De quoi peut-on être capable sans le secours du génie, de l’imagination & du goût ? […] Réunissons le génie du Poëte & le génie du Peintre, puisque notre Art n’emprunte ses charmes que de l’imitation parfaite des objets. […] En abrégeant les longueurs, elle prêtera du feu à l’exécution ; le goût se chargera de l’élégance, le génie enfantera la variété, & l’esprit conduira la distribution. […] Rien n’étant indifférent au génie, rien ne doit l’être au Maître de Ballets. […] De ce rapport des Arts, de cette harmonie qui regne entr’eux, il faut conclure, Monsieur, que le Maître de Ballets, dont les connoissances seront le plus étendues, & qui aura le plus de génie & d’imagination, sera celui qui mettra le plus de feu, de vérité, d’esprit & d’intérêt dans ses compositions.
Le génie et le goût s’empressèrent à le bercer ; les arts et les talents amusèrent ses premières années, le désir de plaire à un illustre protecteur anima leurs travaux, enflamma leur imagination, et le succès couronna leurs efforts. […] Louis quatorze avoit pris le soleil pour devise, il étoit aux productions de l’esprit et du génie, ce que cet astre paternel est à celles de la nature. […] Nous étions privés du plus pompeux et du plus magnifique spectacle de l’Europe, (l’Opéra Français), et nous en devons la jouissance au goût, et au génie du Cardinal Mazarin. […] On ne peut se refuser à regarder l’Abbé Perrin comme un homme qui eut assez de génie pour entrer dans les vües de Mazarin, en composant le premier opéra en langue Française. […] Rien n’est indifférent au génie.
Il est en vérité bien étonnant, Monsieur, que l’époque glorieuse du triomphe des beaux arts, de l’émulation et des progrès des artistes n’ait point été celle d’une révolution dans la danse et dans les ballets ; et que nos maîtres, non moins encouragés et non moins excités alors par les succès qu’ils pouvoient se promettre dans un siècle où tout sembloit élever et seconder le génie, soient demeurés dans la langueur et dans une honteuse médiocrité. […] Ces fêtes étoient d’autant plus agréables qu’elles étoient diversifiées, que chaque spectateur pouvoit y savourer ce qui étoit relatif à son goût et à son génie, mais je ne vois pas dans tout cela ce que je dois trouver dans le ballet. […] Le ballet est donc le frère du poème ; il ne peut souffrir la contrainte des règles étroites du drame ; ces entraves que le génie s’impose dans les ouvrages soutenus des beautés du style, anéantiroient totalement la composition du ballet, et le priveroient de cette variété qui en est le charme. […] L’acte des Fleurs, l’acte d’Eglé dans les talens lyriques, le prologue des fêtes Grecques et Romaines, l’acte Turc de l’Europe galante, un acte entre autres de Castor et Pollux, et quantité d’autres où la danse est ou peut être mise en action avec facilité, et sans effort de génie de la part du compositeur, m’offrent véritablement des ballets agréables et très-intéressans ; mais ces danses figurées qui ne disent rien, qui ne présentent aucun sujet, qui ne portent aucun caractère, qui ne me tracent point une intrigue suivie et raisonnée ; qui ne font point partie du drame, et qui tombent, pour ainsi dire, des nues, ne sont à mon sens, comme je l’ai déjà dit, que de simples divertissemens de danse, et qui ne déploient que les mouvemens compassés et les difficultés mécaniques de l’art. […] Les connoisseurs la regardent avec les mêmes yeux que Pigmalion, lorsqu’il contemploit son ouvrage ; ils font les mêmes vœux que lui, et ils désirent ardemment que le sentiment l’anime, que le génie l’éclaire, et que l’esprit lui enseigne à s’exprimer.
Sans doute des productions des hommes de génie devoient assurer aux beaux arts une existence immortelle. […] Les arts sensibles, et reconnoissants effacèrent le souvenir de tous ses crimes ; le vainqueur d’Actium, le tyran de Rome et le fléau des Romains dût la gloire de son règne à l’acceuil, et à la protection qu’il accorda aux arts, et par un heureux échange les hommes de génie firent oublier ses cruautés : sans eux la mémoire d’Auguste eût été confondüe avec celle des Tarquin, des Catilina et des Sylla ; mais telle est la puissance des arts, tel est l’empire du Génie, qu’ils consacrèrent le nom d’Auguste dans les fastes de l’immortalité, qu’ils le rendirent cher à sa patrie, qu’il avoit désolée, et qu’enfin son nom est devenu le titre le plus illustre, que l’on puisse donner aux Princes, éclairés, et bienfaisants. […] Hylas élève de Pylade fut ingrat envers son maitre, et son bienfaiteur ; il cabaloit sans cesse contre lui, et l’exposoit souvent à des dèsagrémens d’autant plus mortifiants, qu’il avoit de très-grands talens, et du génie. […] Hilas n’avoit que de foibles moyens, et manquoit tout à la fois d’instruction et de génie ; il s’imagina qu’il falloit représenter un grand Roi à la Toise, en conséquense il se fit faire un cothurne très élevé, et pour se hausser encore davantage il représenta Agamemnon sur la pointe des pieds, afin de paraître plus grand que tous les acteurs qui l’entouroient. […] Le génie des arts est indestructible ; cette émanation devine, qui donne à l’homme une si grande prééminence sur les êtres de son espèce est immortelle, et j’oserai dire que ce feu sacré est à l’esprit ce que l’âme est au corps.