C’est ainsi que la nature a donné à l’homme l’organe qu’elle a destiné au chant et aux oreilles françaises que la satiété n’a point encore gâtées, la faculté de le sentir et de l’apprécier. […] ) La nature a donné à la voix humaine une étendue fixe de tons ; mais elle en a varié le son à l’infini, comme les physionomies. […] Nos Musiciens en France n’ont consulté que la nature, et voici la division qui leur sert de règle. […] On a vu plus haut quelle est l’étendue déterminée par la nature des voix de dessus. […] Mais ces trois voix de qualités inégales, laissent toujours sentir une dissemblance qui montre l’art à découvert, et qui par conséquent dépare toujours la nature.
Je trouve, dans ses compositions, l’indication évidente de deux objets qu’il a cru que la Danse devait y remplir ; et ces objets sont tels, que la connaissance de l’art et celle de la nature a pu seule les lui suggérer. […] Cette joie se varie, prend des nuances différentes, des couleurs, des tons divers suivant la nature des événements, le caractère des Nations, la qualité, l’éducation, les mœurs des Peuples. […] La règle est constante, parce qu’elle est puisée dans la nature, que l’expérience de tous les siècles la confirme, qu’en s’en écartant, la Danse n’est plus qu’un ornement sans objet, qu’un vain étalage de pas, qu’un froid composé de figures sans esprit, sans goût et sans vie.
Un beau Tableau n’est qu’une copie de la nature ; un beau Ballet est la nature même, embellie de tous les charmes de l’Art. Si de simples images m’entraînent à l’illusion ; si la magie de la Peinture me transporte ; si je suis attendri à la vue d’un Tableau ; si mon ame séduite, est vivement affectée par le prestige ; si les couleurs & les pinceaux dans les mains du Peintre habile, se jouent de mes sens au point de me montrer la nature, de la faire parler, de l’entendre & de lui répondre ; quelle sera ma sensibilité ! […] S’il veut persuader, qu’il dessille les yeux trop fascinés des jeunes danseurs, & qu’il leur dise : « Enfants de Terpsichore, renoncez aux cabrioles, aux entrechats & aux pas trop compliqués ; abandonnez la minauderie pour vous livrer aux sentiments, aux graces naïves & à l’expression ; appliquez-vous à la Pantomime noble ; n’oubliez jamais quelle est l’ame de votre Art ; mettez de l’esprit & du raisonnement dans vos pas de deux ; que la volupté en caractérise la marche & que le génie en distribue toutes les situations ; quittez ces masques froids, copies imparfaites de la nature ; ils dérobent vos traits, ils éclipsent, pour ainsi dire, votre ame, & vous privent de la partie la plus nécessaire à l’expression ; défaites-vous de ces perruques énormes & de ces coëffures gigantesques, qui font perdre à la tête les justes proportions qu’elle doit avoir avec le corps ; secouez l’usage de ces paniers roides & guindés qui privent l’exécution de ses charmes, qui défigurent l’élégance des attitudes, & qui effacent la beauté des contours que le buste doit avoir dans ses différentes positions. « Renoncez à cette imitation servile qui ramene insensiblement l’Art à son berceau ; voyez tout ce qui est relatif à votre talent ; soyez original ; faites-vous un genre neuf d’après les études que vous aurez faites : copiez, mais ne copiez que la nature ; c’est un beau modele, il n’égara jamais ceux qui l’ont exactement suivie.
Tous ceux qui sont subjugués par l’imitation oublieront toujours la belle nature pour ne penser uniquement qu’au modele qui les frappe & qui les séduit, modele souvent imparfait & dont la copie ne peut plaire. […] Voilà les raisons sur lesquelles ils se fonderont pour assujettir les Arts au caprice & au changement, parce qu’ils ignoreront qu’ils sont enfants de la nature ; qu’ils ne doivent suivre qu’elle, & qu’ils doivent être invariables dans les regles qu’elle prescrit. […] Diderot n’a eu d’autre but que celui de la perfection du Théatre ; il vouloit ramener à la nature tous les Comédiens qui s’en sont écartés. […] En vain cherche-t-on à ramener l’Art à la nature, la désertion est générale ; il n’est point d’amnistie qui puisse déterminer les Artistes à revenir sous ses étendards & à se rallier sous les Drapeaux de la vérité & de la simplicité. […] Elle imitoit les accents de la nature : sans être d’un chant uniforme elle étoit harmonieuse.
Seroit-ce par une fatalité attachée à la nature humaine que nous nous éloignons toujours de ce qui nous convient, & que nous nous proposons si communément de courir une carriere dans laquelle nous ne pouvons ni marcher ni nous soutenir ? […] J’avoue que pour y parvenir il faut une sagacité réelle, car sans réflexion & sans étude, il n’est pas possible d’appliquer les principes selon les genres divers de conformation, & les degrés différents d’aptitude ; on ne peut saisir d’un coup d’œil ce qui convient à l’un, ce qui ne sauroit convenir à l’autre, & l’on ne varie point enfin ses leçons à proportion des diversités que la nature ou que l’habitude souvent plus rebelle que la nature même, nous offre & nous présente. […] Si l’Art peut alors l’emporter sur la nature, de quels éloges le Danseur ne se rend-il pas digne ? […] Avant de terminer cette Lettre, revenons un moment aux Danseurs jarretés & arqués, & souffrez que je vous mette sous les yeux deux exemples vivants : c’est Monsieur Lany & Monsieur Vestris ; tous deux célebres, tous deux inimitables, ils vous convaincront qu’il est un Art qui en corrigeant la nature, sait l’embellir. […] La nature n’a pas exempté le beau sexe des imperfections dont je vous ai parlé, mais l’artifice & la mode des jupes sont heureusement venus au secours de nos Danseuses.