Vous réfléchirez, et, si vous me le permettez, j’y reviendrai dans ma prochaine lettre. […] Mais il m’est permis de vous dire que la solitude est mauvaise, surtout à une âme passionnée comme la vôtre, et pourtant je ne vous vois pas sans quelque appréhension disposé à traiter Juste Odoard comme un compagnon et un ami. […] Il ne se permettra, je crois, jamais de discuter vos principes si vous ne l’y encouragez pas. Mais s’il est et votre compagnon et votre ami, vous le lui permettrez, et, en supposant que vous n’ayez jamais à rompre que des lances courtoises, ce sera pour vous un trouble intérieur, une sorte d’ébranlement de votre air vital qui vous amusera peut-être durant quelques jours, mais qui risque de vous devenir insupportable, et qui sait ? […] Je le crois excellent et aussi pur que le permet la vie du siècle ; mais c’est un ouvrier qui bâtit des églises et des chapelles sans se soucier beaucoup, je le crains, de l’idée qu’on y vénère.
« Les Fidèles, dit-il, doivent consacrer au Seigneur les dimanches et les fêtes, et assister au service divin : c’est pourquoi il est défendu pendant ces jours de faire des actes de justice, de tenir des foires, des marchés et des danses, etc. » M. de Héricourt cite sur cela le troisième concile de Tolède, dont j’ai rapporté plus haut les paroles, ensuite l’article 23 de l’ordonnance d’Orléans de 1560, sous Charles IX, qui porte : « Défendons à tous juges de permettre qu’aux jours de dimanches et de fêtes annuelles et solennelles, aucunes foires et marchés soient tenus, ni danses publiques faites ; et leur enjoignons de punir ceux qui y contreviendront. » Enfin, il rapporte une déclaration de Louis XIV, du 16 décembre 1698 où il est dit : « Ordonnons que les articles 23, 24, 25 de l’Ordonnance d’Orléans et le 28. […] C’est donc manquer tout à la fois à ce qu’on doit à Dieu, et aux princes dont la puissance est une image et une émanation de la sienne, que de permettre, et, ce qui est encore pis, d’autoriser ces danses, et d’y aller, lorsque par la négligence de ceux qui ont le pouvoir de les empêcher, elles ont lieu dans une paroisse ; et cependant Jésus-Christ nous dit expressément : (Matth. c. 22, v. 21.) […] Si, après toutes ces autorités des saintes Ecritures, des saints docteurs, tous ces règlemens des conciles, et toutes ces décisions des théologiens les plus éclairés, et les plus pieux qui viennent d’être rapportés, on ose encore prendre la défense des danses, et que l’on s’obstine à les croire permises, ne montre-t-on pas par là évidemment qu’on ferme volontairement les yeux pour ne pas voir clair en plein jour ; qu’on ne tient aucun compte de tout ce qu’il y a eu et de ce qu’il peut y avoir encore dans l’Eglise de gens les plus éclairés et les plus pieux, et qu’on manque de respect pour l’Eglise même que, dans les conciles, a parlé si clairement et si fortement contre les danses ? […] C’est donc une vérité certaine et incontestable qu’elles ne sont pas permises ; et cependant on n’y demeure pas moins attaché.
Il est si conforme aux principes de la religion et si solidement prouvé par les saintes Ecritures, qu’il ne peut être que très-utile de le mettre sous les yeux des catholiques : « S’il est besoin de se trouver aux compagnies quelquefois, il le faut faire prudemment, et selon que nous sommes enseignés, regarder avec discrétion quelles sont les compagnies que nous voulons fréquenter ; car il n’est pas permis de se réunir à toutes sortes de gens, de peur que tombant dans la compagnie de gens déréglés, l’on ne communique au mal, et que de mauvaises paroles ou actions on n’en remporte quelque vice… Il faut user du conseil que les anciens conciles donnoient jadis aux chrétiens quand ils seroient à quelques noces, qu’ils mangeassent sobrement et honnêtement ; et les tables étant levées, si les ménétriers entroient pour commencer les danses, qu’ils partissent de là. […] Soit ; la faute en est aux autres qui vous en donnent l’occasion ; car quand vous aurez été appelé par vos amis, et que vous serez là avec eux tant qu’il vous sera permis pour votre salut et votre honneur, vous aurez abondamment satisfait à l’amitié ; mais que sous quelque prétexte vous oubliiez les devoirs de votre profession, il n’y a point de raison d’agir ainsi, parce qu’il ne fut jamais permis que l’amitié liât si fort, que de faire l’un complice et compagnon des vices de l’autre. […] Mais il est à espérer aussi que notre constance en touchera plusieurs qui, si nous participions à de telles actions, suivroient notre exemple. » N’étant permis à personne d’aimer à regarder les danses, que doit-on donc penser des ecclésiastiques, et surtout des curés qui, lorsqu’il se fait des danses dans leurs paroisses, en sont tranquilles spectateurs dans le lieu même de l’assemblée ? Quel doute qu’ils ne se rendent d’autant plus criminels devant Dieu, que leur exemple est plus capable de faire impression, et qu’on est plus porté à s’en prévaloir pour regarder comme permis un divertissement qu’on n’est déjà que trop porté à justifier, quelque mauvais qu’il soit ?
Je conviens qu’après le travail quelques délassemens permis et qui n’ont rien de dangereux pour la conscience, de ceux dont de pareils dangers ne peuvent guère être séparés. […] Mais, dit-on, si on ne permet aux jeunes personnes de danser, elles pourront faire pire. […] J’ajoute que si l’oisiveté a ses dangers, les danses ont aussi les leurs ; et l’affaire du salut est une affaire si importante, qu’il n’est pas permis de l’exposer volontairement à aucun danger, de quelque nature qu’il soit. […] Après cela, s’il leur reste du temps, et s’ils ont besoin de délassement, ne peuvent-ils pas s’en procurer de permis, soit par des promenades et des conversations où la gaîté soit jointe à la modestie, soit par de petits jeux innocens ? Qu’on nous donne des chrétiens vraiment dignes de ce nom, et l’on verra qu’ils sauront bien trouver le moyen de passer les dimanches et fêtes sans s’ennuyer, et cependant sans faire ni se permettre rien qui offense Dieu.