La Reine le reçoit avec ce trouble et cette agitation qui caractérisent l’excès de la passion ; le jeune Ascagne vole des bras de Didon dans ceux d’Enée : il le presse contre son sein ; il imprime dans son ame l’image du plaisir, il grave dans son cœur les attraits de la volupté ; et satisfait de son ouvrage, le perfide enfant se retire à l’écart, pour jouir du progrès de ses artifices et s’applaudir de son triomphe. […] Junon, satisfaite de son ouvrage, paroît ; elle est accompagnée par Vénus, l’Hymen et l’Amour. […] Didon, qui s’étoit rangée du côté des Troyens, et qui aimoit même leur courage en combattant à côté de son amant, le reçoit tendrement dans ses bras, Enée regarde son triomphe comme l’ouvrage de l’Amour, et il en abandonne toute la gloire à Didon.
La plupart des poètes modernes se servent des ballets comme d’un ornement de fantasie, qui ne peut ni soutenir l’ouvrage, ni lui prêter de la valeur ; et dans le fait, ils n’ont pas tort, parce que les compositeurs n’ont pas senti qu’il falloit que les ballets tinssent au sujet, et que les auteurs les ont regardés comme des hors-d’œuvre imaginés pour remplir le vide des entre actes : mais ils auroient dû apperçevoir que ces accessoires, et ces épisodes étrangers à l’action, nuisent à l’ouvrage ; ces objets contraires et toujours désunis, ce cahos de choses mal cousües partagent l’attention, et fatiguent bien plus l’imagination qu’ils ne la satisfont : dèslors le plan de l’auteur disparoît, le fil échappe, la trame se brise, l’action s’évanouit, l’intérêt diminue, et le plaisir s’envole. […] S’il n’a pas l’art de distribuer les lumières à propos, il affoiblit l’ouvrage du peintre, et il détruit l’effet de la décoration. […] Il n’y a qu’une basse jalousie, et qu’une mésintelligence indigne des talens, qui puissent flétrir les arts, avilir ceux qui les professent, et s’opposer à la perfection d’un ouvrage qui exige autant de détails et de beautés différentes que l’opéra. […] Convenez, Monsieur, qu’un auteur qui abandonne son ouvrage aux soins de cinq personnes qu’il ne voit jamais, qui se connoissent à peine et qui s’évitent toutes, ressemble assez à ces pères, qui confient l’éducation de leurs fils à des mains étrangères, et qui, par dissipation ou par esprit de grandeur, croiroient déroger s’ils veilloient à leurs progrès. […] Voyons ce que fait habituellement le maître de ballets à ce spectacle, et examinons l’ouvrage qu’on lui distribue.
Ces accessoires & ces épisodes étrangers à l’action nuisent à l’ouvrage ; ces objets contraires & toujours désunis ; ce cahos de choses mal cousues partagent l’attention & fatiguent bien plus l’imagination qu’ils ne la satisfont : dès-lors le plan de l’Auteur disparoît, le fil échappe, la trame se brise, l’action s’évanouit, l’intérêt diminue & le plaisir s’enfuit. […] S’il n’a pas l’Art de distribuer les lumieres à propos, il affoiblit l’ouvrage du Peintre & il renverse l’effet de la décoration. […] Il n’y a qu’une basse jalousie, & qu’une mésintelligence indigne des grands hommes, qui puissent flétrir les Arts, avilir ceux qui les professent, & s’opposer à la perfection d’un ouvrage qui exige autant de détails & de beautés différentes que l’Opéra. […] Convenez, Monsieur, qu’un Auteur qui abandonne son ouvrage aux soins de cinq personnes qu’il ne voit jamais, qui se connoissent à peine, & qui s’évitent toutes, ressemble assez à ces Peres qui confient l’éducation de leurs fils à des mains étrangeres, & qui par dissipation ou par esprit de grandeur croiroient déroger, s’ils veilloient à leurs progrès. […] Voyons ce que fait habituellement le Maître de Ballets à ce Spectacle, & examinons l’ouvrage qu’on lui distribue.