(1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section quatrième. Genre Démonstratif. Les Panéryriques. — Chapitre V. Panégyrique de Louis XV, par Voltaire. »
/ 312
(1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section quatrième. Genre Démonstratif. Les Panéryriques. — Chapitre V. Panégyrique de Louis XV, par Voltaire. »

Chapitre V.
Panégyrique de Louis XV, par Voltaire.

Veut-on un exemple frappant de ce genre de beauté ? Notre littérature va nous l’offrir, dans le Panégyrique de Louis XV, par Voltaire.

Le ton de noblesse et de dignité qui y règne d’un bout à l’autre, s’annonce dès le début :

« Une voix faible et inconnue s’élève ; mais elle sera l’interprète de tous les cœurs. Si elle ne l’est pas, elle est téméraire : si elle flatte, elle est coupable ; car c’est outrager le trône et la patrie, que de louer son prince des vertus qu’il n’a pas ».

Quelle simplicité harmonieuse et élégante ! quelle douceur de style ! C’est la perfection de celui de Racine transportée dans la prose. À ce rare talent de s’exprimer ainsi, l’auteur joint dans ce discours un mérite qui est devenu l’un de ses caractères distinctifs, l’art de donner de grandes leçons de morale ou d’humanité, et de les donner sans ce faste ridicule, sans cette morgue arrogante qui les décréditent d’avance, et qui n’en imposent depuis longtemps à personne. Quelle sensibilité douce dans ce tableau de la maladie et de la convalescence du roi à Metz !

« On se souvient de ces cris de douleur, de cette désolation, de ces larmes de toute la France ; de cette foule consternée qui, se précipitant dans les temples, interrompait par ses sanglots les prières publiques, tandis que le prêtre pleurait en les prononçant, et pouvait les achever à peine.

» Au bruit de sa convalescence, avec quel transport nous passâmes de l’excès du désespoir à l’ivresse de la joie ! Jamais les courriers qui ont apporté les nouvelles des plus grandes victoires, ont-ils été reçus comme celui qui vint nous dire : Il est hors de danger ! Les témoignages de cet amour venaient de tous côtés au monarque ; il se souleva soudain par un effort dans ce lit de douleur ou il languissait encore : Qu’ai-je donc fait, s’écria-t-il, pour être ainsi aimé ? Ce fut l’expression naïve de ce caractère simple, qui, n’ayant de faste ni dans la vertu ni dans la gloire, savait à peine que sa grande âme était connue ».

Ce qui ne serait qu’un lieu commun pour un autre écrivain, ce qui a été dit et répété cent fois, prend sous la plume de Voltaire, une tournure qui n’appartient qu’à lui ; et l’étonnante magie de son style prête aux choses même les plus usées pour le fond, les charmes et les grâces de la nouveauté.

« On peut se tromper dans l’admiration ; on peut trop se hâter d élever des monuments de gloire ; on peut prendre de la fortune pour du mérite : mais quand un peuple entier aime éperdument, peut-il errer ? Le cœur du prince sentit ce que voulait dire ce cri de la nation : la crainte universelle de perdre un bon roi, lui imposait la nécessité d’être le meilleur des rois. Après un triomphe si rare, il ne fallait pas une vertu commune ».

Cet éloge, entièrement fondé sur des faits racontés avec cette belle simplicité qui se contente d’exposer ce qui n’a pas besoin d’être orné, renferme les événements les plus remarquables du règne de Louis XV, jusqu’à l’époque où l’auteur écrivait. La bataille de Fontenoy y devait tenir et y occupe une place distinguée. Heureux le panégyriste, quand il lui suffit d’être historien exact pour tracer l’éloge de son héros !

