Supplément aux exemples.
Manière de lire les vers.
C’est peu d’aimer les vers, il les faut savoir lire ;Il faut avoir appris cet art mélodieuxDe parler dignement le langage des dieux ;Cet art qui, par les tons des phrases cadencées,Donne de l’harmonie et du nombre aux pensées ;Cet art de déclamer dont le charme vainqueurAssujettit l’oreille et subjugue le cœur.D’où vient, me diras-tu, cette brusque apostrophe ?Lisant pour m’éclairer, je lis en philosophe,Plus un écrit est beau, moins il a besoin d’art,Et le teint de Vénus peut se passer de fard.L’harmonieux débit que ta muse me vanteNe séduisit jamais une oreille savante.De cette illusion qu’un autre soit épris ;Mais la vérité nue a pour moi plus de prix.Eh quoi ! d’une lecture insipide et glacéeTu prétends attrister mon oreille lassée !Quoi ! traître, à tes côtés tu prétends m’enchaîner !À loisir, en détail, tu veux m’assassiner ;Dans de longs bâillements et des vapeurs mortellesEnsevelir l’honneur des œuvres les plus belles ;Et toujours méthodique, et toujours concerté,Des élans d’un auteur abaisser la fierté,Tomber quand il s’élève, et ramper quand il vole ?Ah ! garde pour toi seul ton scrupule frivole :Sois captif dans le cercle obscur et limitéQui fut tracé des mains de l’uniformité ;Aux lois de ton compas asservis Melpomène,Et la douleur de Phèdre et l’amour de Chimène,Ravale à ton niveau l’essor audacieuxDe l’oiseau du tonnerre égaré dans les cieux ;Meurs d’ennui, j’y consens : sois barbare à ton aise ;Mais ne m’accable pas sous un joug qui me pèse ;N’exige pas du moins, insensible lecteur,Que jamais je me plie à ton goût destructeur.Va, d’un débit heureux l’innocente imposture,Sans la défigurer embellit la nature ;Et les traits que la muse éternise en ses chants,Récités avec art, en seront plus touchants :Ils laisseront dans l’âme une trace durableDu génie éloquent empreinte inaltérable,Et rien ne plaira plus à tous les goûts diversQu’un organe flatteur déclamant de beaux vers.
François de Neufchâteau.
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L’Araignée et le Ver à soie.
L’Araignée en ces mots raillait le Ver à soie :— Bon Dieu, que de lenteur dans tout ce que tu fais !Vois combien peu de temps j’emploieÀ tapisser un mur d’innombrables filets.— Soit, répondit le Ver, mais ta toile est fragile ;Et puis, à quoi sert-elle ? à rien.Pour moi, mon travail est utile ;Si je fais peu, je le fais bien.
Le Bailly.
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La Diligence.
Clic ! clac ! clic ! holà ! gare ! gare !La foule se rangeait,Et chacun s’écriait :Peste ! quel tintamarre !Quelle poussière ! ah ! c’est un grand seigneur !C’est un prince du sang ! — c’est un ambassadeur !La voiture s’arrête ; on accourt, on s’avance :C’était… la Diligence,Et… personne dedans.Du bruit, du vide, amis, voilà, je pense,Le portrait de beaucoup de gens.
Gaudy.
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Le Pinson et la Pie.
— Apprends-moi donc une chansonDemandait la bavarde PieÀ l’agréable et gai Pinson,Qui chantait au printemps sur l’épine fleurie.— Allez, vous vous moquez, ma mie ;À gens de votre espèce, ah ! je gagerais bienQue jamais on n’apprendra rien.— Eh quoi ! la raison, je te prie ?— Mais c’est que, pour s’instruire et savoir bien chanter,Il faudrait savoir écouter,Et babillard n’écouta de sa vie.
Madame de La Férandière.
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La Guenon, le Singe et la Noix.
Une jeune Guenon cueillitUne Noix dans sa coque verte.Elle y porte la dent, fait la grimace… — Ah ! certes !Dit-elle, ma mère mentitQuand elle m’assura que les noix étaient bonnes.Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnesQui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit !Elle jette la Noix. Un singe la ramasse ;Vite entre deux cailloux la casse,L’épluche, la mange, et lui dit :— Votre mère eut raison, ma mie,Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.Souvenez-vous que dans la vieSans un peu de travail, on n’a point de plaisir.
Florian.
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Prière.
Notre Père des cieux, père de tout le monde,De vos petits enfants c’est vous qui prenez soin ;Mais à tant de bontés vous voulez qu’on réponde,Et qu’on demande aussi, dans une foi profonde,Les choses dont on a besoin.
