Que ne pouvons-nous joindre aux noms de ces grands Hommes ceux des Maîtres de Ballets, les plus célebres dans leurs temps ! […] Les passions étant les mêmes chez tous les hommes, elles ne différent qu’à proportion de leurs sensations ; elles s’impriment & s’exercent avec plus ou moins de force sur les uns que sur les autres, & se manifestent au dehors avec plus ou moins de véhémence & d’impétuosité.
En 1582 il fut fait au Louvre un Balet comique par l’ordre de la Reine Louise, pour la solemnité du mariage du Duc de Joyeuse avec Mademoiselle de Vaudémont sœur de cette Reine ; toute la Cour, hommes & femmes, danserent dans les Entrées. […] Nous voyons dans Athenée & dans Julius Pollux, que les Anciens avoient autant d’instrumens différens, qu’ils avoient de diverses danses ; que les filles dansoient au son des instrumens les plus doux ; que ceux qui servoient aux Balets des hommes étoient plus forts & plus patétiques ; & ceux au son desquels dansoient les vieillards, étoient plus graves & plus temperez : le tout pour exprimer les mouvemens de l’ame, suivant les sexes, & la différence des âges. […] Pour les Hilarodes, ils entroient sur la scêne vêtus de blanc, avec une couronne d’or ; les Simodes avoient ce nom d’un Simon qui a passé pour habile chantre & très-bon danseur ; les Magodes se déguisoient en femmes, dansoient, chantoient & représentoient des choses extraordinaires qui tenoient du prodige, comme les enchantemens des Magiciens ; & les Lysiodes étoient des femmes qui se déguisoient en hommes, pour chanter & pour danser : ce qui introduisit insensiblement de grandes licences sur le Théâtre, qui tendoient à la corruption des mœurs, & contraires aux préceptes de la danse Théâtrale. […] Saint Augustin rapporte dans son Traité de la Doctrine Chrétienne, Liv. 2, que les représentations de Balets à Carthage étoient composées avec si peu d’art, que l’on avoit été contraint de placer sur un bout du Théâtre un homme, qui à haute voix déclaroit au commencement de chaque Entrée, ce qu’on alloit représenter ; de même que des Peintres qui étoient si mal habiles dans les premiers tems à imiter les choses qu’ils peignoient, qu’ils étoient obligez de mettre sous leurs figures les noms de ce qu’ils prétendoient avoir peint : ce qui fait voir que tous les Arts dans leur origine n’ont eu à peine que la forme. […] Clement, homme fort entendu pour les représentations des spectacles, fit le Balet de la nuit, qui a passé pour l’un des plus accomplis : je ne le rapporterai néanmoins ici que succintement, pour en faire voir la variété, par les caracteres de toutes sortes de personnes, des Divinitez, des Héros, des Chasseurs, des Bergers & des Bergeres, des Bandits, des Marchands, des Coquettes, des Galans, des Egyptiens & des Egyptiennes, des Gagnepetits, des Allumeurs de lanternes, des Bourgeois, des Bourgeoises, des gueux, des estropiez, & des bossus, les personnages Poétiques, les Parques, la Tristesse, la Vieillesse, des Pages, des Paysans, des Astrologues, des Monstres, des Démons, des Forgerons, des Gazetiers, des Vendeurs d’eau-de-vie, Oublieurs, Cuisiniers, des Spadacins, &c.
Tailles d’homme et de femme pour les trois genres de danse.
On crut ne pouvoir mieux faire que de suivre littéralement et servilement ce qui avait été pratiqué sous les yeux d’un homme, pour lequel on conservait un enthousiasme qui a manqué d’anéantir l’Art.