C’est pour ainsi dire, leurs leçons qu’ils ont souvent donné en ma presence, que je trace ici sur le papier : Ainsi sans examiner, si j’ai tenu le premier rang dans ma profession, les regles que je donne peuvent justifier le titre de mon Ouvrage. […] Après avoir composé la Musique des divers Ballets dont je viens de parler, il entreprit de donner aux yeux de la Cour & de la Ville ces Tragedies Lyriques qui font encore l’admiration & le charme des Spectateurs. […] Je ne puis trop donner de loüanges à la juste reputation qu’il s’est acquise. […] D’ailleurs les justes applaudissemens qu’on lui donne, excitent une noble ambition parmi les autres Danseuses. […] Campra qui de tous les successeurs de Lully dans la composition de la Musique, a donné au Theatre le plus grand nombre de beaux ouvrages, avoit mis au jour les Fêtes Venitiennes.
Cette sorte de pas est particulier dans sa maniere, il tient pour ainsi dire du pas tombé, en ce qu’il faut être levé sur la pointe du pied pour le commencer ; mais comme j’ai donné dans ma premiere Partie l’intelligence pour le faire, & qu’il ne me reste plus que de vous instruire sur la maniere d’y faire les bras ; je vous dirai seulement, que, lorsque vous le commencez ayant les pieds l’un devant l’autre à la quatriéme position, par consequent un bras opposé qu’il faut faire votre premier mouvement : pour lors ce bras qui est opposé doit s’étendre de haut en bas, & l’autre dans le même tems vient de bas en haut ; mais ne change pas au second saut : ensuite en faisant le troisiéme qui est un assemblé, vous laissez tomber vos deux bras à côté de vous ; puis vous faites un petit mouvement de la tête en la baisant, & vous la relevez de même que les bras, lorsque vous faites un autre pas comme de Bourrée, ou tels que la Danse le demande ; cette petite action, quand elle est faite à propos donne beaucoup d’agrémens, mais sur tout point d’affectation. […] Mais si par la suite mes esperances ne sont point trompées, je donnerai incessamment un autre Traité qui enseignera la maniere de faire tous les differens pas de Balets, tant serieux que comiques, aussi tous les differens caracteres avec lesquels ils doivent être executez, & ornez de Figures en Taille-douce, qui representeront non-seulement les diverses attitudes ; mais aussi les habillemens comiques. J’y joindrai encore un petit Traité de la composition du Balet, afin que cette Noble Jeunesse ne se trouve pas embarassée, lorsqu’elle sera obligée de paroître dans les Balets du Roi, & autres semblables où j’espere qu’elle se distinguera, pourvû qu’elle veüille indépendamment des bonnes leçons que lui en auront dû donner les Maîtres, s’appliquer à bien comprendre les moïens clairs & faciles que je lui en donnerai.
Quoique j’aye donné la maniere de faire ces demi-coupez dans la construction du pas du Menuet, néanmoins pour vous en donner de suite l’intelligence, je dirai que lorsque vous voulez faire un fleuret, étant posé à la quatriéme position, si c’est le pied gauche que vous ayez devant, qu’il faut que le corps soit entierement dessus, en approchant le pied droit à la premiere position, sans qu’il touche à terre ; puis plier les deux genoux également, ce qui s’appelle plier sous soi, mais il ne faut pas passer le pied droit devant vous à la quatriéme position, que lorsque vous avez plié, & du même tems qu’il est passé vous vous élevez sur la pointe : puis marcher deux autres pas tout de suite sur la pointe ; sçavoir, l’un du gauche, & l’autre du droit, & à ce dernier il faut poser le talon, en le finissant, afin que le corps soit plus ferme, soit pour en reprendre un autre, ou tel autre pas que la danse que vous dansez le demande ; mais pour se mettre dans l’habitude de faire ainsi que des autres, il est à propos d’en repeter plusieurs de suite ; outre que cela vous donne la facilité de faire d’un pied ce que vous faites de l’autre. […] Mais comme je ne me suis proposé que de donner la maniere de faire tous ces differens pas, sans m’arrester à l’étimologie de leurs noms, parce que la plus grande partie de ces pas sont tirés des differentes danses qui sont en usage dans nos Provinces, à laquelle on leur a donné toute la propreté que l’art permet, & dont il porte le nom de ces danses. […] La Gavote vient originairement du Lyonnois & du Dauphiné, & c’est de-là que l’on a tiré nombre de contre-tems que nous avons dans nos danse ; ce qui s’est introduit par les soins de plusieurs grands Maîtres que nous avons eu, à qui l’on est redevable des soins qu’ils se sont donnez, d’avoir mis ces pas dans toute la grace qu’ils ont aujourd’hui, ce qui a donné tout le brillant & le bon goût à cet art. […] Et ainsi que plusieurs autres danses, dont je n’entreprend pas de donner l’origine. Il y a un autre pas que l’on appelle positivement fleuret, il se fait de deux manieres differentes ; mais comme je ne l’ai trouvé dans aucune danse de Ville ; c’est ce qui fait que je n’en donnerai aucune explication.
