(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre II. »
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(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre II. »

Chapitre II.

§ I. Genre lyrique.

Le chant lyrique est, en général, l’expression de l’enthousiasme, le langage du sentiment inspiré. Ce qui le caractérise, c’est l’élan spontané, l’émotion vive du poète, la marche impétueuse de sa pensée.

1° Caractère de cette poésie chez les anciens.

Chez les peuples primitifs, le poète était musicien i il préludait sur sa lyre, il s’animait au bruit de l’harmonie, il se donnait le ton et la mesure, il chantait, il composait d’inspiration ; les paroles naissaient en même temps que la musique ; de là une concordance parfaite entre le rythme musical et le rythme poétique.

Cette poésie antique était la plus vraie et la plus complète ; c’était un cri d’amour et de reconnaissance envers Dieu, un transport d’admiration pour des vertus héroïques ou des actions sublimes ; elle fut le plus ancien de tous les arts, le produit de l’imagination et de l’inspiration réunies.

2° Caractère de cette poésie chez les modernes.

Plus tard, quand l’inspiration diminua, la poésie devint plus calme, plus réfléchie ; elle cessa de demander des émotions à la lyre et se sépara de la musique. On continua pourtant d’imiter les formes et les expressions de l’antique poésie ; on laissa à cette imitation dégénérée le nom de poésie lyrique ; les poètes répétèrent souvent : Je chante, et parlèrent toujours des accords de la lyre, en travaillant péniblement leurs vers dans le silence du cabinet.

Pourtant la poésie lyrique a rencontré de nobles interprètes, même parmi les modernes, quand une émotion vive et véritable a échauffé leur verve. Lamartine a trouvé, dans le sentiment chrétien et dans l’admiration de la nature, des élans lyriques qui ne nous laissent rien à envier à l’antiquité.

3° Désordre lyrique.

Dans la poésie lyrique, le poète n’a pas une marche régulière ; sa course est impétueuse et vagabonde ; son sentiment le presse et part comme un torrent qui rompt ses digues. Il passe du ciel à la terre, il parcourt la nature entière ; dans la fougue de ses pensées, il ne saisit que les plus remarquables ; il peut se passer de transitions, et laisser dans sa marche un désordre apparent qui produit plus d’effet que l’ordre lui-même.

Le ton élevé du poème lyrique, la vivacité de l’enthousiasme qui y règne, ne permettent pas de lui donner une grande étendue. Quand le poète a épuisé tous les côtés saillants de son sujet, il l’abandonne pour ne pas affaiblir l’impression qu’il a produite : l’inspiration dure peu, surtout quand elle est forte ; elle s’épuise par elle-même.

Il est une inspiration céleste que nous ne pouvons comparer à celle de la terre : c’est celle qui se manifeste dans les Livres saints, et qui a pour interprète les cantiques de Moïse et de David ; rien de plus sublime que les pensées et les images qui remplissent ces chants. La prophétie de Joad, dans l’Athalie de Racine, reproduit avec un bonheur incomparable le mouvement lyrique des Livres sacrés : aussi n’avons-nous rien de plus beau dans notre langue.

Mais d’où vient que mon cœur frémit d’un saint effroi ?
Est-ce l’Esprit divin qui s’empare de moi ?
C’est lui-même : il m’échauffe, il parle ; mes yeux s’ouvrent,
Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.
Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords,
Et de ses mouvements secondez mes transports.
Cieux, écoutez ma voix ; terre, prête l’oreille.
Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille !
Pécheurs, disparaissez ; le Seigneur se réveille.
Comment en un plomb vil l’or pur s’est-il changé ?
Quel est dans le lieu saint ce pontife égorgé ?
Pleure, Jérusalem ; pleure, cité perfide,
Des prophètes divins malheureux homicides ;
De son amour pour toi ton Dieu s’est dépouillé ;
Ton encens à ses yeux est un encens souillé…
   Où menez-vous ces enfants et ces femmes ?
Le Seigneur a détruit la reine des cités ;
Ses prêtres sont captifs, ses rois sont rejetés ;
Dieu ne veut plus qu’on vienne à ses solennités.
Temple, renverse-toi ; cèdres, jetez des flammes.
   Jérusalem, objet de ma douleur,
Quelle main en un jour t’a ravi tous tes charmes ?
Qui changera mes yeux en deux sources de larmes,
          Pour pleurer ton malheur ?

          Quelle Jérusalem nouvelle
Sort du fond des déserts brillante de clartés,
Et porte sur son front une marque immortelle ?
          Peuples de la terre, chantez !
Jérusalem renaît plus charmante et plus belle.
          D’où lui viennent de tous côtés
Ces enfants qu’en son sein elle n’a point portés ?
Lève, Jérusalem, lève ta téta altière ;
Regarde tous ces rois de ta gloire étonnés ;
Les rois des nations, devant toi prosternés,
          De tes pieds baisent la poussière ;
Les peuples à l’envi marchent à ta lumière.
Heureux qui, pour Sion, d’une sainte ferveur
          Sentira son âme embrasée !
          Cieux, répandez votre rosée,
   Et que la terre enfante son Sauveur !

4° Différentes formes de la poésie lyrique.

La poésie lyrique n’a pas toujours l’élan sublime de l’enthousiasme ; elle peut aussi se plier à une inspiration plus légère et plus gracieuse ; elle peut prendre tous les tons, depuis l’hymne jusqu’à la chanson.

§ II. De l’ode.