Vous m’avez tout donné : la vie et la lumière,Le blé qui fait le pain, les fleurs qu’on aime à voir,Et mon père et ma mère, et ma famille entière ;Moi, je n’ai rien pour vous, mon Dieu, que la prièreQue je vous dis matin et soir.
Notre Père des cieux, bénissez ma jeunesse :Pour mes parents, pour moi, je vous prie à genoux ;Afin qu’ils soient heureux, donnez-moi la sagesse ;Et puissent leurs enfants les contenter sans cesse,Pour être aimés d’eux et de vous !
Madame Tastu.
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Portrait de l’Âne.
Instruit par un lourdaud, conduit par le bâton,Sa parure est un bât, son régal un chardon ;Pour lui Mars n’ouvre pas sa glorieuse école :Il n’est point conquérant, mais il est agricole ;Enfant, il a sa grâce et ses folâtres jeux ;Jeune, il est patient, robuste et courageux,Et paie, en les servant avec persévérance,Chez ses patrons ingrats sa triste vétérance.Son service zélé n’est jamais suspendu ;Porteur laborieux, pourvoyeur assidu,Entre ses deux paniers de pesanteur égale,Chez le riche bourgeois, chez la veuve frugale,Il vient, les reins courbés et les flancs amaigris,Souvent à jeun lui-même, alimenter Paris.Quelquefois, consolé par une chance heureuse,Il sert de Bucéphale à la beauté peureuse ;Et sa compagne enfin va dans chaque citéPorter aux teints flétris les fleurs de la santé.Il marche sans broncher au bord du précipice,Reconnaît son chemin, son maître et son hospice.De tous nos serviteurs c’est le moins exigeant ;Il naît, vieillit et meurt sous le chaume indigent !Aux injustes rigueurs dont sa fierté s’indigneSon malheur patient noblement se résigne.Enfin, quoique son aigre et déchirante voixDe sa rauque allégresse importune les bois,Qu’il offense à la fois et les yeux et l’oreille,Que le châtiment seul en marchant le réveille,Qu’il soit hargneux, revêche et désobéissant,À force de malheur l’âne est intéressant ;Aussi le préjugé vainement le maltraite,En dépit de l’orgueil il aura son poète.
Delille.
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L’Anniversaire.
Hélas ! après dix ans je revois la journéeOù l’âme de mon père aux cieux est retournée,L’heure sonne ; j’écoute… Ô regrets ! ô douleurs !Quand cette heure eut sonné, je n’avais plus de père :On retenait mes pas loin du lit funéraire ;On me disait : « Il dort ; » et je versais des pleurs.Mais du temple voisin, quand la cloche sacréeAnnonça qu’un mortel avait quitté le jour,Chaque son retentit dans mon âme navrée,Et je crus mourir à mon tour.Tout ce qui m’entourait me racontait ma perte ;Quand la nuit dans les airs jeta son crêpe noir,Mon père à ses côtés ne me fit plus asseoir,Et j’attendis en vain à sa place déserte,Une tendre caresse et le baiser du soir.Je voyais l’ombre auguste et chèreM’apparaître toutes les nuits ;Inconsolable en mes ennuisJe pleurais tous les jours, même auprès de ma mère. ;Ce long regret, dix ans ne l’ont point adouci :Je ne puis voir un fils dans les bras de son père,Sans dire en soupirant : J’avais un père aussi ! »Son image est toujours présente à ma tendresse,Ah ! quand le pâle automne aura jauni les bois,Ô mon père, je veux promener ma tristesseAux lieux où je te vis pour la dernière fois.Sur ces bords que la Somme arroseJ’irai chercher l’asile où ta cendre repose ;J’irai d’une modeste fleurOrner ta tombe respectée,Et, sur la pierre encorde larmes humectée,Redire ce chant de douleur.
Millevoye.
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La Feuille.
De ta tige détachée,Pauvre feuille desséchée,Où vas-tu ? — Je n’en sais rien.L’orage a brisé le chêneQui seul était mon soutien.De son inconstante haleine,Le zéphir ou l’aquilonDepuis ce jour me promèneDe la forêt à la plaine,De la montagne au vallon ;Je vais où le vent me mène,Sans me plaindre où m’effrayer ;Je vais où va toute chose,Où va la feuille de roseEt la feuille de laurier.
Arnault.
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Le Petit Savoyard.
J’ai faim ; vous qui passez, daignez me secourir.Voyez : la neige tombe et la terre est glacée ;J’ai froid : le vent se lève et l’heure est avancée,Et je n’ai rien pour me couvrir.
Tandis qu’en vos palais tout flatte voire envie,À genoux sur le seuil, j’y pleure bien souvent ;Donnez : peu me suffit ; je ne suis qu’un enfant ;Un petit sou me rend la vie.
