Chapitre V.
Genre didactique et descriptif en vers.
§ I. Poésie didactique.
Le poème didactique, comme son nom l’indique, est celui qui a pour but spécial d’instruire. Il s’adresse moins à l’imagination qu’à la raison. Il peut embrasser tous les sujets sérieux, tels que les sciences, les arts, la morale, la religion.
Dans les autres genres de poésie, l’instruction est subordonnée à l’amusement ; dans celui-ci, c’est l’amusement qui est subordonné à l’instruction. L’auteur prend le ton dogmatique, il enseigne : il oublie la fiction pour parler le langage de la vérité.
Le poème didactique est une sorte de traité régulier sur un sujet sérieux et utile ; il s’attache à poser les principes d’un art ou d’une science, à prouver une vérité philosophique ou morale ; mais il revêt son langage de tous les charmes de la versification.
Le poème didactique est surtout exposé à un écueil, la froideur. Pour traiter avec charme un sujet sérieux, l’auteur doit rechercher trois qualités essentielles : l’intérêt du sujet même, l’ordre, la beauté de l’élocution.
Le sujet doit avoir un fond solide et intéressant, qui donne à l’imagination quelque prise.
L’ordre est surtout nécessaire dans une composition où la raison a la plus grande part. Pourtant cet ordre ne doit pas être trop apparent, trop rigoureux : il en résulterait une sécheresse pédantesque et rebutante. Les idées doivent s’enchaîner par des liens de fleurs.
Pour rompre la monotonie du poème didactique et reposer le lecteur en l’amusant, on y introduit des descriptions et des épisodes ; l’art consiste à les amener naturellement, et à les bien encadrer dans le sujet. Virgile excelle sous ce rapport : les épisodes de ses Géorgiques sont des morceaux achevés.
Enfin, le style doit être le principal ornement du poème : c’est par là que le sujet se relève et s’embellit. On aime à voir le poète lutter contre les difficultés d’une matière stérile, l’enrichir de tous les trésors de l’imagination, l’orner de figures, de tours harmonieux et hardis, et nous enchanter en nous instruisant. La clarté, la justesse, la précision, sont aussi des qualités indispensables à ce style21.
§ II. Poésie descriptive.
Le poème descriptif est une extension, un abus du poème didactique ; il décrit pour décrire, sans avoir précisément une intention morale ou un but scientifique.
Ce genre appartient aux temps modernes. Les anciens étaient sobres de détails ; ils voyaient surtout l’objet dans l’ensemble, d’un coup d’œil synthétique ; ils se contentaient de le décrire en peu de mots, par les traits les plus saillants. Les modernes ont l’esprit d’analyse et d’observation joint à un goût minutieux et raffiné ; ils s’arrêtent curieusement autour de chaque objet, et ne l’abandonnent souvent qu’après en avoir épuisé la peinture ; ils aiment à se perdre dans les détails, dans la contemplation vague et la rêverie mélancolique : c’est de cette tendance qu’est né le genre descriptif en vers comme en prose.
Ce genre est le plus facile, parce qu’il ne demande ni invention, ni ordre, ni ensemble, ni disposition de parties ; il présente une succession de tableaux dont chacun séparément peut avoir du mérite, mais dont la réunion offre une fastidieuse monotonie.
Le poète qui décrit cherche à briller par l’imitation de la nature, par la symétrie des vers, par la cadence habilement calculée, par la pompe des mots et l’harmonie des sons ; mais cette poésie, qui lutte d’expression avec la nature, parle plus à l’oreille qu’à l’âme, et est trop souvent vague et creuse ; elle s’avilit en devenant un ingénieux mais puéril mécanisme. Delille, avec sa merveilleuse facilité pour tout décrire en vers, nous fait bien sentir, par la fatigue qu’il nous cause, le grave inconvénient des poèmes purement descriptifs.
La description a sans doute des charmes : en nous détaillant les beautés de la création, elle élève notre âme au Créateur ; mais il faut qu’elle soit bornée, et que la vie ou le sentiment l’anime. L’homme est fait pour l’action ; le poème, qui marche et agit, convient mieux à sa nature. Lamartine, dans son poème intitulé Jocelyn, nous offre de ravissantes descriptions, mais qui fatiguent par leur richesse même et leur abondance22.
Nous devons rapprocher du genre didactique la fable, la satire et l’épître, qui ont aussi pour but d’enseigner quelque chose.