(1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Résumé. » pp. 388-408
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(1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Résumé. » pp. 388-408

Résumé.

Chapitre premier.

La rhétorique est l’art de communiquer et de faire partager aux autres nos idées et nos sentiments à l’aide de la parole et de l’écriture.

Cet art serait impuissant sans la nature, c’est-à-dire sans certaines facultés innées qui nous font saisir et formuler les rapports dans le domaine intellectuel, comme les sens perçoivent et apprécient les rapports dans le domaine physique.

Or, ces facultés existent à divers degrés, organiquement ou accidentellement, dans l’immense majorité de l’espèce humaine, et elles sont perfectibles par la méthode et l’exercice.

La rhétorique qui comprend cette méthode et cet exercice est donc possible et utile.

Considérée étymologiquement, elle ne signifie que l’art de parler, mais le sens de ce mot s’est modifié et étendu, et exprime aujourd’hui l’art d’écrire tout entier, quel que soit le sujet traité et la forme employée.

La rhétorique suppose donc :

La nature ou les facultés innées,

La méthode ou l’exposition raisonnée des règles et des préceptes,

La pratique ou l’exercice de la composition à laquelle se rattache l’étude et l’imitation des modèles.

Chapitre II.

Les facultés innées indispensables à la rhétorique et qui constituent l’intelligence, sont la mémoire, le jugement et l’imagination.

La mémoire conserve et retrouve les idées ;

Le jugement les compare, les choisit, les coordonne ;

L’imagination les manifeste, les embellit, les vivifie.

Avant d’aborder la rhétorique, il faut donc avoir exercé préalablement ces trois facultés. De tous les exercices propres à les agrandir et à les fortifier, le plus efficace est cet ensemble d’études auquel on a donné le nom d’humanités et qui s’occupe surtout de la langue nationale et des langues anciennes. Il faut étudier ces langues dans leur vocabulaire et dans leur grammaire, méthodiquement et historiquement, c’est-à-dire dans le présent et le passé.

La rhétorique est le complément des humanités.

Elle se divise en trois parties corrélatives aux trois facultés principales de l’intelligence : l’invention, la disposition et l’élocution.

Les préceptes de l’invention viennent eu aide à la mémoire pour retrouver le fond des idées ;

Ceux de la disposition au jugement pour établir l’ordre dans les idées ;

Ceux de l’élocution à l’imagination pour donner la forme aux idées.

L’invention consiste donc dans l’acquisition des idées ou du moins dans la recherche des procédés qui en facilitent l’acquisition.

Il y a plusieurs moyens de parvenir à l’invention.

Le premier est l’observation attentive, assidue et intelligente de soi, des hommes et des choses.

Le second est la science, c’est-à-dire l’observation dans le passé.

Le troisième est la méditation des idées acquises et de celles qu’on veut traiter.

Le quatrième est l’étude analytique et synthétique des ouvrages bien pensés et bien écrits, et les exercices de composition graduellement distribués.

Chapitre III.

Dès que l’élève a ajouté par ces moyens aux facultés inventives que lui a données la nature, il peut traiter un sujet.

Le choix du sujet n’est pas indifférent. Le sujet doit présenter les conditions suivantes :

Être moral, ou du moins n’avoir rien de contraire à la moralité ;

Ètre intéressant, c’est-à-dire, amuser, instruire ou toucher, et, s’il est possible, réunir ces trois qualités ou au moins deux d’entre elles ;

Ètre fécond, c’est-à-dire susceptible de développements ;

Ètre en rapport avec le talent et les forces de l’écrivain ;

Prêter à la grâce ou à la puissance du style.

Sont incompatibles avec la grâce ou la puissance du style :

Tout sujet qui n’a pas un caractère bien tranché ;

Tout sujet qui implique la confusion des genres ;

Tout sujet qui repose sur une donnée fausse ou puérile ;

Tout sujet qui ne présente pas un intérêt assez général.

Chapitre IV.

Le sujet une fois choisi, il reste à le développer.

Tous les préliminaires indiqués pour l’invention du sujet, observation, connaissances, méditation, exercices, préparent également à l’invention des développements.

L’art y ajoute ce que les anciens appelaient topiques, lieux ou lieux communs.

La théorie des topiques consiste en trois points :

Études générales pour préparer aux spécialités ;

Lieux externes, comprenant tout ce qui, en dehors du sujet, peut cependant s’y rapporter : témoignages, autorités, pièces et ouvrages sur la matière à traiter.

