On ne donne à la conduite de ces confesseurs, si faciles et si complaisans au sujet des danses, la préférence sur la doctrine de ceux que l’Eglise révère comme ses docteurs, que parce que leur facilité est plus conforme aux désirs déréglés du cœur.
Je demande qui l’on doit considérer le plus, ou de celui qui compose une Pièce de théâtre, ou de ceux qui l’apprenent par cœur ?
Le Diable boiteux — el Diablo cojuelo — est un roman de Le Sage imité de l’espagnol, et que tout le monde sait par cœur ; c’est aussi un ballet qui a obtenu une vogue connue et méritée. — Le programme en est dû à un jeune littérateur, Edmond Burat de Gurgy, enlevé à la fleur de son âge et de son talent par une maladie de poitrine ; la pantomime et la danse en ont été réglées par M. […] Bien plus, sur un nouveau geste du diable, les masques des trois femmes tombent en même temps que leurs dominos, et elles se révèlent à l’écolier sous leur véritable costume : celle-ci est Paquita, une simple manola (grisette espagnole) ; celle-là doña Florinde, une danseuse fort en vogue à Madrid, et cette autre enfin la señora Dorotea, une jeune et riche veuve. — Cléofas les trouve toutes également séduisantes, entre les trois son cœur balance, et, avant de se prononcer en faveur de l’une d’elles, il désirerait les voir de plus près, les connaître plus intimement. « Soit, dit le diable ; elles vont venir ici toutes les trois pour consulter l’alchimiste. […] La rage lui mord le cœur : elle exige du maître de ballets des modifications, des coupures, auxquelles celui-ci refuse de consentir, — car on se souvient qu’il n’est autre qu’Asmodée. […] Une lutte s’engage dans son cœur ; l’amour pur va triompher, quand, par malheur, un laquais vient apporter à l’écolier, de la part de la veuve, une invitation à se présenter chez elle. […] Mais allez donc en remontrer à la danseuse sur ce chapitre là ; elle sait par expérience comment on arrive au cœur des femmes ; soyez tranquille.
[Seconde partie] 30Par l’exposé que je viens de faire, on voit que ce Ballet forme une Action complète ; qu’elle y est vive, intéressante, et marche toujours à sa fin, sans être retardée par des épisodes, qui ne saurait que la refroidir ; que sur ce plan on pourrait en faire une Tragédie comme celle des Grecs, en faisant parler mes personnages, et en substituant des Cœurs de Mages, de Satrapes, de peuple, de femmes au corps de Ballet que j’ai employé ; et je répète ici avec cette satisfaction qu’on ressent lorsqu’on fait part au Public de ses découvertes, que je crois que le théâtre des Grecs doit uniquement nous guider pour nos plans, et qu’il n’y a aucune Tragédie de ce Théâtre, qui ne puisse être traitée avec succès en Ballet Pantomime. […] Si cette espèce de danse est mise en action par un compositeur éclairé, avec adresse et dans les règles : si la pantomime y est jointe avec art, avec expression, si la passion de l’amour, qui d’ordinaire en fait le fond, y est traitée avec feu, avec délicatesse, elle peut exciter dans les cœurs, surtout dans ceux des Jeunes personnes quelque émotion légère et momentanée, telle qu’on l’éprouve à la représentation d’une Scène d’Opéra et d’un Dénouement heureux de quelque Comédie, ou à la lecture de quelque Roman.
. — Si votre cœur vous portait à venir me voir, ne l’écoutez pas, je vous prie, par ce temps-ci, et soyez assurée qu’aussitôt que je croirai pouvoir le faire sans danger, ce sera moi qui irai vous présenter mes hommages. […] Amitiés de tous pour vous, et moi je vous embrasse de cœur.