert, celui de Corneille par Racine à l’Académie française, celui de Bossuet par La Bruyère, les éloges historiques de Thomas, etc.

On peut ranger dans ce nombre les discours qui sont chaque année couronnés par l’Académie française ou les autres classes de l’Institut. Leur sujet est tantôt l’éloge d’un grand écrivain, tantôt le tableau littéraire, scientifique ou économique de la France à une époque déterminée. Ex. les éloges de Montaigne et de Montesquieu par Villemain, — le Tableau de la littérature française au seizième siècle par Philarète Chasles et Saint-Marc Girardin, — les éloges de Vauvenargues et de Regnard par Gilbert, — ceux de Saint-Évremond et de J.-J. Rousseau par Gidel, etc.

Rapports

On doit aussi classer dans l’éloquence académique les rapports annuels faits à l’Académie française, lors de la distribution des prix de vertu établis par M. de Montyon ; les rapports littéraires faits par le secrétaire perpétuel, où il passe en revue les ouvrages couronnés (prix d’éloquence, de poésie) ; les livres présentés et jugés dignes d’une récompense (grand prix Gobert, prix Bordin, etc.). Ex. les Rapports de Villemain, etc.

Harangues

Les harangues et compliments sont des discours de félicitation, de remerciements ou de condoléances adressés à un prince ou à une personne élevée en dignité, dans une circonstance solennelle. Leurs principales qualités sont l’élégance et surtout la délicatesse.

Mémoires

Les mémoires sont des dissertations sur un sujet littéraire ou scientifique destinées à être lues devant un corps savant. On y consigne des observations ou des découvertes faites dans une science ou dans un art, on y discute des points d’histoire, de chronologie, de critique, etc.

Le style de ce genre de discours académique doit être simple, concis, nourri de faits, et s’adresser plutôt à la raison qu’à l’imagination, Ex. les Mémoires publiés dans le Recueil de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, etc.

Discours funèbres

On peut rattacher à l’éloquence académique les discours qu’on prononce de nos jours sur la tombe des membres de l’Institut, des grands personnages et des écrivains célèbres.

2° Le genre historique

Le genre historique ou histoire (ἵστορία, information, recherche) embrasse le récit et l’appréciation des événements remarquables qui constituent la vie sociale et religieuse, politique et militaire, littéraire et scientifique de l’humanité.

Son objet et son but ; l’histoire chez les anciens et les modernes

L’histoire raconte les faits accomplis ; elle les coordonne, remonte à leurs causes, en déduit les conséquences et apprécie leurs degrés de moralité. Cicéron l’appelle avec raison « le témoin des temps, la lumière de la vérité, l’histoire du présent, l’école de la vie, la révélatrice du passé ». Testis temporum, lux veritatis, vita memoriae, magistra vitæ, nuntia vetustatis, etc. (Cicéron, De Oratore, II, 9.)

On retrouve bien quelques essais historiques dans les littératures orientales, mais on peut dire que l’histoire véritable est née en Grèce. Créée par les logographes d’abord, perfectionnée par des historiens tels qu’Hérodote, Thucydide, elle est devenue une œuvre littéraire, grâce à leur curiosité, à leur esprit d’investigation souvent philosophique, à. leur intelligente recherche de la vérité. Les Grecs, comme plus tard les Romains, n’ont pas séparé l’histoire de l’éloquence ; nihil est magis oratorium quam historia , disait Cicéron. Le genre historique devint même chez les rhéteurs un chapitre de leurs Traités sur l’art oratoire. De là cet usage des harangues chez les anciens historiens, cette habitude de reproduire des discours, non tels qu’ils avaient été prononcés, mais de les transformer, de les composer même s’ils n’existaient pas, en les appropriant à leur récit avec un sentiment plus ou moins exact de la vraisemblance. Les anciens considéraient l’histoire plutôt comme une œuvre d’art que de science.

C’est le contraire chez les modernes. Ils croient avec raison qu’il faut sacrifier l’intérêt dramatique à la vérité. Au dix-neuvième siècle, l’histoire renouvelée par le travail incessant de la critique et de l’érudition est avant tout une œuvre de science. Elle appuie ses récits sur des documents originaux et authentiques, et ne néglige aucune source de renseignements. Elle doit être aussi une œuvre d’art, en ce sens qu’on n’est grand historien qu’à condition d’animer tous ces matériaux par une peinture vivante, et de donner à ses récits l’intérêt d’une action, sans altérer la vérité.

Sources de l’histoire ; qualités nécessaires à l’historien

Les sources principales de l’histoire sont : les traditions orales habilement interprétées, les monuments directs et indirects (inscriptions, médailles, arcs de triomphe, chartes, mémoires, correspondances, journaux, etc.). Il faut y joindre les pièces diplomatiques officielles ou secrètes, dont l’interprétation réclame une science particulière. Quant aux journaux, ce sont les éléments de l’histoire dont il faut le plus se défier, à cause des préjugés et des passions qui empêchent de juger impartialement les événements contemporains. C’est ce genre d’événements que l’historiographe est chargé de raconter (Ex. Racine et Boileau ont été les historiographes de Louis XIV). Il ne faut pas le confondre avec l’historien de profession.

Les qualités nécessaires à l’historien sont à la fois morales et littéraires.

Les qualités morales peuvent se réduire à l’impartialité ; l’histoire doit être fidèle et entière à tous les points de vue. L’historien doit être un étranger sans patrie , a dit Lucien. Suivant Fénelon, il ne doit être d’aucun pays, d’aucun temps . De nos jours Augustin Thierry disait : « Il ne faut pas faire l’histoire au profit d’une seule idée ». L’impartialité consiste donc à n’avoir aucun parti pris politique ou religieux, à juger s’il est possible les événements « sans faveur comme sans colère », sine ira atque studio , selon l’éloquente expression de Tacite.

