vous devez prendre garde à ne point donner témérairement le nom de danseur à un consul du peuple romain ; mais pour donner quelque fondement à votre accusation, vous devez auparavant considérer et faire voir à quels vices il faut que celui contre qui vous l’intentez ait été sujet, pour rendre croyable ce que vous lui reprochez ; car on ne peut guère trouver quelqu’un qui danse, étant sobre, à moins qu’il ne soit fou : Nemo ferè saltat sobrius, nisi insanus . » Le fondement de cette maxime est qu’en effet les mouvemens, les gestes et les sauts des personnes qui dansent, sont absolument contraires à ceux d’une personne qui se possède, et semblent marquer que celles en qui on les voit, sont comme en fureur et ne sont pas maîtresses d’elles-mêmes. C’est ce qui fait dire à Louis Vivès, précepteur de l’empereur Charles-Quint, dans un excellent ouvrage qu’il a fait, sur la manière de bien élever une fille chrétienne, au titre des danses, après avoir rapporté les paroles des deux païens que je viens de citer : « Je me souviens d’avoir entendu dire que quelques personnes arrivées depuis peu en France, ayant vu des femmes danser, en furent si effrayées, qu’elles prirent la fuite, les croyant et les disant agitées de quelque fureur extraordinaire. En effet, ajoute Vivès, qui est-ce qui, n’ayant jamais vu personne danser, peut, la première fois qu’il en voit, ne pas croire que celles qu’il voit danser sont en fureur, rien n’étant plus contraire à l’état d’une personne sensée que celui où l’on se met en dansant ? […] Scipion témoigne sa douleur, dans une oraison contre Tibérius Gracchus, de ce qu’il avoit vu en sa jeunesse une école où il y avoit cinq cents personnes, tant garçons que filles, qui apprenoient à danser.
Par rapport aux regards qu’on jette sur des personnes d’un sexe différent, délibérément et avec attention, le Saint-Esprit dit dans le chapitre 9 du livre de l’ecclésiastique (v. 3.). […] Que dis-je, n’est-il pas au contraire de l’essence de la danse de fixer ses regards sur la personne ? […] Le Saint-Esprit, parlant en particulier dans la livre des proverbes, des personnes de l’autre sexe dont la fréquentation et les entretiens sont plus dangereux, parce qu’elles sont plus portées et plus propres à séduire ceux qui ont l’imprudence de s’arrêter avec elles, dit de ces sortes de personnes : (Prov. c. 5, vv. 3 à 8.) […] Enfin, l’écrivain sacré défend les manières trop familières et trop libres d’agir avec des personnes d’un sexe différent. […] C’est encore pour nous avertir de fuir les manières trop libres d’agir avec des personnes d’un autre-sexe, qu’il est dit dans le livre de l’ecclésiastique : (c. 9, vv. 12 et 13.)
Ces défauts, insultans pour la personne devant qui l’on danse, ne peuvent être soutenus et vantés que par des gens tout-à-fait étrangers aux convenances et au ton de la bonne compagnie, qui voudraient nous faire admirer leurs prétendues innovations, et qui ne peuvent cependant se défendre d’admirer eux-mêmes une belle exécution. […] Une autre observation qui paraîtra peut-être puérile, c’est d’éviter de danser dans des endroits trop petits, qui nuisent au développement des membres et à leur extension, ou au moins leur ôtent cette aisance sans laquelle le danseur n’a plus de grâce ; de danser au nombre de plus de huit personnes, ce qui est le nombre ordinaire pour former les quadrilles ou contredanses. […] Nous le disons, cette manière de danser répugne aux personnes d’un bon goût ; ce n’est plus que désordre, confusion, et brutalité ; il fait beau de voir les dames exposées à recevoir à chaque instant des coups d’épaules. […] Il vaudrait mieux, s’il était possible, que les jeunes personnes à qui la danse est donnée comme faisant partie de leur éducation, sous le rapport du maintien, des grâces, du ton et des manières, renonçassent pour jamais à danser plutôt que de danser ainsi. […] Il serait nécessaire, pour exécuter cette règle, que les personnes qui donnent des bals prissent, à cet effet, un homme initié dans la danse, tel qu’un répétiteur ou un musicien même, ou tout autre personne qui pût remplir cette fonction.
Ce sont des assemblées de personnes de différent sexe, et surtout de jeunes personnes, où, au son de quelques instrumens ou de quelques chansons, de jeunes garçons dansent avec de jeunes filles, et où, pendant les intervalles de leurs danses, ils s’entretiennent de choses pour le moins très-vaines, si elles ne sont pas mauvaises, et agissent les uns avec les autres d’une manière très-familière. […] Or, quoi de plus propre à faire revenir tant de personnes de leurs préventions à cet égard, que d’accabler, pour ainsi dire, par la multitude et le poids des preuves, ces esprits que leurs préjugés portent à se roidir contre tout ce qu’on leur oppose ? […] J’ai dit, 1.° que les danses sont des assemblées de personnes de différent sexe, et surtout de jeunes personnes qui se réunissent pour se réjouir ensemble. […] Poussée par le désir indiscret de voir et d’être vue, elle sortit pour aller voir, non des personnes d’un autre sexe, mais les femmes du pays de Sichem, apparemment pour étudier leur démarche, leurs ajustemens et leurs manières. […] J’ai dit en troisième lieu des danses telles qu’elles se pratiquent aujourd’hui, que comme chacune des personnes qui vont aux assemblées pour danser, ne danse pas toujours, les intervalles de temps que la danse n’occupe pas, sont ordinairement remplis par des conversations et des manières d’agir très-libres que les jeunes personnes de différent sexe ont ensemble, et qui ne peuvent que faire de très-grandes plaies à la chasteté.
Si les confesseurs, dit-on, sont aussi fermes contre les danses, qu’on dit dans ce traité qu’ils doivent l’être, et s’ils refusent l’absolution aux personnes qui ne veulent pas y renoncer, il arrivera que plusieurs de ces personnes abandonneront les sacremens. […] Et en effet, dans le petit nombre des conversions qui se font aujourd’hui, il est aisé de remarquer que pour l’ordinaire c’est par le ministère des confesseurs les plus instruits des règles et les plus attentifs à les suivre, que Dieu les opère : ils ont à la vérité la douleur de se voir souvent abandonnés de ceux à qui la sainte vérité de l’Evangile déplaît, et qui veulent être conduits par la voie large ; mais quant à l’exactitude et à la fermeté, les confesseurs joignent une grande charité et une grande douceur pour ceux qui leur résistent, et que leurs exhortations sont soutenues par des prières fréquentes et ferventes ; Dieu leur donne aussi de temps en temps la consolation de voir quelques-unes de ces personnes se repentir de leur résistance, céder enfin à la force de la vérité, les remercier de ce qu’ils ne la leur ont pas cachée, et de ce qu’ils n’ont pas eu pour elles une indulgence qu’ils auroient jugée cruelle, parce qu’elle les auroit perdus.