Un Ballet est un tableau, la Scene est la toile, les mouvements méchaniques des figurants sont les couleurs, leur phisionomie est, si j’ose m’exprimer ainsi, le pinceau, l’ensemble & la vivacité des Scenes, le choix de la Musique, la décoration & le costume en font le coloris ; enfin, le Compositeur est le Peintre. […] Il faudroit que les Maîtres de Ballets consultassent les Tableaux des grands Peintres ; cet examen les rapprocheroit sans doute de la nature ; ils éviteroient alors, le plus souvent qu’il leur seroit possible, cette symmétrie dans les figures qui, faisant répétition d’objet, offre sur la même toile deux Tableaux semblables. […] Ce seroit être aussi fidelle imitateur qu’excellent Peintre, que de mettre de la variété dans l’expression des têtes, de donner à quelques-uns des Faunes de la férocité ; à ceux-là moins d’emportement ; à ceux-ci un air plus tendre ; aux autres enfin un caractere de volupté, qui suspendroit ou qui partageroit la crainte des Nymphes ; l’esquisse de ce Tableau détermine naturellement la composition de l’autre ; je vois alors des Nymphes qui flottent entre le plaisir & la crainte ; j’en apperçois d’autres qui me peignent par le contraste de leurs attitudes, les différents mouvements dont leur ame est agitée ; celles-ci sont plus fieres que leurs compagnes ; celles-là mêlent à leur frayeur un sentiment de curiosité, qui rend le Tableau plus piquant : cette diversité est d’autant plus séduisante qu’elle est l’image de la nature.
Un ballet est un tableau, ou plutôt une suite de tableaux liés entre eux par l’action qui fait le sujet du ballet ; la scène est, pour ainsi dire, la toile sur laquelle le compositeur rend ses idées ; le choix de la musique, la décoration, le costume en sont le coloris ; le compositeur est le peintre. […] Il faudroit que les maîtres de ballets consultâssent les tableaux des grands peintres ; cet examen les rapprocheroit sans doute de la nature ; ils éviteroient alors, le plus souvent qu’il leur seroit possible, cette symétrie dans les figures, qui faisant répétition d’objets, offre sur la même toile deux tableaux semblables. […] Ce seroit être aussi fidèle imitateur qu’excellent peintre, que de mettre de la variété dans l’expression des têtes, de donner à quelques-uns des Faunes de la férocité ; à ceux-là moins d’emportement ; à ceux-ci un air plus tendre ; aux autres enfin un caractère de volupté, qui suspendroit ou qui partageroit la crainte des nymphes.
Le poète s’imagine que son art l’élève au dessus du musicien : celui-ci craindroit de déroger, s’il consultoit le maître de ballets ; celui-là ne se communique point au dessinateur ; le peintre décorateur ne parle qu’aux peintres en sous-ordre ; et le machiniste enfin, souvent méprisé du peintre, commande souverainement aux manœuvres du théatre. […] S’il n’a pas l’art de distribuer les lumières à propos, il affoiblit l’ouvrage du peintre, et il détruit l’effet de la décoration. […] Le peintre étant obligé de mettre des nuances et des dégradations dans ces tableaux, pour que la perspective s’y rencontre, celui qui doit l’éclairer, devroit, ce me semble, le consulter, afin d’observer les mêmes nuances et les mêmes dégradations dans les lumières. […] Les peintres qui secondent son imagination sont, le maître de musique, le maître de ballets, le peintre-décorateur, le dessinateur pour le costume des habits, et le machiniste : tous cinq doivent également concourir à la perfection et à la beauté de l’ouvrage, en suivant exactement l’idée primitive du poète qui à son tour doit veiller soigneusement sur le tout. […] Quant aux décorations, Monsieur, je ne vous en parlerai point ; elles ne péchent pas par le goût à l’opéra ; elles pourroient même être belles, parce que les artistes qui sont employés dans cette partie, ont réellement du mérite ; mais la cabale et une économie mal entendue bornent le génie des peintres, et étouffent leurs talens.
La même observation vaut pour l’« Icône » ; le peintre Jacovleff a réussi, en utilisant des tissus brochés et lamés, à relier le corps de la danseuse au cadre de l’image sainte.