Les qualités littéraires de l’historien sont :

1° L’art de grouper les événements, afin d’en marquer la suite et les rapports mutuels, de séparer les causes des effets, les faits principaux des faits secondaires. Voltaire a peut-être manqué à cette règle dans son Siècle de Louis XIV on traitant isolément des guerres, de l’administration, des finances, des beaux-arts, etc., ou en faisant de ces chapitres des groupes trop distincts,

2° Un choix habile des détails les plus propres à faire revivre un héros, ou à peindre la physionomie d’une époque en observant la couleur locale. Ex. Augustin Thierry : Récits mérovingiens.

3° Un ton simple et grave dans le style, comme celui d’un témoin qui dépose devant un tribunal.

Talents et connaissances nécessaires à l’historien

La mise en œuvre des matériaux de l’histoire exige un grand talent de composition, une étude particulière des faits, une critique attentive et pénétrante dans leur appréciation. Lois, guerre, finances, institutions administratives et politiques, langues, chronologie et géographie, « ces deux yeux de l’histoire », rien de tout cela ne doit être étranger à celui qui veut être un grand historien. Il doit avoir des connaissances presque universelles.

Sans être tout à fait indispensable, l’expérience de la vie politique est aussi très nécessaire à l’historien ; elle alimente la source de ses méditations et agrandit le cercle de ses études. Excepté Hérodote et quelques autres, tous les historiens de la Grèce furent des hommes publics, généraux ou orateurs. Il en fut de même à Rome, Chez les modernes, Machiavel, Guichardin, Paolo Sarpi en Italie, de Thou, d’Aubigné, Guizot, Thiers en France, pour n’en citer que quelques-uns, ont été mêlés à presque tous les événements politiques de leur temps. D’illustres historiens cependant, tels que Augustin Thierry, Michelet, etc., n’ont jamais été chez nous que des hommes d’étude.

Différentes espèces d’histoire
1° Histoire narrative, critique et philosophique

Au point de vue de la méthode ou de la composition, l’histoire est narrative, critique et philosophique.

1° Elle est narrative, quand elle raconte simplement les faits sans les apprécier. Fénelon, au dix-septième siècle, et de Barante au dix-neuvième (Histoire des ducs de Bourgogne), etc., représentent cette école, qui a pour devise ces mots de Quintilien : Scribitur ad narrandum non ad probandum.

2° L’histoire critique, ajoute au récit exact des faits la recherche de leurs causes et l’appréciation des hommes qui les ont accomplis. Elle est le témoin et le juge des événements qu’elle transmet à la postérité. Ex. chez les Grecs, Thucydide, Polybe ; — chez les Romains, Tacite ; — en France, Ph. de Commines, et la plupart de nos historiens contemporains : Guizot, Thiers, Mignet, Michelet, Augustin et Amédée Thierry, de Vaulabelle, H. Martin, etc.

3° Elle est philosophique quand elle recherche les lois générales de la vie des nations.

Science nouvelle, à peine entrevue par nos pères, la philosophie de l’histoire résume les innombrables découvertes faites par l’érudition et la critique dans le domaine de l’histoire ancienne et moderne. Prenant pour point de départ les annales de chaque nation, elle s’élève à la conception d’une seule histoire générale. Elle embrasse d’un coup d’œil la génération des idées, des constitutions, des révolutions chez tous les peuples. Ex. Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, — l’italien Vico, Principes d’une science nouvelle, — Montesquieu, Esprit des lois, — Voltaire, Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, Herder, Idées sur la philosophie de l’humanité, — le P. Gratry, La Philosophie de l’histoire, etc.

2° Histoire universelle, générale, particulière

Considérée sous le rapport de l’étendue des sujets, l’histoire est :

Universelle, si elle embrasse l’ensemble des faits dont la terre a été le théâtre, chez tous les peuples et dans tous les siècles.

Générale, quand elle fait connaître les origines, les progrès, les révolutions et la décadence de tout un peuple.

Particulière, lorsqu’elle se borne à une période isolée, à un événement spécial, à une province ou à une ville.

3° Histoire sacrée, profane

Au point de vue des éléments qui constituent la société, on a divisé l’histoire en deux grandes parties : l’histoire sacrée et l’histoire profane.

L’histoire sacrée raconte tous les faits relatifs à la religion depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours. Elle se subdivise en deux parties :

1° Histoire sainte, ou récit d’après les Saintes Écritures des faits antérieurs au christianisme.

2° Histoire ecclésiastique, ou histoire qui traite de l’établissement de l’Église et de son développement à travers les siècles.

On peut ajouter comme appendice à l’histoire sacrée celle de toutes les religions qui, sous différentes formes et avec des sectes variées, se sont établies de tout temps sur la surface du globe.

L’histoire profane comprend l’histoire civile, politique et intellectuelle de tous les peuples. On la divise en trois grandes périodes :

1° Histoire ancienne, depuis l’origine des sociétés dans l’antique Orient jusqu’à la chute de l’empire romain, à la fin du quatrième siècle après Jésus-Christ.

2° Histoire du moyen âge, depuis la ruine du monde romain jusqu’à la prise de Constantinople par les Turcs ottomans, sous Mahomet II (1453).

3° Histoire des temps modernes depuis le milieu du quinzième siècle jusqu’à nos jours. (Voir nos résumés synoptiques des diverses histoires littéraires pour les noms des plus célèbres historiens).

Formes de l’histoire

Les principales formes de l’histoire sont :

1° Annales ou chroniques

Les annales ou chroniques, qui consistent ; le plus souvent dans un simple récit, quelquefois même dans l’énumération des faits sans étude critique, année par année, suivant l’ordre chronologique. Ex. Hérodote chez les Grecs, — les Annales des Pontifes chez les Romains, — les Chroniques de Saint-Denis, celles de Froissart, et les nombreux monuments de ce genre dans la littérature française du Moyen Âge.

