(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre X. Genre pastoral. »
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(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre X. Genre pastoral. »

Chapitre X.
Genre pastoral.

La poésie pastorale est un petit tableau dramatique de la vie champêtre, dont les personnages sont ordinairement des bergers ; elle nous montre les mœurs de la campagne avec des charmes qui nous les font aimer.

Il ne faut pas croire que la poésie pastorale appartienne à l’âge d’or ou à la vie patriarcale ; elle n’en est qu’un reflet lointain et un souvenir ; elle apparaît aux époques où la civilisation, déjà avancée, incline vers la corruption et la décadence. C’est alors, en effet, que les hommes, blasés sur les plaisirs tumultueux et factices des cités, se reportent, par le souvenir, aux douces jouissances des temps primitifs ; ils éprouvent le besoin d’aller se retremper aux sources du beau et du vrai, c’est-à-dire dans la nature. ! Ainsi, c’est par contraste que la poésie pastorale trouve de l’écho dans les âmes. Théocrite, Virgile, Florian sont des poètes de cour qui prouvent la vérité de ce que nous venons de dire.

La poésie pastorale est donc une sorte d’idéal fictif et 1’allégorique ; elle chante la campagne à la ville ; elle l’aime l en imagination plus qu’en réalité ; ses bergers sont des bergers de convention ; les scènes rustiques sont embellies des riantes couleurs de la poésie.

La pastorale ne peut, il est vrai, entrer dans la réalité, trop souvent grossière et pénible, de la vie des gens de la campagne : rien n’est moins heureux ni moins poétique. D’un autre côté, elle doit craindre, en voulant l’embellir, de sortir du naturel et de tomber dans l’affectation et le raffinement, comme l’a fait Florian. Il faut tenir un certain milieu entre ces extrêmes. Les bergers doivent être placés à une époque où régnaient l’aisance, l’égalité, l’innocence ; il ne faut montrer que le côté poétique, riant et gracieux de leur existence ; leur langage sera simple et naïf, sans grossièreté comme sans recherche et sans bel esprit ; ils plairont par l’innocence et l’ingénuité de leurs mœurs. La campagne sera ainsi présentée sous son point de vue le plus aimable et le plus attrayant, dans un idéal vraisemblable.

§ I. Églogue et idylle.

La poésie pastorale ou bucolique comprend l’idylle et l’églogue : le mot idylle veut dire petite pièce, petit tableau ; et le mot églogue, pièce de choix. La différence entre ces deux genres est à peu près nulle.

Il y a des poésies pastorales qui se rapprochent du genre lyrique, d’autres du genre narratif ; d’autres, enfin, sont de petits drames où le poète fait parler ses personnages. Cette variété nous fait voir que la pastorale s’est permis de traiter toutes sortes de sujets. Dans Théocrite, le Combat de Pollux et d’Amycus est un morceau épique ; dans Bion, le Chant funèbre d’Adonis appartient à l’élégie : mais la vraie pastorale doit toujours être champêtre. Écoutons ce qu’en dit Boileau :

Telle qu’une bergère, au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête, !
Et, sans mêler à l’or l’éclat des diamants,
Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements ;
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,
Doit éclater sans pompe une élégante idylle.
Son tour simple et naïf n’a rien de fastueux,
Et n’aime point l’éclat d’un vers présomptueux.
Art poétique.

§ II. Historique de la pastorale.

L’Écriture sainte nous offre d’admirables modèles de la vie pastorale dans le tableau de l’existence des patriarches. Le livre de Ruth est une véritable églogue pleine de pureté et de simplicité : Florian l’a mise en vers avec bonheur.

Théocrite, né à Syracuse, passa en Égypte à la cour de Ptolémée Philadelphe. Dans ses idylles, il peint les mœurs champêtres avec une simplicité et une vérité inimitables ; ses vers sont pleins de grâce et d’harmonie ; Bion et Moschus, ses contemporains, sont moins naturels.

Virgile imita Théocrite sans l’égaler ; ses églogues pèchent par l’uniformité et la monotonie des personnages. Admirable dans son style, il lui manque la naïveté qui caractérise son modèle.

Il est difficile, en effet, à la pastorale de rester dans cette région moyenne que nous avons indiquée : en voulant éviter la bassesse, elle tombe presque aussitôt dans l’excès contraire, c’est-à-dire dans l’affectation et la subtilité. Les Italiens, portés naturellement au faux brillant, n’ont pas manqué de donner à leurs bergers ie jargon raffine du bel esprit et de la galanterie.

En France, Racan, Segrais et madame Deshoulières ont des traits heureux, mais beaucoup d’imperfections. Lamotte, Fontenelle, Florian sont des bergers poudrés, musqués et spirituels, qui ne promènent jamais leur houlette que dans les salons et les palais.

Seul parmi les modernes, Gessner marche à côté de Théocrite et de Virgile. Il a retrouvé la pastorale dans les montagnes de l’antique Helvétie, au milieu des mœurs patriarcales et des vertus de l’âge d’or. La pastorale, naturellement froide, monotone et fade, s’est embellie et agrandie sous sa plume par des tableaux touchants et des scènes attendrissantes de famille.

Aujourd’hui l’églogue est passée de mode : ce n’est pas que l’on sente moins vivement la nature ; au contraire, l’admiration pour la campagne et pour les œuvres du Créateur est plus vive et plus vraie que jamais, mais ce sentiment s’épanche en élans lyriques et passionnés ; ou bien l’imagination, enivrée d’admiration, se donne carrière dans la poésie descriptive. Il y a, dans le Jocelyn de Lamartine, une sorte d’épilogue sur les laboureurs qui laisse bien loin tous les tableaux champêtres anciens et modernes27.