De son coté, le maître de ballets s’élançant au de là des bornes du matériel de son art, cherche dans ces mêmes passions, les mouvemens et les gestes qui les caractérisent, et liant de la même chaîne les pas, les gestes et l’expression de la figure aux sentimens qu’il veut exprimer, il trouve dans la réunion de tous ces moyens, celui d’opérer les effets les plus étonnans. […] L’homme froid, et peu susceptible d’émotion, doit, presque toujours trouver l’expression de l’auteur exagerée et même gigantesque, tandis que le spectateur facile à être émû et même a être exalté, doit trouver le plus souvent l’expression foible et languissante : d’où je conclus que les expressions du poète se trouvent rarement à l’unisson de la sensibilité du spectateur ; à moins que l’on ne suppose que le charme de la diction ne mette tous les spectateurs au même unisson ; effet que j’ai de la peine à me persuader. […] Elle ne fait qu’indiquer par des pas, des gestes, des mouvemens, et par l’expression de la physionomie la situation et les sentimens de chaque personnage ; et elle laisse à chaque spectateur le soin de lui prêter un dialogue qui est d’autant plus juste qu’il est toujours en mesure avec l’émotion que l’on a reçue. […] Il y a sans doute une foule de choses que la pantomime ne peut qu’indiquer, mais dans les passions il est un dégré d’expression que les paroles ne peuvent atteindre, ou plutôt, pour le quel il n’est plus de paroles. […] Ce fut ainsi que je dictai à Gluck l’air caractéristique du ballet des sauvages dans Iphigénie en Tauride : les pas, les gestes, les attitudes, les expressions des différens personnages que je lui dessinai, donnèrent à ce célèbre compositeur le caractère de la composition de ce beau morceau de musique.
L’Homme a eu des sensations au premier moment qu’il a respiré, et les sons de la voix, le jeu des traits du visage, les mouvements du corps ont été seuls les expressions de ce qu’il a senti. […] Ainsi le Chant, qui est l’expression primitive du sentiment, en a fait développer une seconde qui était dans l’homme, et c’est cette expression qu’on a nommée Danse. On voit par là que le Chant et la Danse, que quelques Auteurs et le vulgaire ont cru des expressions outrées, nous sont cependant aussi naturels que le geste même et la voix.
L’action en matière de danse est l’art de faire passer par l’expression vraie de nos mouvemens, de nos gestes et de la physionomie, nos sentimens et nos passions dans l’ame des spectateurs. […] Tout doit peindre, tout doit parler chez le danseur ; chaque geste, chaque attitude, chaque port de bras doit avoir une expression différente. […] Que les danseurs qui commencent ne confondent pas cette pantomime noble dont je parle, avec cette expression basse et triviale que les Bouffons d’Italie ont apportée en France, et que le mauvais goût semble avoir adoptée. […] Selon lui, dit Quintillien, l’art du pantomime consiste dans la bonne grace, et dans l’expression naïve des affections de l’âme ; elle est au dessus des règles et ne se peut enseigner ; la nature seule la donne. […] L’applaudissement part ; les bras et les doigts méritent des éloges ; et on accorde à l’homme-machine et sans tête, ce que l’on refusera constamment de donner à un violon Français qui réunira au brillant de la main, l’expression, l’esprit, le génie et les graces de son art.