2° Mémoires

Les mémoires sont des espèces d’histoires individuelles où l’auteur raconte sa vie (autobiographie), et les événements dont il a été témoin ou acteur. Il peint ses contemporains avec des détails plus minutieux et plus familiers que ne le comporte la sévérité habituelle de l’histoire. C’est le genre français par excellence. Ex. les Mémoires de La Rochefoucauld, — du cardinal de Retz, — de Mme de La Fayette, — de Mme de Motteville, — de Saint-Simon, — de Mme Roland, — de Beugnot, — de Malouet, — tous ceux qui ont été réunis dans les Collections de mémoires relatifs à l’histoire de France, de Guizot, — de Buchon, — de Michaud et Poujoulat, — de Petitot et Monmerqué, de Barrière. Plusieurs ont été exhumés ou reproduits par la Société de l’histoire de France, qui en a soumis les textes à la critique la plus sévère et la plus pénétrante.

3° Biographie

On appelle biographie le récit de la vie d’un seul homme ; c’est l’histoire individuelle. Ex. Vie des hommes illustres par Plutarque, — Vie d’Agricola par Tacite, — Vie de Henri IV par Hardouin de Péréfixe, — Histoire de Charles XII par Voltaire, etc.

4° Histoire et critique littéraire

L’histoire littéraire raconte les origines, les progrès, les transformations et la décadence des lettres, des sciences et des arts. La vie des écrivains, artistes, savants, fait aussi partie de son domaine.

Elle prend le nom de critique littéraire quand elle ne se contente pas de faire la biographie des écrivains et le tableau littéraire d’une époque, mais lorsqu’elle apprécie les œuvres qu’ils ont produites, d’après les règles rigoureuses de la science moderne. L’histoire littéraire étudie, au moyen de l’analyse psychologique, leur influence, les circonstances qui les ont fait naître, le milieu dans lequel elles ont été enfantées. La critique applique donc le sentiment du beau et du vrai au jugement des sciences, des arts et des lettres. Elle est à la fois une science et un art.

Dans l’antiquité grecque et latine Aristote et Quintilien, en France, aux dix-septième et dix-huitième siècles, le P. Le Bossu dans son traité sur le Poème épique, l’abbé d’Aubignac dans celui qu’il a composé sur la Tragédie, l’abbé Batteux dans ses Principes de littérature, se sont occupés seulement de la forme. La critique a été pour eux une partie de la rhétorique. À ce point de vue elle se rattache au genre didactique. Elle laisse de côté la vérité et l’éclat des peintures. Nul souci de l’histoire, des différences de temps et de lieu ; elle ne quitte pas la région des théories abstraites. Fénelon, Voltaire, Diderot, La Harpe (Cours de littérature) n’échappent pas toujours à ce reproche.

De notre temps, le domaine de la critique littéraire est plus vaste. Les questions de forme sont secondaires ; on étudie plutôt ce qui est la vie d’une œuvre littéraire, ce qui en fait l’âme. On la replace dans le milieu qui l’a fait naître ; et pour la juger sérieusement. on est obligé de reconstituer l’état politique, social et religieux dans lequel elle a été produite. La critique est donc la reconstruction complète du passé littéraire d’une nation.

La critique littéraire du dix-neuvième siècle prend un grand nombre de formes, suivant les sujets qu’elle traite et le genre d’esprit de l’écrivain (Tableaux littéraires, études et portraits, monographies, etc.).

Ex. Villemain, Cours de littérature au moyen âge, — au dix-huitième siècle. — Saint-Marc Girardin, Cours de littérature dramatique, — Nisard, Histoire de la littérature française, — Sainte-Beuve, Causeries du lundi, Portraits littéraires, — Cuvillier-Fleury, Portraits historiques et littéraires, — Ch. Lenient, La Satire en France au moyen âge et au seizième siècle, et les nombreux recueils d’articles sur toutes les branches de la littérature publiés dans les Revues littéraires et savantes, par un grand nombre d’écrivains contemporains : Paul de Saint-Victor, Taine, Schérer, A. de Pontmartin, F. Sarcey, etc.

5° Bibliographie

On peut rattacher à l’histoire et surtout à l’histoire littéraire la bibliographie qui en est le complément. Elle peut être générale, spéciale, ou particulière.

La bibliographie générale est l’étude critique et raisonnée des différents ouvrages relatifs à toutes les branches des connaissances humaines. Ex. Brunet, le Manuel du libraire.

La bibliographie spéciale s’occupe des ouvrages qui traitent d’une seule branche de la science. Ex. Quérard, La France littéraire.

La bibliographie particulière a pour objet d’étudier, d’après les mêmes principes, les textes manuscrits ou imprimés d’un écrivain, et les différentes éditions qui en ont été publiées. Ex. La Bibliographie moliéresque du bibliophile Jacob ; — et toutes les bibliographies particulières publiées dans les éditions des Grands Écrivains de la France, sous la direction de M. Regnier (Malherbe, Mme de Sévigné, Corneille, Racine, etc.).

3° Genre didactique et philosophique
Son objet, ses qualités, sa division

Le genre didactique en prose comprend tous les traités de philosophie, de métaphysique, de littérature, de jurisprudence, sur les arts, les sciences morales et politiques, etc., c’est-à-dire les ouvrages qui ne peuvent appartenir entièrement ni à l’histoire, ni à l’éloquence, et qui, en général, ont pour objet l’enseignement de la vérité dans les diverses branches des connaissances humaines. Ce genre renferme donc l’inventaire raisonné d’une grande partie des richesses intellectuelles de l’humanité. Il éclaire la pratique par la théorie.

Quels que soient l’objet, le but et la forme de ce genre d’ouvrages, ses principales qualités sont la méthode, c’est-à-dire l’ordre dans l’enseignement et la clarté du style.

