Chapitre XIII.
Genre oratoire, ou éloquence.
L’éloquence est un don et un art. Comme don, elle renferme la faculté d’être ému, qui vient de la nature ; comme art, c’est la faculté de communiquer aux autres l’émotion par le moyen de la parole.
C’est le cœur qui rend éloquent
dit Quintilien.
Il faut observer que l’éloquence peut exister indépendamment de la parole ; il suffit de l’émotion pour en produire l’effet : ainsi, il y a l’éloquence du regard, l’éloquence du geste, l’éloquence des larmes, et même l’éloquence du silence. Il y a de l’éloquence dans tout ce qui parle à l’âme et la remue, et toute parole qui ne va pas à l’âme n’atteint pas l’éloquence.
Ceux qui ont défini l’éloquence l’art de persuader, n’en ont donné qu’une idée incomplète et inexacte ; car, comme nous venons de le dire, l’art ne fait pas toute l’éloquence ; elle suppose toujours l’émotion éprouvée et transmise aux autres ; de plus, elle n’a pas toujours pour effet la persuasion : le poète, l’écrivain, l’orateur, peuvent être éloquents sans persuader, et persuader sans être éloquents.
§ I. Qualités de l’orateur.
Les anciens appelaient l’orateur un homme de bien, habile à bien dire. Ils montraient, par cette définition, que la vertu est inséparable de la vraie éloquence : c’est une vérité qui ne devrait jamais être oubliée.
L’émotion du cœur qui produit l’éloquence est le résultat d’une passion ; mais nous n’admettons comme bonnes et légitimes que les passions qui ont une noble aspiration vers le bien ; celles qui conduisent au mal peuvent avoir aussi une éloquence à elles ; mais cette éloquence, loin de pouvoir être proposée pour modèle, doit être combattue, comme tout ce qui a un principe vicieux et funeste. Le vice inspire mal l’orateur. Quand Démosthène, Cicéron, saint Bernard, Bossuet, Fénelon, ont remporté leurs beaux triomphes oratoires, c’est qu’ils étaient enflammés par de nobles pensées et par de vertueuses convictions. Un homme vicieux et hypocrite, qui voudrait singer le langage de la vertu, se trahirait bien vite derrière son masque. N’oublions pas ces belles paroles de Fénelon : « L’homme digne d’être écouté est celui qui ne se sert de la parole que pour la pensée, et de la pensée que pour la vérité et la vertu. »
§ II. Rhétorique.
L’étude de l’éloquence et des moyens de persuader, l’art de composer des discours et l’examen des chefs-d’œuvre des grands orateurs, sont l’objet de la science spéciale qu’on nomme rhétorique.
La rhétorique est donc le recueil des règles qui enseignent à bien parler et à bien écrire.
Ces règles ne créent pas l’éloquence, mais elles peuvent y conduire : elles sont le fruit de l’observation et de l’expérience.
La première partie de cet ouvrage a été consacrée à poser les règles de l’art de parler et d’écrire ; seulement, au lieu de restreindre ces principes, comme on le fait trop souvent, à l’éloquence et à la manière de composer des discours, nous les avons étendus à tous les genres de composition ; ce qui nous reste à faire ici, c’est d’étudier l’éloquence dans ses différentes applications.
On peut distinguer cinq espèces d’éloquence :
- L’éloquence de la chaire, ou éloquence sacrée ;
- L’éloquence de la tribune, ou éloquence politique ;
- L’éloquence du barreau, ou éloquence judiciaire ;
- L’éloquence militaire ;
- L’éloquence académique.
§ III. Éloquence de la chaire.
L’éloquence de la chaire est celle qui parle au nom de Dieu et de la religion, pour combattre l’erreur par le dogme ou par le raisonnement, et les passions par la morale.
La prédication religieuse s’appuie sur les saintes Écritures, sur la doctrine des Pères et des conciles.
