Il appuie, m’a-t-on dit, son assertion sur l’exemple des Compositeurs de Musique et sur les Poètes lyriques qui (mérite à part) jouissent également de la faculté de mettre leurs ouvrages. […] Les décorations de Guillaume Tell ont été faites trois fois : celles de Daphnis et Pandrose sont commencées depuis à peu près 2 ans, et celles d’Achille à Scyros ne sont pas encore esquissées, je ne me suis jamais plaint : mon camarade Milon a donné trois Ballets, je n’en ai nullement murmuré parce qu’il pouvait être utile à l’administration de connaître les dispositions et les talents de ce jeune compositeur, et parce qu’il était, comme moi, attaché au Théâtre des Arts. […] Le programme d’un Ballet d’action n’est qu’un squelette où l’on ne peut découvrir la chair, la finesse de la peau, les contours agréables, les belles couleurs, que le compositeur seul peut lui donner.
La plupart des Danseurs ou des Compositeurs devroient adopter l’usage que les Peintres suivoient dans les siecles d’ignorance ; ils substituoient à la place du masque des rouleaux de papier qui sortoient de la bouche des personnages, & sur ces rouleaux l’action, l’expression & la situation que chacun d’eux devoit rendre étoient écrites. […] Un bouquet, un rateau, une cage, une vielle, ou une guittare ; voilà à peu près ce qui fournit l’intrigue de nos superbes Ballets ; voilà les sujets grands & vastes qui naissent des efforts de l’imagination de nos Compositeurs. […] L’Acte des Fleurs ; l’Acte d’Eglé dans les Talents Lyriques ; le Prologue des Fêtes Grecques & Romaines ; l’Acte Turc de l’Europe galante ; un Acte entr’autres de Castor & Pollux, & quantité d’autres, où la danse est, ou peut être mise en action avec facilité & sans effort de génie de la part du Compositeur, m’offrent véritablement des Ballets agréables & très-intéressants ; mais les Danses figurées qui ne disent rien ; qui ne présentent aucun sujet ; qui ne portent aucun caractere ; qui ne me tracent point une intrigue suivie & raisonnée ; qui ne font point partie du Drame & qui tombent, pour ainsi parler, des nues, ne sont à mon sens, comme je l’ai déjà dit, que de simples divertissements de Danse, & qui ne me déploient que les mouvements compassés des difficultés méchaniques de l’Art.
Assurément je suis très flatté de cette préférence ; mais les compositeurs, qui, par ces plagiats, m’ont donné cette marque d’estime pour mon talent, ont en tort de me faire le sacrifice du leur.
Lully fut dès lors regardé comme un Compositeur divin, les Chanteurs comme des modèles, les Ballets comme les chefs-d’œuvre de la danse, les Machines comme le dernier effort de la mécanique, les Décorations comme des prodiges de peinture.
Et les figures sont les diverses dispositions des danseurs, qui dansent de front, dos contre dos, en rond, en quarré, en croix, en sautoir, en croissant, sur une ligne, en évolution, en se poursuivant, en fuyant, ou en s’entre-lassant les uns dans les autres ; ensorte que le compositeur du Balet peur former autant de danses qu’il y a de figures dans la Géométrie. […] A l’égard des figures arbitraires de la danse, ce sont les diverses situations que prennent les danseurs dans les Entrées, selon le nombre des personnes qui dansent ; ce qui dépend de l’imagination ou du caprice du compositeur.