On peut diviser les ouvrages didactiques en deux classes principales : 1° les traités, c’est-à-dire les livres purement didactiques ; 2° les œuvres variées, qui, sans être des traités proprement dits, se rattachent plus ou moins par le fond et par la forme au genre didactique.

1° On appelle traités des ouvrages purement didactiques, où l’écrivain expose les principes d’un art ou d’une science. C’est le répertoire des vérités, des règles trouvées par l’observation et l’expérience. Ces traités prennent, en général, le nom de l’objet spécial dont ils s’occupent. Ex. la Rhétorique et la Poétique d’Aristote, — le Traité des études de Rollin, etc.

2° Il est difficile, pour ne pas dire impossible, défaire une classification absolue, et surtout une énumération des œuvres variées qui, sans être des traités proprement dits, contiennent cependant des leçons indirectes, puisées dans la recherche et l’étude des vérités littéraires, scientifiques, morales, religieuses, etc.

Suivant son caprice et le caractère spécial du sujet, l’écrivain nous les présente sous forme de dissertation morale, de traité, de dialogue philosophique, d’essais, de notices, de mélanges littéraires et scientifiques, de caractères, de maximes et pensées, etc. — Les formes que revêtent les œuvres qui ne sont pas purement didactiques, varient à l’infini ; elles se multiplient tous les jours de plus en plus. Les auteurs d’œuvres variées sont appelés polygraphes. Ex. Lucien dans l’antiquité ; — Voltaire dans les temps modernes.

Diverses sortes d’auteurs didactiques

Les auteurs de traités didactiques ou d’œuvres variées qui s’y rattachent plus ou moins directement, peuvent être divisés en six catégories principales : 1° philosophes, 2° savants, 3° publicistes, 4° économistes, 5° moralistes, 6° critiques, auteurs de traités purement didactiques.

On appelle philosophes les écrivains qui ont pour objet l’étude de la philosophie proprement dite, c’est-à-dire l’étude de l’homme en lui-même, dans ses rapports avec le monde et avec Dieu.

À l’origine, la philosophie a été l’amour de la sagesse ou de la science, deux mots synonymes chez les Anciens, avant Pythagore. Elle était aussi la science universelle ; mais, au sixième siècle avant J. C., Socrate la ramena à l’étude de l’homme (γνῶθϊ σεαυτόν). Redevenue universelle avec Platon et Aristote, elle fut après eux, excepté dans le système de Descartes, une science particulière ; elle l’est encore aujourd’hui.

Philosophie, sa division

La philosophie élémentaire comprend :

1° La psychologie ou science de l’âme, dont l’objet est la recherche des faits et des lois de la vie spirituelle dans l’homme.

2° La logique ou science des lois de la pensée, qui est l’art de diriger l’esprit dans la recherche et la démonstration de la vérité.

3° La morale ou science des devoirs, qui étudie les règles propres à diriger l’activité humaine.

4° La théodicée ou étude rationnelle de Dieu, de son existence, de ses attributs, de ses rapports avec l’homme et avec le monde.

On peut y ajouter, comme complément, la métaphysique et l’histoire de la philosophie.

1° La métaphysique est la science des causes premières, des conditions générales, et universelles de l’être, abstraction faite des diverses formes qu’il peut revêtir. Elle recherche les principes qui dominent à la fois le monde physique et le monde moral. Elle touche par quelques points à la théodicée et à la seconde partie de la psychologie. On l’appelle aussi ontologie (λόγος, science, — ὤντος, de l’être).

2° L’histoire de la philosophie, est l’étude critique des doctrines philosophiques chez les anciens et les modernes. C’est l’exposition sommaire et l’appréciation des opinions professées par les différentes écoles.

Philosophes proprement dits (tableau synoptique des principaux)

Les sages et les écrivains qui ont exposé l’ensemble de leurs théories sur ces différentes parties de la philosophie ou même ceux qui ont traité quelque point relatif à l’une d’elles sont des philosophes proprement dits. Ex.

Chez les Grecs. Chez les Romains, imitateurs des Grecs. Au moyen âge. Chez les modernes.

Pythagore,

Socrate,

Platon,

Aristote,

Épicure,

Zénon, etc.

Cicéron,

Sénèque,

Marc-Aurèle (qui a écrit du grec), etc.

Alcuin,

Roscelin,

Guillaume de Champeaux,

Abailard,

Albert le Grand,

Saint Thomas d’Aquin, etc.

Bacon,

Descartes,

Spinoza,

Leibniz,

Locke,

Kant,

Hegel, etc.

Dialogue philosophique

Au lieu du traité purement didactique, et pour donner plus de vivacité à leur pensée, d’intérêt à leurs théories, les philosophes ont souvent employé la forme du dialogue.

Le dialogue philosophique est un entretien de deux ou de plusieurs personnes, dans lequel on expose et discute une question qu’on veut résoudre, ou une vérité qu’on veut démontrer. Ex. les dialogues de Platon et de Lucien chez les Grecs, — ceux de Cicéron chez les Romains, — en France, au xviiie  siècle, ceux de Fénelon sur l’éloquence, les Entretiens de Fontenelle sur la Pluralité des Mondes, et de nos jours l’ouvrage de Vacherot sur la métaphysique et la science, etc.