Lieux internes, pris dans le sujet même et ressortant uniquement de son examen, phénomènes de l’idée. Ces derniers peuvent se diviser en deux classes :

D’abord les lieux internes applicables à presque tous les sujets, et à l’ensemble aussi bien qu’aux parties. Ils sont au nombre de trois :

La définition, on explication de l’idée dont le mot est le signe ;

La notation ou étymologie, explication du mot dont l’idée est le sens ;

L’analyse ou énumération des parties de l’idée, à laquelle on procéde de trois manières :

Ou l’analyse est précédée d’une synthèse ;

Ou elle est suivie d’une synthèse ;

Ou elle est placée entre deux synthèses.

Chapitre V.

Ensuite, les lieux internes applicables seulement à certains sujets et aussi plutôt aux parties qu’à l’ensemble du sujet. On peut les réduire aux suivants :

Le genre et l’espèce ;

Les antécédents et les conséquents ;

La cause et l’effet ;

Les circonstances ou accessoires ;

Les semblables et les contraires.

L’idée à traiter peut gagner beaucoup en développements, si on la rapproche successivement de chacun de ces topiques, et si l’on emploie ceux d’entre eux qui peuvent lui être applicables.

Chapitre VI.

L’étude des mœurs et des passions n’est pas moins féconde pour l’invention, puisque les observations à cet égard ont pour objet l’homme et la nature dans un temps, un lieu et des circonstances données, et que le sujet le plus habituel de l’écrivain est nécessairement la nature et l’homme.

Pour connaître et reproduire la nature, l’écrivain doit l’étudier dans ses phénomènes réguliers et irréguliers.

Pour connaître l’homme, l’écrivain doit d’abord s’étudier lui-même, puis étudier les autres dans les diverses modificacations que leur font subir les éléments suivants : l’âge, le sexe, le tempérament, le climat, le pays, le siècle, la religion, les institutions politiques et sociales, l’éducation, les travaux et les habitudes journalières, enfin, la combinaison de tous ces éléments avec les objets naturels ou artificiels qui les environnent, ce qui constitue la couleur locale.

L’auteur doit ajouter à cette étude celle de ses propres rapports avec ses auditeurs ou ses lecteurs, ce qui constitue les bienséances.

Chapitre VII.

L’étude des mœurs considère l’individu dans son état normal et habituel, l’étude des passions considère l’espèce dans les accidents identiques qui l’affectent, en se modifiant d’après les circonstances individuelles.

Dans les passions, comme dans les mœurs, l’écrivain doit s’étudier d’abord ; mais comme il n’est pas absolument nécessaire, pour peindre ou inspirer la passion, de l’éprouver ou de l’avoir éprouvée soi-même, et qu’il suffit de la bien comprendre, il doit l’étudier aussi dans les autres, dans les assemblées publiques, dans la société intime, enfin, dans les écrivains qui ont su le mieux la traiter.

Il remarquera dans ces écrivains non-seulement l’art de peindre ou d’inspirer la passion, mais aussi ce que nous appellerons le talent de passionner un sujet, c’est-à-dire d’y intéresser le lecteur, en s’y intéressant vivement soi-même.

Presque tous les sujets sont susceptibles de passion, mais il faut savoir préparer la passion, ne pas en abuser et l’éviter là où elle serait déplacée.

Chapitre VIII.

Quand on a trouvé toutes ou presque toutes les idées qui doivent entrer dans un sujet, il s’agit de les disposer.

La disposition, qui met dans les idées l’ordre et l’enchaînement nécessaires pour que chacune soit à sa place et produise son effet, n’est pas moins indispensable que l’invention.

On se fait d’abord un plan général dans lequel n’entrent que les premières vues et les pensées principales.

La qualité essentielle à donner à ce plan c’est l’unité.

On distingue plusieurs espèces d’unités : unité d’action, d’intérêt, de mœurs, de ton, enfin unité de dessein, la plus importante, qui consiste à établir dans un écrit un point fixe auquel tout se rapporte, un but unique vers lequel tout se dirige.

L’unité de dessein bien déterminée, on distribue les groupes d’idées, et ensuite les détails de ces groupes, on assigne à chaque idée sa place d’après leur génération et leur dépendance, c’est-à-dire de manière que chacune d’elles amène la suivante, et que celle-ci, conduisant à son tour à une autre, serve en même temps à la précédente d’explication ou de développement.

