Les Romains qui se sont fait une gloire de surpasser toutes les nations par leurs prodigalitez, ont ajoûté quelquefois des Loteries aux festins & aux bals, dont les lots noires étoient distribuez gratis aux conviez de ces sortes d’assemblées ; surtout à la célébration des mariages, où l’on dansoit des danses nuptiales fort licentieuses, qu’ils tenoient des Latins & des Toscans, & qui avoient beaucoup de rapport à celles des Baccantes & des Satyres, c’est-à-dire très impudiques : comme elles tendoient à la corruption des mœurs, elles furent abolies par l’Empereur Tibere, qui réforma autant qu’il put le luxe des Romains pendant son régne. […] Toutes ces nations firent un spectacle assez divertissant pendant une partie du repas ; on forma ensuite un grand cercle dans le centre du Salon, pour le bal de cérémonie, où toute la Cour se distingua par la gravité & la noblesse des danses sérieuses, qui étoient en usage dans ce tems-là, entre autres la Pavanne d’Espagne, le Pazzemeno d’Italie, les Courantes de France, la Bourée, le Passepied, la Sissonne, &c. […] J’ai oui dire à nos fameux Danseurs que l’usage des contre-danses nous vient d’un Maître à danser d’Angleterre, arrivé en France il y a douze ou quinze ans ; elles passent chez cette nation pour des danses de contrée : mais dans leur origine, elles passoient chez les Anciens pour des danses renversées, comme nous avons dans la Musique l’usage de la fugue & de la contre-fugue.
En s’attachant scrupuleusement à peindre le caractère, les mœurs et les usages de certaines nations les tableaux seroient souvent d’une composition pauvre et monotone : aussi y auroit-il de l’injustice à condamner un peintre sur les licences ingénieuses qu’il auroit prises, si ces mêmes licences contribuoient à la perfection, à la variété et à l’élégance de ses tableaux. Lorsque les caractères sont soutenus, que celui de la nation qu’on représente n’est point altéré, et que la nature ne se perd pas sous des embellissemens qui lui sont étrangers et qui la dégradent ; lorsqu’enfin l’expression du sentiment est fidèle, que le coloris est vrai, que le clair-obscur est ménagé avec art, que les positions sont nobles, que les groupes sont ingénieux, que les masses sont belles et que le dessin est correct, le tableau dèslors est excellent et produit son effet. Je crois, Monsieur, qu’une fête Turque ou Chinoise ne plairoit point à notre nation, si on n’avoit l’art de l’embellir ; et je suis persuadé que la manière de danser de ces peuples ne seroit point en droit de séduire : Ce costume exact et cette imitation n’offriroient qu’un spectacle très plat, et peu digne d’un public, qui n’applaudit qu’autant que les artistes ont l’art d’associer la délicatesse et le goût aux différentes productions qu’on lui présente.
En s’attachant exactement à peindre le caractere, les mœurs & les usages de certaines Nations, les tableaux seroient souvent d’une composition pauvre & monotone ; aussi y auroit-il de l’injustice à condamner un Peintre sur les licences ingénieuses qu’il auroit prises, si ces mêmes licences contribuoient à la perfection, à la variété & à l’élégance de ses tableaux. Lorsque les caracteres sont soutenus ; que celui de la Nation qu’on représente n’est point altéré, & que la nature ne se perd pas sous des embellissements qui lui sont étrangers & qui la dégradent ; lorsqu’enfin l’expression du sentiment est fidelle ; que le coloris est vrai ; que le clair-obscur est ménagé avec art ; que les positions sont nobles ; que les grouppes sont ingénieux ; que les masses sont belles & que le dessein est correct, le tableau dès-lors est excellent & mérite les plus grands éloges. Je crois, Monsieur, qu’une Fête Turque ou Chinoise ne plaîroit point à notre Nation, si on n’avoit l’art de l’embellir, & je suis persuadé que la maniere de danser de ces Peuples ne seroit point en droit de séduire ; ce costume exact & cette imitation n’offriroient qu’un spectacle très-plat & peu digne d’un Public qui n’applaudit qu’autant que les Artistes ont l’art d’associer la délicatesse & le génie aux différentes productions qu’on lui présente.
Chacun de ces arts s’empressa à l’envi à lui donner de la célébrité par les chefs-d’oeuvre immortels qu’il enfanta ; ces monumens de leur triomphe firent la gloire de l’heureuse contrée, qu’ils embellissoient ; ils servirent de modèles à toutes les nations ; et nous cherchons encore aujourd’hui dans ces chefs-d’oeuvre précieux, échappés à la main destructive des tems, et de la barbarie de l’ignorance, les sources rares et pures du vrai beau en tout genre.
Personne assurément ne s’avisera de citer comme une preuve de goût de notre nation pour le chant, ces insipides rapsodies dont les Troubadours modernes assourdissent tous les jours nos oreilles, et qui pourtant font les délices de la majeure partie du peuple : mais si vous aviez parcouru comme moi les principales villes d’Italie, vous auriez entendu à Vénise de simples gondoliers chanter en ramant les beaux vers du Tasse, de l’Orlande Furioso, de Métastase, avec plus de grace et de justesse que l’on ne chante à l’opéra de Paris ; vous eussiez été surpris de rencontrer le soir dans les rues des ouvriers de toutes les classes, formant entre eux des concerts plus mélodieux et plus touchans que le Sabbat musical dont retentissent nos Cafés des Boulevards et nos catacombres du Palais Royal.