Auteurs d’œuvres variées et de traités didactiques

On doit ajouter aux philosophes les écrivains qui ont exposé des théories, des doctrines ayant des rapports généraux ou particuliers avec la philosophie, et qui se sont occupés des sciences auxquelles elle donne leurs principes et leurs méthodes (philosophie des sciences mathématiques, chimie, etc., — rhétorique, jurisprudence. beaux-arts, etc.) Tels sont :

1° Les savants comme Fontenelle, Buffon, Cuvier, Arago, Geoffroy-Saint-Hilaire, J.-J. Ampère, Claude Bernard qui nous font connaître le résultat de leurs observations sur les phénomènes de la nature, dont ils ont découvert les lois ;

2° Les publicistes et les journalistes, en prenant ce dernier terme dans son sens le plus élevé. Ex. Montesquieu, Chateaubriand, Benjamin Constant, Armand Carrel, Tocqueville duc Victor de Broglie, Prévost-Paradol, Rémusat, John Lemoinne, Ed. About, etc., ont étudié, dans leurs œuvres ou leur articles, les lois générales des peuples, les principes du droit public et les règles du gouvernement des nations ;

3° Les économistes recherchent les lois qui régissent la production et la distribution des richesses. Leur science s’appelle économie politique ; elle appartient aussi à l’ordre moral. Ex. Quesnay Turgot, Dupont de Nemours, en France, au dix-huitième siècle ; — de nos jours, J.-B. Say, Blanqui, Frédéric Bastiat, Michel Chevalier, Joseph Garnier, Wolowski, — Malthus et Adam Smith, en Angleterre, etc.

4° Les moralistes sont les philosophes qui étudient l’âme humaine et en peignent tantôt les penchants élevés, les sentiments nobles, tantôt les faiblesses, les ridicules et les vices. Ils représentent les hommes tels qu’ils sont, ou tels qu’ils s’offrent à leur observation, mais n’enseignent pas directement la morale. Ex. les Essais de Montaigne au seizième siècle ; — les Maximes de La Rochefoucauld, les Pensées de Pascal, les Caractères de La Bruyère, au dix-septième siècle ; — au dix-huitième, les œuvres de Vauvenargues, Maximes et Réflexions ; — au dix-neuvième, les Pensées et Maximes de Joubert, etc.

5° Les critiques, auteurs de traités purement didactiques, recherchent et exposent les principes et les règles des beaux-arts, des belles-lettres, etc. Ex. Chez les Grecs, Aristote, Longin, etc. ; — à Rome, Cicéron, Quintilien, etc. ; — en France, Fénelon, Voltaire, Marmontel, Ch. Lévêque (Science du beau), etc. (Voir pour de plus amples détails, notre Tableau de l’histoire abrégée de la rhétorique, p. 2 et 3.)

4° Genre romanesque
Sa définition, ses règles générales ; origine du roman, son utilité, son domaine et ses éléments

Le genre romanesque est l’ensemble des œuvres en prose qui nous intéressent au récit d’aventures et de passions tantôt imaginaires, tantôt vraies et observées dans la vie réelle, mais arrangées et presque toujours embellies par le caprice et le style de l’écrivain.

Par la grande variété des sujets qu’il traite et des formes qu’il revêt, ce genre échappe à des règles précises. On peut toutefois en indiquer quelques-unes qui ne peuvent être que très générales : vraisemblance des événements, vérité des caractères, observations justes et délicates des passions du cœur humain ; mesure et sobriété dans les analyses, les descriptions et les peintures ; mouvement et rapidité dans le récit ; décence et dignité dans le style. De plus, tout roman doit contenir une leçon directe ou indirecte, bien que la plupart des romanciers aient souvent manqué à ce devoir.

Né du besoin de distraction et du goût que tous les peuples ont pour les fictions, le roman est un récit comme l’épopée.    À l’origine de notre littérature, il s’est confondu avec elle. Leurs différences sont celles qui séparent la poésie de la prose, la narration régulière et élevée de la composition familière ou fantaisiste, l’idéal et les sentiments héroïques du but et des actions de la vie ordinaire.

Ce genre a rencontré des juges très sévères. Mais, sans admettre tous tes romans dangereux ou immoraux, on peut toutefois admirer les bons et invoquer, en faveur de la faible humanité qui réclame une trêve aux préoccupations sérieuses, le vers de La Fontaine :

Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.
(Le Pouvoir des fables, VIII, 4.)

Le roman a un domaine aussi vaste que celui de l’imagination et du sentiment, mais il touche à tous les genres. Il est avant tout la peinture des mœurs et des passions sous le voile d’une fiction. Huet, le savant évêque d’Avranches, désignait au dix-septième siècle l’amour comme la source unique des romans ; elle en est toujours la plus féconde et la plus heureuse comme la plus variée. Malgré les allégories dont il s’enveloppe, le roman est en général, sous des formes diverses, la peinture de la société contemporaine des romanciers. Il a presque toujours été l’expression des principales idées philosophiques ; morales, religieuses ou fantaisistes des peuples qui l’ont cultivé ; il en a pris aussi le caractère.

Divers genres de romans

Il y a plusieurs espèces de romans : le roman proprement dit, le conte et la nouvelle.

Roman proprement dit

Le roman proprement dit peut être : 1° purement fictif, 2° historique, 3° maritime, 4° philosophique, 5° de mœurs, 6° intime, etc. Ces deux derniers genres rentrent sans cesse l’un dans l’autre.

1° Le roman purement fictif est celui où tout est inventé. Ex. Daphnis et Chloé de Longus.

2° Le roman historique est celui où la fiction est mêlée à l’histoire. Ex. La plupart des romans d’Alexandre Dumas père en France ; — ceux de Walter Scott en Angleterre, etc.

3° Le roman maritime est celui où l’auteur retrace des scènes de la mer. Ex. Quelques romans d’Eugène Sue en France ; — ceux de Cooper en Amérique, etc.

4° Le roman philosophique met en scène des personnages qui ont pour but de démontrer une vérité, de réfuter une erreur et de combattre un préjugé. Ex. Les romans de Voltaire.

Cette espèce de roman est quelquefois sceptique, antireligieux, antisocial.

5° Le roman de mœurs a pour objet de peindre la société où il se produit ; il en est souvent la satire. Ex. Gil Blas de Lesage ; — la Comédie humaine de Balzac, etc.

6° Le roman intime nous initie aux sentiments et aux passions du cœur humain (Ex. Manon Lescaut de l’abbé Prévost). C’est quelquefois une autobiographie. Ex. Confessions de J.-J. Rousseau ; — Adolphe de Benjamin Constant, etc.