C’est aux prêtres que Dieu a donné mission de prêcher et d’enseigner les vérités religieuses ; à eux appartient le droit de moraliser et de reprendre, à l’imitation des apôtres et de Jésus-Christ lui-même. Revêtu du caractère sacré, le prêtre est l’envoyé du ciel ; il est investi d’une autorité qui donne à sa parole quelque chose d’auguste et de solennel. Ministre de la vérité et de la vertu, il a à combattre de puissants ennemis : d’un côté, les erreurs de l’esprit, où la faiblesse et l’orgueil entraînent les hommes ; de l’autre, les passions du cœur, jamais satisfaites, jamais calmées. Mais le prêtre n’est pas un homme ordinaire, ni un orateur parlant en son propre nom ; du haut de la chaire, une auréole mystérieuse enveloppe sa tête ; il est placé entre le ciel et la terre ; il s’adresse au sentiment le plus vif et le plus profond de la conscience, au sentiment religieux ; il n’agite pas un intérêt d’un moment, mais un intérêt éternel. Le passé, l’avenir, l’homme placé
comme un point entre deux éternités
, selon la belle expression de Pascal ; tous les mystères de la vie et de la mort, dont la religion nous soulève le voile ; le perpétuel combat du bien et du mal, dans lequel la foi chrétienne vient interposer sa morale divine et son autorité : voilà les grandes et sublimes questions sur lesquelles s’exerce l’éloquence sacrée. Est-il rien de plus important, de plus solennel ?
Aussi l’éloquence sacrée n’est-elle pas un art ordinaire ; elle n’a pas besoin de ces ménagements, de ces artifices dont fait usage l’éloquence profane, et qui montrent qu’elle se défie de ses forces. La parole de Dieu est un glaive qui tranche au vif toutes les questions ; elle commande aux passions avec autorité ; elle impose à la raison, convaincue d’aveuglement et de faiblesse, des vérités surnaturelles enveloppées d’un nuage de mystère. Tantôt simple▶, onctueuse et persuasive, quand elle expose les douceurs de la vertu, les miracles de la charité, les miséricordes de la religion ; elle est hardie, impétueuse, foudroyante, quand elle tonne contre le vice, ou qu’elle annonce les grandes vérités de la foi.
Cependant, l’éloquence de la chaire ne s’appuie pas exclusivement sur l’autorité divine, elle emploie aussi les armes humaines du raisonnement, selon les auditeurs auxquels elle s’adresse ; elle sait aussi prouver que les vérités qu’elle enseigne ne sont pas contraires aux lois de la raison ; mais elle nous met en garde contre les erreurs et les faiblesses de l’esprit ; là où la raison trébuche, l’autorité étend sa main bienfaisante pour la soutenir. C’est ainsi que l’éloquence sacrée touche et enseigne, et qu’elle porte à la fois la conviction dans les cœurs et dans les esprits.
La qualité essentielle à un prédicateur est une foi ardente et profonde ; l’étude, la science, lui sont utiles sans doute, mais avec elles seules il n’aurait aucune action sur les âmes ; la rhétorique n’a jamais converti personne. Les apôtres, les Pères de l’Église, ne couraient pas après les fleurs du langage ni après les subtilités de la dialectique ; ils parlaient avec l’émotion et l’entraînement d’une âme convaincue, et les passions et l’erreur pliaient sous le souffle de leur parole inspirée.
Différentes sortes de discours sacrés.
L’éloquence sacrée peut revêtir les formes suivantes : le sermon, le prône, l’homélie, le panégyrique, l’oraison funèbre.
Le sermon est un discours régulier sur un sujet religieux. L’orateur choisit ordinairement pour point de départ un texte de l’Écriture qui sert comme de pivot à son discours, et il le divise en plusieurs parties qu’on appelle points : il y a rarement plus de trois points.
Le prône est un discours ◀simple▶, moins méthodique, moins solennel que le sermon : il roule sur l’épitre ou sur l’évangile du jour.
L’homélie est une sorte d’entretien, une instruction chrétienne où dominent la chaleur et l’onction ; elle a assez de ressemblance avec le prône. Les Pères de l’Église nous ont laissé beaucoup d’homélies.
Le panégyrique sacré est l’éloge d’un saint ; il a pour objet de célébrer les vertus des pieux héros que l’Église honore d’un culte particulier, et d’édifier les fidèles en les excitant à suivre leurs traces.