C’est là ce qui constitue l’enchaînement des idées.

Des résumés et des analyses raisonnées de divers écrits habituent l’élève à reconnaître et à reproduire lui-même cet enchaînement.

Chapitre IX.

Les règles ayant pour principes la satisfaction de nos besoins intellectuels, et notre esprit ne demandant point seulement l’unité et l’enchaînement des idées, mais encore l’harmonie, la variété et la gradation, il faut aussi s’occuper des points suivants :

Juste étendue de l’ouvrage, en sorte qu’il ne soit ni trop vaste ni trop resserré ;

Juste proportion des parties de l’ouvrage, et entre elles, et dans leur rapport avec l’ensemble et la forme adoptée ;

Épisodes et digressions, admissibles, pourvu qu’ils ne soient ni fréquents, ni longs, ni trop étrangers au sujet, ni déplacés ;

Transitions, auxquelles l’enchaînement parfait des idées dispense presque toujours d’avoir recours, la transition artificielle n’étant nécessaire que quand deux idées ou absolument opposées, ou tout à fait semblables, doivent être rapprochées, ici sans monotonie, là, sans disparate ;

Contrastes, utiles pour éviter la trop grande uniformité, mais qu’il faut employer avec ménagement et sans exagération ;

Gradation et préparation oratoire, presque toujours indispensable, surtout quand il s’agit d’entraîner les esprits ou de peindre les passions.

Outre ces observations qui s’appliquent à l’ensemble de l’ouvrage, il y en a de spéciales pour les diverses parties, pour le commencement, le milieu et la fin d’un écrit.

Chapitre X.

Le commencement ou début d’un ouvrage doit être conforme à la nature de l’écrit tout entier.

Dans les ouvrages didactiques et narratifs, il suffit en général de définir ou d’exposer clairement le sujet.

Dans les autres il faut en outre chercher à inspirer au lecteur la bienveillance, l’attention, la docilité.

Ces deux principes renferment toutes les règles du début.

Le début du poëme épique consiste dans l’exposition et l’invocation.

Le drame se contente de l’exposition dialoguée.

Les discours de la chaire commencent par la proposition et la division, qui doit être complète, naturelle et graduée.

Le début dans l’éloquence de la tribune et du barreau se nomme exorde.

Parfois on le supprime et l’on entre immédiatement dans le fait ou dans la passion. Cette dernière forme s’appelle exorde ex abrupto.

Quand l’exorde est indispensable, comme il arrive presque toujours au barreau, les rhéteurs en indiquent cinq sources différentes. L’orateur le tire :

Ou de lui-même et de son client, ou des adversaires, ou des juges, ou de la cause, ou de quelque circonstance extérieure qu’il rattache à la cause.

Le début, quel qu’il soit, ne doit être :

Ni trop brillant et trop étudié ;

Ni vulgaire, c’est-à-dire pouvant appartenir à plusieurs sujets ;

Ni commun, c’est-à-dire pouvant être également employé par l’adversaire ;

Ni étranger au sujet, ou même disparate dans ses rapports avec le sujet.

Chapitre XI.

Après l’exorde, on entre dans le sujet même.

Sans vouloir donner les règles de disposition de chaque groupe d’idées dans tous les genres possibles, et en se bornant aux plus importants, on remarque que :

Dans les écrits qui ont pour objet l’exposition des faits, racontés ou dialogués, l’ordre chronologique ou la gradation de l’intérêt trace la marche à suivre ;

Dans les compositions didactiques et oratoires, il y a diverses manières de procéder :

Ou l’on commence par une synthèse que développe ensuite l’analyse ;

Ou l’on saisit un détail de l’analyse, et de détail en détail on parvient à la synthèse ;

Ou l’on oppose à une thèse, l’opinion contraire que l’on appelle antithèse, et l’on concilie les deux opinions par une troisième qui prend le nom de synthèse.

Mais la méthode la plus ordinaire est d’exposer d’abord le fait ou la doctrine, ensuite de les développer et de les prouver, enfin de combattre les opinions opposées : c’est ce qu’on nomme narration ou thèse, confirmation et réfutation.

La narration doit être claire, précise, vraisemblable, intéressante.

On parvient à ces qualités en saisissant bien et en ne perdant jamais de vue le point culminant, c’est-à-dire le but, l’objet principal de la narration ou thèse.