Conte

Le conte est le récit d’un événement imaginaire ou demi-historique dont le but est quelquefois d’instruire, toujours d’amuser. On en distingue plusieurs espèces : les contes orientaux (Les Mille et Une Nuits) ; — les contes moraux, ceux de Marmontel ; — les contes allégoriques, ceux de Perrault ; les contes philosophiques, ceux de Voltaire ; — les contes fantastiques, ceux de Charles Nodier, etc.

Le conte admet quelquefois le merveilleux. Les fées, les génies, les géants, les enchanteurs, et tous ces personnages fantastiques des poètes du Moyen Âge y jouent un grand rôle. Perrault s’est distingué dans les contes de ce genre, et La Fontaine se plaisait à leur lecture :

Si Peau-d’Âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême.
(La Fontaine, Le Pouvoir des fables, VIII, 4.)
Nouvelle

La nouvelle est un roman de petite dimension. Elle admet le merveilleux plus rarement que le conte, choisit quelquefois les sujets où domine une passion tendre et mélancolique, souvent aussi une aventure purement amusante. Ce nom de nouvelle (novella) remonte aux premiers troubadours provençaux.

Ce genre a été très cultivé aux quatorzième, quinzième et seizième siècles. Il est devenu de nos jours l’une des formes les plus ordinaires du roman.

Ex. Les Nouvelles de la reine de Navarre (Heptaméron) au seizième siècle ; — les Nouvelles genevoises de Töpffer ; — les Nouvelles de Ch. Nodier, d’Alfred de Musset, de Mérimée, de Théophile Gautier, au dix-neuvième, etc.

Procédé descriptif

Dans le roman on a souvent employé un procédé qui occupe une grande place dans la poésie : c’est celui où domine l’élément descriptif.

La description est la peinture vive et animée lieux, des mœurs et de la nature extérieure des corps.

Son historique dans la littérature française, son abus

Souvent employée dans les interminables romans du moyen âge, la description, plus rare ou plutôt différente au dix-septième siècle, comme dans les romans d’H. d’Urfé, dans le Télémaque de Fénelon et dans quelques pages de son Traité sur l’existence de Dieu, a reparu au dix-huitième siècle. Elle a repris possession du roman avec J.-J. Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre qui, dans l’histoire du cœur humain et des passions, ont donné une grande place à la nature extérieure.

Au dix-neuvième siècle, Chateaubriand et Mme de Staël nous ont raconté, l’un les souvenirs de ses voyages en Amérique et son Itinéraire de Paris à Jérusalem, l’autre nous a décrit dans Corinne les musées de l’Italie ; Walter Scott en Angleterre, chez nous Victor Hugo, Alexandre Dumas père, Balzac et une foule de romanciers de nos jours se font remarquer dans la description des mœurs et des costumes.

Beaucoup d’entre eux ont abusé du procédé descriptif. Tantôt ils ont exploité le Moyen Âge en antiquaires, faisant, comme des experts, l’inventaire des intérieurs et des ameublements ; tantôt ils ont décrit, en traçant le portrait des personnes, jusqu’à la coupe des habits ; ils ne nous font grâce d’aucun détail. C’est là le mauvais côté de ce genre, qui demande, avant tout, la sobriété, et dans lequel il faut surtout que « la plume soit un pinceau ».

Dans la description d’un lieu, d’un paysage ou des personnes, l’écrivain doit avant tout choisir le point de vue le plus favorable, les traits les plus saillants, les contrastes qui peuvent frapper davantage l’imagination. Il faut savoir s’arrêter à temps ; l’écueil, c’est l’abus. Boileau a eu raison de dire :

Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.
(Art poétique, chant I, vers 63.)

Voltaire a complété cette pensée par un vers devenu proverbe :

Le secret d’ennuyer est celui de tout dire.
(Discours vi, vers 172.)
Diverses sortes de description

On distingue trois sortes principales de description : la prosopographie, l’éthopée et la topographie.

La prosopographie est une espèce de description qui a pour objet de peindre l’extérieur des corps, l’air et le maintien des personnes, Ex. Le début du portrait d’Alexandre le Grand, dans l’abbé Barthélemy (Voyage d’Anacharsis 2e partie, chap. lxxxii). — On peut y ajouter la description des animaux et de leurs différentes espèces. Ex. celle du cheval dans le Livre de Job, dans les Géorgiques de Virgile, dans Buffon, etc.

L’éthopée est une variété de la description, plus commune aux historiens qu’aux poètes, dans laquelle on peint plutôt les mœurs, le caractère, les sentiments, les passions bonnes ou mauvaises, et même la tournure d’esprit d’un personnage. Ex. le portrait de M. le Prince ou du grand Condé, celui de Turenne dans les Mémoires du cardinal de Retz.

La topographie est la description des lieux. Ex. la topographie de Jérusalem, la campagne de Rome, la description de la Judée dans Chateaubriand (Itinéraire de Paris à Jérusalem). On peut en trouver d’excellents modèles dans les nombreux récits de voyages du Tour du monde.

L’histoire est quelquefois descriptive comme le roman quand elle en emprunte le caractère. Ex. les Girondins de Lamartine.

La critique d’art l’est aussi par nature et par nécessité, car on ne peut faire connaître un tableau ou une statue autrement que par une description. Dans ce cas, l’imagination et la sensibilité de l’écrivain doivent pour ainsi dire les mettre devant les yeux du lecteur et lui communiquer l’enthousiasme et l’admiration. Ex. chez les Allemands, les travaux de Lessing, de Winckelmann, etc., — en France, ceux de Théophile Gautier, de Paul de Saint-Victor, etc.

