Pour peu que le Poëte s’humanisât, il donneroit le ton & les choses changeroient de face, mais il n’écoute que sa verve : dédaignant les autres Arts il ne peut en avoir qu’une foible idée ; il ignore l’effet que chacun d’eux peut produire en particulier, & celui qui peut résulter de leur union & de leur harmonie ; le Musicien à son exemple prend les paroles, il les parcourt sans attention, & se livrant à la fertilité de son génie, il compose de la Musique qui ne signifie rien, parce qu’il n’a pas entendu le sens de ce qu’il n’a lu que des yeux, ou qu’il sacrifie au brillant de son Art & au grouppe d’harmonie qui le flatte, l’expression vraie qu’il devroit attacher au récitatif. […] Voilà l’image du Poëte dans celui du Pere, & l’exemple du Drame dans celui de l’enfant. […] le Kain excellent tragique a suivi l’exemple de M. […] Le Trio des Parques d’Hippolite & d’Aricie qui n’avoit pu être rendu à l’Opéra tel qu’il est, offre un exemple de ce genre.
J’appuierai ensuite ce sentiment par des exemples vivants que l’on ne pourra rejetter si l’on est enfant de la nature, si la simplicité séduit, si le vrai semble préférable à cet Art grossier qui détruit l’illusion & qui affoiblit le plaisir du Spectateur. […] On ne peut rejetter cette proposition, sans ignorer ce que la nature peut produire lorsqu’elle est aidée & embellie des charmes de l’Art ; on ne peut, dis-je, me condamner, qu’en ignorant totalement l’effet séduisant qui résulte de cet arrangement & les métamorphoses intéressantes qu’il opére sans éclipser la nature, sans la défigurer, sans affoiblir ses traits, sans la faire grimacer ; un exemple étayera cette vérité, il lui donnera la force de persuader les gens de goût, & de convaincre une foule d’ignorants incrédules dont le Théatre est infecté. […] Vestris à son exemple a laissé le burlesque pour se livrer à la Danse noble & au grand Sérieux, genre dont il est aujourd’hui le modele le plus parfait. […] A peu près dans le même temps parut Cratès, à l’exemple d’Epicharmus & de Phormis, Poëtes Siciliens ; il donna à la Comédie un Théatre plus décent, & dans un ordre plus régulier.
De cette danse Sacrée, je reviens à celle des Lace-démoniens instituée par Licurgue, à celle des Saliens par Numa Pompilius, à celle qu’a l’exemple des Prophetes, les Mahométans celebrent encore aujourd’hui pour les porter à l’entousiasme : je passe delà à celles qui subsistent en Espagne, en Portugal, & même encore dans quelques Provinces de France, malgré les défenses de l’Eglise & contre les Ordonnances de nos Rois ; ce qui dans les Synodes a donné lieu à agiter si l’on devoit séparer les Maîtres à danser de la Communion des Fidéles, comme on a fait les Comédiens ; séparation qui auroit eu lieu, si l’on n’eût jugé l’éxercice de la Danse d’une vraye utilité pour l’éducation de la jeunesse & pour la politesse des mœurs de la vie civile.
Un exemple, quelque foible qu’il soit, me rendra peut-être plus intelligible, & suffira pour étayer mon sentiment.
Il n’y a point de danse qui ait fait plus de bruit dans l’univers par rapport au culte de la Religion, que celle que firent les Israélites dans le désert, pour honorer le Veau d’or, ou l’idole qu’ils avoient faite des joyaux d’or du peuple, à l’exemple des Egyptiens qui adoroient l’idole ou le bœuf Apis, qui passoit chez ces peuples pour une Divinité : c’est ce qui a fait dire à S. […] L’Histoire des Ordres Monastiques du Pere Héliot nous donne encore une certitude de l’origine de la danse sacrée dans la primitive Eglise ; il dit qu’il s’établit plusieurs Congrégations d’hommes & de femmes au commencement de la Religion Chrétienne, qui se retiroient dans les deserts, à l’exemple des Thérapeutes, pour éviter la persécution des Empereurs Romains ; & que les premiers Chrétiens s’assembloient dans les hameaux les Dimanches & les Fêtes, pour danser en rond en chantant des Pseaumes, des Hymnes & des Cantiques à la louange de Dieu ; ce qui se confirme aussi par l’apologie que Tertulien fit en faveur des premiers Chrétiens, au sujet de ces Danses Sacrées.
Les acteurs en sous-ordre ne paraissent guère que dans ces occasions, c’est-à-dire que ceux qui auraient le plus de besoin d’exercer leur talent pour le développer, sont précisément ceux qui sont les plus oisifs ; c’est pourtant par le travail, par l’exemple, par l’exercice, qu’il est possible de former des acteurs.
Cela n’empêche point que tels « scherzi » du divertissement final — Le petit chat blanc peut-être aient bien des chances d’être appréciés — grâce à leurs jeux harmoniques divers et l’invention mélodique toujours en éveil — comme de charmants exemples de « l’humour » musical.