« L’histoire déposera que, sans la présence du roi, la bataille de Fontenoy était perdue. On ramenait de tous côtés les canons : tous les corps avaient été repoussés les uns après les autres ; le poste important d’Antonin avait commencé d’être évacué ; la colonne anglaise s’avançait à pas lents, toujours ferme, toujours inébranlable, coupant en deux notre armée, faisant de tous côtés un feu continu qu’on ne pouvait ni ralentir ni soutenir. Si le roi eût cédé aux prières de tant de serviteurs, qui ne craignaient que pour ses jours ; s’il n’eût demeuré sur le champ de bataille ; s’il n’eût fait revenir ses canons dispersés, qu’on retrouva avec tant de peine, aurait-on fait les efforts réunis qui décidèrent du sort de cette journée ? Qui ne sait à quel excès la présence du souverain enflamme notre nation, et avec quelle ardeur on se dispute l’honneur de mourir ou de vaincre à ses yeux ? Ce moment en fut un grand exemple. On proposait la retraite : le roi regardait ses guerriers, et ils vainquirent ».

Voilà bien le ton, les couleurs et la fidélité de l’histoire décrivant un grand événement. Écoutez maintenant le langage de la vraie philosophie, c’est-à-dire, de la raison et de la sensibilité.

« On ne sait que trop quelles funestes horreurs suivent les batailles ; combien de blessés restent confondus parmi les morts ; combien de soldats, élevant une voix expirante pour demander du secours, reçoivent le dernier coup de la main de leurs propres compagnons, qui leur arrachent de misérables dépouilles couvertes de sang et de fange ; ceux mêmes qui sont secourus, le sont souvent d’une manière si précipitée, si inattentive, si dure, que le secours même est funeste : ils perdent la vie dans de nouveaux tourments, en accusant la mort de n’avoir pas été assez prompte. Mais après la bataille de Fontenoy, on vit un père qui avait soin de la vie de ses enfants, et tous les blessés furent secourus comme s’ils l’avaient été par leurs frères. L’ordre, la prévoyance, l’attention, la propreté, l’abondance de ces maisons que la charité élève avec tant de frais, et qu’elle entretient dans le sein de nos villes tranquilles et opulentes, n’étaient pas au-dessus de ce qu’on vit dans les établissements préparés à la hâte pour ce jour de sang. Les ennemis prisonniers et blessés devenaient nos compatriotes, nos frères. Jamais tant d’humanité ne succéda si promptement à tant de valeur ».

Le même charme se retrouve dans le morceau suivant, sur l’amitié :

« Quel préjugé s’est répandu sur la terre, que cette amitié, cette précieuse consolation de la vie, est exilée dans les cabanes, qu’elle se plaît chez les malheureux ? Ô erreur ! l’amitié est également inconnue, et chez les infortunés uniquement occupés de leurs travaux et chez les heureux souvent endurcis, et dans le travail des campagnes, et dans les occupations des villes, et dans les intrigues des cours. Partout elle est étrangère ; elle est, comme la vertu, le partage de quelques âmes privilégiées ; et lorsqu’une de ces belles âmes se trouve sur le trône, ô Providence, qu’il faut vous bénir ! Puissent ceux qui croient que dans les cours l’intrigue ou le hasard distribue toujours les récompenses, lire quelques-unes de ces lettres que le monarque écrivait après sa victoire ! J’ai perdu, dit-il dans un de ces billets où le cœur parle, et où le héros se peint, j’ai perdu un honnête homme et un brave officier, que j’estimais et que j’aimais. Je sais qu’il a un frère dans l’état ecclésiastique ; donnez-lui le premier bénéfice, s’il en est digne, comme je le crois ».

Que la fonction si souvent pénible de louer, devient douce et consolante, quand l’orateur peut se dire avec Voltaire, en terminant son discours :

« Dans tout ce qu’on vient de dire, a-t-on avancé un seul fait que la malignité puisse seulement couvrir du moindre doute ? On s’était proposé un panégyrique, on n’a fait qu’un récit simple. Ô force de la vérité ! les éloges ne peuvent venir que de vous. Et qu’importe encore des éloges ? nous devons des actions de grâces. Quel est le citoyen, qui, en voyant cet homme si grand et si simple, ne doive s’écrier du fond de son cœur : Si la frontière de ma province est en sûreté, si la ville où je suis né est tranquille, si ma famille jouit en paix de son patrimoine, si le commerce et tous les arts viennent en foule rendre mes jours plus heureux, c’est à vous, c’est à vos travaux, c’est à votre grand cœur que je le dois »103.