Le roman chez les Grecs et les Romains, en France

Chez les Grecs, le roman fut élégant, gracieux et quelquefois lascif ; il prit une teinte philosophique avec Lucien. Excepté le roman de Longus (Daphnis et Chloé), celui d’Héliodore (Amours de Théagène et Chariclée), ce peuple si artiste n’a laissé en ce genre aucune œuvre qui vaille la peine d’être remarquée. Le véritable roman grec est tout entier dans la création de la mythologie, de ses divinités charmantes ou terribles, dont la vie n’est qu’un tissu d’aventures merveilleuses. Il est aussi dans le poème de l’Odyssée, qui renferme la peinture des types les plus éclatants sortis de l’imagination d’un peuple.

Chez les Romains, peuple essentiellement pratique et ennemi de la rêverie, le roman n’eut guère d’accès dans leurs mœurs pures et même austères, ou corrompues jusqu’à la brutalité. La mythologie si riante des Grecs devint chez eux une religion grave et formaliste qui ne se prêta guère à l’embellissement de ses légendes. Ils n’eurent le goût du roman que par imitation des Grecs. Ex. le Satyricon de Pétrone ; — L’Âne d’or d’Apulée.

Le roman, à peu près inconnu chez les Grecs et les Romains, à cause du rôle effacé de la femme dans les sociétés antiques, se développe en France au moyen âge, à mesure que la femme, quoique encore tenue en tutelle, occupe une place de plus en plus importante.

Les romanciers de cette époque ont été quelquefois bien inspirés. Les premiers chants de nos Troubadours et de nos Trouvères ne furent souvent que des romans où ils retracèrent les grands faits d’armes des chevaliers et les amours des châtelaines. Les romanciers des douzième, treizième et quinzième siècles accommodent la fiction à leur milieu politique et religieux ; leurs romans allégoriques et satiriques en vers ou en prose sont une peinture de toutes les classes de la société d’alors. Ex. Les romans de la Table Ronde, le roman de la Rose, celui du Renart, etc.

Dans notre société moderne, le rôle de la femme a changé avec les mœurs. Son importance a augmenté, et son influence, bonne ou mauvaise, est considérable. Le roman s’en est ressenti ; aussi, avec le théâtre sous toutes ses formes, ce genre, de tout temps adoré dans notre pays et immortalisé par des chefs-d’œuvre, est-il devenu aujourd’hui la forme de littérature la plus populaire et la plus goûtée. Ex. l’œuvre irrégulière, mais vivante de Rabelais au seizième siècle : — les romans de Mme de La Fayette au dix-septième ; — ceux de Diderot, de Voltaire, le Gil Blas de Lesage, Manon Lescaut de l’abbé Prévost au dix-huitième ; — au dix-neuvième les romans de Chateaubriand, de Mme de Staël, de George Sand, des deux Alexandre Dumas, A. de Vigny, Mérimée, Edmond About, Ferdinand Fabre, la Comédie humaine d’Honoré de Balzac et les romans innombrables dans tous tes genres qui charment ou amusent les lecteurs de nos jours.

5° Genre épistolaire
Définition de la lettre, ses règles, ses caractères

On comprend sous ce terme les diverses lettres missives (en latin epistola, en grec ἐπιστολὴ, envoi, message) qui sont écrites par une personne à une autre, et ont le plus souvent pour sujet des événements de la vie réelle.

La lettre est un entretien par écrit entre personnes absentes. Quel que soit son sujet, elle doit autant que possible se rapprocher du ton de la conversation, en évitant toutefois les négligences et les incorrections qui échappent souvent à la rapidité de la parole. Elle embrasse tous les sujets, comme la causerie, dont elle doit être une image perfectionnée.

L’aisance, l’abandon et le naturel sont les caractères essentiels de toute lettre, même lorsque le sujet en est très sérieux. « Je hais le tortillage », disait Mme de Sévigné. Dans la composition d’une lettre la plume doit « avoir la bride sur le cou », selon une de ses expressions, il faut écrire « à bride abattue », comme elle le disait encore d’elle-même.

Style épistolaire

Le style d’une lettre doit être simple et naturel, vif et rapide, sobre et facile. « Le vrai caractère du style épistolaire, a dit Joubert, est l’enjouement et l’urbanité. » Le style et le ton d’une lettre doivent être appropriés à son sujet et au caractère, à la qualité, à la situation de la personne à laquelle on s’adresse. En un mot, une lettre sera bien faite si l’on y observe les règles de la convenance, de la morale et du goût ; tout est là. On ne peut guère donner de règles plus précises d’un genre dont la règle est de n’en avoir pas d’absolues.

Division des genres de lettres

On peut diviser les lettres en deux grandes catégories : les lettres familières et les lettres philosophiques.

Les lettres familières roulent sur Les sujets dont il peut être question dans l’usage ordinaire de la vie ¡ lettres d’affaires privées ou de famille, lettres d’affaires publiques, lettres de demande, de recommandation, de remerciement, de condoléance, de félicitation, de compliment, lettres à excuses, de réclamation, etc. On trouvera des modèles de ces différents genres dans les Correspondances des auteurs que nous citons plus loin (p. 146).

Les lettres philosophiques traitent particulièrement des points de morale, de politique, d’histoire, ou des questions littéraires, artistiques, scientifiques, etc. Ex. Agrippa d’Aubigné, Lettres de poincts de science ; — Fénelon, Lettre sur les occupations de l’Académie française, etc.

Cette division n’a rien de rigoureux et d’absolu, car une lettre familière peut parfaitement avoir un caractère philosophique. En un mot, le genre épistolaire admet tous les tons, depuis celui de la plus haute éloquence (lettre de Mme de Sévigné sur la mort de Turenne) jusqu’au plus enjoué et au plus badin (le début de celle de Voltaire à Rousseau, où il défend les lettrés accusées par le philosophe de Genève de causer le malheur du genre humain, 30 août 1755.)

