Avertissement.
Quel est le but de toute éducation littéraire ? C’est d’enseigner à parler et à écrire avec grâce, avec élégance, avec talent ; c’est de former le goût et l’imagination ; c’est, enfin, d’apprendre à juger sainement les ouvrages d’esprit.
La littérature forme donc la base essentielle de toutes nos connaissances ; elle se mêle à toute notre vie : c’est le flambeau de l’intelligence. L’homme en qui n’est pas développé le goût littéraire, a comme un sens de moins : il ne peut participer aux plus douces et aux plus pures jouissances de la vie intellectuelle.
L’éducation littéraire embrasse l’homme tout entier.
Elle n’a pas pour but, sans doute, de ne former que des littérateurs de profession ; elle est simplement une initiation à la vie de la pensée. Elle n’est ennemie ni des sciences ni des arts ; au contraire, elle les aide de ses lumières ; elle grandit en tout l’horizon de l’esprit humain.
L’utilité de la littérature n’est contestée par personne.
Quels sont les moyens les plus convenables pour développer dans la jeunesse le sentiment littéraire ? Il y en a de deux sortes : les uns sont pratiques, les autres théoriques. Les moyens pratiques sont la lecture, l’étude des bons auteurs, et l’exercice de la composition ; les moyens théoriques sont l’étude des règles de l’art d’écrire et l’histoire critique de la littérature.
Selon nous, il faut faire marcher de front ces diverses études, qui doivent s’éclairer et se soutenir mutuellement pour aboutir au même résultat. La théorie n’est rien sans la pratique, nous le savons ; les poétiques et les rhétoriques ne suffiront jamais, seules, pour former un poète ou un orateur. Mais on ne peut nier que les préceptes ne soient aussi d’une utilité indispensable pour diriger les premiers essais de la jeunesse, pour éclairer son goût et former son jugement ; autrement, il faudrait supposer que l’art d’écrire peut être livré à l’arbitraire, et que le caprice, le hasard doit être le seul maître en fait d’éducation. Tout art, toute science a des principes, des règles dont on ne peut s’écarter impunément ; sans cela, le bon goût ne serait plus qu’un mot vide de sens. Étudier les préceptes en même temps que la pratique, c’est la condition indispensable du succès.
De plus, il y a dans un art, quel qu’il soit, des termes de convention, une nomenclature adoptée, une langue particulière qu’il faut apprendre pour s’initier aux secrets de cet art. La technologie littéraire est d’un usage commun, mais elle n’est pas toujours bien comprise.
Combien n’avons-nous pas vu de jeunes élèves▶ se servir des mots goût, imagination, talent, génie, beau, sublime ; parler de la poésie lyrique, de l’élégie, de l’épopée, etc. ; et quand on leur demandait une explication précise de chacun de ces objets, rester court, ou balbutier des non-sens !
Le livre que nous présentons aujourd’hui à la jeunesse renferme deux parties distinctes qui peuvent s’étudier simultanément : la première est une théorie générale de l’art d’écrire ; la seconde, une étude des genres de littérature en vers et en prose. Nous avons cherché à y rendre les idées littéraires aussi simples, aussi claires que possible. Nous croyons cet ouvrage utile aux ◀élèves▶ qui, après avoir terminé les classes de grammaire, veulent commencer un cours suivi, raisonné, progressif de littérature, où la pratique s’appuie constamment sur les préceptes.
