Il paraît qu’elle a dû un instant quitter la danse pour le chant.
Avant de suivre Fanny Elssler à Paris, qu’on nous permette de revenir un instant en arrière pour raconter le roman de sa jeunesse, sa liaison avec Gentz.
Sur les trois heures M. le prévôt des marchands, qui était sorti un instant de l’appartement du Roi, y rentra, et eut l’honneur de dire à sa Majesté qu’elle était servie. […] Le signal fut donné, et dans le même instant le temple de l’Hymen, tous les édifices qui bordent des deux côtés les quais superbes qui servaient de cadre à ce spectacle éclatant, le Pont-Royal et le Pont-Neuf, les échafauds qui étaient élevés pour porter cette foule de spectateurs, les amphithéâtres qui remplissaient les terrains depuis les bords de la Seine jusqu’à fleur des parapets, tout fut illuminé presqu’au même moment : on ne vit plus que des torrents de lumière soumis à l’art du dessein, et formant mille figures nouvelles, embellies par des contrastes, détachées avec adresse les unes des autres, ou par les formes de l’architecture sur lesquelles elles étaient placées, ou par l’ingénieuse variété des couleurs dont on avait eu l’habileté d’embellir les feux divers de la lumière. […] On y mit le feu par les deux extrémités au même instant ; et au moment qu’elle parut, les deux petites girandes d’accompagnement, placées sur le milieu des trottoirs du Pont-Neuf, de chaque coté, composées chacune d’environ cinq cents fusées, partirent, et une dernière salve de canon termina cette magnifique fête. […] On peut juger que les eaux admirables de tous ces jolis bosquets jouèrent pendant tout le temps que la Reine voulut bien y rester ; et la réflexion des coups de lumière qui partaient du nombre immense des lumières qu’on y avait répandues, augmentait et variait à tous les instants les charmes de cet agréable séjour.
On ne peut être bon danseur sans être ferme sur ses reins ; si on les abandonne, il est impossible de se soutenir dans une ligne droite ; on risque à chaque instant de perdre le centre de gravité, et l’on ne saurait retrouver son équilibre, qu’après des efforts et des contorsions qui ôtent à la danse tout son agrément. […] Il faut, pour que des tems battus soient agréables, bien plier pour les commencer, et bien tendre surtout les coudes-pieds, qu’il faut éloigner de terre le moins possible, en ne s’enlevant pas trop haut dans le moment de l’exécution ; bien serrer les jambes dans cette exécution qui s’opère en l’air ; ne point abandonner cette tension dans cet instant, et jusqu’à ce que l’on soit retombé, sans quoi les tems cesseraient d’entrer ou de passer, ce qu’il faut observer avec soin ; bien entrer chaque tems (entrechat entrer chaque tems), ne point prendre de force au-delà de la ceinture, c’est-à-dire qu’elle ne soit que dans les jambes et dans les reins, et non dans aucune autre partie du corps.
Pour cette population, l’apparition de Fanny Elssler marquait une halte dans une existence de labeur ; c’était, pour un instant, l’évasion de la galère quotidienne ; c’était la joie de vivre.
« Mme de Mirbel a dû retirer les deux médaillons de l’exposition, afin que personne ne soupçonnât que l’héritier présomptif du trône de France et la reine de la danse avaient pu se trouver un instant enchâssés dans le même passe-partout sur le pied de l’égalité. » Le Charivari fait observer que des rois et des empereurs ont eu plus d’égards pour les actrices, Napoléon pour Mlles George et Duchesnois, le roi de Prusse pour Mlle Sontag, le tsar Nicolas pour Mlle Taglioni.