L’honneur, qu’on me passe le terme, y est l’idole de la nation ; et c’est l’honneur qui fut toujours l’esprit vivifiant des talents en tout genre. […] Le sujet était : Le Temple de l’Honneur, dont la Justice était établie solennellement la prêtresse. […] L’Honneur n’y laissa pénétrer que l’Amour et la Beauté, pour chanter l’Hymne nuptial des deux nouveaux époux.
Il y a une grande différence pour les effets, entre les honneurs que l’on fait bien d’accorder à l’art du Théâtre, et la familiarité qu’on fait très mal de prodiguer aux gens qui l’exercent. […] Remarquons ici cependant, 1°. que les arts ne tombent presque jamais qu’après qu’ils sont montés au plus haut point de gloire ; 2°. que la Danse semblable aux autres Arts qui devinrent si florissants sous l’empire d’Auguste, ne dut ses progrès rapides qu’aux honneurs qu’elle reçut des sujets et du Souverain. […] Les caresses, les bienfaits, les honneurs seront toujours nuisibles à tous les Arts, s’ils ne sont en proportion de la conduite, des progrès et des mœurs des Artistes.
On trouve dans le second Livre des Rois, chap. 6, que David se fit un honneur d’accompagner l’Arche d’alliance, en dansant avec la troupe des Lévites depuis la maison d’Obédédom où l’Arche étoit en dépôt, jusqu’à Jérusalem ; cette marche se fit avec sept corps de Danseurs au son des harpes & de tous les instrumens de Musique qui étoient en usage chez les Juifs, & dont on trouve la description & les figures dans le premier tome des Commentaires de la Bible du P. […] C’est encore un usage qui subsiste en Espagne & en Portugal, toutes les veilles des Fêtes de la Vierge ; les filles s’assemblent le soir devant les portes des Eglises de Notre-Dame, & y passent les nuits à danser en rond, en chantant des Hymnes & des Cantiques en l’honneur de la Vierge ; ce qui étoit fort commun parmi les Chrétiens dans la primitive Eglise, comme je l’ai déja dit. […] Il est encore à présumer que c’est de la danse Sacrée & tumultueuse des Corybantes ou Prêtres de Cibelle, que les Bacchantes & les Satyres ont tiré leurs danses Bacchanales en l’honneur de Bacchus, ayant beaucoup de rapport à celle des Corybantes, qui, au dire des Poëtes anciens, favoriserent la conservation de Jupiter lors de sa naissance ; ce qui marque aussi la profonde antiquité de la danse Sacrée des Idolâtres ou des Payens. […] Ces sortes de danses consistoient à tourner & retourner en cadence autour des Autels qui étoient isolez ; d’autres se faisoient en rond autour des Trépieds sacrez qui servoient aux oracles & aux sacrifices qui se faisoient en l’honneur des Divinitez : c’est pourquoi les Latins donnerent à la danse Sacrée les noms de Saltatio & Tripudium. […] L’histoire Romaine nous fait voir que Numa Pompilius, après avoir été déclaré Roi des Romains l’an 40 de Rome, institua une danse Sacrée en l’honneur du Dieu Mars, par l’établissement de douze Prêtres danseurs qu’on nomma Saliens, qui furent choisis parmi la noblesse la plus illustre ; ils avoient pour habillement des hocquetons en broderie, & un plastron d’airain par-dessus, tenant des boucliers d’une main & des javelots de l’autre, lorsqu’ils alloient en dansant par la ville de Rome une danse composée exprès, & chantant des hymnes en l’honneur de Mars.
Tout cela ne sera pas gai ; j’ai l’honneur de vous en prévenir, et de vous présenter, Madame, mon respectueux hommage. J’ai l’honneur d’être, etc.