L’oraison funèbre est le panégyrique religieux d’un mort ; elle est surtout consacrée à la mémoire des princes et des grands. Ce discours a un double but : il fait ressortir la grandeur, les talents, les vertus du personnage qu’il célèbre, en le proposant à l’admiration et à l’imitation des auditeurs ; puis il montre la mort triomphant de la grandeur et de la gloire, et l’orgueil humain confondu devant l’égalité de la tombe. Par ce double enseignement, à la fois religieux et moral, l’oraison funèbre évite de tomber dans l’écueil d’une profane et plate adulation ; elle montre la main de la Providence dans tous les évènements humains, et rapporte toute la vie du personnage à la nécessité de pratiquer la piété et la vertu.
Le nom de Bossuet est inséparable de l’oraison funèbre : il a donné à ce genre un caractère de grandeur et de perfection sublime qui ne sera sans doute jamais surpassé.
L’oraison funèbre demande plus d’élévation, plus d’éclat que le sermon ; l’art oratoire peut y déployer toutes ses ressources, la majesté dans le ton, la vigueur-, la richesse dans les narrations et les tableaux, la force, la dignité dans le style29.
§ IV. Éloquence de la tribune.
L’éloquence de la tribune, nommée aussi éloquence politique ou parlementaire, comprend les discours prononcés dans les assemblées délibérantes sur les affaires publiques. C’est l’éloquence des hommes d’État, appelés à gouverner ou à diriger les peuples.
Dans la bouche d’hommes éclairés, intègres et dévoués au bien public, l’éloquence de la tribune a quelque chose de solennel et d’imposant, parce qu’elle est l’instrument de la justice, de la vérité et de la vertu ; elle parle le langage du bon sens et de la sagesse ; elle contribue au bien général. Mais dans la bouche de ces hommes turbulents et pervers, qui font de la tribune un piédestal pour leur vanité et leur ambition, cette éloquence oublie son but véritable, et dégénère en fléau ; elle soulève les passions avides et ignorantes, égare les esprits de la multitude et bouleverse l’ordre des sociétés.
L’éloquence de la tribune varie autant que les circonstances qui la font naître et que les auditeurs auxquels elle s’adresse : au milieu d’un sénat, dans une-assemblée de sages politiques, elle sera grave, réfléchie, pleine de simplicité et de raison ; elle s’occupera plus de discuter, de convaincre les esprits, que d’émouvoir les cœurs ; elle pourra préparer à loisir ses moyens de persuader, sa diction et son style. S’il s’agit de quelque question importante, d’une circonstance qui intéresse vivement le bien public ou le salut de la patrie, elle pourra s’élever, s’animer, devenir vive, impétueuse, passionnée ; l’argumentation prendra plus de nerf, plus de puissance, et, soutenue par l’émotion de l’orateur, elle entraînera la conviction de l’auditoire.
Devant un peuple assemblé, l’éloquence prend un autre ton, un autre caractère ; elle s’adresse moins à la logique qu’à la passion ; elle emprunte plus de puissance à la voix, au geste, au regard, aux images, qu’à l’enchaînement des mots et des idées ; elle sait que son triomphe tient à l’ébranlement momentané des cœurs. Cette éloquence est la plus dangereuse et la moins pure ; elle peut avoir de beaux élans d’inspiration, mais elle produit rarement des œuvres durables et dignes d’être conservées.
L’éloquence de la tribune est souvent improvisée. Il est rare que dans l’assemblée un orateur puisse prévoir le tour que prendra la discussion, les adversaires qu’il aura à combattre, les arguments, les opinions qu’il faudra réfuter ; un discours préparé d’avance ne trouve pas toujours la place ni l’à-propos qui lui convient. L’orateur est donc obligé souvent de parler sans préparation, d’improviser : c’est un talent qui tient à la nature, mais qui se développe par de fortes études et par une longue pratique. L’écueil de l’improvisation, c’est de manquer parfois de clarté, de méthode ; c’est d’être lâche, diffuse, négligée ; mais elle a sur un discours écrit l’avantage d’être plus vraie, plus émue, de mieux se mettre en communication avec le sujet et l’auditoire30.
§ V. Éloquence du barbeau, ou éloquence judiciaire.
Cette éloquence est ainsi nommée, parce qu’elle se déploie dans un tribunal devant les juges. Son but est d’accuser, de défendre et d’éclairer les délibérations judiciaires. L’orateur du barreau est-un avocat ou un magistrat qui doit prouver et convaincre ; il s’agit de faire condamner un coupable ou de faire absoudre un innocent, en s’appuyant sur la justice et sur la loi.