A la narration qui est l’exposé des faits, il faut ajouter la description qui est l’exposé des choses.

En général, la description se rattache à la narration et ne doit s’y montrer que lorsqu’elle y est utile et opportune.

Elle doit être d’ailleurs claire, précise, variée, originale, et, s’il est possible, pathétique.

Les rhéteurs nomment la description des lieux topographie,

Celle du temps, chronographie,

Celle des personnes, prosopographie et éthopée,

La description vive, colorée, animée, hypotypose,

La narration ou description dans laquelle l’auteur s’exalte jusqu’à faire agir et parler les êtres animés et inanimés, prosopopée.

Chapitre XII.

La description des personnes, nommée aussi caractère ou portrait, peut représenter au physique, au moral, ou sous les deux aspects, un être réel ou imaginaire.

Les portraits, admis surtout dans le genre didactique, l’éloquence et l’histoire, ne doivent offrir que des figures dignes de fixer l’attention, être ou fidèles, ou vraisemblables, s’ils sont inventés, opportuns et variés.

Deux caractères mis en opposition se nomment parallèles.

Souvent on peint mieux les personnages en les faisant parler que par des portraits proprement dits. C’est ce qu’on nomme dialogue.

Le dialogue doit être naturel, c’est-à-dire, conforme au caractère et à la position des interlocuteurs, aller au but, ne se produire qu’à propos quand il n’est pas lui-même le sujet de l’œuvre.

Le dialogue didactique et philosophique peut s’employer dans les questions importantes ; il doit, autant que possible, aboutir à un résultat positif, et ne pas laisser l’esprit dans l’incertitude.

Au dialogue se rattache le genre épistolaire.

Les règles du dialogue parlé s’appliquent presque toutes aux lettres ou épîtres qui sont, en général, une sorte de dialogue par écrit.

Enfin, quand on veut, par la narration ou la description, remuer vivement l’âme et déterminer la persuasion, on emploie l’amplification, qui n’est qu’une exposition énergique des choses, destinée à en faire mieux sentir ou la dignité et la grandeur, ou la faiblesse et l’indignité. D’où il suit qu’on admet deux espèces d’amplification, celle qui agrandit, et celle qui atténue.

Chapitre XIII.

Quand la narration et les genres que nous y avons rattachés ne forment pas eux-mêmes l’ensemble de l’œuvre, celle-ci se trouve alors presque tout entière dans la confirmation.

La confirmation renferme les preuves ou arguments.

Pour argumenter, il s’agit d’abord de déterminer à quel ordre de vérités appartient la thèse à démontrer.

Il y a trois ordres de vérités susceptibles de démonstration :

Les vérités d’évidence,

Les vérités d’expérience,

Les vérités de témoignage.

La formule la plus générale de démonstration, qui pose les universaux et en déduit les hypothèses, se nomme syllogisme.

Le syllogisme est catégorique, conditionnel ou disjonctif.

Les principales formes de raisonnement qui se rattachent au syllogisme sont l’épichérème, l’enthymème, le sorite et le dilemme.

Une fois les preuves trouvées et leur nature reconnue, il faut apprendre à les choisir, à les disposer, à les traiter, en ayant soin de remonter le plus souvent possible aux généralités.

On peut considérer comme une partie de la confirmation, la réfutation qui consiste à combattre les arguments, à réfuter les objections des adversaires, à dévoiler toutes les espèces de paralogismes et de sophismes.

La réfutation est sérieuse ou ironique, ou réunit quelquefois les deux caractères.

La confirmation et la réfutation formant le corps du discours dans presque tous les genres d’éloquence, c’est ici que l’on peut mentionner les classifications du genre oratoire adoptées par les rhéteurs.

Les uns divisent l’éloquence en divers genres, d’après lès lieux où elle s’exerce, la tribune, le barreau, la chaire, l’académie ;

Les autres, d’après le but qu’elle se propose, en genre délibératif, démonstratif et judiciaire.

Il est bon de connaître ces divisions sans leur donner une importance exagérée.

Chapitre XIV.

Enfin, il est des règles pour terminer l’ouvrage, comme pour le commencer et le poursuivre.

Dans l’épopée, dans le roman, dans la tragédie, la conclusion, que l’on appelle dénouement, doit terminer d’une manière complète au moins l’action principale ; seulement quand il est nécessaire de donner aussi le dernier mot des faits accessoires, on y ajoute une partie nommée achèvement. Le dénouement doit toujours être amené, imprévu, autant que possible, pris rarement en dehors de l’action, et n’être jamais l’effet du hasard.

