Si notre Art, tout imparfait qu’il est, séduit & enchaîne le Spectateur ; si la Danse dénuée des charmes de l’expression cause quelquefois du trouble, de l’émotion, & jette notre ame dans un désordre agréable ; quelle force & quel empire n’auroit-elle pas sur nos sens, si ses mouvements étoient dirigés par l’esprit & ses Tableaux esquissés par le sentiment ! […] Un beau Tableau n’est qu’une copie de la nature ; un beau Ballet est la nature même, embellie de tous les charmes de l’Art. Si de simples images m’entraînent à l’illusion ; si la magie de la Peinture me transporte ; si je suis attendri à la vue d’un Tableau ; si mon ame séduite, est vivement affectée par le prestige ; si les couleurs & les pinceaux dans les mains du Peintre habile, se jouent de mes sens au point de me montrer la nature, de la faire parler, de l’entendre & de lui répondre ; quelle sera ma sensibilité ! […] quel empire n’auront pas sur mon imagination des Tableaux vivants & variés ! […] Vos Tableaux auront du feu, de l’énergie ; ils seront pleins de vérité, lorsque vous serez affectés & remplis de vos modeles.
Si l’oreille communique rapidement à l’ame les impressions délicieuses et les émotions vives dont l’harmonie et la mélodie l’ont frappée, l’œil enchanté des merveilles que les arts lui offrent, peint à l’imagination, avec une égale promptitude, tous les tableaux séduisants qui l’ont charmé. […] Au reste, Monsieur, on ne peut broder sur un mauvais cannevas, peindre un grand tableau d’histoire sur le médaillon d’une tabatière, ni déployer sur un terrein étroit et irrégulier, les richesses et la majesté imposante de l’architecture. […] pouvoit on présenter un tableau plus grand et plus terrible ? […] De cette masse on auroit pû tirer vingt tableaux différens, et chaque cadre eût offert des situations intéressantes et des grouppes perpétuellement contrastés. […] Si le passage du pont de Lody n’eût pas convenu au directoire, le simulacre du siège et de la prise de Mantoue, pouvoit encore offrir de superbes situations et de magnifiques tableaux.
Comme la représentation, et par conséquent l’imitation fut leur objet principal, il était naturel, que ces hommes extraordinaires, que la tradition avait agrandis dans leur mémoire, se présentassent les premiers à leur esprit, comme les sujets les plus propres à faire le fond des tableaux animés, qu’ils se proposaient de peindre. […] Ces deux grands tableaux de genre différent, offerts dans leur jour aux regards des Athéniens, leur en rappelèrent un troisième qui devait nécessairement augmenter le charme du Spectacle. […] Les grâces du corps, la souplesse des bras, l’agilité des pieds, ne furent dès lors, pour le Danseur, que ce que sont pour le peintre les différentes couleurs qu’il emploie ; c’est-à-dire, la matière première du tableau.