On m’a dit qu’à Paris je trouverais du pain ;Plusieurs ont raconté, dans nos forêts lointaines.Qu’ici le riche aidait le pauvre dans ses peines ;Eh bien ! moi je suis pauvre, et je vous tends la main.Faites-moi gagner mon salaire :
Où me faut-il courir ? Dites, j’y volerai.Ma voix tremble de froid ; eh bien ! je chanterai,Si mes chansons peuvent vous plaire.Il ne m’écoute pas, il fuit ;
Il court dans une fête (et j’en entends le bruit)Finir son heureuse journée.Et moi, je vais chercher, pour y passer la nuit,Cette guérite abandonnée.
Au foyer paternel quand pourrai-je m’asseoirRendez-moi ma pauvre chaumière,Le laitage durci qu’on partageait le soir.Et quand la nuit tombait l’heure de la prièreQui ne s’achevait pas sans laisser quelque espoir.
Ma mère, tu m’as dit, quand, loin de ta demeureJe partis : Sois heureux, et reviens près de moi. —Hélas ! et, tout petit, faudra-t-il que je meureSans avoir rien gagné pour toi !
Non, l’on ne meurt point à mon âge ;Quelque chose me dit de reprendre courage.Eh ! que sert d’espérer ! Que puis-je attendre enfin !J’avais une marmotte, elle est morte de faim.
Et, faible, sur la terre il reposait sa tête :Et la neige, en tombant, le couvrait à demi,Lorsqu’une douce voix, à travers la tempête,Vint réveiller l’enfant par le froid endormi.
Qu’il vienne à nous celui qui pleure,Disait la voix, mêlée au murmure des vents ;L’heure du péril est notre heure ;Les orphelins sont nos enfants,
Et deux femmes en deuil recueillaient sa misère.Lui, docile et confus, se levait à leur voix.Il s’étonnait d’abord, mais il vit dans leurs doigtsBriller la croix d’argent au bout du long rosaire ;Et l’enfant les suivit, en se signant deux fois.
A. Guiraud.
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Les Souvenirs du Collège.
Pourquoi devant mes yeux revenez-vous sans cesse,Ô jours de mon enfance et de mon allégresse ?Qui donc toujours vous rouvre en nos cœurs presqu’éteint,Ô lumineuse fleur des souvenirs lointains ?En classe, un banc de chêne, usé, lustré, splendide,Une table, un pupitre, un lourd encrier noir,Une lampe, humble sœur de l’étoile du soir,M’accueillaient gravement et doucement ; mon maître,Comme je vous l’ai dit souvent, était un prêtre,Oh ! que j’étais heureux ! oh ! que j’étais candide !À l’accent calme et bon, au regard réchauffant,Naïf comme un savant, malin comme un enfant,Qui m’embrassait, disant, car un éloge excite :Quoiqu’il n’ait que neuf ans, il explique Tacite.Puis près d’Eugène, esprit qu’hélas !Dieu submergea, Je travaillais dans l’ombre, — et je songeais déjà,Tandis que j’écrivais — sans peur, mais sans système,Versant le barbarisme à grands flots sur le thème,Inventant aux auteurs des sens inattendus,Le dos courbé, le front touchant presqu’au Gradus,Je croyais, car toujours l’esprit de l’enfant veille,Ouïr, confusément, tout près de mon oreille.Les mots grecs et latins, bavards et familiers,Barbouillés d’encre, et gais comme des écoliers,Chuchoter, comme font les oiseaux dans une aire,Entre les noirs feuillets du lourd dictionnaire.Bruit plus doux que le bruit d’un essaim qui s’enfuit.Souilles plus étouffés qu’un soupir de la nuit,Qui faisaient, par instants, sous les fermoirs de cuivre,Frissonner vaguement les pages du vieux livre !Le devoir fait, légers comme de jeunes daims,Nous fuyions à travers les immenses jardins,Éclatant à la fois en cent propos contraires,Moi, d’un pas inégal je suivais mes grands frères ;Et les astres sereins s’allumaient dans les cieux ;Et les mouches volaient dans l’air silencieux ;Et le doux rossignol, chantant dans l’ombre obscure,Enseignait la musique à toute la nature ;Tandis qu’enfant jaseur, aux gestes étourdis,Jetant partout mes yeux ingénus et hardis,D’où jaillissait la joie en vives étincelles,Je portais sous mon bras, noués par trois ficelles,Horace et les festins, Virgile et les forêts,Tout l’Olympe, Thésée, Hercule, et toi, Cérès,La cruelle Junon, Lerne, et l’hydre enflammée,Et le vaste lion de la roche Némée.
Victor Hugo.