La Danse peut bien y peindre par les habits, par des pas, par des attitudes des caractères nationaux, quelques personnages de la Fable, ou de l’Histoire ; mais sa peinture ressemble alors à la peinture ordinaire qui ne peut rendre qu’un seul moment, et le Théâtre par sa nature est fait pour représenter une suite de moments, de l’ensemble desquels il résulte un tableau vivant et successif qui ressemble à la vie humaine.
Imiter, contrefaire, tout en dansant, les pas, les attitudes, les manières ingénues, badines, et parfois grossières de l’habitant des campagnes qui, au son de ses instruments rustiques, se livre sans nulle retenue aux plaisirs de la danse et à des jeux que partage, avec une gaieté franche, sa compagne chérie ou son amante, c’est offrir le tableau du genre pastoral. […] Exemple de composition de groupes ; attitudes de genre et tableau principal d’une Bacchanale, fig. 4, planc.
Le temple de l’Amour me présente une multitude de tableaux voluptueux ; l’arrivée de la discorde conduite par la rage me fournit une esquisse d’un pas de deux marqué an coin du terrible, et l’amour s’unissant a ces deux furies me suggère l’idée d’un pas de trois plein d’action et de grouppes pittoresques, ceci, à ce que j’imagine, fera l’exposition de l’action. […] L’Amour, et la Volupté s’efforceront de fixer ce héros, qui serrant sa maîtresse dans ses bras, lui fera les plus tendres adieux ; la Discorde et la Rage formeront tableau dans l’éloignement, et exprimeront toute leur fureur.
Si ces prétendus maîtres de ballets se faisoient lire ce qu’Apulée a écrit sur leur art, s’ils pouvoient entendre et concevoir les longues énumérations des qualités et des connoissances que doit avoir le maître de ballets, ils seroient effrayés de leur ignorance, ils abandonneroient une profession qui n’est pas faite pour eux et qu’ils dégradent journellement par des productions monstrueuses : en se bornant au pur méchanisme de l’art, nous serions plus riches en bons figurants, et les ballets prendroient alors une forme plus sage, un caractère plus imposant ; ils offriroient des tableaux plus agréables, un intérêt plus soutenu, des situations plus naturelles, des groupes mieux dessinés, des contrastes moins choquants et une action plus vive, plus noble et plus expressive. […] Ces moyens qui sont à la disposition du maître de ballets seroient insuffisants, si le goût ne les distribuoit point avec ordre et économie ; il doit être peintre ; mais comment parviendra-t-il à faire de grands tableaux, si les crayons et les couleurs lui manquent ?
quelle bizarrerie dans les tableaux !
Ces programmes n’ont été dabord faits que pour moi, et pour arrêter l’esquisse de mes compositions, comme les peintres qui font toujours des esquisses des grands tableaux, qu’ils projettent ; et l’on a vu quelquefois les esquisses avoir un très grand mérite, par cela seul qu’ils indiquoient avec chaleur les caractères des figures et la beauté de la composition.
Pardonnez moi, cette digréssion, Monsieur, je l’ai jugée nécéssaire au sujet que je traite, et aux tableaux que je vais vous offrir. […] Le public pourroit-il jouir des grands effets que lui offrent les tableaux variés d’un spectacle tel que celui de l’opéra, si on ne levoit jamais le rideau qui cache la scène ?
Les figures, les pas, les mouvements de la Danse amusent également et le Danseur qui les exécute, et le Spectateur qui suit des yeux le tableau vivant dont il est frappé.
Ce sont ces mouvemens qui font le plaisir, dit encore Plutarque, parce que bien que naturellement nous n’aimions pas à voir les emportemens des furieux, ni le désespoir, & les actions violentes des personnes à qui la douleur fait s’arracher les cheveux, ni les extravagances des fous & de ceux qui sont pris de vin ; néanmoins nous aimons à les voir représenter par des Balets & dans un tableau, parce que l’imitation a pour nous un charme secret, qui fait que la peinture des choses les plus horribles & les plus monstrueuses, qui seroient capables de nous éfrayer si nous les voyions au naturel, nous plaît & nous touche agréablement, sans faire ces mauvais effets : les enfans même en qui la raison n’agit pas encore, sont touchez de ces imitations. […] C’est le propre de la Peinture & du Balet d’imiter & de représenter toutes sortes de sujets : mais le Balet a cet avantage sur la Peinture qui n’a jamais qu’un mouvement, toutes ces figures demeurant toujours dans la même situation ; au lieu que le Balet est une suite de mouvemens successifs : tous les personnages d’un tableau sont immobiles ; & s’ils semblent se mouvoir par les charmes de la Peinture, néanmoins ils n’ont qu’une seule action.