Il veut fuir ; mais il est arrêté par des gouffres de feu, qui s’entrouvrent sous ses pas ; l’ombre menaçante de Gélanior(1) lui apparoît, elle confirme au Tyran la fin de son règne ; l’inscription s’enflamme et devient plus terrible ; le bruit s’accroit ; le feu s’exhale de toutes parts, et Danaüs ne pouvant plus soutenir la vüe d’un pareil spectacle, tombe sans sentiment sur une couchette. Le bruit cesse ; la main et l’ombre disparoissent ; les caractères s’effacent ; les gouffres se ferment, et Danaüs revoit la lumière. […] Pour donner à l’action un caractère plus effrayant, un chanteur dérobé par le grouppe de sculpture au devant du quel l’ombre apparoît, articule ces mots ; frémis tyran, la mort t’attend.
Toute joyeuse et triomphante de son stratagème, elle s’élance de la barque sur le rivage, et voit bondir à côté d’elle l’ombre légère de son corps mortel, apparition qui la fait fuir, pleine de terreur et de surprise. Dans l’existence d’Ondine, idéale et surnaturelle, aucune ombre n’était projetée par le corps diaphane qui lui avait été donné. Elle a une ombre ! […] Elle joue avec son ombre, elle danse avec elle, elle la taquine, elle la harcèle, elle l’agace, elle la fuit et la poursuit tour à tour. C’est une idée charmante que cette danse de l’Ombre, qui a fait fureur en Angleterre, et où Fanny Cérito déploie une grâce exquise.
On peut encore dans une même Entrée exprimer des mouvemens différens, pourvû qu’ils ayent quelque rapport : les uns peuvent donner des coups de sabre ou des coups de massue, & les autres les parer avec des boucliers ; un Magicien peut invoquer des ombres, des fantômes, & faire des cercles avec sa baguette enchantée, tandis que ces ombres ou les démons feront diverses postures ; des amours peuvent forger des dards, & d’autres s’amuser à percer des cœurs, &c.
— Mais qu’est-elle devenue, l’ombre amoureuse ? […] En vérité, laissez-vous faire ; si vous voulez des baisers, vous en aurez, et aussi de tendres paroles, et dans votre main vous aurez une main vivante, non pas une ombre. […] Mais enfin, quand l’œuvre de ténèbres est accomplie, se montre dans le ciel rasséréné l’aube matinale, et les horribles vieilles se répandent comme la fumée blanche, emblème du soufre dévoré par la flamme, dans les ombres des bois et dans les nuages du ciel ! […] Pour mademoiselle Taglioni, Meyerbeer le terrible, dans son troisième acte de Robert le Diable, a composé le pas ravissant de cette ombre en peine qui achève la défaite du héros. — Elle seule elle a touché à l’idéal de la passion, elle a fait de la danse un art chaste, même dans son emportement.
Osons l’affirmer : la Catchucha de Fanny, le Pas de l’ombre de Taglioni, le libretto de Giselle ne datent pas moins dans les annales de la grande génération romantique que la première d’Hernani, la Barque du Dante, les Méditations. […] « Quand Fanny danse », renchérit-il, « on pense à mille choses joyeuses… … Taglioni vous faisait penser aux vallées pleines d’ombre et de fraîcheur, où une blanche vision sort tout à coup de l’écorce d’un chêne aux yeux d’un jeune pasteur surpris et rougissant ; elle ressemblait à s’y méprendre à ces fées d’Écosse, dont parle Walter Scott, qui vont errer au clair de lune, près de la fontaine mystérieuse, avec un collier de perles de rosée et un fil d’or pour ceinture… » Combien diffère de cet art immatériel, de cette idéale séraphicité de la Sylphide, « ce démon dont n’avait pas rêvé Charles Nodier », la vivacité espagnole de Fanny tempérée par sa naïveté allemande. […] Il compare la ballerine qui rentre dans l’ombre à la cantatrice dont la mort prématurée fut chantée par Musset. […] « Si ce n’était qu’un tour de force nous n’en parlerions pas ; mais cet élan si périlleux forme un groupe plein de grâce et de charme ; on dirait plutôt une plume de colombe soutenue par l’air qu’un corps humain qui se lance d’un plancher… » Mais Gautier ne quitte Le Pas de l’ombre que pour combler des plus hauts éloges le Pas de l’abeille, cette suave et chaste transposition d’une vision d’Orient ardente et lascive.
Des reflets d’or se jouaient dans les plis de la soie chatoyante, et dans cette lumière mon corps se dessinait vaguement en ligne d’ombre. […] Nous marchâmes en silence dans les rues pleines d’ombre. […] Je continuai à danser, m’effaçant dans l’ombre au fond de la scène, puis revenant sous le bec de gaz et tournoyant avec frénésie.
Les danseuses se profilaient sur l’écran d’une toile de fond vaguement colorée ; des draperies figuraient économiquement les coulisses ; décor d’ombres chinoises ; les vaporeux tutus de Raoul Dufy (qui semble tendre la main à Eugène Lamy, costumier, il y a un siècle, de la première Sylphide) peuvent prétendre à un fond plus suggestif.
Dans le même temps l’ombre du délicat Apicius sortit de terre.