(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Première partie. Principes de composition et de style. — Chapitre premier. De l’art de la composition en général. »
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(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Première partie. Principes de composition et de style. — Chapitre premier. De l’art de la composition en général. »

Chapitre premier.
De l’art de la composition en général.

La composition littéraire est le talent de trouver des idées, de les disposer avec ordre, et de les exprimer, de les revêtir d’un style convenable. On voit par cette définition qu’il y a nécessairement trois opérations à faire en composant : l’invention, la disposition et l’élocution.

1° L’invention consiste à trouver ce que l’on doit dire. Si le sujet a été indiqué à l’avance, il faut le méditer profondément, afin d’en pénétrer toutes les parties. Cette méditation, en échauffant l’imagination, mettra en mouvement les idées, fera revivre les souvenirs, et fournira les ressources nécessaires pour préparer l’ensemble du travail.

2° La disposition a pour but de mettre en ordre les idées fournies par l’invention, c’est-à-dire de tracer le plan général que l’on doit suivre, de manière que chaque chose soit mise à sa place, que les idées s’enchaînent naturellement : de cet ordre naît la clarté, et les transitions d’une partie à l’autre se présentent d’elles-mêmes.

3° L’élocution, qu’on appelle aussi style, consiste à exprimer ses idées par la parole ou par l’écriture. Quand on a travaillé son sujet par la réflexion et qu’on en a disposé les parties avec ordre, le moment est venu de se livrer à l’élan de l’esprit et de l’imagination. Si l’écrivain a bien médité son sujet, s’il s’est fait un plan, « il s’apercevra aisément, dit Buffon, de l’instant auquel il doit prendre la plume ; il sentira le point de maturité de la production de l’esprit ; il sera pressé de la faire éclore ; il n’aura même que du plaisir à écrire ; la chaleur naîtra de ce plaisir, se répandra partout, et donnera de la vie à chaque expression ; tout s’animera de plus en plus ; le sentiment se joignant à la lumière, l’augmentera, la fera passer de ce qu’on a dit à ce qu’on va dire, et le style deviendra intéressant et lumineux. »

Il est donc important de profiter de ce premier mouvement de verve qui suit la méditation ; il est ordinairement fécond en sentiments vifs, en pensées nobles et élevées ; c’est une flamme qui est d’autant plus précieuse qu’elle dure moins longtemps. Combien de chefs-d’œuvre littéraires et artistiques sont dus à cette inspiration, quand elle s’est manifestée chez des hommes de génie !

Mais quand même on ne sentirait pas cet entraînement qui porte à écrire, ce n’est pas une raison pour abandonner la composition : bien des personnes attendraient en vain l’inspiration du ciel ; elle n’est accordée qu’à un petit nombre d’élus. La plupart du temps la composition est un travail lent et réfléchi, auquel doit présider la volonté ferme de réussir. Sans cette volonté énergique, qui soutient le travail et l’étude, il est impossible d’arriver au succès.

D’ailleurs il s’agit surtout, en écrivant, non de faire vite, mais de faire bien. De la précipitation naissent forcément beaucoup d’imperfections dans l’ensemble et d’incorrections dans les détails. C’est pour cela que Boileau enseignait à Racine à faire difficilement des vers faciles. La légèreté dans le travail ne produit jamais que des œuvres faibles et médiocres. Les discours de Démosthène sentaient l’huile, disaient ses adversaires : aussi ont-ils conquis l’admiration des siècles.

C’est pourquoi ce premier travail de la composition ne suffit pas ; celui qui s’en contenterait prouverait qu’il a l’esprit léger et présomptueux, et en même temps qu’il s’inquiète peu de se perfectionner dans l’art d’écrire. Il faut donc revenir sur son ouvrage, le corriger, le polir, le limer avec le plus grand soin :

Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Boileau, Art poét.