La conclusion des œuvres d’éloquence se nomme péroraison.

La péroraison est presque toujours pathétique, soit véhémente, soit suppliante. Elle se tire le plus souvent de la personne du client, ou de l’adversaire, ou du juge, ou de l’auditeur, ou enfin de l’orateur lui-même.

On peut terminer certains discours, de même que la plupart des ouvrages didactiques, philosophiques et historiques, par une sorte de sommaire, récapitulation ou épilogue, qui résume les points principaux pour les mieux graver dans l’esprit des auditeurs et des lecteurs.

Chapitre XV.

La troisième et dernière partie de la rhétorique est l’élocution, qui s’occupe de l’expression de la pensée, du style proprement dit.

Le style, dans la véritable acception de ce mot, est le procédé propre à chaque écrivain pour exprimer sa pensée. On ne peut donc, comme plusieurs l’ont fait, subdiviser le style, d’après la nature du sujet, en style simple, sublime et tempéré. Cette division s’appliquerait plutôt au ton, qui n’est réellement que la convenance du style à la nature du sujet.

Pour réussir dans l’élocution, il faut :

Se former un style, en ne perdant jamais de vue la relation intime entre l’expression et la pensée, et en imitant, sans servilité, les meilleurs modèles.

Saisir le ton convenable à la nature du sujet et au but de l’écrivain.

Etudier les qualités essentielles et accidentelles de l’élocution, et les ornements dont elle est susceptible, et que l’on comprend sous le nom de figures.

Chapitre XVI.

Les qualités essentielles de l’élocution sont celles qui conviennent à tous les tons et dans tous les sujets.

La première et la plus indispensable est la clarté.

La clarté de l’expression suppose d’abord une conception nette de l’idée.

L’obscurité vient généralement ou de l’ignorance de la langue, ou de l’embarras et de la longueur des phrases, ou d’une concision extrême ou enfin de l’affectation de l’esprit.

Les qualités opposées à ces divers défauts et, par conséquent, les éléments de la clarté du style sont la pureté, la propriété, la précision et le naturel.

La pureté consiste à n’employer que les termes et les constructions conformes aux lois de la raison et à celles de la langue.

Elle évite également :

Le barbarisme qui pèche contre le dictionnaire,

Le solécisme qui pèche contre la grammaire et la syntaxe,

L’archaïsme, ou l’abus des mots vieillis,

Le néologisme, ou l’abus des mots nouveaux,

Le jargon, ou l’emploi du langage corrompu de certaines fractions de la société.

Elle évite aussi le purisme qui est l’exagération de la pureté.

Chapitre XVII.

La propriété consiste à employer toujours l’expression la plus juste pour rendre la pensée. On s’y habitue par l’étude des synonymes et des origines des différents mots.

La précision consiste à dire ce qu’il faut et ni plus ni moins qu’il ne faut. Le contraire de la précision est la diffusion et la prolixité.

Le naturel ou la vérité du style consiste dans un parfait accord entre l’expression et la nature de l’écrivain, du sujet et de l’idée. Les défauts opposés au style naturel sont le vague, l’emphase, l’afféterie, et l’abus de ce qu’on appelle le style soutenu.

Chapitre XVIII.

Enfin, la dernière qualité essentielle du style est l’harmonie.

Il y a deux sortes d’harmonie, l’harmonie générale qui ne considére les sons qu’en eux-mêmes et abstraction faite de l’idée, et l’harmonie spéciale ou imitative qui les considère dans leurs rapports avec les pensées et les sentiments exprimés.

L’harmonie générale dépend, soit de la nature individuelle des sons, c’est ce qu’on nomme euphonie, soit de leur alliance et de leur succession, d’où naît le rhythme.

L’euphonie évite le concours des mauvais sons, par conséquent l’hiatus et le bâillement, c’est-à-dire la rencontre de certaines voyelles et des syllabes nasales, et celle des consonnes rudes et sifflantes.

Le rhythme consiste dans la disposition, selon les lois de l’euphonie, de tous les mots d’une phrase, et dans la construction des périodes, dont les anciens rhéteurs distinguaient trois formes principales : la période carrée, la période ronde, et la période croisée.

L’harmonie spéciale ou imitative dépend de la représentation de la pensée, ou par le son même des mots, ce qui constitue l’onomatopée, ou par le mouvement de la phrase.

