Chapitre IV.
Prédicateurs français.
Bourdaloue, dit Voltaire, fut le premier qui fit entendre dans la chaire une raison toujours éloquente. Peut-être, ajoute M. de La Harpe, faut-il restreindre cet éloge en l’expliquant. Bourdaloue fut le premier qui eut toujours dans la chaire l’éloquence de la raison : il sut la substituer à tous les défauts de ses contemporains. Il leur apprit le ton convenable à la gravité d’un saint ministère, et le soutint constamment dans ses nombreuses prédications. Uniquement pénétré de l’esprit de l’évangile et de la substance des livres saints, il traite solidement un sujet, le dispose avec méthode, l’approfondit avec vigueur. Ce qu’on admire principalement dans Bourdaloue, dit M. Maury, c’est la fécondité inépuisable de ses plans, qui ne se ressemblent jamais ; c’est cette abondance de génie, qui ne laisse rien à imaginer au-delà de chacun de ses discours, quoiqu’il en ait composé plusieurs sur la même matière ; c’est l’enchaînement qui règne entre toutes ses idées ; c’est l’art avec lequel il fonde nos devoirs sur nos intérêts ; c’est enfin la connaissance la plus profonde de la religion, et l’usage admirable qu’il fait de l’Écriture et des pères. Plus profond dialecticien qu’orateur disert, Bourdaloue sait mieux dégager la vérité des chaînes tortueuses du sophisme, que trouver le chemin du cœur. Toujours conséquent, toujours nerveux, préférant aux mouvements passagers de fonction, des preuves frappantes que le temps grave toujours plus avant dans les esprits ; appelant le système entier de la religion au secours de chacun de ses sujets : raisonneur éloquent, moraliste sublime, il fera éternellement le désespoir des prédicateurs. La première partie de sa fameuse Passion, dans laquelle il prouve que la mort du fils de Dieu est le triomphe de sa puissance, est regardée comme le chef-d’œuvre de l’éloquence chrétienne. Rien ne tient à côté de cette première partie, pas même la seconde, qui serait belle partout ailleurs.
Mais plus occupé de prouver, que jaloux d’émouvoir et d’attendrir, rarement Bourdaloue s’abandonne à ces grands mouvements qui surprennent, agitent et remuent l’auditeur. La pénible uniformité de ses raisonnements n’est presque jamais interrompue par les mouvements de l’âme, et rarement son expression reçoit de la couleur. C’est un excellent théologien, plutôt qu’un puissant prédicateur.
Ses plus beaux sermons, ceux que l’on n’a jamais assez lus, et dans lesquels on rencontre toujours de nouvelles beautés, sont ceux sur la Conception, la Passion et la Résurrection. Nous regrettons bien sincèrement que la nature et les bornes de notre ouvrage ne nous permettent pas d’offrir en entier de pareils morceaux à l’admiration de nos lecteurs. Mais il n’en est pas d’un sermon de Bourdaloue, comme d’un autre ouvrage d’éloquence. Ici toute la beauté est souvent dans la force, et la force est dans l’ensemble du discours. Nous ne pouvons donc qu’indiquer ceux qui peuvent devenir l’objet d’une étude plus utile et d’une instruction plus générale.
Les sermons de Cheminais ne sont pas sans quelque mérite, et le charme qu’il mettait dans son débit lui procura une vogue passagère, dont l’impression fut le terme, comme elle l’a été de la réputation de Bretonneau, et de quelques autres sermonaires leurs contemporains, qui, depuis longtemps, ne sont plus guère lus.
C’est une opinion assez généralement reçue, que Bossuet, qui devait à la chaire une partie de sa célébrité, effrayé de la grande réputation de Bourdaloue, n’osa pas lutter contre ce fameux jésuite, et aima mieux être le premier dans la controverse, que le second dans la chaire. Mais il en est de cette opinion, comme de beaucoup d’autres qui s’accréditent faute de réflexion, et qui ne tiennent pas à l’examen. Bossuet et Bourdaloue ont parcouru ensemble la même carrière ; ils ont été par conséquent rivaux ; ils ont été comparés et jugés par leurs auditeurs. Ce n’est donc pas dans la prétendue vanité de Bossuet, qu’il faut juger les motifs de sa retraite de la chaire, et de l’oubli complet où il laissa ses sermons pendant les vingt-cinq dernières années de sa vie. Il est bien plus vraisemblable que les soins importants de l’épiscopat, la nécessité et le désir de s’y livrer tout entier, déterminèrent Bossuet à renoncer à la chaire, où il ne reparut plus que de temps en temps, pour l’illustrer à jamais par ses belles oraisons funèbres.