Robinet, lettre du 28 avril 1668 Depuis toute cette semaine, Notre belle COUR se promène Dans ce terrestre Paradis, Où, comme en celui de jadis, Tout rit aux sens et les enchante, Mais où pas un Serpent d’Amour, Dieu, comme on sait, suivant la Cour, Et qui ne tente pas, en somme, Pour un simple morceau de Pomme, Ains pour d’autres plus délicats, Dont je fais beaucoup plus de cas.
La danse pour la danse n’a pas de sens.
Si notre Art, tout imparfait qu’il est, séduit & enchaîne le Spectateur ; si la Danse dénuée des charmes de l’expression cause quelquefois du trouble, de l’émotion, & jette notre ame dans un désordre agréable ; quelle force & quel empire n’auroit-elle pas sur nos sens, si ses mouvements étoient dirigés par l’esprit & ses Tableaux esquissés par le sentiment ! […] Si de simples images m’entraînent à l’illusion ; si la magie de la Peinture me transporte ; si je suis attendri à la vue d’un Tableau ; si mon ame séduite, est vivement affectée par le prestige ; si les couleurs & les pinceaux dans les mains du Peintre habile, se jouent de mes sens au point de me montrer la nature, de la faire parler, de l’entendre & de lui répondre ; quelle sera ma sensibilité ! […] En habituant notre ame à les sentir, la difficulté de les exprimer s’évanouira ; alors la physionomie recevra toutes ses impressions de l’agitation du cœur ; elle se caractérisera de mille manieres différentes ; elle donnera de l’énergie aux mouvements extérieurs, & peindra avec des traits de feu le désordre des sens & le tumulte qui régnera au-dedans de nous-mêmes.
Par ces diverses raretés Tous les sens étaient enchantés.
Elle n’est pas de ces rares privilégiées dont l’inspiration se traduit impérieusement en images motrices et dont le démon — au sens socratique — de la danse conduit les pas.
Au sortir de ce Lieu charmant, Qui semble d’une enchantement, On passa dans l’Orangerie, Ou la même Galanterie Avait fait, de Feuillages vers, Mieux qu’on ne peut le dire en Vers, Ni par le plus grand préambule, Théâtre, Salle et Vestibule ; Où la Comédie et le Bal, Et même un Cadeau tout royal, Avec des Concerts magnifiques Qu’on prit pour Concerts Angéliques, Extasièrent les cinq Sens De ces illustres Assistants.
Les grands et petits Violons, Qui sont comme autant d’Apollons, Là pareillement vous ravissent, Et, sous leurs tons, les Sens languissent, Par le sentiment du plaisir Qui vient doucement les saisir.
Car la forme même de cet être rare semblait d’essence spirituelle ; les linéaments fluides et allongés de son corps de Péri paraissaient autant de hiéroglyphes au sens caché mais divin. […] J’ai voulu affirmer hautement l’autonomie de la danse qui transforme et exalte le mouvement usuel et le rythme naturel du muscle selon une loi formelle et un sens plus pur.