L’histoire de la littérature, si intéressante et si utile quand elle est bien faite, suppose toujours une connaissance suffisante des principes de l’art d’écrire, et des genres tant en vers qu’en prose ; sinon elle est peu profitable, et souvent même inintelligible. Comment analyser Corneille, Racine, Molière, si l’on ne connaît pas les règles principales de l’art dramatique ; Bossuet, si l’on ne sait ce que c’est que l’éloquence ; J.-B. Rousseau, Lamartine, si l’on n’a pas étudié la nature et les formes de la poésie lyrique ; Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, Delille, si l’on n’a une idée du genre didactique et descriptif ? Préciser ses idées, se rendre compte de ses connaissances ; c’est le seul moyen de les fixer à jamais dans son esprit. Voilà pourquoi, dans cet ouvrage, nous avons voulu être à la fois court et complet. Nous y avons exposé tout ce qui peut servir de base aux études littéraires. Nous en avons banni toute citation latine. Les textes que nous donnons comme exemples à l’appui des règles sont généralement courts ; il eût été facile de les multiplier et de les étendre ; mais les chrestomathies sont toujours là pour fournir au besoin des modèles.
La plupart des traités sur l’art d’écrire sont des rhétoriques où l’on enseigne fort au long la manière de composer un discours. Mais l’enseignement littéraire n’a pas pour but de ne former que des orateurs. Combien peu de jeunes gens trouvent dans la suite l’application de ces préceptes ! Quelles sont les femmes qui ont à écrire des oraisons à la manière de Cicéron et de Démosthène ? Ces exercices, il est vrai, sont excellents pour former la pensée et le style ; mais il ne faut pas se renfermer exclusivement dans le discours ; surtout il ne faut pas débuter par là, car c’est le genre de composition le plus difficile.
Nous avons voulu, dans la première partie, généraliser l’enseignement de l’art d’écrire. Nous avons fait une part pour la rhétorique et le discours, mais brève et succincte. Nous avons donné une place convenable au style épistolaire. Enfin, après avoir posé les règles de la description, de la narration et de la dissertation, nous avons parlé de l’analyse critique, en en donnant un modèle qui puisse guider dans ce genre de travail : nous recommandons cet exercice comme un excellent moyen de former le goût et le jugement.
La seconde partie, qui contient l’étude des genres, est précédée d’une sorte d’esthétique générale. Nous y parlons de la poésie, non pas seulement comme forme littéraire, mais aussi comme expression suprême de la création divine et des créations humaines dans tous les arts ; nous la montrons partout, comme l’auréole de l’inspiration et de l’imagination dans le génie et le talent. Nous cherchons à préciser ce qu’on entend par idéal ; ce que c’est que le beau et le sublime, soit dans la nature, soit dans leur rapport avec la poésie et les arts. Puissions-nous avoir rendu ces notions assez nettes et assez claires pour qu’elles soient accessibles à tous et faciles à retenir !
Après avoir exposé une étude complète des genres de composition en vers, nous avons introduit un abrégé des règles de la versification française. Nous croyons cette étude d’une utilité incontestable, non pour former des poètes, — les vrais poètes sont aussi rares que les fleurs de l’aloès, — mais pour donner à la jeunesse une idée de l’harmonie du vers. On ne peut ni bien lire ni bien comprendre la poésie française, si l’on n’a pas quelques notions de la prosodie. Qui empêcherait même d’exercer les ◀élèves▶ au mécanisme du vers ? On fait bien faire aux jeunes gens, dans nos collèges, de mauvais vers latins pendant plusieurs années. En faisant comprendre aux ◀élèves▶ que de mauvais vers français ne sont pas de la poésie, on les garantirait peut-être pour toujours de la manie de rimer ; ils auraient plus d’oreille, plus de goût, et moins de prétentions.
L’étude des genres en prose qui termine l’ouvrage renferme un tableau complet de l’éloquence, de l’histoire et du roman ; nous avons fait un historique de ce dernier genre, dont nous avons signalé avec soin les dangers et les abus.
Sur l’observation qu’on nous a faite que nous avions été trop sobre de citations et d’exemples, nous avons ajouté, dans cette seconde édition, un certain nombre de morceaux littéraires pour appuyer les préceptes ; pourtant nous supposons toujours, ou que les ◀élèves▶ ont entre les mains une chrestomathie, ou que le maître y supplée par des lectures choisies d’après son goût et selon les besoins des ◀élèves.