(1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section troisième. La Tribune sacrée. — Chapitre II. Études du Prédicateur. »
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(1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section troisième. La Tribune sacrée. — Chapitre II. Études du Prédicateur. »

Chapitre II.
Études du Prédicateur.

L’éloquence de la chaire demande une étude méditée et suivie des écrivains sacrés. Le champ qu’elle cultive est trop précieux, les objets quelle embrasse trop élevés, trop importants, trop graves, pour y semer les bluettes et le faux clinquant du bel esprit. La vérité est belle par elle-même, et suffit à l’orateur évangélique. Ce n’est pas néanmoins qu’il doive exclure de ses études les bons auteurs profanes ; les pères de l’église les avaient étudiés : ainsi, plus ses connaissances seront multipliées, plus son éloquence sera parfaite. Mais s’il veut porter la conviction dans les esprits, la persuasion dans les cœurs, la consolation dans les âmes, qu’il ouvre les saintes écritures, qu’il se nourrisse, qu’il enrichisse, qu’il fortifie son éloquence de leur lecture : il sera sûr alors de toucher, de persuader et de convaincre. Où l’orateur sacré doit-il, en effet, allumer son génie si ce n’est au flambeau du génie des prophètes ? Dans quelles sources plus abondantes et plus riches peut-il puiser la force et l’onction, la grandeur et l’élévation des idées, la magnificence de l’expression, le pittoresque et l’éclat du style ?

Il est tout simple que nous devons exciter ici la pitié, où soulever l’indignation de ceux qui ne connaissent et ne jugent les prophètes que d’après les parodies absurdes ou les sarcasmes grossiers de certains critiques. Mais, en attendant que nous opposions des raisons solides aux subterfuges de la mauvaise foi, nous observerons, en passant, qu’il n’est rien que ne puisse dénaturer et avilir la platitude d’une version littérale ou la malignité d’un commentaire perfide.

Sans compter les ressources immenses que les livres saints offrent au prédicateur qui sait en faire usage, pour donner du poids et de la solidité à son discours, combien l’art oratoire ne leur a-t-il pas d’obligations, à ne le considérer même ici que sous les rapports humains ? Combien de traits de sentiment, de pensées sublimes, de mouvements pathétiques l’éloquence ne leur doit-elle pas ? Quelquefois un discours entier a dû son mérite et son succès au choix heureux du passage qui lui sert de texte.

Bossuet avait à déplorer la mort d’une reine célèbre par de grands revers et de grandes vertus ; l’orateur ne voit dans ce long enchaînement de revers et de prospérités qu’une leçon éclatante que le ciel donne aux grands de la terre ; et le Psalmiste lui fournit cette grande idée, qui se féconde entre ses mains et devient le germe d’un des plus beaux discours dont s’honore l’éloquence évangélique : et nunc reges intelligite ; erudimini qui judicatis terram . (Ps. 2). Quel parti sublime le même orateur a tiré, dans un autre discours, de ces mots si simples, si vrais et si profonds en même temps : vanitas vanitatum, et omnia vanitas . (Eccles. 1).

Avant Bossuet, saint Jean Chrysostôme s’était servi, avec le même succès, de ce même texte, dans le discours adressé à l’eunuque Eutrope, au sujet de sa disgrâce ; Αεὶ μὲν, μάλιστα δὲ νῦν εκαιρον ἐπεῑν. Μαπαιὸτης ματαιότητων, καὶ πάντα ματαιότης · Ποῦ ῦνν, etc.

Voyez quel exorde magnifique Fléchier a su tirer de la rare conformité que lui offraient les livres saints entre le héros des Machabées, et le grand homme (Turenne) qu’il allait célébrer : nous ne taririons pas sur ces exemples, et nous nous sommes arrêtés à quelques-uns des plus marquants, pour convaincre les jeunes orateurs de la nécessité de se familiariser de bonne heure avec ces sources inépuisables de tous les genres de beautés.

À l’étude suivie des saintes écritures, il est essentiel de joindre la lecture raisonnée de ces orateurs que leurs vertus et leur éloquence vraiment apostoliques ont fait nommer à si juste titre les pères, c’est-à-dire, les fondateurs et les soutiens de l’église. C’est à eux que l’éloquence sacrée doit son origine et ses modèles en même temps : ce nouveau genre d’éloquence était absolument inconnu aux anciens ; et saint Augustin les défie de montrer aucun temple, aucune assemblée, où, par l’ordre et au nom de leurs Dieux, on fît un devoir aux hommes du mépris des richesses, de la fuite des honneurs et de l’horreur du luxe. L’empereur Julien s’était proposé d’établir, dans ses temples, un cours de prédications, formé sur le plan des chaires chrétiennes ; mais la mort l’empêcha d’accomplir ce projet.