(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre VII. Satire. »
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(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre VII. Satire. »

Chapitre VII.
Satire.

Son origine.

La satire touche de près à la comédie ; chez les Grecs, elle prit même naissance sur le théâtre : les comédies d’Aristophane sont essentiellement satiriques. Le poète, alors, ne se contentait pas de censurer en général les vices et les travers de l’homme, il traduisait les individus sur la scène, avec leur nom, leur costume, leur physionomie : cette licence ne put être arrêtée que par des lois sévères.

À Rome, la satire commença aussi sur le théâtre, dans les vers fescenniens. Ennius la tira de la place publique, et en composa ces poèmes pleins de variété et de malice qui prirent le nom de satires, mot qui voulait dire mélange. Lucilius, qui vint ensuite, donna à la satire un tour nouveau et une forme plus piquante. Boileau a fort bien caractérisé les satiriques latins dans les vers suivants :

Lucile, le premier, osa la faire voir ;
Aux vices des Romains présenta le miroir,
Vengea l’humble vertu de la richesse altière,
Et l’honnête homme à pied du faquin en litière.
Horace à cette aigreur mêla son enjouement :
On ne fut plus ni fat ni sot impunément ;
Et malheur à tout nom qui, propre à la censure,
Put entrer dans les vers sans rompre la mesure !
Perse, en ses vers obscurs, mais serrés et pressants,
Affecta d’enfermer m’oins de mots que de sens.
Juvénal, élevé dans les cris de l’école,
Poussa jusqu’à l’excès sa mordante hyperbole.
Ses ouvrages, tout pleins d’affreuses vérités,
Étincellent pourtant de sublimes beautés.

Règles de la satire.

La satire est un discours en vers, où l’on attaque directement les vices et les travers des hommes, de même que les erreurs de l’esprit et le mauvais goût littéraire.

La satire n’a pas pour but de publier les vices et les scandales, d’exciter les passions haineuses ni de repaitre la malignité publique. Elle ne doit pas remuer la fange ni étaler de cyniques tableaux, sinon elle corrompt les mœurs au lieu de les corriger ; Juvénal mérite ce reproche.

La vraie satire attaque les vices généraux de la-société, frappe le ridicule sans avilir les personnes, flétrit le mal, le préjugé, l’erreur, sans sortir des bornes des convenances, sans blesser le goût ni la pudeur. Sous ce rapport, Boileau, dans ses satires, est un modèle de bon ton et d’esprit.

Le style de la satire doit briller par la vivacité et l’énergie : il doit mordre et laisser au front du vice des stigmates ineffaçables ? car si la satire ne corrige pas, elle punit au moins le mal. L’iambe était le vers autrefois consacré â la satire.

La satire, ordinairement peu étendue, prend quelquefois de larges dimensions ; on l’appelle alors poème satirique ; tels sont : les Tragiques de d’Aubigné, la Dunciade de Pope, les Délateurs de Dupaty.

L’épigramme est la menue monnaie de la satire24.