L’onomatopée, sans être à dédaigner, quand elle se présente naturellement, ne doit pas être recherchée ; il faut s’appliquer spécialement à l’espèce d’harmonie imitative qui représente l’idée par le mouvement de la phrase, qui fait de l’expression, en quelque sorte, l’écho du sens, et que tous les grands écrivains ont étudiée.

Chapitre XIX.

Outre ces qualités essentielles à toute espèce d’écrits, les différents genres exigent chacun des qualités spéciales, que nous nommons qualités accidentelles du style.

En général, par exemple, tout livre qui traite d’intérêts sérieux et grands demande la gravité du ton. Une simplicité noble est le principal caractère du style grave. Il faut y éviter la froideur et la monotonie, et ne pas l’exagérer surtout dans les sujets qui ne l’exigent pas absolument.

La noblesse, qualité relative et qui se modifie beaucoup selon les circonstances, consiste à n’employer que les termes les plus généraux et les tournures les plus polies et les plus dignes.

A mesure que le sujet s’élève, on peut arriver à la richesse et à la magnificence :

La richesse qui ajoute à la noblesse l’éclat des images, l’abondance des ornements, le nombre de la phrase, ou qui encore renferme sous peu de mots des idées fécondes ;

La magnificence qui est la grandeur dans la richesse.

La passion, la spontanéité, le besoin d’entraîner demandent l’énergie et la véhémence.

L’énergie se produit, quelquefois en développant, plus souvent en condensant le sentiment ou la pensée. Elle résulte parfois du contraste des idées ou de la hardiesse des images.

La véhémence dépend moins de la force de l’expression que de la vivacité et de la variété du tour et du mouvement de la phrase.

Portées à l’excès, la gravité et la noblesse deviennent de la raideur ; la richesse et la magnificence de l’enflure ; l’énergie, de la dureté ; la véhémence, de la déclamation.

La plus grande hauteur de pensée et de style constitue le sublime, qui est en dehors des préceptes de l’art, et qu’on peut définir, en littérature, l’expression vraie de tout sentiment et de toute idée qui élève l’homme au-dessus de lui-même.

Chapitre XX.

Dans les ouvrages qui appartiennent au genre tempéré et même au genre simple, le première qualité spéciale est l’élégance.

L’élégance ajoute aux qualités essentielles l’agrément et la distinction, et elle y parvient par le choix des pensées, des expressions, des tours, des nombres.

L’élégance, dans les choses de sentiment, se nomme la grâce.

L’élégance extrême en certains genres devient le style fleuri.

Les écrivains ingénieux, qui perçoivent rapidement des rapports inaperçus par le vulgaire, ont pour qualités distinctives la finesse et la délicatesse, la première qui vient plutôt de l’esprit, la seconde, du cœur. Le caractère de l’une et de l’autre est de ne point exprimer l’idée tout entière, et d’en laisser deviner une partie.

D’autres auteurs se font remarquer par la naïveté, qui se rapproche du naturel, avec cette différence que le naturel est opposé au recherché, et le naïf au réfléchi. Le naïf est nécessairement spontané, inattendu. L’excès de la naïveté serait la niaiserie.

La dernière qualité accidentelle du style est l’enjouement, qui renferme le comique, le plaisant, le burlesque, le badin. Il doit être naturel et opportun, car il varie suivant les pays et les siècles, et, en mainte occasion, n’est point admissible.

Chapitre XXI.

Il a été dit qu’outre les qualités essentielles et accidentelles du style il faut étudier les figures.

Les figures sont des formes particulières de langage qui manifestent l’idée d’une manière plus noble, plus énergique, plus élégante que les formes ordinaires, ou qui indiquent mieux que celles-ci le mouvement de la pensée et la vue de l’esprit.

La connaissance des figures est nécessaire à tous et surtout à l’écrivain.

Le style figuré est dans la nature de l’homme, car il prend sa source dans des qualités et des besoins communs à tous, penchant à l’imitation, association d’idées, imagination, passion, etc. Il se modifie avec la civilisation.

Les rhéteurs ont divisé les figures de différentes manières.

Le système le plus généralement adopté les partage en Figures de pensées et

Figures de mots qui comprennent :

Les figures de diction ou de grammaire,

Les figures de construction ou de syntaxe,

Les figures de mots proprement dites auxquelles se rattachent les tropes.

