Il a tâché d’exprimer les passions qui y jouent, et l’épouvante qui règnedans la catastrophe. […] Il nous serait presque impossible de nous faire entendre sans la Musique, et plus elle est appropriée à ce que nous voulons exprimer, plus nous nous rendons intelligibles.
[Voir Geste, Geste (Danse), Geste (Chant du Théâtre)] Mais la Peinture n’a qu’un moment qu’elle puisse exprimer. […] L’histoire de l’Art prouve que les Danseurs de génie n’ont eu que ce seul secours, pour exprimer toutes les passions humaines, et les possibilités sont dans tous les temps les mêmes.
C’est un art auquel les Grecs ont donné le nom de Chorographie propre à exprimer les actions & les passions humaines, par des pas composez, par des sauts cadencez, & par tous les mouvemens du corps, soutenus de bonne grace, & conforme à la cadence des instrumens. […] Ils en avoient aussi de figurées, pour exprimer leurs misteres. Platon qui fut leur disciple & leur admirateur, ne put assez louer le génie de celui qui le premier avoit mis en concert & en danse l’harmonie de l’Univers & tous les mouvemens des astres, exprimez par la danse astronomique : il conclut de-là qu’il devoit être un Dieu ou un homme divin. […] Il dit encore qu’il y a trois parties dominantes dans l’homme ; l’irascible, le concupiscible, & le raisonnable : que le Pantomine les représente toutes trois ; l’irascible, quand il contrefait le furieux ; le concupiscible, quand il fait l’amant passionné ; & le raisonnable, quand il exprime une passion modérée. […] Le même Eunapius a dit agréablement que l’ame dansoit dans les yeux, parce qu’il est peu de passions qui ne s’expriment par leurs mouvemens & qui ne deviennent sensibles.
J e vous ai entretenu, Monsieur, dans une de mes précédentes lettres, des obstacles invincibles qui s’opposoient aux progrès de l’art pantomime ; obstacles que l’on ne connoissoit point à Rome ; je vous ai dit que le langage des gestes et des signes y étoit parfaitement entendu, parce qu’il existoit sous le règne d’Auguste des écoles, où on l’enseignoit ; il y avoit même des dictionnaires complets de cette langue muette, propre à exprimer chaque idée par un signe, ou par un geste quelconque. […] Dauberval, mon élève, homme rempli de goût se déclara l’apôtre zélé de ma doctrine et n’en fut point le martyr ; il composa pour l’opéra de Silvie un pas de deux plein d’action et d’intérêt ; ce morceau isolé offrit, l’image d’une scène dialoguée, dictée par la passion, et exprimée par tous les sentiinens que l’amour peut inspirer. […] Vest ris le père avoit obtenu de la cour de France la permission de passer trois mois de chaque année à celle du Duc de Wurtemberg ; on trouvoif chez ce Prince ami des arts, des talens et de le magnificence, la danse la plus belle, la plus nombreuse et la mieux exercée : Les rares talens de Vestris quant à la partie mécanique mirent le sceau à la perfection qu’on y remarquoit ; ce beau danseur ne s’étoit point exercé à l’art pantomime, inconnu alors à l’opéra ; étonné de ma manière de faire et de la nouveauté de mon genre, il sentit qu’il avoit en lui les moyens propres à peindre et à exprimer les passions ; je lui fis jouer successivement les rôles de Renaud dans le ballet d’Armide ; d’Admete dans celui d’Alceste ; de Jason dans Médée ; de Danaüs dans les Danaïdes ; de Pluton dans Proserpine ; d’Hercule dans le ballet de ce nom, d’orphée etc. ; il joua ces différens rôles avec une perfection rare, et encouragé par les succuès qu’il avoit obtenu dans ce nouveau genre, il donna à l’opéra mon ballet de Médée et Jason ; cette scène tragique fut reçue avec enthousiasme et ce fut pour la première fois que la danse en action fit répandre des larmes aux spectateurs. […] Cette harmonie intime de mouvemens de toute la machine ne peut être le résultat des principes de l’école ; l’élève est, si j’ose m’exprimer ainsi, un bloc que les principes dégrossissent ; ils l’ébauchent, mais le goût seul, je le répète, finit et donne à la figure les contours et la grace qu’elle doit avoir pour être vraiment belle.
Tels on voit les enfants exprimer par des sons vifs ou tendres, gais ou tristes, les différentes situations de leur âme. […] On le dit aussi pour exprimer la musique même qu’on exécute. […] La Poésie exprime par les paroles, la Peinture par les couleurs, la Musique par les chants ; et les paroles, les couleurs, les chants doivent être propres à exprimer ce qu’on veut dire, peindre ou chanter. […] Sans parler ici du premier chœur du prologue d’Amadis, où Lully a exprimé éveillons-nous comme il aurait fallu exprimer endormons-nous, on va peindre pour exemple et pour preuve un de ses morceaux de la plus grande réputation. […] Un chant, quelque beau qu’il soit, doit paraître difforme, lorsqu’appliqué à des paroles qui expriment un sentiment, il en exprime un tout contraire.
Ces sons inarticulés qui étaient une espèce de chant ; et (si on peut s’exprimer ainsi) la Musique naturelle, en se développant peu à peu, peignirent d’une manière non équivoque, quoique grossière, toutes les différentes situations de l’âme, et ils furent précédés et suivis à l’extérieur de gestes relatifs à toutes ces diverses situations. […] Les différentes affections de l’âme sont donc l’origine des gestes, et la Danse qui en est composée, est par conséquent l’Art de les faire avec grâce et mesure relativement aux affections qu’ils doivent exprimer.
La pantomime est purement celui des sentimens et des affections de l’âme exprimés par les gestes. […] J’aime mon art ; on doit chérir l’objet qui contribue à notre réputation et à notre subsistance : mais je ne l’aime point d’un amour effréné ; je ne dirai pas dans l’effervescence d’un enthousiasme aveugle, que c’est l’art par excellence ; je me garderai bien de le mettre en parallelle avec la poésie qui dit tout, et avec l’architecture qui ne dit rien ; je conviendrai de bonne foi que les programmes sont les truchemens de la pantomime au berceau ; qu’ils indiquent le trait historique ou fabuleux : qu’ils expriment clairement ce que la danse ne dit que confusément, parceque nos danseurs ne sont ni Grecs ni Romains. […] Ils s’expriment les sentimens les plus tendres. […] Les Témessiens expriment leur joye. […] Elle lui exprime les sentimens les plus tendres, elle veut le couronner de ses propres mains.