Un habile maître doit pressentir d’un coup-d’œil l’effet général de toute la machine, et ne jamais sacrifier le tout à la partie. Sans oublier les principaux personnages de la représentation, il doit penser au plus grand nombre ; fixe-t-il toute son attention sur les premiers danseurs, et les premières danseuses, l’action devient froide, la marche des scènes se ralentit, et l’exécution est sans effet. […] Je comprends que le compositeur a tout sacrifié à l’effet, et que la scène des fléches en l’air prêtes à percer l’Amour, l’avoit séduit ; mais cette scène étoit déplacée. Nulle vraisemblance dailleurs dans le tableau ; on avoit prêté aux nymphes le caractère et la fureur des Bacchantes qui déchirèrent Orphée ; Diane avoit moins l’éxpression d’une amante que d’une furie ; Endimion peu reconnoissant, et peu sensible à la scène qui se passoit en sa faveur, paroissoit moins tendre qu’indifférent : L’Amour n’étoit qu’un enfant craintif, que le bruit intimide, et que la peur fait fuir : tels sont les caractères manqués qui affoiblissoient le tableau, qui le privoient de son effet, et qui attestoient l’inéptie du compositeur. […] Cette quantité prodigieuse de combattans, de vaincus et de vainqueurs, partage agréablement les regards, et concourt unanimement à la beauté, et à la perfection de ces chefs d’œuvre ; chaque tête a son expression, et son caractère particulier ; chaque attitude a de la force et de l’énergie ; les groupes, les terrassemens, les renversemens sont aussi pittoresques, qu’ingénieux : tout parle, tout intéresse, parce que tout est vrai ; parce que l’imitation de la nature est fidelle ; en un mot, parce que tout concourt à l’effet général.
Je crois, Monsieur, que l’art du geste est resserré dans des bornes trop étroites pour produire de grands effets. […] Le geste est un trait qui part de l’âme ; il doit faire un prompt effet et toucher au but, lorsqu’il est vrai. Instruits des principes fondamentaux de notre art, suivons les mouvemens de nôtre ame ; elle ne peut nous trahir lorsqu’elle sent vivement ; et si dans ces instants elle entraîne le bras à tel ou tel geste, il est toujours aussi juste que correctement dessiné, et son effet est sûr. […] elles perdent leur nom, leurs charmes et leur effet ; ce n’est plus que de la minauderie dont la fadeur devient insupportable. […] Si notre âme détermine le jeu et l’action de nos ressorts, dès lors, les pieds, les jambes, le corps, la physionomie et les yeux seront mus dans des sens justes, et les effets résultants de cette harmonie et de cette intelligence, intéresseront également le cœur et l’esprit.
On a, dit-on, assisté à des danses, sans avoir été attaqué des tentations auxquelles on dit qu’elles exposent, et sans rien éprouver des mauvais effets qu’on leur attribue. […] En effet, quand vous sortiriez de ces divertissemens sans qu’ils aient produit en vous aucun mauvais effet, pouvez-vous n’être pas coupable en inspirant aux autres, par votre exemple, une plus grande ardeur pour ces plaisirs si dangereux ?
Lorsque je me proposai d’écrire sur un art, objet constant de mes études et de mes réflexions, j’étois loin de prévoir le succès et l’effet de mes lettres sur la danse ; quand elles parûrent en 1760, Elles fûrent accueillies avec intérêt par les gens de lettres et par les personnes de goût ; mais en même temps avec un sentiment de dépit et d’humeur de la part de celles pour qui elles étoient principalement composées. […] Si l’on réfléchit sur ce qu’étoit l’opéra en 1760, et sur ce qu’il est aujourd’hui, il sera difficile de ne pas reconnoitre l’effet qu’on produit mes lettres. […] De son coté, le maître de ballets s’élançant au de là des bornes du matériel de son art, cherche dans ces mêmes passions, les mouvemens et les gestes qui les caractérisent, et liant de la même chaîne les pas, les gestes et l’expression de la figure aux sentimens qu’il veut exprimer, il trouve dans la réunion de tous ces moyens, celui d’opérer les effets les plus étonnans. […] L’homme froid, et peu susceptible d’émotion, doit, presque toujours trouver l’expression de l’auteur exagerée et même gigantesque, tandis que le spectateur facile à être émû et même a être exalté, doit trouver le plus souvent l’expression foible et languissante : d’où je conclus que les expressions du poète se trouvent rarement à l’unisson de la sensibilité du spectateur ; à moins que l’on ne suppose que le charme de la diction ne mette tous les spectateurs au même unisson ; effet que j’ai de la peine à me persuader. […] Il m’a toujours paru que dans la pantomime l’effet est plus général et plus uniforme, et, si jose le dire, plus en harmonie avec l’ensemble des sensations que le spectacle produit.
