Goût (bon), 13.
Il l’amusait, en développant ses grâces, en les lui faisant apercevoir, en lui donnant du goût pour un exercice qui devait flatter son amour propre, puisqu’il la rendait plus capable de plaire.
Il ne faut pas croire cependant que mon goût pour le genre tragique soit exclusif ; j’ai parcouru tous les genres, Variété doit être la devise du maître de ballets. […] Rameau avoit posé les limites sages qui convenoient au genre de musique propre à la danse ; ses chants étoient simples et nobles : en évitant la monotonie des airs et des mouvemens aux quels ses prédécesseurs s’étoient livrés, il les avoit variés ; et ayant senti que les jambes ne pouvoient se mouvoir avec autant de vitesse que les doigts, et que le danseur étoit dans l’impossibilité de faire autant de pas que les airs présentent de notes, il les phrâsoit avec goût. […] On me dira que ce genre est neuf, et je répondrai que les principes des arts établis parle goût et embellis par l’imagination sont invariables.
La parfaite imitation, demande que l’on ait en soi le même goût, les mêmes dispositions, la même conformation, la même intelligence, & les mêmes organes de l’original que l’on se propose d’imiter ; or comme il est rare de trouver deux êtres également ressemblants en tout, il est aussi rare de trouver deux hommes dont les talents, le genre & la maniere soient exactement semblables. […] Si le Ballet est le frere aîné des autres Arts, ce n’est qu’autant qu’il en réunira les perfections ; mais on ne sauroit lui déférer ce titre glorieux dans l’état pitoyable où il se trouve, & convenez avec moi, Monsieur, que ce frere aîné fait pour plaire, est un sujet déplorable, sans goût, sans esprit, sans imagination, & qui mérite à tous égards l’indifférence & le mépris de ses sœurs. […] Ces Fêtes étoient d’autant plus agréables qu’elles étoient diversifiées ; que chaque Spectateur pouvoit y savourer ce qui étoit relatif à son goût & à son génie ; mais je ne vois pas dans tout cela ce que je dois trouver dans le Ballet.
Aussi la bonne coupe théâtrale d’un poème de cette espèce suppose seule dans son auteur plusieurs talents, et un nombre infini de connaissances acquises, une étude profonde du goût du public, une adresse extrême à placer les contrastes, l’art moins commun encore d’amener les divertissements, de les varier, de les mettre en action ; de la justesse dans le dessein, une grande fécondité d’idées, des notions sur la peinture, sur la mécanique, la danse, et la perspective, et surtout un pressentiment très rare des divers effets, talent qu’on ne trouve jamais que dans les hommes d’une imagination vive et d’un sentiment exquis ; toutes ces choses sont nécessaires pour bien couper un opéra ; peut-être un jour s’en apercevra-t-on, et que cette découverte détruira enfin un préjugé injuste, qui a nui plus qu’on ne pense au progrès de l’art. […] L’objet de ce divertissement isolé et de mauvais goût, est de varier l’amusement des spectateurs, souvent de donner le temps aux acteurs de changer d’habits, et quelquefois d’allonger le spectacle ; mais il n’en peut être jamais une partie nécessaire : par conséquent il n’est qu’une mauvaise ressource qui décèle le manque de génie dans celui qui y a recours, et le défaut de goût dans les spectateurs qui s’en amusent. […] En France, lorsque Corneille et Molière créèrent la tragédie et la comédie, ils profitèrent des fautes des Romains pour les éviter ; et ils eurent assez de génie et de goût pour se rendre propres les grandes beautés des Grecs, et pour en produire de nouvelles, que les Sophocles et les Aristophanes n’auraient pas laissé échapper, s’ils avaient vécu deux mille ans plus tard. […] Le second, l’esprit de l’air que ses pas doivent rendre ; car il n’est point d’air de danse, quelque plat que le musicien puisse le faire, qui ne présente une sorte d’esprit particulier au danseur qui a de l’oreille et du goût. […] Un des grands défauts de l’opéra de Thétis, est d’avoir deux actes de suite sans fêtes ; il était peut-être moins sensible autrefois, mais il a paru très frappant de nos jours, parce que le goût du public est décidé pour les fêtes.