Cette précaution utile, qui mettoit le spectateur au fait de l’idée et de l’exécution imparfaite du peintre, pourroit seule l’instruire aujourd’hui de la signification des mouvemens mécaniques et indéterminés de nos pantomimes. […] L’examen que j’ai fait de toutes ces fêtes, me persuade que l’on a eu tort de le leur accorder, je n’y ai jamais vû la danse en action ; les grands récits étoient mis en usage au défaut de l’expression des danseurs, pour avertir le spectateur de ce qu’on alloit représenter ; preuve très claire et très convaincante de leur ignorance ainsi que du silence et de l’inéfficacité de leurs mouvemens. […] Le ballet est, suivant Plutarque, une conversation muette, une peinture parlante et animée, qui exprime par les mouvemens, les figures et les gestes. […] Lorsque les danseurs animés par le sentiment, se transformeront sous mille formes différentes avec les traits variés des passions ; lorsqu’ils seront des Prothée, et que leur physionomie, et leurs regards traceront tous les mouvemens de leur âme ; lorsque leurs bras sortiront de ce chemin étroit que l’école leur a prescrit, et que, parcourant avec autant de grace que de vérité un espace plus considérable, ils décriront par des positions justes les mouvemens successifs des passions ; Lorsqu’enfin ils associeront l’esprit et le génie à leur art, ils se distingueront ; les récits dès lors deviendront inutiles ; tout parlera, chaque mouvement sera expressif, chaque attitude peindra une situation, chaque geste dévoilera une intention, chaque regard annoncera un nouveau sentiment ; tout sera séduisant, parceque tout sera vrai, et que l’imitation sera prise dans la nature. […] L’acte des Fleurs, l’acte d’Eglé dans les talens lyriques, le prologue des fêtes Grecques et Romaines, l’acte Turc de l’Europe galante, un acte entre autres de Castor et Pollux, et quantité d’autres où la danse est ou peut être mise en action avec facilité, et sans effort de génie de la part du compositeur, m’offrent véritablement des ballets agréables et très-intéressans ; mais ces danses figurées qui ne disent rien, qui ne présentent aucun sujet, qui ne portent aucun caractère, qui ne me tracent point une intrigue suivie et raisonnée ; qui ne font point partie du drame, et qui tombent, pour ainsi dire, des nues, ne sont à mon sens, comme je l’ai déjà dit, que de simples divertissemens de danse, et qui ne déploient que les mouvemens compassés et les difficultés mécaniques de l’art.
J’ai vû plusieurs personnes le porter à côté à la deuxiéme position, mais il ne m’ont pas paru avoir la même grace ; parce qu’il paroît que le corps se dandine : outre que les mouvemens qui se doivent faire de la tête & des bras ne sont pas si avantageux ; pour ceux qui se font en tournant, c’est la maniere de plier & de s’élever, en se contenant dans la proportion du pas & la position du pied, afin que le corps se conserve dans son équilibre, d’autant que tous les pas qui se font en tournant sont d’une plus difficile execution que ceux qui se font en avant. Le Balancé est un pas fort gracieux & se place dans toutes sortes d’airs ; quoique les deux pas dont il est composé soient relevez également l’un & l’autre, & c’est par cette raison qu’il s’accomode à toutes sortes de mesures ; parce que ce n’est que l’oreille qui avertit de presser les mouvemens ou de les ralentir.
Je ne puis m’empêcher, Monsieur, de désapprouver les Maîtres de ballets, qui ont l’entêtement ridicule de vouloir que les figurants, et les figurantes se modèlent exactement d’après eux, et compassent leurs mouvemens, leurs gestes et leurs attitudes d’après les leurs : cette singulière prétention ne doit-elle pas s’opposer au développement des graces naturelles des exécutans, et étouffer en eux le sentiment d’expression qui leur est propre ? Ce principe me paroît d’autant plus dangereux, qu’il est rare de trouver des maîtres de ballets qui sentent ; il y en a si peu qui soient excéllents comédiens, et qui possédent l’art de peindre, par les gestes, les mouvemens de l’ame ! […] les gestes ne sont-ils pas l’ouvrage de l’âme, et les interprètes fidèles de ses mouvemens ? […] Servandoni ne réussissoit pas, ce n’étoit pas faute de gestes ; les bras de ses acteurs n’étoient jamais dans l’inaction ; cependant ses représentations pantomimes étoient de glace ; à peine une heure et demie de mouvemens et de gestes, fournissoit-elle un seul instant au peintre. […] Lorsque le génie ne dirige pas tous ces mouvemens, et que le sentiment et l’expression ne leur prêtent pas des forces capables de m’émouvoir et de m’intéresser, j’applaudis alors à l’adresse, j’admire l’homme-machine, je rends justice à sa force, à son agilité ; mais il ne me fait éprouver aucune agitation ; il ne m’attendrit pas, et ne me cause pas plus de sensation que l’arrangement de mots suivans : Fait.. pas.. le.. la.. honte.. non.. crime.. et.. l’échafaud.
Allard et Pélin, ils formoient des pas de quatre délicieux ; une gaité franche et naïve, une expréssion vraie, adaptée au sentiment de la joie, un ensemble admirable, une précision rare, présidoient a tous leurs mouvemens ; ces pas faisoient tourner la tête au public enchanté, sans le secours de la pirouette. […] Elle ne courut jamais après les difficultés ; une noble simplicité règnoit dans sa danse ; elle se dessinoit avec goût et mettoit de l’ex-préssion et du sentiment dans ses mouvemens. […] Les belles proportions de sa taille, la noblesse de sa figure, l’harmonie enchanteresse de ses mouvemens, et le fini précieux d’une exécution d’autant plus étonnante qu’elle étoit toujours facile, et que les éfforts du corps étoient sans cesse dérobés par les graces ; tant de perfections réunies lui obtinrent le plus brillant succès tant à la cour qu’à la ville. […] Il dansoit le pas de deux avec grace, et toujours le goût dessinoit ses attitudes ; il avoit infiniment de moëlleux et de douceur dans ses mouvemens : son honnêteté, son application à remplir ses devoirs, le rendirent le sujet le plus utile à la danse de l’opéra, mais on abusa de sa complaisance pour remplacer des rôles qu’il n’avoit point appris et qui ne lui furent jamais destinés.