Il est impossible que, dans le premier jet, une quantité de fautes ne nous soient échappées : ce sont des constructions embarrassées, des mots répétés ou impropres, parfois même des pensées fausses ; il s’agit de faire disparaître tous ces défauts. Le travail de la révision est donc d’une importance extrême : il faut se juger soi-même sévèrement, examiner l’ensemble et les détails, retrancher, ajouter, éclaircir selon le besoin, et même recommencer, s’il est nécessaire. C’est ainsi qu’en ont usé tous les grands écrivains qui ont voulu arriver à la perfection. Buffon, à l’âge de soixante ans, disait qu’il apprenait encore tous les jours à écrire. Les jeunes gens qui se contentent de jeter leurs idées sur le papier, sans réflexion, sans ordre, qui ne relisent pas avec un soin scrupuleux leurs compositions, peuvent être assurés que leurs progrès seront nuls, et qu’ils écriront toujours mal.

Il ne faut pourtant pas tomber dans l’excès contraire, et corriger sans cesse de manière à enlever à un ouvrage son animation, son naturel, sa facilité : il y a des bornes à tout.

Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire.
Boileau.

§ I. Des qualités nécessaires à la composition.

Pour arriver à bien écrire, il faut observer certaines règles, sans lesquelles la composition serait un exercice peu profitable ; les principales sont : 1° l’unité, 2° l’ordre, 3° la convenance.

1° Aucune œuvre n’est parfaite si elle ne possède l’unité, c’est-à-dire si les diverses parties ne forment un tout homogène, où rien ne soit disparate ni choquant. C’est cet ensemble qui constitue l’harmonie. Ce qui rend admirable les œuvres du Créateur, c’est l’unité harmonieuse qui y brille : cherchons à reproduire cette harmonie dans nos ouvrages, et nous parviendrons à la beauté.

Pour qu’une composition soit une, il faut que toutes ses parties se rapportent à un centre commun, c’est-à-dire à une idée ou à un fait général. On ne doit jamais perdre le sujet de vue ; il faut éviter les digressions qui nous jetteraient à côté, et rendraient la composition obscure et traînante.

L’unité n’empêche pas de mêler au sujet la variété, si cela est nécessaire : on évite ainsi l’uniformité et la monotonie ; c’est le bon sens et le goût qui doivent guider en cela.

À l’unité de matière, il faut joindre l’unité de ton et de style ; si l’on commence d’une manière gaie et enjouée, il ne faut pas prendre tout à coup une allure froide et sévère ; le style de la comédie choquerait dans la tragédie, et réciproquement.

2° L’ordre naît de l’unité. Si toutes les parties de la composition s’enchaînent et vont au même but, les idées sa rangent d’eues- mêmes dans un ordre naturel ; cette liaison produit la clarté, et de la clarté naît l’intérêt, marque infaillible de succès.

Si la composition est bien ordonnée, on évitera les longueurs, qui rebutent l’attention du lecteur, et lui causent de la fatigue et de l’ennui à la place du plaisir qu’il croyait trouver.

3° La convenance consiste à se conformer aux exigences du sujet que l’on traite, à tenir compte de sa propre position et du but que l’on veut atteindre. Il est plus facile à chacun de sentir les convenances que de les expliquer dans un livre théorique, car elles peuvent varier à l’infini, selon les circonstances.

Par exemple, si le sujet est léger, il ne faut pas le traiter en style grave et pompeux ; on ne doit pas raisonner là où il convient d’exprimer du sentiment. Le théâtre grec, admirable en soi, ne serait pas goûté sur notre scène ; une fable doit être courte, sinon elle perd son charme et ennuie le lecteur.

Évitez aussi de développer certaines parties au détriment des autres, mais donnez à chacune une étendue convenable : c’est surtout de la justesse des proportions que naît l’harmonie de l’ensemble.

Il arrive souvent qu’avant d’aborder le sujet on se lance dans de longs détours, on s’enfonce dans les antécédents, on développe outre mesure le préambule, et puis le temps ou les idées manquent pour traiter le sujet lui-même : c’est comme si l’on faisait une statue qui aurait une tête monstrueuse et un corps maigre et fluet. Pour éviter cet écueil, tracez-vous un plan général, et entrez aussitôt dans le vif de la question.

Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué.
Boileau.