au Russe que je suis, avec quelle douleur et avec quelle fierté, de remettre à plus tard l’analyse de cette « multiple splendeur » qu’est l’art de Karsavina.
Nous disons : « terrassé par la douleur », mais, en réalité, nous ne faisons attention qu’à la douleur ; « transporté de joie », mais nous n’observons que la joie ; « accablé de chagrin », mais nous ne considérons que le chagrin. […] Nous savons tous que dans les fortes émotions de joie, de douleur, d’horreur ou de désespoir, le corps exprime l’émotion qu’il a reçue de la pensée ; la pensée tient ici lieu de médium et fait comprendre ces sensations au corps.
Hypermnestre livrée à la douleur fait tous ses efforts pour engager ses sœurs à renoncer à un projet si horrible ; mais celles-ci, peu sensibles à une union où leur cœur n’est que foiblemeut intéressé, assurent Hypermnestre, qu’elles volent au parricide pour conserver les jours de leur père ; Hypermnestre ne veut point tremper ses mains dans le sang de Lincée, et se retire dans la ferme résolution de tout entreprendre pour le soustraire à la haine de Danaüs. […] A la lueur d’une lampe suspendue dans la chambre nuptiale, Lincée découvre ses frères massacrés et baignés dans leur sang ; la vue d’un tel spectacle le transporte de fureur ; il veut courir au secours de ses frères ; il veut venger leur mort par celle dn cruel Danaüs ; mais ne pouvant plus soutenir l’idée de tant de forfaits, ni résister à la violence de sa douleur, il tombe sans connoissance dans les bras d’Hypermnestre, elle l’entraîne avec le secours de quelques amis fidèles hors de ce lieu d’épouvante ; elle leur confie les jours de son époux ; elle se retire en implorant leur secours, et en leur recommandant de prendre la fuite avec Lincée. […] Danaüs, toujours inquiet et toujours tourmenté, cherche Hypermnestre ; cette Princesse paroît ; à ses pleurs et à la douleur qui l’accable, le Tyran croit ne pouvoir douter de la mort de Lincée ; dans l’instant qu’il lui témoigne sa satisfaction et qu’il cherche à la consoler, des gardes accourent, lui présentent une lettre de ce Prince adressée à Hypermnestre ; à cette vue Danaüs entre en fureur ; il ordonne de courir promptement après ce fugitif ; il commande à ses Gardes d’enchainer Hypetmnestre, et furieux de sa désobéissance il l’accable de reproches, et ordonne qu’on l’éloigne pour jamais de ses yeux.
Mais ne croyez pas que je m’en occupe dans la prévision d’un nouveau mariage et ne prenez pas la peine de me remontrer les dangers et les douleurs de la solitude. […] Je dévorai encore cette amertume et je dus trouver des consolations pour cette douleur. […] Ma femme partagea ma douleur et la calma autant qu’il était en elle. […] Elle fut pourtant très bonne et s’affecta de ma douleur.
Il joue la tragédie, la comédie, le comique et la farce avec la même supériorité ; il joint à la plus belle diction le ton et les accents vrais de la nature, faire répandre dans la tragédie un torrent de larmes, effrayer le public, l’entrainer à la terreur, et l’épouvanter par la vérité des tableaux déchirans, qu’il lui présente, le pénétrer de la plus vive douleur, l’électriser au feu des passions, et des sentimens, qui embrâsent son âme, tel est le talent de Garrick, tels sont les effets d’une expression vraie, d’une déclamation animée, qui tient tout de la nature, et qui n’emprunte presque rien de l’art. […] Dans ce moment où l’homme égaré marche, profère quelques mots sans suite, tombe dans le silence et l’abattement, en sort avec désespoir, articule des phrases entrecoupées, verse quelques larmes, double le pas sans savoir où il va, s’arrête, lève les bras au ciel, exprime, par un morne silence, et le geste de la douleur, combien son àme est déchirée ; une telle situation, dis-je, annonce le désordre de la raison, et ne peut être regardée que comme le délire de la passion. […] Il ne se trompoit jamais dans le choix des teintes qu’il devoit employer pour la peindre ; dans les instans, par exemple, où il étoit accablé d’une profonde affliction, il ne faisoit point de gestes ; les traits de sa physionomie et ses larmes accompagnoient son récit ; si dans ces momens pénibles il s’en permet toit quelques uns, ils étoient lents, resserrés, et comprimés par la douleur. […] Non, ajoutoit il, la nature a tant fait pour elle, qu’elle a méprisé tous les secours d’un art étranger ; ses yeux, sans être beaux, disoient tout ce que les passions vouloient leur faire dire ; une voix presque voilée, mais qui se ployoit avec flexibilité à l’expression vraie des grands sentimens, et qui étoit toujours au diapason des passions, une diction brulante et sans étude, des transitions sublimes, un débit rapide, des gestes éloquens sans principes, et ce cri déchirant de la nature, que l’art s’efforce envain de vouloir imiter, et qui portoit dans l’âme du spectateur, l’effroi, l’épouvante, la douleur et l’admiration ; tant de beautés réunies, disoit Garrick, m’ont frappé d’étonnement et de respect.