Un habile Maître doit pressentir d’un coup d’œil l’effet général de toute la machine, & ne jamais sacrifier le tout à la partie. Ce n’est qu’en oubliant pour quelques instants, les principaux personnages de la représentation, qu’il pourra penser au plus grand nombre ; fixe-t-il toute son attention sur les premiers danseurs & les premieres danseuses, son action dès-lors est suspendue, la marche des Scenes ralentie, & l’exécution sans effet. […] Mais par un malheureux effet de l’habitude ou de l’ignorance, il est peu de Ballets raisonnés ; on danse pour danser ; on s’imagine que le tout consiste dans l’action des jambes, dans les sauts élevés, & qu’on a rempli l’idée que les gens de goût se forment d’un Ballet, lorsqu’on le charge d’exécutants qui n’exécutent rien, qui se mêlent, qui se heurtent, qui n’offrent que des Tableaux froids & confus, dessinés sans goût, grouppés sans grace, privés de toute harmonie, & de cette expression, fille du sentiment, qui seule peut embellir l’Art, en lui donnant la vie. […] Je comprends que le Compositeur a tout sacrifié à l’effet, & que la Scene des fleches en l’air, prêtes à percer l’Amour, l’avoit séduit ; mais cette Scene étoit déplacée. Nulle ressemblance d’ailleurs dans le Tableau ; on avoit prêté aux Nymphes le caractere & la fureur des Bacchantes qui déchirerent Orphée ; Diane avoit moins l’expression d’une amante que d’une Furie ; Endimion peu reconnoissant & peu sensible à la scene qui se passoit en sa faveur, paroissoit moins tendre qu’indifférent ; l’Amour n’étoit qu’un enfant craintif, que le bruit intimide & que la peur fait fuir : tels sont les caracteres manqués, qui affoiblissoient le Tableau, qui le privoient de son effet, & qui dégradoient le Compositeur.
Cette allure, ce maintien, cette façon de se mouvoir, toujours analogue à leur métier & toujours plaisante, doit être saisie par le Compositeur ; elle est d’autant plus facile à imiter qu’elle est ineffaçable chez les gens de métier, eussent-ils même fait fortune & abandonné leurs professions ; effets ordinaires de l’habitude, lorsqu’elle est contractée par le temps, & fortifiée par les peines & les travaux. […] Le mêlange des couleurs, leur dégradation & les effets qu’elles produisent à la lumiere, doivent fixer encore l’attention du Maître de Ballets ; ce n’est que d’après l’expérience que je suis convaincu du relief que cela donne aux Figures, de la netteté que cela répand dans les formes, & de l’élégance que cela prête aux grouppes. […] Les habits tuerent, pour ainsi dire l’ouvrage, parce qu’ils étoient dans les mêmes teintes que la décoration : tout étoit riche, tout étoit brillant en couleurs, tout éclatoit avec la même prétention ; aucune partie n’étoit sacrifiée, & cette égalité dans les objets privoit le Tableau de son effet, parce que rien n’étoit en opposition. […] Si dans une décoration, représentant un Temple ou un Palais or & azur, les habillements des Acteurs sont bleus & or, ils détruiront l’effet de la décoration, & la décoration à son tour privera les habits de l’éclat qu’ils auroient eu sur un fonds plus tranquille. […] C’est par des épreuves réitérées que je suis convaincu des effets admirables que produisent les dégradations.
Je crois, Monsieur, que l’Art du geste est resserré dans des bornes trop étroites pour produire de grands effets. […] Le geste puise son principe dans la passion qu’il doit rendre ; c’est un trait qui part de l’ame, il doit faire un prompt effet, & toucher au but, lorsqu’il est lancé par le sentiment. Instruit des principes fondamentaux de notre Art, suivons les mouvements de notre ame, elle ne peut nous trahir lorsqu’elle sent vivement ; & si dans ces instants elle entraîne le bras à tel ou tel geste, il est toujours aussi juste que correctement dessiné, & son effet est sûr. […] Le goût en est le distributeur, c’est lui qui donne aux graces de la valeur & qui les rend aimables : marchent-elles sans lui, elles perdent leur nom, leurs charmes & leur effet ? […] Si notre ame détermine le jeu & l’action de nos ressorts, dès-lors les pieds, les jambes, le corps, la physionomie & les yeux seront mus dans des sens justes, & les effets résultants de cette harmonie & de cette intelligence intéresseront également le cœur & l’esprit.
L’Artiste qui les ignore n’est qu’une machine grossière qui suit aveuglément l’impulsion du ressort qui la fait mouvoir, et tous les hommes en général, qui, dans les Arts dont ils s’occupent ou dont ils s’amusent, ne cherchent, n’attendent, n’aperçoivent que leurs effets, n’ont qu’une jouissance imparfaite, qui les met à tous les instants dans le danger d’en juger mal, et de leur nuire. […] On a bientôt alors un tableau combiné des effets et des causes : on jouit de l’expérience de tous les temps, et de la sienne.
33. 3. es les effets, lisés : et les effets.