C’est donc un noble et saint ministère que celui de l’homme qui tient dans sa bouche la réputation, la vie de son semblable ; c’est une fonction qui demande toute la délicatesse de la conscience la plus pure, toute l’attention, toute l’étude, toute l’éloquence d’un talent élevé.
L’orateur du barreau doit connaître à fond la jurisprudence, ce qu’on appelle le droit : c’est le répertoire fondamental de la science judiciaire ; elle est renfermée dans les codes.
L’éloquence du barreau doit faire triompher la justice et la vérité ; il lui est défendu de se prêter à soutenir l’injustice et le mensonge. Un avocat ne peut donc soutenir comme juste une cause qu’il sait être mauvaise ; il mentirait à sa conscience, à la conscience publique ; il ne serait pas honnête homme. Ce qui lui est permis, s’il est convaincu de la culpabilité de son client, c’est de chercher à faire ressortir tout ce qui peut l’atténuer.
Le rôle de l’avocat est de défendre un accusé ; celui du magistrat public, président ou procureur, est de poursuivre le coupable pour venger la loi et la société outragées. On donne aussi au tribunal le nom de parquet.
L’éloquence judiciaire est assez bornée ; elle doit s’attacher à la discussion du vrai et du faux, du juste et de l’injuste ; il s’agit de prouver plutôt que d’émouvoir. Ce n’est pas que l’orateur ne puisse être animé, chaleureux, pressant. Il peut, il doit même mettre de l’art dans son discours, bien ordonner ses preuves, les développer avec vigueur, argumenter avec l’élan de la conviction ; enfin, dans certains cas où le sentiment n’est pas déplacé, il peut avoir recours aux mouvements pathétiques et faire partager à l’auditoire la passion qui l’anime.
Mais l’orateur du barreau doit éviter les recherches du langage et les ornements fleuris de la rhétorique, la prolixité qui fatigue le juge et affaiblit la cause, les arguments étrangers au sujet, les citations inutiles et pédantesques, les mouvements passionnés hors de saison, les éclats, les contorsions qui annoncent moins de conviction que d’impuissance.
L’éloquence judiciaire comprend plusieurs sortes de discours, dont les uns sont parlés et les autres seulement écrits ; ce sont ;
1° Les plaidoyers, discours d’un avocat pour défendre un client ; 2° les réquisitoires, discours d’un magistrat public, dans le but de requérir, au nom de la société, le châtiment d’un coupable ; 3° les mémoires, discours écrits pour éclairer les questions judiciaires ; 4° les rapports, résultats des enquêtes de la justice, où la cause se trouve relatée ; 5° les consultations, sorte de mémoires écrits par un avocat sur une cause pour laquelle on le consulte31.
§ VI. Éloquence militaire.
L’éloquence militaire s’adresse aux soldats avant la bataille. Un général, pour exciter l’ardeur de ses troupes, leur adresse une harangue ou une proclamation.
Les harangues militaires étaient fort en usage dans l’antiquité. Celles que les historiens mettent si souvent dans la bouche des généraux n’ont pas toujours été prononcées telles qu’on les lit, mais elles sont au moins vraisemblables.
Chez les modernes, ces harangues sont rares ; elles se réduisent le plus souvent à quelques mots éloquents destinés à se propager dans les rangs de l’armée pour électriser sa valeur. Henri IV trouva souvent à propos ces élans d’éloquence guerrière ; il disait, à la bataille d’Ivry :
« Compagnons, vous êtes Français, je suis votre roi, voilà l’ennemi ; nous courons aujourd’hui même fortune. Enfants, si les cornettes vous manquent, ralliez-vous autour de mon panache blanc : vous le trouverez toujours sur le chemin de l’honneur. »
Napoléon, avant la bataille des Pyramides, disait :
« Soldats, souvenez-vous que, du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent ! »
Aucune harangue peut-être n’est comparable aux paroles suivantes, que La Rochejaquelein disait aux Vendéens soulevés contre la République : « Si j’avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi. »
Il est d’usage maintenant que les chefs d’armée, avant une bataille, adressent aux troupes un discours écrit qu’on nomme proclamation. Plusieurs des proclamations de Napoléon sont des chefs-d’œuvre d’éloquence énergique, ◀simple▶ et concise.