Si le spectateur éclairé ne démêle point, au premier coup-d’œil, l’idée du peintre ; si le trait d’histoire dont il a fait choix ne se retrace pas à l’imagination du spectateur avec promptitude, la distribution est défectueuse, l’instant mal choisi, et la composition obscure et de mauvais goût. […] Vous me direz, peut-être, qu’il ne faut qu’un seul trait au peintre, et qu’un seul instant pour caractériser le sujet de son tableau ; mais que le ballet est une continuité d’actions, un enchainement de circonstances, qui doit en offrir une multitude. […] Je crois décidement, Monsieur, qu’il n’est pas moins difficile à un peintre et à un maître de ballets de faire un poème ou un drame en peinture et en danse, qu’il ne l’est à un poète d’en composer un ; car, si le génie manque, on n’arrive à rien ; ce n’est point avec les jambes que l’on peut peindre ; tant que la tête des danseurs ne conduira pas leurs pieds, ils s’égareront toujours, et leur exécution sera machinale : et qu’est-ce que l’art de la danse quand il se borne à tracer quelques pas avec une froide régularité.
Si le Spectateur éclairé ne démêle point au premier coup d’œil, l’idée du Peintre ; si le trait d’Histoire dont il a fait choix, ne se retrace pas à l’imagination du connoisseur avec promptitude, la distribution est défectueuse, l’instant mal choisi, & la composition froide & de mauvais goût. […] Le Ballet est l’image du Tableau bien composé, s’il n’en est l’original ; vous me direz peut-être qu’il ne faut qu’un seul trait au Peintre, & qu’un seul instant pour caractériser le Sujet de son Tableau, mais que le Ballet est une continuité d’actions, un enchaînement de circonstances qui doit en offrir une multitude ; nous voilà d’accord, & pour que ma comparaison soit plus juste, je mettrai le Ballet en action, en parallele avec la galerie du Luxembourg, peinte par Rubens : chaque Tableau présente une Scene, cette Scene conduit naturellement à une autre ; de Scene en Scene on arrive au dénouement, & l’œil lit sans peine & sans embarras l’Histoire d’un Prince dont la mémoire est gravée par l’amour & la reconnaissance dans le cœur de tous les François. Je crois décidément, Monsieur, qu’il est aussi facile à un grand Peintre & à un célebre Maître de Ballets, de faire un Poëme ou un Drame en Peinture & en Danse, qu’il est aisé à un excellent Poëte d’en composer un ; mais si le génie manque, on n’arrive à rien ; ce n’est point avec les jambes que l’on peut peindre ; tant que la tête des Danseurs ne conduira pas leurs pieds, ils s’égareront toujours, leur exécution sera machinale, & ils se dessineront eux-mêmes froidement & de mauvais goût.
Fatigués de copier les autres, qu’ils s’attachent à imiter la nature ; alors ils seront poètes et peintres, et leurs tableaux seront originaux.
Je le regarde comme le pinceau du peintre, qui trace les figures sur la toile, qui les crée en effet, mais qui est toujours guidé par des inspirations précédentes. […] Observez encore que je n’ai point employé le mot imagination, qu’on croit communément la source unique de l’enthousiasme ; parce que je ne la vois dans mon hypothèse que comme une des causes secondes, et telle (pour m’aider encore d’une comparaison prise de la Peinture), telle, dis-je, qu’est la toile sous la main du peintre. […] Ainsi, sans que rien puisse le distraire, ou l’arrêter, le peintre saisit son pinceau, et la toile se colore, les figures s’arrangent, les morts revivent ; le ciseau est déjà dans la main du sculpteur, et le marbre s’anime ; les vers coulent de la plume du poète, et le théâtre s’embellit de mille actions nouvelles qui nous intéressent et nous étonnent ; le musicien monte sa lyre, et l’orchestre remplit les airs d’une harmonie sublime ; un spectacle inconnu, que le génie de Quinault a créé, et qu’elle embellit, ouvre une carrière brillante aux Arts divers qu’il rassemble ; des masures dégoûtantes disparaissent, et la superbe façade du Louvre s’élève ; des jardins réguliers et magnifiques prennent la place d’un terrain aride, ou d’un marais empoisonné ; une éloquence noble et mâle, des accents dignes de l’homme, font retentir le barreau, nos tribunes, nos chaires ; la face de la France change ainsi rapidement comme une belle décoration de théâtre ; les noms des Corneille, des Molière, des Quinault, des Lully, des Le Brun, des Bossuet, des Perrault, des Le Nôtre, volent de bouche en bouche, et l’Europe entière les répète et les admire : ils sont désormais des monuments immuables de la gloire de notre nation et de l’humanité. […] Les grands poètes, les bons peintres, les musiciens excellents qu’on a cru et qui se sont crus eux-mêmes des gens inspirés, ont été aussi loin sans tant de métaphysique : on refroidit l’esprit, on affaiblit le génie par ces recherches incertaines ou au moins inutiles des causes ; contentons-nous des effets. […] Aussi lorsque vous verrez un homme de lettres, un peintre, un musicien souple, rampant, fertile en détours, adroit courtisan, ne cherchez point chez lui ce que nous appelons le vrai talent.