Avec de l’imagination, de l’étude et du discernement, on peut se flatter de le porter bientôt à son plus haut point de gloire ; mais c’est surtout dans les Opéras de Quinault qu’il aurait pu atteindre rapidement à la plus éminente perfection, parce que ce Poète n’en a point fait dans lequel il n’ait tracé, avec le crayon du génie, des actions de Danse les plus nobles, les mieux liées au sujet, les moins difficiles à rendre.
Il est vrai, qu’il y en a plusieurs qui n’ont aucuns desseins, ni aucuns goûts, puisque c’est toûjours les mêmes figures, sans aucuns pas assurez, toute la plus grande perfection de ces contre-danses, est de se bien tourmenter le corps, de se tirer en tournant, de taper des pieds comme des Sabotiers, & de faire plusieurs attitudes qui ne sont point dans la bien-séance : on me dira que cela divertit une compagnie ; parce que plusieurs personnes dansent à la fois, il n’est pas impossible de faire des danses où plusieurs personnes peuvent danser ensemble, mais avec des pas & des regles gracieuses & moderées à l’imitation des danses Allemandes, que j’ai veu danser en Allemagne ; quoiqu’elles changent de mouvement, il s’y garde une certaine regle qui ne cause point de confusion, surtout parmi les personnes de distinction, ainsi on peut composer des danses qui soient dansées à plusieurs personnes, & qui peuvent avoir different mouvement, comme d’air à deux tems legers & de Menuet, mais je souhaiterois que Messieurs les Maîtres qui composeroient ces danses les missent en Choregraphie, afin que l’on puisse les danser regulierement.
Le Coupé ordinaire est composé de deux pas ; sçavoir, un demi-coupé, & un pas glissé : comme je m’aperçois que le terme de glisser pourroit n’être pas connu de tout ceux qui apprennent à danser ; sur tout cette jeunesse à qui trés-souvent la trop grande vivacité leur fait oublier ce que leur Maître leur enseigne ; c’est à cette occasion que je fais la remarque suivante : Le pas glissé est de passer le pied doucement devant soi en touchant le parquet ou plancher très-legerement ; ce qui doit s’entendre que ce pas est plus lent que si l’on portoit le pied sans qu’il touchât à terre, ainsi se glisser signifie un pas trés-lent, ce qui fait en partie la perfection du coupé : il doit être plié à propos, élevé en cadence & soûtenu gracieusement.
Cependant je vais faire voir qu’elle doit son origine à plusieurs Divinitez & aux plus grands hommes de l’Antiquité la plus reculée ; les premiers Législateurs s’en sont servi pour la perfection des mœurs, les Sacrificateurs & les grands Prêtres ont employé la Danse sacrée au culte le plus considérable de la Religion, comme nous le voyons encore aujourd’hui dans celles des Juifs & des Mahométans, & les plus grands Héros de l’Antiquité l’ont regardée comme le premier élément de l’art de la Guerre. […] Socrate, le plus sage de son tems, au jugement des Dieux mêmes, n’a pas seulement loué la Danse, comme une chose qui sert beaucoup à donner la bonne grace, mais il voulut encore l’apprendre dans sa vieillesse, d’Aspasie célébre Danseuse & très-versée dans les sciences ; tant il admiroit cet exercice, quoiqu’elle ne fût pas de son tems dans la perfection où elle est parvenue après : il souhaittoit l’avoir appris dès son enfance ; il enjoignoit aux peres de donner cette instruction à leurs enfans, comme un des premiers élémens de la vie civile. […] Ainsi la perfection de cet art est de contrefaire si bien ce que l’on joue, qu’on ne fasse ni gestes ni postures qui n’ayent du rapport à la chose qu’on représente, & surtout qu’on garde le caractere de la personne, soit d’un Prince, ou de quelqu’autre que ce soit ; ce qui fit dire encore à un étranger de considération qui n’avoit jamais assisté à ces sortes de spectacles, ne voyant qu’un seul Danseur avec des masques & des habits differens pour représenter un Ballet, qu’il falloit que dans un seul corps il y eût plusieurs ames. […] Quant aux perfections du corps pour bien exprimer la danse, les Anciens vouloient que le Danseur ou le Pantomime ne fût ni trop gras ni trop maigre, qu’il eût le corps ferme & souple tout ensemble, pour se pouvoir arrêter tout court ou tourner en un instant, & qu’il eût beaucoup de présence d’esprit pour l’execution du sujet qu’il représente ; tel que nous l’avons vû de nos jours dans un nommé Dolivet, qui dansoit dans les premiers Balets du tems de Louis XIV.
« On ne peut être excellent danseur, sans être ferme sur ses reins, eût-on même toutes les qualités essentielles à la perfection de cet art.
Le mélange que les danseurs ont fait de la cabriole avec la belle danse, a altéré son caractère, et dégradé sa noblesse ; c’est un alliage qui diminue sa valeur, et qui s’oppose ainsi que je le prouverai dans la suite, à l’expression vive et à l’action animée qu’elle pourroit avoir, si elle se dégageoit de toutes les inutilités qu’elle met au nombre de ses perfections. […] Si le ballet est le frère des autres arts, ce n’est qu’autant qu’il en réunira les perfections ; mais on ne sauroit lui déférer ce titre glorieux dans l’état pitoyable où il se trouve ; et convenez avec moi, Monsieur, que ce frère, fait pour faire honneur à la famille, est un sujet déplorable, sans goût, sans esprit, sans imagination, qui mérite à tous égards d’être méconnu.