§ VII. Éloquence académique.
L’éloquence académique comprend les discours prononcés dans les académies ou les sociétés savantes.
Ce genre a surtout pour but de plaire ; il n’offre pas l’intérêt vif et puissant de l’éloquence de la chaire, de la tribune et du barreau. Son utilité n’est que secondaire ; il n’est ordinairement qu’une brillante gymnastique de pensée et de style. On peut y déployer un art pompeux, des images éclatantes et hardies, une harmonie périodique et soutenue. Pourtant il faut une certaine retenue dans ces ornements ; la pensée ne doit pas être entièrement sacrifiée à l’élégance et à la recherche ; cet excès de richesse engendre la satiété, la monotonie : le style devient déclamatoire : c’est le défaut qu’on reproche souvent au genre académique.
Voici les différentes espèces de discours qui se rapportent à l’éloquence académique :
1° Les discours de réception, prononcés par un membre nouvellement élu à l’Académie. Cet usage s’est introduit à l’Académie française depuis la réception de Patru en 1640. Cet avocat fit un discours de remerciements à la société des quarante immortels, et il fut tellement goûté, que, depuis, tout récipiendaire fut obligé d’en faire autant. D’après l’usage établi, le nouvel élu doit louer son prédécesseur ; le président lui répond, et fait son éloge en même temps que celui de l’académicien décédé. Pendant longtemps le discours de réception resta purement élogieux ; on avait coutume d’y rendre hommage au roi et au cardinal de Richelieu, fondateur de l’Académie. Voltaire, le premier, imagina de secouer cet usage, et de traiter une question littéraire ; ce qu’il fit avec son talent habituel. Depuis, on a suivi cet exemple. Buffon prononça un discours remarquable sur le style : on a vu même de nos jours les questions politiques envahir les paisibles solennités de l’Académie.
2° Les éloges historiques et les questions de concours. Les académies proposent, pour le prix d’éloquence qu’elles doivent décerner, les éloges des écrivains- distingués, des grands hommes dont l’humanité s’honore, ou bien des questions philosophiques, morales, littéraires. C’est une heureuse pensée qui excite l’émulation des écrivains, l’intérêt du public, et agrandit le domaine de l’éloquence. Au lieu de se renfermer dans les bornes étroites et monotones de l’éloge, les concurrents académiques prennent un vol plus élevé ; ils ne s’évertuent plus, comme Thomas dans ses Éloges, à balancer harmonieusement des périodes, à courir après les effets du style ; plusieurs ont produit d’excellents morceaux de critique, des dissertations aussi solidement pensées que bien écrites32.
3° Le panégyrique profane est un discours à la louange d’un personnage célèbre. Les Apologies de Socrate, par Platon et par Xénophon, peuvent se rapporter à ce genre. Tel est encore le Panégyrique d’Athènes, par Isocrate ; le Panégyrique de Trajan, par Pline ; le Panégyrique de Louis XIV, par Pellisson.
4° L’oraison funèbre profane. C’est un hommage rendu à la mémoire des morts, et souvent prononcé sur leur tombe. Cet éloge a pour but moral d’inspirer aux vivants le respect des morts, et de proposer leurs vertus comme exemple. On le trouve en usage chez les Égyptiens, en Grèce, à Rome, chez presque tous les peuples. Thucydide nous a conservé le beau discours de Périclès en l’honneur des guerriers morts dans la première année de la guerre du Péloponnèse.
L’éloquence ne se trouve pas exclusivement dans les discours parlés ou écrits, comme ceux dont nous venons d’étudier les divers caractères ; elle peut exister dans les ouvrages destinés à convaincre les esprits et à toucher les cœurs. Il y a de l’éloquence partout où le style s’anime et prend l’empreinte de l’émotion de l’écrivain. C’est ainsi qu’on trouve l’éloquence dans les ouvrages du moraliste et du philosophe, dans les récits de l’historien, dans les vers du poète, et parfois même dans une ◀simple lettre. Nous croyons inutile d’entrer dans le détail de ces différentes sortes d’éloquence ; elles se rattachent à celles qui précèdent, et ce que nous avons dit plus haut suffit pour que l’homme de goût et de sentiment puisse apprécier l’éloquence partout où elle se trouve.