Il semble qu’on pourrait substituer à cette division la suivante :

Figures par rapprochement d’idées semblables ou contraires, trope et antithèse ;

Figures par développement ou abréviation des expressions, pléonasme et ellipse ;

Figures par changement des formes de l’idée, mutation ou inversion.

Chapitre XXII.

Les figures de la première classe, consistant en rapprochements d’idées, dérivent toutes de la comparaison.

La comparaison doit être juste et suivie, et autant que possible, neuve, rapide et piquante.

La comparaison abrégée se nomme trope.

Le trope consiste à transporter un mot ou une phrase de son sens propre dans un autre, pour donner plus de valeur au discours.

Le plus important de tous les tropes est la métaphore.

Il y a métaphore, toutes les fois qu’en vertu d’une comparaison mentale, on emploie le signe d’une idée pour exprimer une autre idée, semblable ou analogue à certains égards.

La métaphore, pour être bonne, doit être vraie, lumineuse, noble, naturelle, préparée, soutenue. Elle doit éviter l’anachronisme et l’abus des mots techniques.

La métaphore continuée devient l’allégorie.

L’allégorie qui peut se peindre prend le nom d’emblème.

L’allusion peut se rapprocher de l’allégorie et de la métaphore.

Elle est réelle ou verbale.

Réelle, à propos d’une idée elle réveille dans l’esprit une autre idée, qui est ordinairement un fait historique, une fiction, une opinion, un passage connu d’un écrivain ; verbale, elle emploie à dessein un mot susceptible d’un sens différent de celui qu’elle lui donne.

On range parmi les allusions verbales la syllepse oratoire, qui consiste à prendre, dans la même phrase, un mot dans les deux sens, au propre et au figuré. Dans l’emploi de ces figures il faut surtout respecter toujours le goût et les convenances.

Chapitre XXIII.

Après avoir distingué parmi les tropes, ceux d’usage ou de la langue qui entrent dans les habitudes communes du discours, et ceux d’invention ou de l’écrivain, qui appartiennent plus spécialement à celui qui les emploie, on peut rattacher à la métaphore :

La métonymie, espèce de métaphore dans laquelle les expressions substituées au mot propre supposent une correspondance préalable entre les objets comparés, la cause pour l’effet, l’effet pour la cause, le contenant pour le contenu, le signe pour la chose signifiée, etc.

La synecdoque qui va plus loin, qui exige entre les deux idées rapprochées, non-seulement une correspondance, mais une connexion, une cohésion en un objet unique, le moins pour le plus, le plus pour le moins, une partie pour une autre ou pour le tout, l’abstrait pour le concret, etc.

L’antonomase, sorte de synecdoque, qui substitue un nom commun à un nom propre, et réciproquement, ou bien un nom propre ou commun à un autre moins expressif ;

La métalepse qui emploie l’antécédent, le conséquent, une accessoire quelconque de l’idée pour l’idée elle-même ;

La catachrèse, qui, prenant un mot dans un sens extensif, abusif, l’applique à une idée qui, elle-même, n’a point ou n’a plus de signe propre et exclusif dans la langue ;

L’hyperbole, qui compare, comme la métaphore, une idée à des idées semblables, mais d’une manière exagérée, en allant au delà de la vérité, pour la faire mieux saisir ;

La litote qui, dans la même intention, reste au contraire en deçà de la vérité ;

L’euphémisme et l’antiphrase que l’on rapproche de la litote, le premier se contentant d’adoucir l’idée par l’expression, l’autre disant précisément le contraire de ce qu’elle veut dire.

Chapitre XXIV.

Toutes les figures dont on vient de parler rapprochent des idées semblables. L’antiphrase mène à l’antithèse qui rapproche des idées opposées.

L’emploi de l’antithèse est très-fréquent et irréprochable en une foule d’occasions. Seulement il n’en faut pas abuser. On en distingue diverses espèces :

La réversion qui fait revenir les mots sur eux-mêmes dans deux propositions successives et opposées l’une à l’autre ;

L’enthymémisme qui rapproche vivement les deux membres d’un enthymème ou syllogisme tronqué ;

Le parodoxisme, antithèse d’idées formulée à l’aide d’une alliance de mots qui semblent s’exclure mutuellement.

Il y a aussi dans l’expression des idées une autre sorte d’opposition qu’on pourrait appeler antithèse interne, et qui a lieu, lorsqu’on dit le contraire de ce qu’on pense, ou qu’on prétend ne pas dire ce que l’on dit réellement. Voici ces formes d’antithèses :

L’ironie, quand on loue en apparence ce qu’on blâme en réalité.