Le poème lyrique prend généralement le nom d’ode, qui signifie chant. Boileau la définit ainsi :

L’ode avec plus d’éclat, mais non moins d’énergie,
Élevant jusqu’au ciel son vol ambitieux,
Entretient dans ses vers commerce avec les dieux.
Aux athlètes, dans Pise, elle ouvre la barrière,
Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière.
Son style impétueux souvent marche au hasard :
Chez elle un beau désordre est un effet de l’art.
Art poétique.

Chez les anciens, l’ode était chantée et représentée sur la scène ; elle se composait de plusieurs parties ou stances, qui prenaient le nom de strophe, antistrophe et épode, et qui correspondaient à certains mouvements du chœur. Telles étaient les odes de Pindare, ainsi que les chœurs des tragédies de Sophocle.

Chez les modernes, le chant lyrique est- souvent libre, mais l’ode a une forme déterminée, le poète arrange à son gré la strophe, mais toutes les strophes doivent se ressembler par le nombre et la disposition des vers.

L’ode prend différents noms, suivant le caractère de l’inspiration et l’objet du chant.

1° Ode sacrée.

L’ode sacrée, nommée particulièrement hymne ou cantique, chante la Divinité ; elle est consacrée au fêtes religieuses, aux solennités des temples.

2° Dithyrambe.

Le dithyrambe était un hymne consacré à Bacchus, dieu du vin ; le ton enthousiaste de ce chant le faisait ressembler au délire de l’ivresse. Nous verrons plus loin que c’est du dithyrambe que sortit chez les Grecs l’art dramatique. De nos jours ce genre est peu en usage : il sert à exprimer les mouvements les plus impétueux de l’imagination et du cœur. Le plus connu en France est le dithyrambe de Delille sur l’immortalité de l’âme.

3° Odes diverses. Poésie légère.

L’ode varie de ton selon les sujets qu’elle chante : elle est héroïque, si elle célèbre les exploits ou le génie des grands hommes, les grands événements qui agitent le monde ; morale ou philosophique, si elle roule sur un sujet sérieux de morale, d’art ou de science ; badine, si l’objet du chant est simple, léger et gracieux. Horace, chez les Latins, nous a laissé d’admirables modèles de ces différentes espèces d’odes ; son génie facile se pliait à tous les tons, depuis le plus élevé jusqu’au plus simple, depuis l’inspiration pindarique jusqu’au simple billet en vers, à la manière d’Anacréon.

C’est à l’ode badine que nous pouvons rattacher ce qu’on appelle en France la poésie légère, muse sémillante et folâtre, dont l’esprit français s’est comme approprié le domaine. Elle aime à se jouer au soleil et parmi les fleurs ; elle séduit par l’abandon et la grâce ; elle éblouit par le reflet de ses couleurs vives et chatoyantes. Voltaire est inimitable dans ce genre qui convenait admirablement à son esprit fin, souple et gracieux. Chaulieu et Gresset s’y sont aussi distingués.

4° Chanson.

La poésie légère touche de près à la chanson, qui est comme une miniature de la poésie lyrique. La chanson est l’expression de ce qu’il y a de plus vif, de plus léger, de plus gai dans l’esprit humain. Elle effleure chaque objet ; elle n’a point de caractère fixe ; elle sourit, elle provoque, elle égratigne. Tantôt douce et tendre, tantôt piquante et moqueuse, elle prend tous les tons, elle joue en passant avec tous les sentiments du cœur ; mais elle aime surtout le plaisir, l’enjouement et l’esprit. La chanson, par la forme multiple de son inspiration, se rapproche tour à tour de l’épigramme, du madrigal, de l’élégie, de la pastorale, et même de l’ode, comme nous le voyons souvent dans Béranger.

La France est par excellence le pays de la chanson : c’est comme un fruit naturel de cette terre où l’on aime avant tout l’esprit et la gaieté. Le moindre incident fait naître des couplets : victoires et défaites, plaisirs et amours, personnes et choses, on chansonne tout, on s’amuse de tout; on est satisfait quand, on a lancé une plaisanterie ou quelques rimes ; en un mot, comme dit le proverbe : Tout finit en France par des chansons. La Ligue et la Fronde faisaient la guerre autant avec des chansons qu’à coups d’épée. « Le peuple chante ? disait Mazarin, qui venait d’établir un nouvel impôt, il payera. »

Le style de la chanson doit être rapide, léger, brillant comme les ailes du colibri ; il doit se jouer du rythme et de la rime, et-ne sentir nulle part le travail et la difficulté.

Les strophes de la chanson se nomment couplets ; la fin de chaque couplet est ordinairement aiguisée par une pensée fine et délicate.

On distingue plusieurs espèces de chansons : la chanson érotique et la romance, qui célèbrent l’amour (Anacréon, célèbre poète grec, a laissé son nom au genre anacréontique, qui chante aussi l’ivresse et l’amour) ; la chanson satirique, dont le nom indique assez l’objet ; la chanson bachique, qui chante le vin, etc.

La chanson satirique s’appelait autrefois vaudeville, mot qui vient probablement de voix de ville, parce que la chanson faisait son butin des bruits qui couraient par la ville. D’autres font venir ce mot de veau de Vire, parce que l’un de nos plus anciens chansonniers, Olivier Basselin, chantait dans la vallée (vau) de Vire, en Normandie. Boileau a fort bien caractérisé le vaudeville :

Le Français, né malin, forma le vaudeville,
Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,
Passe de bouche en bouche et s’accroit en marchant.
Art poétique.

5° Cantate.

La cantate est un chant lyrique destiné à être mis en musique. Ce genre a été créé et porté à sa perfection par J.-B. Rousseau. On cite surtout de lui la cantate de Circé12.