Ce dernier exemple suffît pour nous montrer qu’une lettre, sérieuse pour le fond, peut être présentée sous une forme légère, agressive et polie tout à la fois.

Genre épistolaire chez les Grecs et les Romains en France

Chez les Grecs, on ne rencontre aucun recueil épistolaire authentique qui mérite de fixer l’attention. Cela s’explique ; ce que nous appelons la vie du monde n’existait guère chez eux ; car la femme, vivant enfermée dans le gynécée, ne pouvait avoir un salon. On voyageait peu, et les relations sociales étaient rares.

Les Romains sont plus riches dans le genre épistolaire. Les lettres de Cicéron et de plusieurs de ses amis (ier  siècle av. J.-C.), — celles de Sénèque, de Pline le jeune (ier  siècle de l’ère chrétienne) ; de Fronton, au iie de Symmaque au ive , et enfin celles des plus illustres Pères de l’Église, nous en offrent des modèles, dont l’importance et l’intérêt varient avec le talent des écrivains.

C’est en France, chez les modernes, que le genre épistolaire a jeté le plus vif éclat. Bien tourner une lettre est un talent naturel, qui fait partie de l’esprit français. Son caractère expansif, sa vanité même le prédestinaient à réussir en ce genre. Les femmes devaient surtout y apporter un charmé incomparable, et fournir à la littérature des chefs-d’œuvre, à l’histoire des documents importants. Il suffit de rappeler les noms de Voiture, de Balzac, surnommé de son temps le grand épistolier de France, de Mme de Sévigné, de Mme de Maintenon au dix-septième siècle, et de Voltaire au dix-huitième. Joubert, Joseph de Maistre, P.-L. Courier, Victor Jacquemont, Eugénie de Guérin, X. Doudan, etc., au dix-neuvième siècle, ont laissé des correspondances diversement appréciées, mais toutes de quelque valeur.

Appendice.
Genre mixte

On donne le nom de genre mixte à des ouvrages où l’on rencontre le mélange de la prose et des vers ; ils se rapportent aux genres satirique, didactique, épistolaire et même dramatique. Ex. chez les Romains, le Satyricon de Pétrone, — la Consolation de Boèce, etc.

On rencontre aussi le mélange de la prose et des vers dans quelques œuvres célèbres de notre littérature. Ex. la Satire Ménippée, — le Voyage de Chapelle et Bachaumont, — quelques lettres de La Fontaine, entre autres le Récit de son voyage en Limousin, — Le Temple du goût par Voltaire, etc.

La prose a quelquefois été appliquée, chez les modernes, à des genres où les anciens n’admettaient généralement que la poésie. (Ex. dans l’épopée, le Télémaque de Fénelon, Les M artyrs de Chateaubriand). On l’a essayée dans la tragédie, mais après les tentatives infructueuses de La Serre, Lamothe et l’abbé d’Aubignac, elle semble désormais abandonnée. On l’emploie seulement dans le drame (Ex. les drames en prose de V. Hugo) et dans ces tragédies populaires appelées chez nous mélodrames, qui mettent en scène des personnages trop vulgaires, ou des événements trop rapprochés de la vie réelle pour être racontés en vers.

Seule la comédie en prose a conquis son droit de bourgeoisie littéraire ; elle a pour elle l’autorité du succès et celle de l’usage qui fait loi, suivant l’expression d’Horace. Ex. George Dandin, — L’Avare de Molière ; — Turcaret de Lesage ; — le théâtre d’Alexandre Dumas père et fils ; celui d’Octave Feuillet, de Théodore Barrière, de Labiche ; quelques-unes des comédies d’Émile Augier, de Jules Sandeau et d’une foule d’écrivains qui, à des degrés divers, ont leur place marquée dans l’histoire dramatique du dix-neuvième siècle.

Différents genres de composition en prose. Résumé synoptique
Oratoire. Historique. Didactique, etc. Romanesque.

Éloquence

Politique :

générale,

particulière,

Discussion des lois, etc.

Militaire :

Proclamations,

Harangues,

Bulletins.

Judiciaire :

Réquisitoires,

Plaidoyers,

Mémoires, etc.

Sacrée :

Sermon,

Panégyrique,

Oraison funèbre, etc.

Académique :

Discours de réception,

Éloge historique,

Rapport littéraire,

Compliments,

Mémoires sur les lettres, les arts,

Discours funèbres

Différentes espèces d’histoire :

narrative,

critique,

philosophique.

universelle,

générale,

particulière.

1° Sacrée :

sainte,

ecclésiastique.

2° Profane :

ancienne,

du moyen âge,

moderne.

Formes de l’histoire :

Annales ou chroniques,

Mémoires,

Biographie,

Histoire et critique littéraire,

Bibliographie.

Traités didactiques

proprement dits.

Traités :

1° religieux,

2° philosophiques,

3° littéraires,

4° artistiques,

5° scientifiques.

Dialogue philosophique.

Œuvres variées des :

1° philosophes,

2° savants,

3° publicistes,

4° économistes,

5° moralistes,

6° critiques.

Roman

proprement dit :

1° fictif.

2° historique,

3° maritime,

4° philosophique,

5° de mœurs,

6° intime.

Conte :

l° moral,

2° allégorique,

3° philosophique.

Nouvelle :

 

Procédé descriptif :

Prosopographie,

Éthopée,

Topographie.

Genre épistolaire.

Lettres :

1° familières,

2° philosophiques.

Appendice.

Genre mixte.

Œuvres mêlées de prose et de vers

[Bibliographie]

Outre les traités anciens et modernes que nous avons cités, dans l’histoire abrégée de la rhétorique (p. 5 et 6), nous indiquerons aussi les ouvrages suivants :

Chateaubriand : Préface des Martyrs ;
P. Albert : La Prose, in-12, 1874, 2e édit. ;
D. Ordinaire : Rhétorique nouvelle, in-18 (s. d.), p. 1-102, etc.