(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre VI. »
/ 233
(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre VI. »

Chapitre VI.

§ I. Apologue, ou fable.

L’apologue est une petite épopée ou l’on peut mettre en action les dieux, les hommes, les animaux et les êtres inanimés.

Le but de la fable est de présenter une instruction utile, que l’on nomme moralité.

Une instruction directe, qui ressemble à une remontrance, peut souvent choquer notre amour-propre : on n’aime pas à être corrigé par ses égaux ; on redoute les leçons austères d’un supérieur. La fable, en couvrant d’un voile ingénieux et agréable l’image de la raison et du devoir, nous instruit et nous corrige par une insinuation douce et bienveillante. Son langage n’a rien d’impérieux ; elle plaît à l’enfance, à l’âge mûr et à la vieillesse. Si elle est présentée avec une tournure heureuse et piquante, avec un style simple, riant, gracieux et surtout naïf, elle revêt un charme inexprimable ; elle devient un puissant auxiliaire pour initier l’homme à la sagesse, aux idées morales et pratiques, aux règles du bon sens, de la justice et de la raison.

Qualités de l’apologue.

L’action de la fable, comme celle de l’épopée, doit avoir de l’unité, de la justesse, du naturel ; de plus, il faut qu’elle ait une étendue convenable, mais sans longueurs, avec un commencement, un milieu et une fin.

L’action de la fable est allégorique, et couvre toujours une vérité morale.

La vérité doit naître de la fable , dit Lamotte. Cette vérité ou moralité doit en sortir naturellement et sans effort.

L’auteur l’exprime ordinairement lui-même par une sorte de sentence courte et frappante, qu’il place au commencement ou à la fin du récit. Le plus souvent la moralité termine l’apologue, pour laisser au lecteur le temps et le plaisir de la deviner : la fable y gagne en intérêt. Quelquefois le sens moral est tellement clair qu’on se dispense de l’exprimer.

La simplicité et la naïveté font les plus grands charmes de la fable. Ces deux qualités découlent du naturel et du vrai, c’est-à-dire de l’espèce de bonne foi ingénue et crédule avec laquelle l’auteur expose son récit.

La simplicité et la naïveté n’excluent pas une légère pointe de finesse et de malice, mais sans recherche ni affectation ; l’esprit doit se cacher sous une apparence de bonhomie qui fasse illusion : nulle part le bel esprit n’est plus déplacé que dans la fable.

De tous les fabulistes connus, c’est La Fontaine en France, et Kryloff en Russie, qui nous semblent l’expression la plus complète du génie de la fable ; ils en ont porté la perfection à un degré inimitable et sublime ; leur popularité tient surtout à ce que chacun d’eux a reproduit admirablement le caractère de sa nation.

Origine de l’apologue.

L’apologue paraît avoir pris naissance dans l’imagination vive et métaphorique des Orientaux, qui croyaient à la métempsycose, et prêtaient aux animaux le sentiment et la raison ; c’est chez eux que nous trouvons les plus anciens apologues, employés dans les discours religieux, moraux et philosophiques. Ce n’était donc pas dans l’origine un genre de littérature, mais un accessoire du discours, un moyen énergique et agréable de rendre plus sensibles certaines vérités.

L’Inde nous présente les fables de Bidpai ou Pilpai, et l’Arabie celles de Lokman, traduites de nos jours.

Les Grecs reçurent sans doute la fable de l’Orient ; Hésiode a placé dans un de ses poèmes celle de l’Épervier et du Rossignol ; Stésichore adressa aux Himériens celle du Cheval et du Cerf. Le Phrygien Ésope, qu’on a regardé à tort comme l’inventeur de l’apologue, légua aux Grecs la sagesse orientale de ses fables, mais de vive voix et sans rien écrire ; il fit sentir le premier la puissance de ce moyen oratoire, auquel il dut sa célébrité. La franchise de son langage le fit précipiter, à Delphes, du haut d’un rocher. Ses ingénieux récits restèrent dans la mémoire des hommes, et l’on en fit par la suite différents recueils en prose. Ces fables étaient d’une simplicité et d’une brièveté extrêmes. Socrate, pour tromper l’ennui de sa prison, entreprit de mettre en vers les fables d’Ésope, et montra le premier qu’on pouvait faire de l’apologue un genre particulier de composition.

À Rome, Ménénius-Agrippa avait ramené le peuple mutine du Mont-Sacré dans la ville, en lui racontant la fable des Membres et de l’Estomac. Phèdre, esclave grec amené à Rome et affranchi par Auguste, imita Ésope, et se montra original avec succès ; ses fables sont courtes, ses vers élégants et d’un style très pur.

La fable convenait singulièrement à l’esprit fin et naïf de nos pères : outre les nombreux fabliaux que nous présente le moyen-âge, citons le recueil de fables de Marie de France, tirée en partie d’Ésope.

La Fontaine a puisé à toutes les sources : il a copié, imité, traduit ; et pourtant jamais écrivain n’atteignit un plus haut degré d’originalité. C’est qu’il a su tellement s’identifier avec tous les sujets, les revêtir d’un caractère et d’un style tellement inimitables, qu’il est arrivé à personnifier la fable en lui-même. En faisant agir et parler ses personnages sous les yeux du lecteur, il a fait de la fable.

Une ample comédie à cent actes divers23.
La Fontaine.

§ II. Métamorphose.

La métamorphose se rapproche de la fable : elle raconte les transformations fabuleuses des êtres et leurs changements de nature. Ovide a composé plusieurs livres de métamorphoses, et les a revêtues de toutes les richesses de son style. La Fontaine en a imité quelques-unes, telles que les Filles de Minée, Philémon et Baucis.

§ III. Conte.

Le conte en vers est un récit fabuleux, dont le but est d’amuser et d’instruire. Il est plus hardi, plus aventureux que la fable et l’épopée ; son allure est libre et capricieuse : comme il n’est jamais pris au sérieux, il peut étendre son domaine dans les régions les plus lointaines de la fantaisie. Il doit régler sa marche et sa longueur d’après l’intérêt qu’il inspire. On aime à y voir des scènes dialoguées, ingénieuses et piquantes, où les caractères et les mœurs se joignent avec finesse et vivacité : tels sont les contes d’Andrieux, etc.