Vous pouvez vous imaginer les sentiments de ma mère lorsqu’elle vit sa fille apparaître dans un tel négligé.
Il ne faut avoir, pour aimer la musique et en sentir tout le prix qu’une oreille délicate et une âme sensible, propre à recevoir les émotions délicieuses qu’elle peut leur faire éprouver : les raisonnemens sont toujours au dessous du sentiment, et les dissertations les plus savantes sur cet art, ne valent point les plaisirs et les jouissances qu’il nous procure.
L’homme, condamné dès sa naissance à la peine et au travail, eut besoin de délassement ; ce besoin devint actif ; il sentit que la joye, et le plaisir pouvoient seuls le consoler des fatigues de la journée ; pour éxprimer ses sentimens, il sauta, gambada, et trépigna, fit des bonds, frappa dans ses mains en signe d’allégresse ; ses bras s’associèrent aux mouvements de ses pas et de son corps ; les sons éclatants de sa voix se réunirent à son action ; les traits de sa physionomie s’animèrent ; ses yeux éxprirnèrent le sentiment de la joye ; et ses mouvemets toniques peignirent de concert le plaisir, et le bonheur. […] Soit quelle paraisse isolée, soit quelle sorte du sein de l’harmonie, et du fracas musical, elle se montre avec la simplicité touchante du sentiment et des graces ; elle charme l’oreille, et en parlant au goût, elle remue et berce pour ainsi dire le coeur.
Il raconte alors son aventure avec cette vivacité, cette noblesse, cette confiance que donne la passion dont il est animé, et le sentiment d’une belle action.
Rameau créa un nouveau genre ; son génie triompha des vieilles rubriques ; ses riches compositions étoient alors d’une exécution difficile : en effet le Trio des parques de l’opéra, d’Hypolite et d’Aricie ne put être exécuté qu’après six semaines de répétitions : cependant-il étoit confié aux seconds chanteurs de l’opéra, en 1773 Rameau donna son opéra des Indes galantes, ouvrage rempli tout à la fois de science, de goût et d imagination ; le tremblement de terre fait pour le second acte de cet ouvrage , ne put jamais être exécuté par l’orchestre de l’opéra ; cependant des musiciens habiles et de bonne volonté jouèrent ce morceau à la seconde lecture avec infiniment d’ensemble et de précision ; et l’effet qu’il produisit, entraina les auditeurs au sentiment de l’admiration.
À Rome, dans les beaux jours de l’art, tous les sentiments qu’exprimaient les Danseurs, avaient un caractère si vrai, une si grande force, tant d’énergie, qu’on vit plus d’une fois la multitude entraînée par l’illusion suivre machinalement les différents mouvements du Tableau dont elle était frappée, pousser des cris, répandre des pleurs, partager les fureurs d’Ajax79, ou les tendres douleurs d’Hécube80.
Ainsi, après sa mort, on fit des Opéras coupés comme les siens [Voir Coupe] ; mais qui n’étaient animés ni des grâces de son style, ni des charmes du sentiment qui était sa partie sublime, ni de ces traits brillants de Spectacle qu’il répandait en esprit inventeur dans ses belles compositions.