Fortement attaché à son état, il se renferme en lui-même, & se dérobe à tout le monde les jours qu’il joue des rôles importants ; son génie l’éleve au rang du Prince qu’il doit représenter ; il en prend les vertus & les foiblesses ; il en saisit le caractere & les goûts ; il se transforme ; ce n’est plus Garrick à qui l’on parle, ce n’est plus Garrick que l’on entend : la métamorphose une fois faite, le Comédien disparoît & le Héros se montre ; il ne reprend sa forme naturelle que lorsqu’il a rempli les devoirs de son état.
Leurs proprietez sont de nous instruire en nous divertissant, de former nos mœurs, & de nous exciter à la vertu, en représentant les Héros & les grandes actions : c’est ce qui fait dire à Aristote que les Sculpteurs & les Peintres nous enseignent à former nos mœurs par une méthode plus courte & plus efficace que celle des Philosophes ; & qu’il y a des tableaux & des sculptures aussi capables de corriger les vices, que tous les préceptes de la morale, comme il y en a de capables de les corrompre, témoin l’Eunuque de Térence.
Digne porte-paroles d’une génération attachée à la matière, mais qui avait volontiers les mots d’idéal et de vertu à la bouche, le critique du Journal des Débats célébrait une fois de plus, à l’occasion de la reprise de la Sylphide, la chasteté de Mlle Taglioni : « Quand l’Opéra a revu sa grande passion — Taglioni qui lui revenait — l’Opéra l’a d’abord applaudie, avec cette admirable fureur que vous savez ; puis bientôt le plus grand silence a commencé.
Elle eut la grande sagesse de ne pas oublier qu’elle était dans un pays où les vertus ne sont peut-être pas d’une trempe plus forte qu’ailleurs, mais où l’on tient à sauver les apparences.