Cette distinction une fois bien établie, on ne confondra plus trois choses qui s’annoncent avec des caractères distinctifs ; ces trois choses réunies et mises ensemble composent un ballet en action, ou un Drame-ballet-Pantomime. […] L’amitié réunit les deux amans, concilie les deux époux, et cette entrée de neuf personnes qui n’est qu’un épisode, peut donner une esquisse des ballets moraux.
Alexandre par des peintures vivantes, veut augmenter l’enthousiasme de l’Artiste, il ordonne à Campaspe de marcher et de déployer ses Graces, elle se pose dans les attitudes les plus variées et les plus pittoresques : chaque mouvement exprime un sentiment ; elle réunit les graces à la volupté ; les traits de sa figure et le feu de ses regards prêtent l’ame et la vie aux positions de son corps, toutes ces peintures délicieuses enchantent Apelles, et portent à son cœur le trouble et l’émotion. Alexandre voulant lui donner une nouvelle marque de sa bonté, ordonne à ses femmes de se réunir à Campaspe, et d’exécuter avec elle la danse des couronnes ; (cette danse fait allusion aux conquêtes multipliées du héros, et aux lauriers que ses victoires lui ont mérités.)
Les Divinités de la terre, des eaux et de l’air se réunissent aux Jeux, aux Ris et aux Plaisirs ; l’Amour, Vénus et les Graces embellissent cette fête ; Thétis et Pélée y expriment leur félicité ; l’Olympe applaudit à ces jeux et cette première partie de ce ballet, variée de pas d’expression et de caractère, se termine par un grouppe général qui témoigne aux Divinités célestes leur respect et leur reconnoissance. […] Ce spectacle se termine par une fête générale ; Vénus, Paris, l’Amour et les Graces exécutent un pas orné de couronnes et de guirlandes de fleurs ; ce pas vif et brillant offre une foule de grouppes, de passes et de tableaux différens ; ils se succèdent avec rapidité et se dessinent sans confusion ; l’adresse et l’agilité se réunissent à l’art ; ce ballet devient progressivement général.
On peut sans partialité le regarder comme le Roscius de l’Angleterre, puisqu’il réunit à la diction, au débit, au feu, au naturel, à l’esprit & à la finesse cette Pantomime & cette expression rare de la Scene muette, qui caractérisent le grand Acteur & le parfait Comédien. […] Si ce charme diminue, si tel enfant cesse de plaire, si ses bras paroissent moins bien dessinés, si sa tête n’a plus cet agrément qui séduisoit le Spectateur, c’est qu’il grandit, que ses membres en s’allongeant perdent de leur gentillesse, & que les beautés réunies dans un petit espace frappent davantage que lorsqu’elles sont éparses. […] La taille qui est propre au demi-caractere & à la Danse voluptueuse est sans contredit la moyenne ; elle peut réunir toutes les beautés de la taille élégante. […] Ils commencent par leur faire dessiner l’Ovale, ils passent ensuite aux parties de la physionomie, & les réunissent enfin pour former une tête, ainsi des autres parties du corps. […] Les anciens avoient des bras, & nous avons des jambes : réunissons, Monsieur, à la beauté de notre exécution, l’expression vive & animée des Pantomimes ; détruisons les masques, ayons une ame, & nous serons les premiers Danseurs de l’Univers.
C’est avec un verre convexe qui réunit tous les rayons dans un seul point, qu’il nous faut regarder les sujets que nous voulons traiter ; le moindre écart fait perdre de vue les personnages par lesquels nous voulons émouvoir les passions. […] 40La Danse Pantomime-tragique est par conséquent la Tragédie de la Poésie ; elle est celle des Sophocle, des Euripide, des Corneille, des Racine, des Voltaire, ses Danseurs lorsqu’ils ont les qualités que j’ai détaillées sont eux-mêmes les grands Acteurs de la Tragédie, les Riboux, les Lekain, les Dumesnil, les Clairon, avec cette différence à l’avantage de notre Art sur celui de la simple déclamation, que pour être parfait Danseur Pantomime-tragique il faut réunir les deux talents, et être ensemble Vestris et Riboux, la Sallé et la Clairon.
Si le Ballet est le frere aîné des autres Arts, ce n’est qu’autant qu’il en réunira les perfections ; mais on ne sauroit lui déférer ce titre glorieux dans l’état pitoyable où il se trouve, & convenez avec moi, Monsieur, que ce frere aîné fait pour plaire, est un sujet déplorable, sans goût, sans esprit, sans imagination, & qui mérite à tous égards l’indifférence & le mépris de ses sœurs. […] Je considere toutes les productions de ce genre dans les différentes Cours de l’Europe, comme des ombres incomplettes de ce qu’elles sont aujourd’hui & de ce qu’elles pourront être un jour ; j’imagine que c’est à tort que l’on a donné ce nom à des Spectacles somptueux, à des Fêtes éclatantes qui réunissoient tout à la fois la magnificence des décorations, le merveilleux des machines, la richesse des vêtements, la pompe du costume, les charmes de la Poésie, de la Musique & de la Déclamation, le séduisant des voix, le brillant de l’artifice & de l’illumination, l’agrément de la Danse & des Ballets, l’amusement des Sauts périlleux & des tours de force : toutes ces parties détachées forment autant de Spectacles différents ; ces mêmes parties réunies en composent un digne des plus grands Rois.
« Conservez, leur dirai-je, ce recueil précieux ; votre cabinet renferme tout ce que les Dupré, les Camargo, les Lany, les Vestris & peut-être même les Blondi ont imaginé d’enchaînements & de temps subtils, hardis & savants, & cette collection est sans doute très-belle ; mais je vois avec regret que toutes ces richesses réunies n’ont pu vous sauver de l’indigence dans laquelle vous êtes des biens qui vous auroient tiré de la médiocrité. […] Si les Ballets sont des tableaux vivants ; s’ils doivent réunir tous les charmes de la Peinture, pourquoi n’est-il pas permis à nos Maîtres d’exposer sur le Théatre de l’Opéra trois morceaux de ce genre, l’un tiré de l’Histoire, l’autre de la Fable, & le dernier de leur propre imagination ? […] Il réunit aux charmes de la voix un goût & une expression admirable ; il est aussi habile Musicien qu’il étoit excellent Acteur, talent rare chez nos Chanteurs François.