L’épitrope, quand on conseille le contraire de ce qu’on veut.

L’astéisme, quand on loue réellement en paraissant blâmer.

La prétérition, quand on énonce les idées en disant qu’on n’en parlera pas.

La correction, la rétroaction, l’épanorthose, où l’on feint de se laisser aller trop loin, et où l’on revient à dessein sur ce que l’on a dit.

La concession, la préoccupation, la prolepse, où l’on a l’air d’admettre les objections, pour reprendre bientôt l’avantage.

La communication, où l’on paraît entrer dans l’opinion de l’adversaire, pour le ramener à ses propres idées.

La délibération, où l’on semble remettre en question ce que l’on a décidé.

L’interrogation, où l’on s’enquiert de ce que l’on sait fort bien.

La subjection, où, après avoir fait la demande, on fait la réponse, au lieu de l’attendre.

Chapitre XXV.

Si le rapprochement des idées semblables ou opposées est la source la plus féconde des figures de style, on donne encore an discours de l’énergie et de l’élégance, soit en développant, soit en abrégeant l’expression de la pensée.

Un des premiers moyens de développement ou d’amplification est la périphrase par laquelle on substitue au mot propre une courte définition ou description, en la modifiant d’après l’analogie des idées, la nature des sentiments et le caractère de l’ouvrage.

Souvent, au lieu de développer la pensée, on produit de l’effet seulement en la répétant. Il y a diverses espèces de répétitions :

Ou l’on reproduit plusieurs fois exactement le même mot, c’est la répétition proprement dite.

Ou l’on reproduit plusieurs fois la même pensée,

Soit en accumulant des idées semblables, c’est l’expolition ;

Soit en accumulant divers signes de la même idée, c’est la synonymie ou métabole.

Quand, dans la métabole, on observe une gradation ascendante ou descendante, elle se nomme climax.

Le nom générique de toute figure par laquelle on ajoute à l’expression de l’idée est pléonasme. Si les mots ajoutés sont réellement superflus, le pléonasme devient périssologie.

Le contraire du pléonasme est l’ellipse qui, pour donner plus d’énergie au discours, supprime un ou plusieurs mots, et quelquefois une idée. Il faut éviter dans l’ellipse la dureté, l’obscurité et le solécisme.

On appelle conjonction la figure qui multiplie dans une phrase les particules conjonctives ; disjonction, celle qui au contraire les supprime.

On rattache aussi à l’ellipse l’anacoluthe, construction où l’auteur laisse à désirer certains mots qui régulièrement devraient toujours en accompagner d’autres.

Chapitre XXVI.

Enfin on range parmi les figures certaines formes de langage ou tours de phrase qui modifient la manifestation de l’idée, en faisant saisir d’une manière plus vive que les formes simples et positives le mouvement de l’âme et la vue de l’esprit. Ces dernières figures sont :

L’exclamation, espèce d’élan du cœur, qui substitue l’expression d’un sentiment à celle d’une opinion ;

L’épiphonème, qui donne à l’idée une forme sentencieuse ;

L’apostrophe, qui détourne la parole de ceux à qui s’adresse le reste du discours pour la reporter à d’autres ;

La parenthèse, l’interruption, la réticence, la suspension, qui arrêtent l’expression d’une idée et passent à une autre, soit pour abandonner tout à fait la première, soit pour y revenir plus tard ;

Et en dernier lieu, tout ce qu’on nomme figures de construction ou de syntaxe.

La construction est simple ou naturelle quand elle suit rigoureusement un ordre analytique.

Mais la construction usuelle s’éloigne parfois de cet ordre,

Soit pour flatter l’oreille, et alors elle est euphonique ;

Soit pour obéir à l’ordre chronologique des faits, et alors elle est historique ;

Soit pour rendre plus vivement la passion, et alors elle est pathétique ou figurée.

Les figures qu’elle emploie dans ce cas sont :

L’hyperbate ou inversion et la synchyse ou renversement de la construction ordinaire.

Les figures de syntaxe les plus usitées sont :

L’énallage qui substitue un temps, un mode, un nombre ou une personne à une autre ;

La syllepse grammaticale, où l’esprit rapporte un mot, non plus aux mots précédents, mais à l’idée qui le préoccupe.

fin.