Comme il est parlé dans plusieurs pas de ces Jettez, sans que j’en aye donné aucune instruction particuliere, je vais l’expliquer dans ce Chapitre, en suivant l’ordre des pas, qui est d’aller des plus faciles aux plus difficiles. […] Mais il se lie aisément dans la construction des autres pas, comme on le voit à la fin du contre-tems du Menuet, dans les coupez de mouvement, pas tombez pas, de Bourée vîte & autres ; ce qui leur donnent plus d’anjoüement. Comme ce n’est que par le plus ou le moins de force, que vous possedez dans le cou de pied qui vous fait élever : ainsi ce pas dépend du cou de pied pour le faire avec legereté ; pour le faire en avant, je suppose que vous ayez le pied gauche devant & le corps posé dessus, la jambe droite preste à partir dans le moment que vous pliez sur la jambe gauche, la droite s’aproche auprès, & lorsque vous vous relevez ; ce qui se fait par la force du pied gauche, qui en s’étendant avec force vous en rejette sur la droite, parce qu’elle acheve de se passer devant, lorsque vous vous relevez en tombant sur la pointe du pied droit, & ne poser son talon qu’après, ce qui termine ce pas : ainsi vous pouvez en faire plusieurs de suite d’un pied, comme de l’autre en observant la même regle ; ce qui donne beaucoup de facilité & de legereté. […] On les fait encore d’une autre maniere, en ce qu’il faut prendre plus de force pour les sauter ; ce qui se fait en se relevant plus vîte, & étendre fort les jambes, en les battant l’une contre l’autre, en retombant sur le pied contraire à celui qui a plié, pour lors il change de nom & on l’appelle demie cabrioles ; mais comme c’est un pas de Ballet, & que je n’entreprends dans ce Traité que de donner la maniere de faire les pas qui sont en usage dans les danses de Ville, c’est ce qui m’engage de ne pas embarasser l’Ecolier des pas que l’on aprend les derniers, comme étant ce qui donne la perfection aux danseurs qui sont nez avec toute la belle disposition, & même à ceux qui en font leur principale occupation.
Tout dépend pour bien apprendre, du bon commencement, ce qui est l’affaire du Maître, mais comme l’Ecolier a beaucoup de vivacité, ou que souvent le trop d’étude dont il est chargé, lui fait oublier la plûpart de ses exercices, & ordinairement celui de la Danse, que l’on ne croit pas aussi nécessaire qu’elle est, puisque c’est par elle que nous nous comportons dans le monde avec cette bonne grace & cet air qui fait briller notre Nation ; & c’est sur cette idée que je me suis fait un plan ou maniere de leçon que le Maître donne à son Ecolier pour le mener de pas en pas, même lui enseigner tous les differens mouvemens des bras, afin de les conduire à propos à chacun de ces differens pas de danse : & comme il est essentiel de sçavoir se poser le corps dans une situation gracieuse, c’est ce qui est expliqué dans ce premier Chapitre, de même que le represente cette Figure : Il faut avoir la tête droite sans être gêné, les épaules en arriere (ce qui fait paroître la poitrine large & donne plus de grace au corps,) les bras pendans à côté de soi, les mains ni ouvertes ni fermées, la ceinture ferme, les jambes étenduës, & les pieds en dehors : j’ai tâché de donner à cette Figure l’expression possible, afin qu’en la voïant on puisse se poser le corps tel qu’il doit être. […] De la Position du Corps Je lui ai donné une attitude prêt à marcher, c’est pourquoi elle a le pied gauche devant, & le pied droit prêt à partir, soit pour faire un pas en avant ou à côté, parce que le corps étant posé sur le gauche, par ce moïen le droit doit agir facilement ; j’espere que prenant toutes ces précautions on ne tombera pas dans le ridicule d’être gêné ou roide, ce que l’on doit éviter, ni même d’affectation ; la bienséance ne demandant que ce beau naturel & cet air aisé que la danse seule est capable de procurer.