Je ne demande point de vers ; je ne veux que des mots entrecoupés, des cris de désespoir et de douleur, et des exclamations propres à rendre plus effrayans les tableaux déchirans de la scène. […] si ces rideaux se ferment et que Danaiis, content de scs forfaits, fasse éclater le plaisir farouche que son à me cruelle éprouve ; si à son départ, le jour paroit, et qu’au lever de l’aurore on entende des cris confus et effrayans poussés par les remolds, le repentir et la douleur ; (cris prononcés par un choeur de femmes) que dans cet instant, on voye les rideaux s’ouvrir encore et les Danaïdes les cheveux épars, les bras sanglans et armés de poignards fuir le lien de leurs forfaits, si on les voit poursuivies par les spectres de leurs époux, par les furies, les crimes, les remords et la vengeance personnifiés, si tourmentées par tous ces objets, elles sentent la terre s’ébranler et s’eutr’ouvrir sous leurs pas chancelans ; si eIles voyent paroitre la mort armée de sa faux et accompagnée) par les parques ; si elles frémissent et se prosternent en vain, si enfin la mort de concert avec Atropos tranche le fil de leirs jours, et qu’elles soient entraînées et précipitées par les démons dans le fond des enfers, il n’est plus possible que le spectateur puisse soutenir la vüe de tant de tableaux déchirans, sans en être vivement émû. […] Cet assassin voulant dérober son crime, emprunte le masque de la douleur et l’accablement du desespoir.
On sait que Psyché étoit d’une beauté rare ; que Vénus en devint si jalouse, qu’elle employa tout son pouvoir pour la persécuter, que l’Amour frappé des charmes de Psyché, conçut pour elle la passion la plus vive, et qu’il se détermina à l’épouser ; que la curiosité de cette jeune Princesse pour connaître son vainqueur, qui ne la voyoit que la nuit, excita pendant quelque tems la colère de ce dieu, et qu’il l’abandonna quelques instans ; on n’ignore pas, dis-je, que Venus profita de ce moment, pour s’abandonner à sa vengeance, et qu’elle livra la malheureuse Psyché aux fureurs des divinités infernales ; qu’indépendamment des tourmens que les furies lui firent éprouver dans ce séjour de douleur, elle y perdit encore ses charmes et sa beauté ; que l’Amour toujours tendre et toujours épris se fraya une route dans les enfers, qu’il y enleva Psyché prête à perdre la vie, qu’il la transporta dans le palais de Vénus, qu’il reconcilia enfin cette divinité avec Psyché, qui recouvra sa fraîcheur et ses charmes : et que l’Amour l’épousa. […] Psyché en habit de victime est enchaînée sur un rocher escarpé ; elle ne peut regarder sans frémir les précipices dont elle est environnée : accablée sous le poids de son infortune, elle étend les bras vers le ciel, elle implore son secours, et ne pouvant plus résister aux images effrayantes que son imagination lui trace, elle tombe presque mourante, dans l’attitude la plus propre à exprimer l’excès de sa douleur et de son désespoir. […] L’Amour, vivement épris des charmes de Psyché, ne peut être insensible à sa douleur ; il veut la soustraire aux dangers qui la menacent, et à la vengeance de Vénus : Il paroît avec Zéphyre, et lui ordonne de transporter Psyché dans son palais.