Si notre art, tout imparfait qu’il est, séduit et enchaîne le spectateur ; si la danse denuée des charmes de l’expression, cause quelque fois du trouble, de l’émotion, et jette notre âme dans un dèsordre agréable ; quelle force et quel empire n’auroit-elle pas sur nos sens, si ses mouvemens étoient dirigés par l’esprit, et ses tableaux esquissés par le sentiment !
Si ces prétendus maîtres de ballets se faisoient lire ce qu’Apulée a écrit sur leur art, s’ils pouvoient entendre et concevoir les longues énumérations des qualités et des connoissances que doit avoir le maître de ballets, ils seroient effrayés de leur ignorance, ils abandonneroient une profession qui n’est pas faite pour eux et qu’ils dégradent journellement par des productions monstrueuses : en se bornant au pur méchanisme de l’art, nous serions plus riches en bons figurants, et les ballets prendroient alors une forme plus sage, un caractère plus imposant ; ils offriroient des tableaux plus agréables, un intérêt plus soutenu, des situations plus naturelles, des groupes mieux dessinés, des contrastes moins choquants et une action plus vive, plus noble et plus expressive.
Son talent comme actrice est déjà fort agréable.
on trouvoit encore dans ces magasins des masques de femmes tout, aussi volumineux, mais non pas si laids ; ils servoient à de jeunes acteurs, qui avoient une voix douce et agréable ; car il n’est fait aucune mention dans les écrits des anciens des noms des femmes dont les talens avoient embelli la scène ; ils ne parlent que d’Ampuse, de Tymèle, et de Dyonisia, célèbres pantomimes ; elles s’attachoient à peindre la volupté ; plusieurs auteurs assurent qu’excitées par les applaudissemens que leur prodiguoient les jeunes gens, elles avoient porté la pefection de leur jeu au dernier période d’indécence.
Si notre Art, tout imparfait qu’il est, séduit & enchaîne le Spectateur ; si la Danse dénuée des charmes de l’expression cause quelquefois du trouble, de l’émotion, & jette notre ame dans un désordre agréable ; quelle force & quel empire n’auroit-elle pas sur nos sens, si ses mouvements étoient dirigés par l’esprit & ses Tableaux esquissés par le sentiment !
Mais depuis ce tems-là les Balets se sont bien perfectionnez, puisqu’il n’est point de sujets dont on n’en puisse faire une représentation aussi agréable que convenable au Théâtre ; ce qu’on pourra connoître par le Catalogue que je rapporte de ceux qui ont été faits dans toutes les Cours de l’Europe, du moins jusqu’à la fin du siécle précédent ; sans parler de ceux qui se sont faits de nos jours en France depuis l’établissement de l’Opéra, dont ceux de l’Europe galante, des Arts & des quatre Saisons n’ont pas été des moindres. […] Aussi-tôt après, dans l’avenue du Palais enchanté d’Armide, des Amours déguisez en Bergers, tâcherent par leurs chants, leurs danses & le son de leurs instrumens, de retenir Regnaud auprès de la beauté dont il étoit aimé : mais ce guerrier détrompé par la gloire qui l’appelle, suit constamment les deux valeureux Chevaliers qui le sont venus délivrer de cette agréable prison. […] Après avoir fait voir que les plus grands sujets peuvent servir de matiere pour la composition d’un Balet, je veux pour servir de contraste à ce grand spectacle, rapporter ici le Balet qui fut dansé à la Cour de Savoie en 1653, dont le sujet étoit le gris de lin, qui étoit la couleur favorite de Madame Chrétienne de France Duchesse de Savoie : ce sujet paroît d’abord assez ingrat ; mais l’invention dont se servit M. le Comte d’Aglie auteur de ce Balet, le rendit d’une agréable représentation.
Entassez, tant qu’il vous plaira, ces foibles monumens de la gloire de nos danseurs célèbres ; je n’y vois, et l’on n’y verra que le premier trait, ou la première pensée de leurs talens ; je n’y distinguerai que des beautés éparses, sans ensemble, sans coloris ; les grands traits en seront effacés ; les proportions, les contours agréables ne frapperont point mes yeux ; j’appercevrai seulement des vestiges et des traces d’une action dans les pieds, que n’accompagneront ni les attitudes du corps, ni les positions des bras, ni l’expression des têtes ; en un mot, vous ne m’offrirez qu’une toile sur la quelle vous aurez conservé quelques traits épars de différens maîtres. » J’ai appris, Monsieur, la Chorégraphie, et je l’ai oubliée ; si je la croyois utile à mes progrès, je l’apprendrois de nouveau. […] Figurez-vous donc l’avantage que l’on a d’être constamment à l’affût des sujets agréables formés dans la province, dès qu’on peut se faire honneur des talens qu’on ne leur a pas donnés.